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2013 - Black City Parade

Olivier Gérard, Nicolas Sirchis, François Matuszenski, 2013

Avant toute chose : la genèse du présent album a été traitée précédemment sur le blog. Nous vous renvoyons au post en question, dont la lecture pourrait précéder pertinemment celle du présent article qui sera forcément plus court.

Voir : Black City Parade, le film

"Kill Nico" nous avait fait extrêmement peur, au concert jubilé de Paradize en 2012 ! Mais l'album finit par sortir, et montra que son entièreté n'était fort heureusement pas à l'image de cet hymne ridicule. Retour sur cette galette, neuf ans après sa sortie.

En 2013, le pop/rock indochinois se situe entre indie-landfill, velléités de pop stadière et synthpop postmoderne, et tout semble avoir été fait. Nicolas révélait, parfois involontairement, depuis l'époque de Paradize, ne plus avoir beaucoup d'inspiration. En effet, l'évolution de ses textes depuis les années 90 donnent cette impression, et cela est compréhensible après tant d'albums, voire normal. Pour autant, le début des années 2010 est une époque où la cohérence des tendances musicales avec leur temps semble s'étioler. Cela peut participer à expliquer une myriade de revivals, et il est difficile, au delà de ces micro-hypes, de savoir où se placer. Là où par exemple, la triade Dancetaria/Paradize/Alice&June se situait sur une mode très identifiable chez les adolescents, entre grosses guitares, carton du goth et skyblogs.

Les livres sur Indochine s'accordent d'ailleurs comme un seul homme, sur une époque difficile à expliquer sur le plan musical. Et les premières explications de Nicolas ressemblent à celles de l'album précédent, même s'il ne se souvient plus exactement que pour les Meteors non plus, il n'avait pas d'idée.

"Cet album a pris beaucoup de temps parce qu’on ne savait pas où on allait. Sur les trois disques précédents, j’avais dans la tête la vision globale. Là, j’ai ressenti le besoin de casser la routine, de partir un peu en vadrouille."

Nicolas Sirchis, Métro, mai 2013


Cette fois, "on ne sait pas où on va mais on y va" ("on ira" dans le livret). Soit. 

Ébauche pour la pochette de Black City Parade (source : isuro.net)

Il s'agit ici, dans un esprit tout à fait artistique (dans son versant bourgeois), de voyager pour trouver l'inspiration. S'imprégner d'on ne sait quoi, en espérant tomber sur des éléments exotiques qui pourraient inspirer des débuts de textes. Et à la fin, les villes. Soit.

"Alors tu sais qu'au départ le nom de code de l'album c'était Black Pussy (rires)... Et que, euhhh, et que, parce que, tout d'un coup le morceau Black City Parade s'appelait Black Pussy, ça collait bien avec le côté un peu disco night du morceau, [...] et puis le côté euh, et puis arrivent les Pussy Riot, et je me suis dit non merde, pff... Et donc après je me balade, et puis je dis mais oui, les villes, city, voilà... Et puis pussy, city, on était dedans et boum."
Nicolas Sirchis, interviewé par Sébastien Ministru, RTBF, 2013


"Toute mon inspiration est venue de ces voyages. L'architecture d'une ville, les événements, les émotions qu'il y a dans les villes sont assez incroyables. Ça s'est bâti autour de ça."

Nicolas Sirchis, AFP, décembre 2013


En effet, nous êtres humains habitons quelque part et ressentons des émotions.


Les musiques dites "urbaines" concernent, dans leur usage le plus répandu les musiques noires-américaines, le hip-hop en tête, et ici l'emploi du terme semble revenir aux guitares comme aux dernières grandes années de l'indie pop. C'est bien.

Il faut aussi entendre "urbain" comme pour dire "moderne", "dans son époque" voire hype, connecté. Les hipsters dans les non-lieux, aéroports et taxis, en plein jetlag : un truc de petits bourgeois mondialisés. Au contraire d'un altermondialiste qui voyage pour échanger, ici l'on voyage pour consommer. Sans attache, mais toujours avec une prise USB pour charger son téléphone, le voyageur ne laisse rien derrière lui sinon un reçu CB.

Mais les interviews de Nicolas ne montrent qu'une chose : il cherchait à construire un univers visuel. Beaucoup des artworks de Black City Parade étaient d'ailleurs directement issus du compte Instagram de Nicolas. Les passages de Lost in Translation (parfois considéré comme les débuts du cinéma hipster) avec My Bloody Valentine ou Chemical Brothers, c'est bon vous avez ?

Maxi "Black City Parade", 2013

Rappelez-vous aussi que ce sont rarement ceux d'en bas qui sont touchés par un aspect "multisocial" ou "au delà des classes" d'un environnement ou événement donné. Il s'agit donc ici de vols longs courrier, d'aéroports de nuit avec taxi à l'arrivée, de cafés design d'hôtels internationaux et de la lumière des bougies qui se reflète dans les glaçons d'un virgin mojito.
Nicolas souhaite être perçu comme une sorte d'artiste ténébreux et trop sensible, vagabondant d'hôtel de luxe en hôtel de luxe pour fuir la violence du monde.

Voir : Le bourgeois-gaze (Frustration Magazine)


L'album est très produit et le son est étonnant pour Mk2, qui plus est après un La République des Meteors plus marqué home studio. Nicolas semble avoir désiré se rendre dans des lieux mythiques (Hansa Studios) et travailler avec des figures d'autorité (Shane Stoneback). Ne faut-il pas y voir ici une volonté de s'aligner sur les propositions internationales, comme si la musique française devait cesser d'être "en dessous" ? Nous avions déjà souligné sa préférence à s'adapter à une situation dominante plutôt que la combattre, et l'envie d'Mk2 d'aller toujours plus haut est ici très saillante. Rappeler au demeurant que cela n'est pas synonyme de  faire mieux

Un gros son mondialisé donc, ressemblant à sa pochette. Un peu à la manière de l'actuel Paris Saint-Germain, Indochine Mk2 ne veut plus n'être qu'un simple groupe français et souhaite être reconnu à l'international comme une marque implantée, influente et surtout bankable. Avec un gros merchandising, cela va sans dire.

"On signe avec Live Nation, il était temps de passer au dessus des producteurs français."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Point final, sans plus de précisions... À part une confusion délétère déjà traitée sur ce blog, entre une augmentation des moyens économiques et une progression artistique.


Mais, de l'importance de l'avis des deux parties : Salomon Hazot, président de Nous Production, évoque cette rupture, documentée en partie dans Black City Parade, le film avec un Nicolas furibard au téléphone.
"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine (le futur Black City Tour, ndlr). Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. [...] Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas."

Salomon Hazot, président de Nous Productions, Sold Out (16:35), mai 2023

 

Black City Parade

Comme à l'habitude du monsieur, en plus d'être visuelles, ses inspirations sont sémantiques : un champ lexical en vrac doublé d'un certain univers inspiré par ses voyages au loin : nuit, noir, city... Nous pourrions nous amuser à en ajouter plein d'autres : Duty-free, luggage, service not included, customs, Burger King, Black Friday ("vendredi noir", vous suivez ?)... D'ailleurs, sachez que même les artistes ténébreux ont besoin d'un petit-déjeuner. Nicolas tomba par exemple sur une boulangerie (plausiblement aux États-Unis), dont le nom donnera plus tard "Europane", un nom de code gardé au final cut.

Des mots qui pètent, mais sans fond. Comme Alice et June et La République des Meteors, il devient question d'un concept - et ça commence vraiment à nous fatiguer. Nicolas se montre tout particulièrement évasif en interview.

"Je suis ennuyé à l'idée de dire qu'il y a un concept autour du disque. Mais s'il doit y en avoir un, le voilà : j'ai toujours été étonné par ce qui se passe aujourd'hui dans les mégalopoles. Il suffit de traverser un trottoir pour passer du riche au pauvre, du bonheur au malheur."

