Mise au vert

Nous savons depuis longtemps le talentueux Moby (de son vrai nom Richard Melville Hall) capable d'excellentes propositions comme de sorties franchement médiocres. Entre un album de reprises de lui-même et de remixes, le compositeur de Play semble aujourd'hui bien loin de ses grandes années. Jusqu'ici, son actualité était plutôt commentée dans le sens de son travail pour Mylène Farmer, mais les fans de la chanteuse rousse furent déçus d'apprendre que le nouveau titre du new-yorkais présentait au micro un autre iconic french new wave artist.

Nicolas dans un champ.

Et si quelque chose peut rassembler ces deux personnalités que nous n'aurions jamais imaginées partager un morceau, c'est un manque d'inspiration dû au temps (plusieurs décennies d'activité) et certains choix de fin de carrière : ici des compilations et/ou réorchestrations de succès passés.

"J'ai entendu sa voix pour la première fois à l'été 1987. J'avais une petite amie française et nous avions emménagé à Paris. Je me souviens d’une soirée avec elle et ses amis et d’avoir découvert Indochine. Au fil des années, j'ai entendu de plus en plus parler de ce que faisait Nicolas Sirchis, de son approche de la musique, de ses références culturelles. Il y a environ six mois, quelqu’un m’a fait remarquer que la voix de Nicolas irait très bien sur mon titre 'This Is Not Our World'. C’est comme ça que l’idée a germé."

Richard Melville Hall, Télé 7 Jours, septembre 2022


"J'ai joué la chanson "This Is Not Our World" pour mon ami Emmanuel (de Buretel, ndlr), qui dirige Because Music. Il l'a joué pour Nicolas et il l'a tout de suite adoré. C'est comme ça que ça s'est passé. Le mérite de cette collaboration revient à Emmanuel et Nicolas. C'était leur idée, mais je suis vraiment excité que ça ait pu avoir lieu."

Richard Melville Hall, Chartsinfrance, septembre 2022


Bravo donc à Emmanuel de Buretel d'avoir eu l'idée révolutionnaire de faire chanter Nicolas sur un instrumental générique, et faire exister une collaboration entre deux poules aux œufs d'or du business musical. Espérons que cela leur permette à tous de mettre du beurre dans les épinards.

"J’ai tout de suite adoré Indochine, confie Moby. Pour moi c’est le meilleur groupe français des années 80. Ils sont l’équivalent de Depeche Mode."

Richard Melville Hall, Chartsinfrance, septembre 2022

Nous espérons que ce beau compliment parvienne à Dominique. Nicolas lui, semblait avoir un peu oublié qui était Moby, et doit improviser :
"C’est un musicien qui a toujours maîtrisé les machines de manière très habile, tout en se servant d’archives, comme le blues, pour créer de nouveaux morceaux qui lui sont propres, explique Nicola. Quand j’ai commencé à parler de cette collaboration autour de moi, j’ai compris ce qu’il représentait pour beaucoup. Un pape de l’électro-pop, un petit bonhomme qui saute partout et qui n’a jamais caché ses engagements puissants pour l’environnement, les droits humains, le véganisme, contre la cruauté animale ou l’extrême droite. Mais surtout, la véritable raison, c’est que la première fois que j’ai écouté la démo de This Is Not Our World (Ce n’est pas notre monde), je l’ai trouvé tout de suite extraordinaire, j’étais complètement emballé."

Nicolas Sirchis, Rolling Stone, septembre 2022


Ouf ! En même temps, nous n'imaginions pas Nicolas refuser d'apparaître avec un tel grand nom, à une époque où il est de nouveau très motivé à se montrer à l'international.


Reste qu'ici, l'impression persiste qu'il n'est possible de faire chanter notre héros que sur des instrumentations d'une grande pauvreté (la suite d'accords qui agaçait Olivier dans Black City Parade, le film est encore une fois la même). Et cela ne peut aucunement gagner en intérêt lorsque Nicolas se contente de faire du Sirkis sur un coin de MacBook en se disant que de toutes façons mes fans aimeront... 

Montage de Moby et Nicolas se faisant face.

Ne perdons pas plus de temps à discuter de ce "This is not our world" inorganique au possible, qui selon les fans était déjà génial avant même de sortir. Certains arrivent même à y trouver Nicolas héroïque, comme soulagés d'enfin pouvoir appréhender l'urgence climatique à travers un filtre indochinois. Nous resterons ici brefs et proposons de souligner deux points : 

  • Les chevilles qui enflent 

"Je ne sais pas si ce morceau pourra changer le monde. Il deviendra peut-être une sorte d’hymne générationnel, pour toutes les générations qui disent non, que ce n’est pas notre monde, qu’on subit les évènements sans être dupes et qui s’interrogent sur ce qu’on va faire après."