Nicolas Sirchis, Muse & Out, 2013


"Contrairement aux précédents albums du groupe, 'conceptualisés', rien n'était 'calculé', dit-il."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


"Black City Parade semble être un album concept autour des grandes villes, la nuit. Qu'en est-il réellement ?
Si cet album est concept, c'est un peu par hasard, par sa conception, son écriture. On l'a écrit pendant 14 mois durant lesquels j'ai beaucoup bougé. Les textes sont donc inspirés par les sensations ressenties dans différentes villes. Il a été élaboré entre Paris, Berlin, Bruxelles, Tokyo et New York. Les albums précédents étaient conçus et réfléchis avant, mais celui-ci est venu au fur et à mesure. Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes. J'aime beaucoup la nuit, les villes de nuit, mais je n'aime pas la vie de nuit. Je vais rarement en club, mais l'esthétique d'une ville de nuit, avec toutes ses lumières, me projette dans le futur. Il se passe beaucoup plus de choses la nuit, en plus de l'esthétique plus forte. On peut avoir d'une maison à l'autre un drame humain, une naissance, une violence, un bonheur. Le paradoxe multisocial, multisensationnel, multiculturel se joue à quelques encablures de porte. Ça me passionne. D'où la pochette qu'on a faite avec des tours qui scintillent basée sur l'assemblage de trois villes différentes dont Berlin et Tokyo.

Dans le titre Black City Parade, de quelle parade s'agit-il ?
De la parade humaine, c'est à dire que dans une ville il y a autant de paradoxes et de contradictions d'un trottoir à l'autre. C'est lumineux et sombre à la fois."
Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

 

On peut ajouter "paradoxe" à la liste des mots mal compris par notre héros. Une fois de plus, Black City Parade serait un album-concept par accident. Nous ne nous attarderons pas ici sur cette drôlerie précédemment développée dans les articles dédiés. Nous avions déjà compris que dans la bouche de Nicolas, le mot "concept" signifiait plutôt un vague thème, une idée amusante pour une pochette, ou un décorum. Ici c'est un peu tout ça à la fois, et nous avons une fois de plus l'impression que Nicolas bricole un concept au fur et à mesure des questions qu'on lui pose.

Voir : 2005 - Alice et June, 2009 - La République des Météors


Nicolas dans le film évoque avec l'ex-ami Rudy Léonet son désir de "revenir à la new wave". Quid ? Nous pensons avoir saisi que pour Nicolas, la new wave serait une pop intelligente et esthétique. Une tendance musicale mélodieuse, avec des clips et des vêtements. 

"On a toujours essayé de faire des ritournelles mais qui font réfléchir les gens, dans lesquelles les paroles ne sont pas si simples. Comme 'Dizzidence Politik' ou '3e Sexe', par exemple. Cet album est un retour aux sources, au plus profond de la new wave."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013


Est-ce là un nouveau symptôme du malentendu sur la new wave, vue comme une musique essentiellement visuelle et commerciale, et qui durera jusqu'à 13 ? Est-ce lié à cette volonté d'être sombre voire néon, comme dans les années 80, décennie du fric et de l'apparence ? Les fans d'Indochine sont-ils nombreux à bien connaître l'époque de la new wave ? Sur quoi Nicolas souhaite t-il nous faire réfléchir avec sa musique ?

"Il n'y a pas plus injuste qu'une ville, les riches sont confrontés aux pauvres. Ça peut susciter de l'égoïsme, mais c'est aussi peut-être de là que viendra la solution."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


Vous avez quatre heures.

Le parpaing parle d'ailleurs de "sonorités new wave", on ne comprend pas d'où. Nous pouvons spéculer que son autrice a découvert le mot avec la fameuse sortie de Nicolas expliquant le morceau à ses jeunes acolytes féminines, d'anciennes fans ayant passé les portes des afters. Ou bien avec la communication de l'album du chanteur d'Asyl.

"C'est très new wave... pim pin pin pi pin pi pi pin pin."

Nicolas Sirchis dans Black City Parade, le film, 2013


Donc plausiblement, il faut comprendre ici : "on a mis du synthé". Quoi qu'il en soit, Nicolas y va effectivement de ses signifiants littéraires, avec le fameux texte de Mireille Havet (parfois prononcé Miriel Havet) en introduction. Il semble d'ailleurs assez fier de son instrumental à une note, qu'il dit avoir composé. En 2013, Nicolas évoquait sa découverte de l'autrice française :
"J'ai de la chance d'être en contact avec des étudiants et étudiantes de khâgne et hypokhâgne qui me parlent beaucoup de livres et d'écrivains méconnus, et me conseillent des choses. Une fille m'a conseillé de lire Mireille Havet."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

Et dans le parpaing :
"Valérie Rouzeau m'a fait découvrir Mireille Havet, j'ai voulu qu'elle la cite dans l'introduction à l'album, à la Diamond Dogs de Bowie, quand il introduit l'oeuvre dans sa galaxie."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Allez-y doucement donc, avec la fameuse mémoire impressionnante du chanteur d'Indochine.

Voir : David Bowie


En 2012, Mathieu Peudupin (dit Lescop, ex-Asyl, habitué des premières parties d'Mk2) cartonne médiatiquement avec un revival 80's lorgnant vers les Jeunes Gens Mödernes (avec qui le jeune Nicolas traînait) et la cold wave.
 

"Lescop déboule donc de son nulle part pour rappeler à notre bon souvenir la new wave classieuse du tout début des années 80"

Libération, septembre 2012


La précision "du tout début" est amusante : Est-ce le phénoménal 3 qu'il ne faut pas inclure ?

"Révélation française de la rentrée, Lescop pose un pied dans la pop hexagonale – option Daniel Darc – et l’autre dans le rock raide de Manchester – modèle Joy Division"

JD Beauvallet, Les Inrocks, octobre 2012


L'occasion de rappeler à nos amis mélomanes que ce n'est pas parce qu'on entend la basse qu'il faut se sentir obligé de citer des références institutionnelles comme Joy Division ou The Cure. D'ailleurs, la précision "option Daniel Darc" ressemble à une volonté d'éviter tout malentendu ! On ne parle pas de l'option Indochine ! Comme Télérama, qui se garde bien de les citer.

"Petit frère jumeau de Daho et de Taxi Girl, Lescop sort son premier album solo, synthétique et organique."

Télérama, octobre 2012

Matthieu Lescop de son coté, prit également soin de rendre discrète son affiliation - pourtant très connue - avec Indochine Mk2. Il préféra souligner une proximité avec le bien plus célébré Étienne Daho. Son premier album solo peut pourtant aussi être vu comme l'aboutissement de ce qu'avait tenté à l'époque la catastrophique et consternante armée des Divisions de la pop.

Voir : Étienne Daho


Bien qu'en étant exclu, Mk2 dut trouver sa place dans cette nouvelle hype.
"C'est drôle de voir des maisons de disques qui crachaient sur nous, être fébriles sur La Femme, qui ont des synthés, dansent comme nous quand on était jeunes. Les années 80, qui étaient décriées, sont un peu réhabilitées, parce qu'il y avait quand même de sacrés bons groupes dans les années 80. Et je ne me situe pas dans l'histoire."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013
"Personne ne s'attendait à ce que des groupes français reprennent ce qu'il y avait de pire pour la presse rock des années 80 - les synthés, les boîtes à rythmes. C'est cette presse, qui a mis à la poubelle cette décennie (Indochine avec) en disant que c'était terrible pour le rock, qui encense ces jeunes groupes."

Nicolas Sirchis, Carrefour Savoirs, 2013

Et Nicolas a raison. Les bifurcations dans la mode ainsi que son renouvellement dans les revivals, et les retournements de veste et calculs que cela peut impliquer ont largement de quoi agacer. 

Il faut juste lui rappeler qu'il a passé l'ensemble de sa carrière à courir derrière la mode, quitte à user de stratagèmes grossiers pour se faire affilier à telle ou telle hype. Cela rend son aigreur assez discutable : elle n'est pas tant celle de quelqu'un qui a subi l'injustice que quelqu'un qui a foiré ses plans :


Quoi qu'il en soit en 2013, les interviews sont plus rares, et il est assez plausible de penser qu'au début des années 2010, le projet n'a plus d'autre référence que lui-même. Cependant, le très visuel Nicolas Sirchis semblait toujours souhaiter que son groupe ressemble un peu à Suede.

Suede par Kate Garner, 2013

Voir : 1999 - Dancetaria


...ainsi qu'à The Horrors, alors au sommet de la hype en France avec Skying.


Nicolas allait même un peu loin dans la proximité physique avec Faris Badwan, chanteur de The Horrors... (voir annexes) Ce n'est pas un mal d'avoir des références picturales, bien au contraire. Mais quand ça se voit trop, cela devient gênant. Un hommage assumé ne poserait aucun problème (dans une certaine limite) comme par exemple la série pour le Stade de France de 2010 qui référençait de façon amusante la photo Andy Warhol and the members of Factory de Richard Avedon.

Visuellement et sonorement, cette parade de la ville noire - admettons - expose une volonté un peu plus prononcée que chez Alice & June - avec son décorum - de créer une ambiance : des propositions jamais usées précédemment sont ici invoquées :

"Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, 2013

Certes, cela peut fonctionner pour pour quelques morceaux, mais l'album dans son entièreté ne correspond pas à l'ambiance froide et solennelle des "Memoria" et autres "Europane", ni à la lourdeur électrique d'un "Black City Parade" ou encore "Wuppertal".

En revanche, nous osons espérer que Nicolas n'avait pas l'impression d'inventer ici l'eau chaude. Les thématiques de ville de nuit ont été vues et revues, de tous les côtés, par le jazz, le post-punk, le dubstep, le hip-hop, les bandes originales de films et évidemment la musique classique. Le Nicolas infiniment plus cinéphile que lecteur ou musicien s'exprime ici pleinement, et les lumières de la ville se reflètent sur le sol mouillé.

Ce que nous savons aussi, c'est que "nuit" est un des mots les plus utilisés par Nicolas avec "vie" ou encore "moi".


Black City Parade
serait donc un vrai album de studio, très arrangé. Et c'est vrai : "Memoria" en témoigne et fut impressionnant à sa sortie... et ne fonctionna jamais en live, ce qui est normal puisque le morceau n'était pas fait pour ça.

Voir : 2009 - La République des Meteors


Dans une certaine frange du rock alternatif, le terme ambiance a longtemps rencontré une forte popularité. Comme une caution arty, quelque chose qui devrait être plus qu'une collection de chansons, et davantage sonner comme une expérience sonore que comme une simple musique énergique. Dans tous les cas, l'attitude artistique est bien présente. Mais une telle pose saurait-elle suffire ?


Les anciennes influences indie et shoegaze de Dominique Nicolas et même d'Olivier Gérard paraissent bien loin même si un "Traffic Girl" peut encore en témoigner.

"Une chanson qui ne pouvait être écrite que pour Indochine, avec un thème qui leur va comme un gant."

Matthieu Peudupin sur "Traffic Girl"


Parce qu'il y a de l'Asie et de la fille ?


Le morceau est écrit par Lescop et co-crédité avec Nicolas... Il semble assez évident que ce dernier n'a fait que rajouter un "J'aurais voulu te voir encore une fois... Mais comme dans ce pays-là, tu n'te relèvera pas... Ne reste pas." au texte de Matthieu.

Une chanson pleine de qualités sur le plan musical, qui fit d'ailleurs l'objet d'une dissension entre Nicolas et Olivier, montrée (!) dans Black City Parade, le film. Malheureusement, sa version single (avec un clip consternant) consista en un remix de Nicolas, qui en annihila toute l'originalité rythmique au profit d'un gros poum tchak, et en aseptisa la mélodie à l'extrême. La version concédée par Olivier - cela semblait déjà lui coûter - était encore trop compliquée. D'ailleurs, dans la lignée des Meteors, le Nicolas compositeur et directeur artistique s'envole. Quitte à imposer des instrumentations d'une rare vacuité comme "Théa Sonata", quasi-une reprise de la musique d'attente de la CAF.

Cependant, sur sa pré-intro, Nicolas essaie de reproduire les guitares de The XX dont le premier album lui avait beaucoup plu. Quitte à se perdre dans le rythme. Si, chantez 1, 2, 3, 4... vous entendrez que Nicolas se mélange les pinceaux.

Malgré le malentendu sur la new wave, Black City Parade n'est pas un album à synthés. Les grosses couilles du titre éponyme le montrent de façon assez explicite. Ici, Mk2 se positionne sur la fin de l'indie landfill, et les premiers regards vers Editors et Coldplay avec "Little Dolls" et "Le Dernier Jour" se synthétisent ici sur une pop stadière à rapprocher des singles anglais les plus évidents de cette tendance, avec leurs guitares les plus droites et tendues, voir "Nous Demain". Notez que "stadier" ne doit pas être entendu comme un jugement négatif.

Coldplay, X&Y, 2005

Nous pouvons même spéculer sur le fait que les visuels du Black City Tour sont assez inspirés par Coldplay, et cela sera poussé à son paroxysme sur le 13 Tour.
"Les derniers espaces de liberté restent les concerts. Pour moi, les deux meilleurs groupes de stades sont Coldplay et U2. Le reste, c’est un peu du foutage de gueule"

Nicolas Sirchis, L'Echo, septembre 2017

Pourquoi pas. Mais c'est curieux de la part de quelqu'un qui veut se faire passer pour un assoiffé d'underground ...selon face à qui il se trouve. Une sorte d'en même temps qui, comme beaucoup l'auront compris depuis 2017, révèle une absence partielle sinon totale de clarté.

Les influences de Black City Parade seraient donc plausiblement à chercher vers un mélange de X&Y (Coldplay, 2005) et In this light and on this evening (Editors, 2009) pour son versant anglophile, et l'album de Lescop pour son versant frenchy. Pour le reste, il est bien entendu vain de chercher à tout identifier.


C'est d'ailleurs l'année suivante qu'Indochine Mk2 débarque sur Tidal (à prononcer Tideul'), et qu'Mk2 propose deux titres à New York, dont une reprise plan-plan de "Psycho Killer" devant une salle en cours de remplissage. Nicolas, très concentré, ne s'en tira pas trop mal sur un "Alice et June" carré, sur lequel il semble jouer sa vie.

Tideul' de son côté, semble avoir signé Indochine suite à une volonté de spécialiser leur proposition selon un auditorat par pays. Chacun y voit donc un possible nouveau marché : Tideul' veut se localiser, Indochine s'internationaliser.

Nicolas et Jay-Z à New York, 2015

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Réponse : Indochine ne vend quasiment que dans la francophonie, et c'est normal. Mais y a t-il vraiment des fans d'Indochine qui écoutent leur musique sur Tideul' ?

Nicolas y retente pourtant le coup de l'attitude indé, déjà tenté à l'époque de Dancetaria et dont nous avons déjà discuté. Un comble ici pourtant, en rejoignant l'entreprise de Jay-Z, et en prétendant apporter un "contre-pouvoir" et une "résistance" face aux majors... Grâce à qui il reçoit pourtant des sommes d'argent conséquentes.

C'est drôle, parce qu'Yves Botallico nous apprend dans le parpaing que la Chevrolet Caprice Landau du clip de "Memoria" a posé problème :

"Le problème, c'est que Nicolas déteste l'Amérique et les Américains, donc une voiture américaine... Mais finalement, on l'a prise car c'était la plus belle !"

Yves Botallico in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Okay.

Voir : 1999 - Dancetaria

C'est sur Black City Parade que nous trouvons le morceau dont Nicolas est visiblement le plus fier. Un "morceau fort", selon ses propres mots. Avec la sensation qu'il est devenu officiellement fort car Nicolas l'a décrété, plutôt que grâce aux qualités dudit morceau. Qualités qui n'étaient pas gagnées d'avance pour un énième morceau en -boy.

"Je suis plutôt très très fier de ce morceau qui fait que tous les jours, encore aujourd'hui comme '3ème sexe', des gamins vont à l'école en se disant 'Ça m'a aidé à y aller la tête haute et ne pas être moqué'. La jeunesse peut être très cruelle entre elle (sic)".

Nicolas Sirchis

Nous ne connaissons pas la source de cette information, comme quoi les choses iraient mieux depuis "College Boy". Ce que l'on sait en revanche, c'est que Nicolas a souvent tendance à faire des corrélations abusives, en d'autres termes, dire que s'il y a des grenouilles après la pluie c'est parce qu'il a plu des grenouilles. On sait également que les paroles du morceau ne parlent absolument pas de harcèlement scolaire, et que c'est Xavier Dolan qui a décidé de réaliser un clip sur ce sujet, alors qu'il avait été sensibilisé par les problématiques sur les armes à feu aux États-Unis. Si "College Boy" a eu un tel retentissement (et que Nicolas intervient dans des tables rondes sur le harcèlement scolaire ...pour parler de lui), c'est grâce au clip, pas à la chanson. "College Boy", c'est une chanson nicolienne classique sur la découverte de la sexualité et l'initiation, potentiellement au sein d'une relation problématique (avec insistance sur le droit de faire ça...).