Nicolas Sirchis, Chartsinfrance, septembre 2022

 

Il serait amusant de jouer à trouver de quel morceau ou album parle Nicolas dans ses citations.

 
Une fois encore, ce n'est pas au chanteur de décider de ce qui sera ou ne sera pas un hymne générationnel, bien que nous ayons observé plusieurs fois qu'au sein du fandom, un morceau devenait fort parce que Nicolas avait dit qu'il devait l'être.

Gageons au contraire que ce titre sera vite oublié. Normal pour ce qui n'a pas dû demander beaucoup plus d'énergie qu'une participation à "Noël est là", et ne semble exister que pour justifier une actualité sur internet en période de rentrée.

  • L'hôpital qui se fout de la charité. Il manquait à 13 le hashtag #sauvonslaplanete

Voir : 2017 - 13


Pour un Nicolas qui ne comprit jamais que la quantité de matériel utilisé n'est pas un gage de qualité, il fut en effet souvent de rigueur de nous informer d'un bon nombre de chiffres en parallèle des tournées.

Meteor Tour : 6 semi-remorques, 4 bus. (Source)

Stade de France 2010 : 400 techniciens, 700 m2 d'écrans, 3 scènes, 40 semi-remorques. (Source)

Black City Tour : 12 camions, 4 bus, 70 personnes. (Source)

Stade Pierre Mauroy 2018 : 750m² d’écran, 750 projecteurs au plafond, 650 projecteurs dans la salle, 40 tonnes accrochées au-dessus de la scène, 35 camions, 600 techniciens. (Source)

Le Central Tour dont les chiffres récents parlent d'eux-mêmes.

Central Tour (2022)

Peut-être que nous cherchons la petite bête, mais nous la trouvons au contraire assez énorme. En d'autres termes, si un seul chiffre nous intéressait, ce serait celui du bilan carbone des activités de notre héros. Sans en connaître l'ampleur avec précision, on peut spéculer que c'est assez cher payé juste pour prouver aux méchants qu'on a la plus grosse. 


Nicolas ne fit non plus jamais secret de l'utilisation régulière d'un jet privé, un grand plaisir pour ce passionné d'avions.

"Pau, Marseille, Montpellier, Nice, on est dans le Sud. On goûte aux joies du 1er voyage en avion privé, je le baptise l'Air Meteor."

Nicola Sirkis, Les petites notes du Meteor Tour, 2011


Le premier de la tournée seulement, car Les Divisions de la Joie et Paradize Show montraient aussi des voyages en avion privé. Souvenez-vous :

"Eh beeen vous regardez pas par la fenêtre ehhh, les Alpes ?!"


Le hors-série Rolling Stone de 2010 justifie l'utilisation d'Air Meteor :

"Comme la plupart des quidams, le rédac chef de Rolling Stone s'imagine sans doute un Nicola Sirkis voyageant inlassablement dans son jet privé tel un McCartney nabab ou un Jagger globe-trotter. Que nenni... Notre Nico n'est pas une madame Fillon, qui exige systématiquement le jet lorsqu'un simple TGV peut faire l'affaire. Et, si sur quelques dates de la tournée, éloignées les unes des autres, les musiciens d'Indo ont eu, c'est vrai, recours à ce moyen de locomotion hors de prix, c'est qu'ils ne pouvaient faire autrement et pas pour se taper un trip de rock star."

Gérard Bar-David, Hors-Série Rolling Stone, juin 2010

 

C'est vrai, nous avons vu nos amis se déplacer en TGV, autant qu'en car et en jet privé.

"Vers 22h on prend un avion pour Strasbourg, juste Emilie et moi, demain je dois être à 10h au siège des Dernières Nouvelles d'Alsace, car ils m'ont invité à être le rédac chef spécial de l'édition du mardi. On est 2 pour un jet de 8 personnes, c'est un peu le luxe."


"On quitte Lyon pour Épernay par un vol privé. On atterrit en pleine campagne dans un aéroport fantôme avec plein de 747 abandonnés, il y a du brouillard, je me dis que j'aimerais bien y tourner un film ou un clip."

Nicolas Sirchis, Les petites notes du Meteor Tour, 2011


Pour en revenir à "This is not our world", Issy-les-Moulineaux où fut tournée la partie française du clip, c'était vraiment la porte à côté. Espérons que Nicolas ait adopté une conduite écologique pour se rendre sur le lieu de tournage lors de cette belle matinée ensoleillée.