Nicolas avait, comme à son habitude, laissé carte blanche pour qu'un réalisateur talentueux fasse un beau clip pour Indochine. Quoi qu'il en soit, le morceau fut évidemment joué à chaque date d'une tournée impressionnante sur le plan technique, et ce jusqu'à l'apothéose du Stade de France :

Un moment surréaliste qui devrait rappeler à quiconque ayant lu Orwell la fameuse minute de la haine

L'intéressée, certes connue pour ses positions traditionalistes et ses sorties homophobes, n'avait pourtant plus une très grande influence en tant que personnalité politique. Mais comme chacun ne le sait pas : les mots entendus ne sont pas ceux de la femme politique chrétienne. Ils furent enregistrés au cours d'une manifestation, et prononcés par une participante anonyme. Mk2 trouva donc intelligent de créer un malentendu sur la personne, un comportement d'une grande malhonnêteté que ne se serait même pas permis un youtubeur d'extrême-droite.

Cette humiliation franchement gratuite n'alla pas au delà d'un certain symbole : se positionner contre les méchants, les vieux cons, etc. Dégommer une ambulance au bazooka, en ayant l'impression d'abattre un chasseur en plein vol. Comme avec Donald Trump plus tard (pourtant accusé par Nicolas de mensonge et de manipulation...), s'en prendre à des ennemis faciles et peu clivants, sans analyse, ni positions plus franches contre le libéralisme, le capitalisme et le patronat. Ce moment incroyable et irrationnel nous fait froid dans le dos, et n'évoque pas autre chose qu'une foule fasciste au comportement profondément électrisé par un leader. Nous voulons bien croire ici à un effet de foule. Mais nous savons aussi qu'Indochine n'est pas un groupe de gauche.

Christine Boutin eut d'ailleurs une réaction bienveillante, et franchement plus mature :

"Et moi qui suis une fan d'Indochine !!! Dommage, je reste fan ! C'est mon côté catho."

Christine Boutin, Twitter, juin 2014

Voir : Troisième Sexe


En sortie d'usine, un disque qui ne ressemble certes pas à grand chose d'autre : Mk2 reste dans un créneau à lui et c'est tout à fait louable, d'autant que le disque renferme quelques morceaux réussis et de belles trouvailles dans les arrangements.

Mais cette sensation d'interchangeabilité fait aussi suite à l'essoufflement de l'urgence et de toute volonté moderniste qui dépasse de très loin Indochine. Cet album est le résultat d'un cahier des charges, et pensé avant tout comme support à un spectacle qui aurait tout aussi bien pu être présenté comme coloré et champêtre que sombre et urbain.

"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"

Paul Marie Pernet, interview de Nicolas Sirchis, Pompidou Metz, 2013


Eh oui, puisqu'on parle de Nicolas, un mec totalement visuel que la vie a parachuté dans la musique. Ce futurisme est donc assez superficiel, et le documentaire Black City Parade, le film le montre avec sa dose de révélations accidentelles : cette musique est produite essentiellement sur un écran en assemblant des blocs, et le collectif de musiciens sert à interpréter l'assemblage fini.

Voir : Black City Parade, le film


Après tout pourquoi pas. Mais quitte à déplacer des cubes, ne serait-il pas souhaitable d'assumer la musique électronique et l'aspect industriel à fond plutôt que jouer aux rockers ? Peut-être 13 règlera t-il cette contradiction ?

Spoilernon.

Annexes : 

Des doigts d'honneur, mais à qui ?

Nicolas en mode "Badwan"

Un clip encore plus Black City Parade que Black City Parade qui fait facilement bugger même les fans les plus hardcore lorsque vous leur demandez sur lequel des deux albums se trouve le morceau. Une nouvelle indication de la profonde interchangeabilité des textes, musiques et thèmes chez Mk2.

Black City Parade : Le Film

Si l'on vous parle d'un film sur la conception d'un album, vous vous figurez des musiciens qui jamment ou qui noircissent des partitions. Ou mieux, les coulisses du rock comme chez Spinal Tap. Mais auriez vous imaginé une équipe d'employés résignés autour d'un petit chef ?

 
Un film réalisé par un certain Winslow Paradise, un pseudonyme évident qui cache non pas Nicolas comme nous l'avons longtemps cru, mais un certain Fabien Martineau, administrateur de la société Isuro spécialisée dans la production de films institutionnels et publicitaires. Cette société avait déjà réalisé les visuels du Meteor Tour et des deux concerts pour Paradize+10 en plus du petit DVD qui l'accompagne.

Voir : +10


Alors que quatre ans plus tôt, La République des Météors "part dans tous les sens", ici "y'a plein de choses, dans une parade y'a plein d'éléments, d'émotions et de sensations". Soit.

Petit rappel du concept de l'album selon Nicolas : 
"Alors tu sais qu'au départ le nom de code de l'album c'était Black Pussy (rires)... Et que, euhhh, et que, parce que, tout d'un coup le morceau Black City Parade s'appelait Black Pussy, ça collait bien avec le côté un peu disco night du morceau, [...] et puis le côté euh, et puis arrivent les Pussy Riot, et je me suis dit non merde, pff... Et donc après je me balade, et puis je dis mais oui, les villes, city, voilà... Et puis pussy, city, on était dedans et boum."
Nicolas Sirchis, interviewé par Sébastien Ministru, RTBF, 2013

Ainsi, chaque lieu différent est affublé d'un "City" pour coller à cette idée. Le film montre donc des séquences à Paris City, Bruxelles City ou encore La Trinité City. Les hostilités sont lancées avec une question plus que légitime : "Est-ce qu'on a encore des choses à dire" ? Cela fait écho à ce que disait Nicolas en 2002 dans Rocksound, à propos de Paradize 
"Est-ce que je ne suis pas arrivé au bout de l'aventure ? Est-ce que j'aurai encore quelque chose à dire ? Car par exemple, ces trois albums sont ceux pour lesquels j'ai eu le plus de mal à écrire des textes. [...] Alors que pour les albums précédents avec Dominique, les textes étaient plus ou moins écrits avant, tout était maquetté avant d'entrer en studio, etc. Là, tout se fait dans la douleur..."

Dix ans plus tard, cette même douleur est immortalisée dans Black City Parade, le film. Mais cette interrogation qui paraît naturelle nous dit plus que ça. Elle montre que c'est seulement après un processus créatif qu'il détermine s'il avait encore des choses à dire, et que ce n'est pas l'inspiration ni la volonté de défendre une idée qui le motive avant à faire un nouvel album. Le film montre ce qui se passe entre ce avant et ce après.


Nos duettistes se retrouvent donc en 2011 dans l'appartement parisien de Nicolas (Paris City, donc) pour faire un peu de son.


Nous découvrons ces fameux "projets", comme par exemple la démo de ce qui donnera "Wuppertal", très éloignée du résultat final (sans guitare, dixit Olivier...). Et la déception de Nicolas quand il apprend qu'il n'y a pas de mélodie voix... Eh oui, il va falloir jouer pour que ça sorte ! Mais il ne fait pas secret de préférer arriver dans un environnement confortable avec des travaux déjà bien avancés :
"Le plus important pour moi, d'abord, c'est d'avoir la mélodie musicale et la mélodie voix."

Arrêtons-nous sur le mot "projet", qu'Indochine Mk2 préfère employer au lieu de "démo". S'agit-il, comme nous souffle le Larousse d'une "première ébauche, première rédaction destinée à être étudiée et corrigée", comme un projet de roman ?

Vu le contexte, il semble que ça soit dans le sens managérial : "un ensemble finalisé d’activités et d’actions entreprises par une « équipe projet » sous la responsabilité d'un chef de projet dans le but de répondre à un besoin défini par un contrat dans des délais fixés et dans la limite d'une enveloppe budgétaire allouée" (Wikipédia)

Le "projet" est donc ici une matière première destinée à assembler un produit, soumise à l'évaluation d'un supérieur. Nous verrions un grand intérêt à pouvoir écouter ces documents, comme nous apprécions les "home demos" ou "studio demos", disponibles auprès de groupes plus généreux. Mais chez Indochine Mk2, il semble que cela revienne à demander des échantillons du bois qui aurait servi à fabriquer un meuble.


Ainsi apparaissent les tableaux, les graphiques, avec la mélodie A, B, C, D, pour le couplet D, E, F, G... Pour autant, nous ne voyons la plupart du temps qu'Olivier ou Nicolas jouant seul. Le duo ne joue qu'assez peu ensemble, l'un des deux seulement étant musicien. Pour l'autre, son implication ne peut se résumer qu'à donner son avis sur ce qui semble bien, à essayer ou à combiner. C'est ce qui nous est montré.
Olivier Gérard : "C'est Nicolas qui me disait que dans tous les groupes y'a un duo de composition etc. Là où je pense on est complémentaire et où on se rejoint, c'est qu'on a... on a une approche très sauvage de la musique quoi. C'est à dire que... On se met devant un clavier, on essaye, on tâtonne, on se met pas de... de barrières, on essaie de pas trop intellectualiser... intellectualiser la chose. Et quand euh... Quand tout d'un coup t'as une émotion, ou tu penses que ça le fait, bah voilà tu vas pas... Tu vas pas dire 'ah oui, mais, bon...'"

C'est vrai, les exemples de groupes formés autour d'un duo de composition sont nombreux. Mais une nouvelle fois, ce n'est pas parce qu'il est dit que "tous les groupes" feraient cela, qu'il faut en faire une règle à suivre systématiquement. Cependant, ce stade du film montre quelques rares moments, peut-être pas de sauvagerie mais en tout cas d'une spontanéité agréable à l'écran. Nous serons moins dupes sur les plans ouvertement décoratifs, où Nicolas est montré avec des livres d'art ouverts sur les genoux, tel un esthète et un artiste complet. 

Arrive le moment où Nicolas et Olivier "préviennent le groupe" (!) et "ouvrent des sessions pour chacun". Il s'agit alors pour chaque collaborateur d'amener ses propositions et de les soumettre au chef, qui n'en prend que quelques éléments disparates, ici et là. La froideur avec laquelle il procède crève l'écran.
François Soulier : "Des fois y'a un morceau ou deux de retenu... Si c'est bien, hein... Puis Nicolas des fois il a des idées il te prend une intro d'un de tes morceaux, avec un couplet d'un autre morceau, avec trois morceaux il t'en fait un quoi. C'est des idées qui servent à ça."

 
L'amertume de François "Shoes" Soulier quant aux "cosignatures" est très perceptible. Les pincettes prises à propos des méthodes de Nicolas sont énormes, mais le souhait partagé par tous que Nicolas respecte davantage leurs propositions est évident. Nous nous prenons alors à imaginer des clauses contractuelles sur une autorisation de dépiautage des morceaux proposés.
Nicolas : "Le choix se fait... Par légitimité ou par impartialité... Mais par goût surtout. C'est à dire que moi si les notes ne me parlent pas j'y arrive pas."

Si le message que nous sommes censés entendre est celui de l'exigence, la réalité montre plutôt un Nicolas implacable quant à ses préférences personnelles. S'il ne fait pas de doute que le goût ici invoqué est le sien, c'est aussi le cas pour la légitimité. Les mieux documentés feront facilement le lien vers les cosignatures imposées par Nicolas sur les albums Wax (1996) et Dancetaria (1999), sur lesquels il s'arrogeait déjà une légitimité supérieure, du vivant de son jumeau.

Voir : 1996 - Wax, 1999 - Dancetaria


Il est courant et naturel de composer en testant des agencements d'éléments variés proposés par tel ou tel musicien. "J'ai trouvé ce riff, on voit ce que ça donne ?", "Essayons ce refrain !" Ici, loin de contributions organiques où les musiciens jouent ensemble, c'est en fait Nicolas qui détermine qui collabore avec qui, selon les éléments qu'il aura sélectionné et assemblé dans le logiciel. Les musiciens ne servent qu'à interpréter cet assemblage, une fois réunis.

Les premières tambouilles terminées, nos amis se retrouvent dans une des maisons du luxueux domaine de Luc Besson à La Trinité-des-Laitiers (où ils ne sont pas si isolés que le film ne veut le montrer.).


Le refus du morceau "1967" de Boris Jardel pour l'album est pommadé par la présence dans le film d'une longue séance de travail autour du morceau en question. Nous y apprenons d'ailleurs que Boris, qui a tendance à jouer de manière assez syncopée, est invité à jouer droit
Nicolas Sirchis : "C'est bien ça ! Une bonne chanson pop. On pourrait dire la même chose de 'Won't get fooled again' des Who ! Hahaha !"

Oui, mais non. Contrairement aux espérances de Boris, ce ne sera toujours pas pour cette fois que nous pourrons entendre une de ses compositions sur un album d'Indochine. Cette séquence du film semble aussi évacuer "1967", et interdire sa présence dans un futur album. L'interview du guitariste, réalisée après le final cut de l'album, ne dissimule pas un certain abattement : 
Boris Jardel : "C'est bien connu, moi quand je compose c'est toujours pop/rock quoi... Fatalement, quand je me mets à composer de cette façon là, enfin... inconsciemment ou plus ou moins, je sais que c'est toujours fait pour être joué live."

L'emploi du terme "fatalement" n'est pas anodin, et nous imaginons des reproches de longue date sur un style cher à Boris, mais qui ne conviendrait pas à Indochine Mk2. Il est pourtant possible pour un groupe de musique d'avoir des morceaux qui n'existent que sur scène, mais à l'échelle de Nicolas on serait déjà dans le jazz...


Les musiciens s'ennuient. Gros silences, regards perplexes, attitudes résignées. Les idées de Nicolas ne plaisent pas, et ça se voit à dix kilomètres. 


Sa finesse et sa créativité s'expriment au grand jour :

"Une grosse basse superman à la Gang Bang ! Pouh ! Tch ! Pouh ! Tch !"

"Des p'tites cocottes qui appuient la babasse."

"Donc, alors maintenant, il faut trouver un arrangement... [grand silence dans la pièce] Une grosse babasse avec une grosse séquence basse !"

"C'est un refrain ça ? Eh ben, on a pas mal de ce qu'il faut alors..."


Il y a même une séquence de fou-rire : au moins certains membres du groupe semblent bien s'entendre.
François Soulier : "On joue, on s'amuse, et il y a un moment donné où ça va sortir. On sait pas quand, mais c'est en s'amusant qu'on... C'est en s'amusant et en s'oubliant que c'est là que ça vient, en général."

Comme Shoes, les habitués du travail en groupe savent bien que beaucoup d'idées peuvent sortir de ce genre de moment où la tension retombe. Mais chez Indochine Mk2, il y a des limites à la rigolade :
Olivier Gérard : "Voilà, un petit moment de détente. Après faudrait pas que ce genre de... Faut pas que ce soit trop youplapla, et on bosse pas quoi. C'est pour ça que si un jour on fait une composition avec le groupe, il faut être structuré, ouais."

"Si un jour" ! Oui, nous aurions pu imaginer, par exemple, le cas pour l’événement que devait constituer "Nos Célébrations". Impliquer tout le groupe sur un morceau aurait été une première qui aurait fait sens pour fêter l'anniversaire. Mais n'oublions pas qu'il s'agit ici d'un projet solo dirigé comme une entreprise. Dès lors, si tout est organisé en sessions, en heures de travail et en emplois du temps, l'amusement, voire le plaisir, n'est plus qu'un éparpillement et jamais un espace d'expression.

Le gimmick de piano du très moyen "Le Messie" sort d'un de ces rares moments collectifs. Nous voyons que le très sympathique François Matusczenski apporte une bonne volonté et un savoir-faire salvateurs. Au cours de cette séquence, Indochine Mk2 ressemble à un groupe.
 

Mais alors que les musiciens sont renvoyés à la maison, Nicolas et Olivier décident des morceaux qui vont poursuivre l'aventure, en leur donnant une note de 0 à 3. Les autres sont alors jetés à la poubelle. Un exemple d'échange à propos de "Black City Parade" :
"Olivier : Euh... 2 voire 3.
Nicolas : Alors '2 voire 3' je sais pas comment écrire.
- Héhéhé, bah 2.
- Euh allez 3."
 