Nicolas avait déjà parlé du climat, en 2018 :

"On atteint les limites du système. On est en droit de se demander quel avenir et quelle planète on va laisser à nos enfants... Est-ce qu'ils ne vont pas mourir de chaud ? En France, on commence à prendre conscience de tout ça. On voit les ressources en eau diminuer, les températures grimper, les phénomènes climatiques devenir de plus en plus extrêmes. Pourtant, il existe un véritable frein au changement. Les Français acceptent l'idée de faire bouger les choses collectivement, mais égoïstement, on n'aime pas changer nos habitudes."


Voir : Macroner (Wiktionnaire)

"Pour la tournée Meteor, on avait contacté Nicolas Hulot afin de faire des concerts avec des éoliennes. On n'a jamais réussi à le joindre. On a laissé tomber... C'est toujours compliqué de faire des petits gestes au quotidien et en même temps de faire fonctionner une entreprise. Pour les tournées d'Indochine, on a quatorze camions sur la route..."

Nicolas Sirchis, Chartsinfrance, décembre 2018


Que l'on ne nous prenne pas pour des idiots. Nicolas a peut-être imaginé des éoliennes façon Zazie (il n'est d'ailleurs pas impossible que cela ait inspiré les Tours Eiffel du Meteor Tour), mais s'il avait vraiment voulu contacter le présentateur d'Ushuaïa, à supposer que ce dernier ait été indispensable pour réaliser un tel projet, il y serait parvenu. De plus, s'il existe des raisons de sourire face aux positions récentes (tout en les soulignant) de Coldplay et leurs concerts écolos, ou plus anciennement Radiohead et leurs invitations à venir en transports en commun... Jamais une telle conscience n'a traversé l'esprit de Nicolas quant à l'impact de ses activités. Si ce n'est utiliser l'écologie comme thème spectaculaire. Nicolas est peut-être d'accord pour jardiner dans sa maison de campagne et trier ses pots de compotes, mais faire exister l'entreprise Indochine reste largement prioritaire. Avec au passage un bel aveu sémantique, pour quelqu'un qui n'acceptait pas d'être considéré comme un chef d'entreprise. Ici pourtant, un bel exemple d'écologie selon le patronat.

"L'écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage."

Chico Mendes

Nicolas et six figurants déguisés en manifestants.

Il est possible et même bienvenu pour la génération des boomers de prendre conscience de tels enjeux, même tardivement, mais nous sommes ici dans un foutage de gueule qui bien que devenu habituel, n'en est pas moins révoltant. Cette hypocrisie est problématique au moment de procéder à un greenwashing post-Central Tour grossier, aux côtés d'un Moby connu pour ses prises de position écologiques depuis de nombreuses années. Mais l'argument de notre héros, d'une qualité toute sarkozyste :

"Mais cela crée des emplois et fait vivre des gens..."

Nicolas Sirchis, Chartsinfrance, décembre 2018

Non, vraiment ce n'est pas notre monde.
 
Annexes :
 
Dominique Nicolas dans Platine, mars 2004.

Holy Grail #6

Comme pas mal d'indophiles l'ont remarqué, Wanda Elacollection a récemment posté beaucoup d'archives, merci à elle. Pas de commentaire sur autre chose que le strict contenu des archives vidéo indochinoises.

Ci-dessus les choses intéressantes commencent à 5:27 : un court instrumental (inédit), histoire de faire les derniers réglages en régie avant de démarrer "À l'assaut". Nous sommes le 18 juin 1988 sur l'Esplanade du Château de Vincennes, la "Fête des potes" de SOS Racisme, diffusée en direct sur TF1.



Qu'est-ce que c'était bien Indochine ! Qu'est-ce que ça groovait ! C'est beau, un groupe de rock ! Vous voulez comparer avec le Central Tour d'Mk2 (et son sample honteux de la guitare de Dominique sur l'album) ?

Nicolas chante étrangement bien "Les Tzars", et plus étonnant encore : montre un certain sens du rythme et de la musicalité devant ses percussions. C'est une période de sa vie où la pratique assidue et l'exigence envers soi-même payaient. Nous sommes très loin du passage précédent pour la même association, Place de la Concorde en 1985


Voilà une archive qu'il aurait été intéressant de sortir avec la version remasterisée de 7000 Danses il y a quelques années. Refus catégorique ? Honte ? Flemme ? Oubli ? Difficile à dire, mais les bonnes idées évidentes semblent toujours aussi compliquées à avoir pour nos amis. Heureusement que certains fans prennent le temps de partager leurs archives, plutôt que rester assis dessus comme des cerbères. Continuez !


Voir aussi sur le blog :

Holy Grail  #1, #2, #3, #4, #5