À cette occasion, Nicolas tempère sa domination en paroles, mais pas en actes :
Nicolas Sirchis : "Comme je n'ai pas voulu porter l'entière responsabilité encore une fois, de ça, j'ai demandé l'avis d'Oli. Et j'ai vu que c'était assez divergent quand même, sur certains morceaux."
"Encore une fois" ? N'avait-il pas souhaité, sur les albums précédents, avoir l'entière responsabilité du final cut ?
 
Il est toujours question ici de "Rubens" soit "Le Messie" sur l'album. Nous avions vu plus tôt Olivier faire une pose assez révélatrice en entendant Nicolas estimer qu'il y avait pas mal de ce qu'il faut, mais évidemment qu'il n'y croyait pas. Certes, ça ressemble à un morceau et ça tient à peu près debout, mais "J'entends Mao Boy et Just like heaven !"
 
"Boh, c'est pas si mal !"
Voir : The Cure


Olivier soulève à ce stade un point fondamental, celui des accords magiques qui avaient déjà été, à l'époque, saignés par Indochine Mk2. Pour autant, Nicolas ne le prend pas au sérieux : "Bah ouais mais moi je l'entends pas. Parce que c'est une autre mélodie-voix."

Bah ouais mais quand on est musicien, ça s'entend, peu importe la mélodie voix. Olivier fait partie de ces gens : "C'est des accords qu'on entend, partout, tout le temps..."

Nicolas ne comprend même pas le problème et croit que l'on parle ici d'accords isolés, comme un ré ou un sol : "On peut dire ça de tous les accords..."

Face à un tel mur d'incompréhension (et de mauvaise foi), Olivier se voit résigné à utiliser des accords magiques ad vitam æternam, comme si jamais rien d'autre ne pourrait un jour provoquer une émotion chez Nicolas. "Nos Célébrations" le prouve encore en 2020. Olivier reprend donc ses pincettes, et dit ce qu'il est bien obligé de dire :
Olivier Gérard : "Mais la musique c'est tellement subjectif que euh... Il va avoir une exigence ailleurs et pas là-dessus, et moi je vais avoir une exigence là-dessus et pas... Donc euh, pff... C'est des discussions sans fin, c'est des discussions qui servent à rien."

Bien sûr que les discussions servent à quelque chose, c'est la base ! Surtout en démocratie. Mais ne faut-il pas entendre ici que cela ne sert à rien d'avoir ces discussions avec Nicolas ?


Malgré ce léger conflit, "Le Messie" se retrouve sur l'album et en live, alors qu'Olivier confessait n'avoir aucune émotion sur ce titre... De même pour "Europane" qui finira sur l'album et sera jouée sur scène un soir sur deux. L'influence d'Olivier sur le final cut ne semble alors avoir cours que dans la mesure où il est d'accord avec Nicolas :
Olivier Gérard : "Oui on n'est pas d'accord, sur notamment un ou deux titres de cet album-là. C'est vrai que moi Europane ou [Le Messie], je n'ai pas d'émotions quand j'écoute ces titres-là."

Sur la fin du chapitre normand, Nicolas décolle sur "Traffic Girl" et se montre visionnaire à propos d'un autre morceau :
Nicolas Sirchis : "Et 'Kill Nico' c'est un hymne... C'est un hymne..."

Un hymne à lui-même en cow-boy persécuté, qui eut même l'honneur d'être joué sur scène un an avant la sortie de l'album, au cours du concert jubilé de Paradize.


Il s'agit maintenant de voir si les morceaux fonctionnent à plein volume. Nicolas et Olivier ayant continué d'élaborer des morceaux sans jamais en parler aux autres, ceux-ci les découvrent une fois sur place. Cela signifie en substance qu'à l'ère d'Internet et au sein du même groupe, les autres musiciens ne reçoivent jamais un WeTransfer ou un Drive. À se demander s'ils communiquent, et si Olivier a seulement le droit de leur donner quelques pistes sur les travaux en cours... Shoes semble assez critique sur cette phase de l'élaboration :
François Soulier : "On déchiffre les morceaux, qu'on n'a jamais écoutés... Après, on les joue, on les répète ensemble... Après, on enregistre ensemble... Mais on garde pas !"

À ce stade, le film montre ce qui ressemble de loin à un groupe de rock. Nicolas nous dit une nouvelle fois qu'il procède selon ce qu'il croit en être le bon fonctionnement :
Nicolas Sirchis : "Pour un groupe de rock c'était normal de jouer ces morceaux tous ensemble."

Il explique aussi que c'est en enregistrant au plus vite que naît la spontanéité. De notre point de vue, n'est-ce pas plutôt le moyen d'avoir les prises les plus désincarnées, par opposition à Indochine Mk1 où les guitares étaient si vivantes ? Nicolas n'a pas compris que cela n'est effectif que si les musiciens sont organiquement à l'origine des compositions. Or ici ce ne sont que des interprètes, forcés de bûcher dans l'urgence en attendant de faire leurs prises.


Toutefois, ce passage du film est assez ravissant pour les zikos, puisque nous y voyons beaucoup de matériel, de guitares et de pédales. Des images quasi-obligatoires pour la communication visuelle d'un "groupe de rock"...

C'est à cette occasion que Matu sort une référence BD !

Les Aventures de Tintin, Coke en Stock, Casterman, 1958

"Nicolas : Et la nana elle a dit l'autre jour 'ma référence sur cet album, New Order, les nouveaux... Indochine du début !'
Rudy Léonet : Du début ?
- Ah du début hein !
- Parce que moi je trouve que c'est plus ce que c'était, Indochine.
- Moi j'suis d'accord. Il faut revenir à l'essentiel. À la new wave. C'est ce que je leur ai dit.
- Mais sans faire années 80.
- Mais sans faire années 80. Bah c'est ce qu'on était en train de faire là. Un mélange de Coldplay et de New Order... tahahaha !"

Il déplaît fortement à Nicolas qu'un groupe - ici Chairlift avec l'album Something - cite l'Indochine de Dominique Nicolas ! Après l'album "de la maturité" où Indochine Mk2 avait fini par trouver sa propre cohérence, il était effectivement temps de remarquer que ce n'était plus Indochine (Mk1). Nous ne saurons en revanche jamais sur quoi Nicolas était d'accord. Avait-il considéré le plus adulte La République des Météors comme une sortie de route ? Serait-ce alors ce qui explique le retour au jeunisme de Black City Parade ? Est-ce ce que Nicolas appelle revenir à la new wave ?

Oui, si nous considérons que la new wave est une étiquette pour :
"Les tubes calibrés FM, la musique de danse qui s'est largement diffusée dans les années 80."
Frédéric Thébault, Génération Extrême, Camion Blanc 🇫🇷, 2005

Mais si nous considérons les groupes new wave comme :
"[Bands who] shared punk's energy but tempered its vitriol with more accessible and novel singwriting sprinkled with liberal doses of humor, irrevence, and irony."

Theo Cateforis, Are We Not New Wave ?: Modern Pop at the Turn of the 1980s, 
University of Michigan Press 🇺🇸, 2011

Alors nous sommes aux antipodes de Nicolas qui n'a visiblement rien à dire ni à défendre à part lui-même et une légitimité martelée. Pour un Indochine plus new wave, voir L'Aventurier (1982).



Pendant ce temps, en 2013, nos amis essayent de déterminer si les morceaux passent le cap du live.

Indochine Mk2 fonctionne à l'envers. Les gens qui aiment assister à des concerts savent que les morceaux qui fonctionnent bien en live sont ceux qui ont été conçus en jouant ensemble, et en y prenant plaisir. Ici, il s'agit de faire sonner les bricolages de KMS avec six musiciens à plein volume, et voir si ça ressemble à un concert de rock. Mais alors que n'importe quel fan de musique aurait aimé voir ça à l'écran, les musiciens n'essaient rien ensemble, au mieux ils font tourner les morceaux

L'ambiance est parfois glaciale, avec par exemple un Nicolas imbuvable faisant la leçon à Marc Eliard (de loin le meilleur musicien du collectif), et expliquant qu'il hésite encore sur un tempo entre 114 et 116 pour "Black City Parade". On l'entend aussi lancer odieusement à un Shoes entre deux prises : "J'aurais jamais dû te dire que c'était bien."

Ce dernier explique par ailleurs, la mine basse, qu'il faut avoir le temps pour obtenir la prise magique, et que même pour eux c'est un luxe. Le plaisir semble ici plus absent que jamais, et si les conditions semblent luxueuses comparées au quotidien d'un intermittent moyen, la musique en groupe ne semble pas bénéficier de la priorité. Olivier doit même réveiller Boris alors qu'il était en train de se reposer, pour qu'il aille faire ses prises. Difficile d'obtenir de la motivation de la part du guitariste, qui ne donne pas l'impression d'avoir envie d'être là.

Arrive alors un moment incroyable où les musiciens jouent enfin ensemble joyeusement sur Jimmy Jazz des Clash. Ce moment du film, présenté comme un instant spontané capté par la caméra, montre en fait une récréation. Une pause syndicale, où les sourires reviennent sur les visages avant de devoir retourner au charbon. L'occasion de se rappeler Le petit cinéma de Mr Shoes en 2006, sur la conception d'Alice et June, qui montrait un collectif ne cessant pas un instant de déconner ! 

C'est là que Nicolas examine la liste des morceaux : "On peut dire qu'on a un album."

Comme un dossier bouclé.


Malheureusement, le film ne montre pas la genèse de tous ces morceaux. Mais à ce stade, on est en droit de se demander s'ils en font encore spontanément. Quoi qu'il en soit, c'est alors le début de la phase d'écriture pour Nicolas :
"Special thanks  no
viva del sol pueblo américano
Soledad Soledad soleywhy

Kill nico okokok good to live
sur l'intro : notre generation(en rideau et garage ...et ainsi
va et blame la vie
tout doux la lumière a quand bien meme
oui si je serais la tu te souviendras que nous avions vu
l'amour alors tu voudras recommencer
tu t'en souviendras tout les jours tout le temps
oui tu te souviendras
choral du groupe sur le couplet final
bridge c'est comme ça"

Et Nicolas "re-provoque des séances d'écriture" car selon lui "il manque des titres forts"... Et se donne le beau rôle : "Je me rappelle que sur les Météors, j'avais dit 'il manque quelque chose', et on avait composé 'Little Dolls'" et ajoute "Est-ce que j'ai eu raison ou pas, j'en sais rien ! Mais en tout cas pour moi il manquait quelque chose..."
 
"College Boy" est encore à ce jour l'un des morceaux préférés de Nicolas. Nous ne saurons jamais ce que pensent les autres de ces morceaux composés sur le tard, incluant également "Memoria".


À propos de "Anyway" un ancien projet nommé "Jeudi mort" :
"J'ai écrit les paroles en quinze minutes, et maintenant c'est un des morceaux que beaucoup de gens préfèrent dans l'album."

C'est quand-même fou de se vanter d'avoir écrit un texte en quinze minutes. Nous ne saurons pas qui sont ces "beaucoup de gens" qui préfèrent ce morceau, sachant que l'album n'était pas encore sorti au moment des interviews. 

Il ne va pas de même avec tous les textes de l'album. Nicolas se rend malade, et les écrit avec autant de volonté qu'un collégien devant ses devoirs de vacances. Le dictionnaire de rimes semble lui faciliter la tâche, ainsi que sa fameuse malle de livres où piocher des phrases, comme dans le Salomé d'Oscar Wilde où il aura été chercher quelques lignes pour le morceau du même nom.


Nous assistons à un moment où Nicolas, dans une mise en scène "au naturel" très proche d'un confessionnal de télé-réalité, évoque une nouvelle fois la douleur que ce processus implique :
"C'est ridicule hein, mais c'est vrai que c'est de la douleur. De la douleur au sens, pas 'mal' mais euh... C'est un peu de l'autoflagellation je trouve..."

Mais surtout, et cela est beaucoup plus intéressant : il se justifie une nouvelle fois sur ses textes. Son traumatisme scolaire ressort ici plus parlant que jamais. Il explique en partie l'attitude défiante et revancharde qu'il peut observer quant à ses textes sur lesquels, de sa propre confession, il n'accepte aucune critique :
"Ce qui me fait chier c'est que les gens pensent que j'écris n'importe quoi... J'en ai marre. Alors qu'il y a un sens. Mais c'est vrai que c'est un sens un peu alambiqué, un peu ambigu. Puis quand j'étais à l'école c'était pareil. On comprend rien à votre rédaction, on comprend rien... à votre dissertation..."

 

"Un jour, je serai quelqu'un de connu et je reviendrai cracher sur la gueule de tous ces profs !"

Nicolas Sirchis à propos de son adolescence dans Indochine,
Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986 
 
"Maintenant ce n'est que des chansons... Mais j'ai toujours peur hein, quand j'écris j'ai toujours peur. J'ai peur de, ouais, de la réaction générale... Je raconte pas d'histoires, c'est ça mon problème, en fait je raconte pas d'histoires. Y'a des gens ils ont peut-être envie d'écouter des histoires mais moi ça me fait chier. Je décris plutôt des états d'âme. Positifs ou négatifs. Des envies ou des désirs."
 
Si Nicolas s'était cantonné à ce type de paroles, il n'y aurait eu aucun problème et cela résume justement et sincèrement son écriture, malgré ses nombreux défauts. Seulement, comme nous l'avons déjà montré, son discours change selon la situation, avec une incapacité à se montrer cohérent. Ici, en extérieur et cigarette Vogue à la bouche, Nicolas dicte - dans un cadre officiel - ce qu'il faudrait penser si on le comprenait.

Voir : 2005 - Alice et June, Ceux qui n'aiment pas Indochine


Mais plus que la sensibilité de chacun, c'est son rejet pur et simple de la critique qui est problématique, réduisant ceux qui n'aiment pas Indochine à des gens qui n'auraient pas compris. Par ailleurs, s'il est clair qu'il veuille s'amuser avec la sonorité des mots, comme dans une grande partie de la poésie et de la chanson francophones, il semble assurément mal à l'aise avec la langue :
"Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls notre génération n'est plus une génération mais juste celle qui reste... Le rebut et le coupon d'une génération qui promettait hélas plus qu'aucune autre... Voilà pourquoi sans doute tous nos amis sont morts notre seule faute c'est d'y avoir survi. (sic) Poaaaah ! j'adore ! c'est vachement bien !"
 
Un extrait que l'on retrouve lu par Valérie Rouzeau ("cette poétesse d'aujourd'hui là") en introduction de l'album, et qu'il n'a jamais vraiment commenté ou développé. Par quoi Nicolas a t-il été d'abord été captivé, le son ou le sens ?

Il peut pourtant être si enrichissant pour les musiciens de savoir de quoi veut parler leur chanteur, et de faire évoluer les morceaux parallèlement à l'élaboration d'un texte. Mais chez Mk2, les rapports entre musique et texte sont flous, pour ne pas dire inexistants. De son propre aveu, Nicolas ne cherche que ce qui sonne bien, et il est le seul à en décider. Une situation pareille explique l'impression constante de morceaux, de titres et de textes insensés et interchangeables : 
(Chez ICP) "C'est con hein. Parce que si, l'album premier... La République des Météors, si je l'avais appelé Météor tout seul, j'aurai conservé République... Tant pis... Paradize 2... République 2... Y'a le choix hein. En plus... à part Kill Nico, y'en a aucune qui a un titre... le titre définitif pour l'instant. Europane peut-être, je vais garder Europane. Le reste, faut que je trouve des titres pour treize chansons... [grognement]"

Nicolas finit tout de même par être surpris par le résultat de son bricolage : "J'avais encore des idées ! J'avais encore des choses à dire !"

En théorie, cette pratique proche d'un générateur aléatoire de chansons d'Indochine peut, par définition, fournir des résultats à l'infini. De plus, Nicolas ne se rend peut-être pas compte qu'il exclut ainsi toute croyance selon lesquelles ses textes auraient un sens implicite, comme évoqué précédemment. Au contraire, il valide la pensée qu'ils sont sans intérêt et commutables entre eux.


Mais alors, y a t-il quelque chose de fondamental pour un mélomane, qui serait apporté par Nicolas ? Quelques notes aléatoires de guitare et de piano, tout au plus. Il n'y avait pourtant rien de honteux à n'être que chanteur. En revanche, imposer ses titres et ses participations à tel ou tel morceau ne peut qu'être dévastateur venant d'un si mauvais musicien, et a fortiori un si piètre directeur artistique. Nicolas ayant su se montrer un parolier plus que correct à l'époque d'Indochine Mk1, il gagnerait sûrement à se cantonner de nouveau au micro, au sein d'un groupe dont il ne serait pas le PDG.

C'est pourtant bien ce qu'il est : "Alors vous allez vous reposer un petit peu, je fais une chanson et après on attaquera les chœurs dans l'après-midi !"

Comme pour souligner qu'il n'y a que lui qui travaille.

 
Nicolas aux choristes féminines (des fans qui ont passé les portes des afters, espérons en tout bien tout honneur vu leur âge) : "C'est très new wave. Pim pin pin pi pin pi pi pin pin".

Pour plus d'informations sur la new wave sur laquelle nous n'allons pas revenir, voici quelques sources utiles.


Avant que le groupe ne le retrouve à Berlin, nous découvrons Shane Stoneback dans son studio new-yorkais très enjoué sur "Europane". Nicolas est fier de montrer à l'écran cet ingé-son américain reconnu, aimer un morceau d'Indochine Mk2.

Peu après, arrive un échange assez parlant : Olivier propose une idée sur Traffic Girl, sèchement matée par Nicolas.
"(Oli à Shane) Try to mute the gimmick and let the other guitar, you know, the arpeges...
- Pourquoi tu veux dénaturer... [Musique]
- Quoi ?
- Pourquoi tu veux dénaturer le gimmick après le coda ?
- C'est pas dénaturer, c'est qu'il y a les deux guitares donc euh, c'est ce qu'on a dit hier c'est [?]
- On a un coda, donc une reprise, donc là il faut que le gimmick il explose comme au début de la chanson.
- Ah bah dans ce cas on revient au... [Musique]
- Bah là le gimmick il existe plus ! 
- Oui... Bah parce qu'on l'a beaucoup quoi. Comme y'a qu'un cycle, y'a même pas un cycle...
- Y'a qu'un cycle du gimmick, c'est ça que tu veux dire ?
- Là après oui. Le chant reprend tout de suite.
- Et donc, et donc ? 
- Et donc c'était peut-être mieux d'avoir un passage instru plutôt que...
- Bah non parce que moi justement je pensais que, la voix... (à Shane) We's talking about euh, evolution. La voix arrive trop tôt, moi j'aurais mis deux gimmicks...
- Ah rajouter un gimmick ?
- Ouais j'aurais mis deux gimmicks, et après la voix. La voix elle est moins intéressante là. Ce qui est intéressant dans cette chanson c'est le gimmick hein, c'est pas autre chose. Donc euh..."
 
Donc, il faut faire ce que Nicolas dit.
 
Résultat : le même gimmick tourne quasiment en boucle sur les cinq minutes de "Traffic Girl". Olivier souhaitait pourtant entamer une procédure d'élagage, pour faire respirer le morceau. Musicien et arrangeur, lui avait compris que les temps faibles étaient importants pour mettre en valeur les temps forts, mais cela revient à parler à Nicolas une langue étrangère. Nous avons déjà évoqué sur le blog la propension d'Indochine Mk2 à ne fonctionner que par ajouts de matière, sans jamais rien enlever. Ici encore, les limites des opinions d'Olivier au sein du processus sont exposées en plein jour.
 
Un peu plus tard, une caisse claire manque un peu de couilles. Vient le moment amusant de l'enregistrement de la réverbération de la cage d'escalier pour le refrain de "Black City Parade". Au delà de l'image arty, était-ce vraiment utile ? Pour le coup, à la différence d'ICP, ici le temps ne devait pas manquer, l'argent non plus.


Black City Parade : Le Film se voulait un making-of dans la tradition rockumentaire, mais sans le faire exprès, il atterrit en plein dans la télé-réalité. Avec la part de mystification que cela implique, mais aussi de nombreux messages envoyés fortuitement au public. Ce document est irrecevable par quelqu'un qui ne serait pas préalablement fan, et par là-même conditionné à admettre tant de superficialité, de légèreté et d'autocratie sans aucun esprit critique.
 
C'est très ironique puisqu'en 1996 Nicolas critiquait le "travail de longue haleine" supposément demandé par la façon de travailler de Stéphane, qui lui était musicien, avec "des bandes entières de trois riffs par ci, quatre riffs par là", à la différence des confortables travaux clé-en-main de Dominique.

Voir : 1996 - Wax


Nicolas étant lui-même incapable de proposer un morceau sans l'appui d'un musicien, il fut finalement contraint d'embrasser cette manière de travailler en collages et bricolages avec son nouveau groupe. Mais précisément, les bandes entières témoignent du travail de musiciens qui jouent, tout comme l'espace sonore évoqué par Nicolas à propos des premiers travaux d'Olivier Gérard. Ce que ne montre jamais Black City Parade, Le Film qui se concentre sur l'élaboration d'un projet avec des musiciens exécutants, cantonnés à leur fonction, qui n'ont aucun plaisir à venir pointer au bureau. 

À croire que le plaisir doit être réservé aux clients.


Ces derniers récitent souvent "Indochine ça ne s'explique pas, ça se vit". Comme si chercher à en expliquer la magie était hors de propos. Pourtant, nous montrons régulièrement ici qu'expliquer Indochine est possible et même assez simplement. Mais l'idée selon laquelle un guide, un décideur avec une vision est indispensable voire parfaitement normal, est devenue indéboulonnable dans l'esprit des admirateurs de Nicolas Sirchis. Il s'agit d'une conception idéologiquement assez dangereuse, doublée d'une idée fausse sur le bon fonctionnement d'un groupe, mais également sur la largesse des possibles de la pratique musicale comme association de talents.

Reste-il au moins de la magie, lorsque l'illusion est menée de façon si grossière ?

Cela aurait pu être acceptable si Nicolas avait été capable d'assurer la musique, les arrangements et la direction artistique du groupe, et s'il avait globalement montré plus d'intelligence dans ses choix et son discours. La réalisation et la sortie d'un document aussi accidentellement révélateur que Black City Parade : Le Film, trahit une très grande pauvreté d'esprit. Les quelques qualités du disque final ne doivent-elles pas davantage au professionnalisme et à la patience des salariés, plutôt qu'aux extravagances du patron ? 

Et en ce qui concerne François Soulier et François Matusczenski, il était effectivement temps pour eux de quitter Indochine Mk2 et revenir à la musique, surtout qu'ils semblent avoir une sensibilité plutôt marquée à gauche.
"Seuls comptent à mes yeux les gens qui travaillent."
Nicolas Sirchis, Paris Match, 2020

 





A écouter également : Black City Parade, Juste la Musique


Annexes :

Sur les deux séquences où Nicolas s'écharpe au téléphone. Ni la personne, ni la nature du litige ni même le nom de la société de production ne sont données. Nous sommes simplement censés comprendre que Nicolas se bat pour son public face à de méchants et vénaux producteurs.

La personne avec qui Nicolas échange, d'abord de vive voix puis par SMS, est Salomon Hazot, alors président de Nous Productions. Il revient sur le sujet en mai 2023 :
"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine. Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. 
- Juste pour dire aux gens, nous deux on le sait mais... Nicolas Sirchis qui au fait est le vrai boss d'Indochine... a la réputation d'être très compliqué avec les producteurs, n'en faire qu'à sa tête et de changer de producteur à chaque tournée. C'est un peu ça que vous voulez nous dire ?
- Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas.
- Je suis désemparé. (rires)
- Oui, non... Je trouverais volontiers une expression... Mais on va en rester là. Et donc je décide de ne pas faire Indochine, et tous ceux qui ont fait Indochine se reconnaissent bien là, mais une grande partie l'ont fait, et Live Nation fait Indochine. Et ça nous fait tous marrer, parce que Nicolas... Et je dirais qu'il a eu raison ! Il tombe sur quelqu'un qui est totalement abruti et qui jette l'argent par la fenêtre, parce qu'encore une fois ce n'est pas son argent ! Jamais oublier que Live Nation n'est pas producteur de spectacles privé, c'est une multinationale. Ça gagne c'est bien, ça perd c'est bien, c'est pas grave."

Salomon Hazot, Sold Out (16:35), mai 2023