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2017 - 13


En admettant que 13 soit un album de jeunes, considérons-nous dès lors comme des vieux qui écoutent de la musique de jeunes, comme Mk2 à ses débuts se définissait comme un groupe de vieux qui fait de la musique de jeunes. Comme chacun sait, les vieux aiment bien replacer le contexte.

Les années 2010 furent un pot-pourri de revivals années 80 et 90, amenant souvent à des méli-mélos d'influences réduites à des codes, et à une aseptisation inévitablement engendrée par la mise dans le même panier de nombreuses tendances ou hashtags décontextualisés. Parmi lesquels : #postpunk, #newwave, #shoegaze, #synthpop, #synthwave, #indie, #eighties, #80snotdead ou encore #goth.

Tâchons donc de comprendre comment notre sujet d'étude préféré se débat dans cette époque complexe...

"Ce disque est un peu comme un météore. Il y a plein de morceaux qui partent dans tous les sens, sans liaison les uns avec les autres."

Pour La République des Meteors, L'Humanité, 2009


"On ne sait pas où on va, mais on y va."

Pour Black City Parade, 2013


"J'avais dit à la maison de disques : cet album il faut qu'il explose."

Nicolas à propos de 13, in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, 2021


... et de rester patients.


Cette dernière décennie fut aussi marquée par des penchants remarquables pour les musiques électroniques, abstraites ou non, mais quasi-systématiquement lourdes et puissantes. Du cinéma à la musique en passant par le jeu vidéo et les séries, il fut quasiment impossible d'échapper au regain d'intérêt pour les années 80, passées par la moulinette d'Internet. Et en être issu d'une manière ou d'une autre put s'observer comme un gage d'autorité pour la génération Z, une aubaine pour Nicolas. Cet appétit pour de puissantes musiques électroniques coïncidait parfaitement avec sa volonté d'aller toujours plus haut, de faire toujours plus fort.

Pour un Nicolas très valorisé dans les années 80, il était évidemment plus malin de guider la marque Indochine sur les terres d'un revival #eighties plutôt qu'un impensable retour à la décennie suivante, dont il n'a toujours pas compris à ce jour les tendances, certes complexes. Les expérimentations technologiques de Dominique lui étant absconses, coller Olivier au synthétiseur pour pousser l'aspect le plus synthétique de Black City Parade était plus intuitif.

François Matuszenski et Olivier Gérard sur le Black City Tour (photo : Noesis Kane)

Black City Parade montrait déjà un aspect synthétique plus que notable, et fut la source de comparaisons plus courantes qu'à l'accoutumée vers la musique de Depeche Mode. Olivier Gérard et François Matuszenski soulignaient d'ailleurs dans Black City Parade, le film leur utilisation de synthés analogiques, et ce dernier jouait avec une installation modulaire dans le dos. Difficile de dire si ce mur de synthés clignotants était vraiment justifié, ce qui est certain en revanche c'est que la scène façon vaisseau spatial du Black City Tour pouvait évoquer celle de Touring the Angel et souligner un aspect turfu et connecté assez surprenant. 13 est la suite logique, pour ne pas dire prévisible, de cette époque où les textures artificielles (ce que Nicolas appelait l'espace sonore) et les morceaux quasi-synthpop devenaient de plus en plus importants.

Voir : 2013 - Black City Parade, Depeche Mode


Et pourquoi pas. Malgré son image de mansonien, Olivier Gérard s'est toujours bien davantage illustré pour de nombreuses idées très malignes dans l'arrangement synthétique, que par la finesse et l'originalité de ses guitares. Et après tout, malgré une tendance trop répandue à le croire que nous avons déjà longuement discutée, il n'existait pas d'album totalement synthétique sorti sous le nom "Indochine".

Voir : Révisionnisme et malentendus, 2002 - Paradize

 
Durant la promotion de 13, Nicolas intégra donc d'emblée un certain back to basics vers son groupe de jeunesse et la new wave, telle que lui l'entend : pour cet album, Mk2 a radicalement dépoussiéré les synthétiseurs, sur lesquels aurait reposé tout le succès de la musique d'Mk1. Un choix de communication pour le moins audacieux, après vingt-cinq ans passés à batailler pour qu'Indochine soit reconnu comme un groupe à guitares et non à synthés, et ce pour être d'équerre avec les courants rock et metal de l'époque. Il fallait de grosses guitares aux sons lourds et agressifs, comme celles rencontrées dans Alice et June, loin des gimmicks sautillants et réverbérés chers à Dominique.

Indochine, 1982

Dans la nouvelle narration de Nicolas, oubliez toute notion de guitares : Indochine aurait été dès ses débuts une sorte de défricheur électronique. 

Ainsi, après s'être évertué pendant plus de vingt ans à rappeler que "L'Aventurier" était un morceau à guitares, composé à la guitare... Il aurait finalement été composé "sur un synthé à un doigt"...! 

Au-delà de cette nouvelle marche arrière, c'est un autre problème qui saute aux yeux : bien qu'ayant vécu des années 80 florissantes, Nicolas donne l'impression d'être passé à côté.


Dans le petit monde du rock et depuis bien longtemps, les années 80 furent longtemps réduites à la formule kitsch, légèreté et synthés, façon "Isabelle a les yeux bleus", et les groupes dits à synthés régulièrement pointés comme des groupes de pédés. Au vu de ses nombreuses sorties sur son ancien groupe et les choix musicaux de Dominique, Nicolas semblerait presque partager cet amalgame, par exemple lorsqu'il exprime son rejet du son trop aigu des premiers disques d'Indochine, et la valorisation des grosses basses.

"Quand j'ai commencé à travailler l'électro, j'ai compris que c'était ce que nous avions fait aux débuts d'Indochine : batterie électronique, programmation, synthétiseurs, vieux sons des années 1970-1980. Et les 'conflits sonores', c'était de les mélanger avec des vrais instruments, les alliances contre nature, rien que le fait d'appeler 13 un album en est une !"

Nicolas Sirchis, Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Si nous comprenons bien : Nicolas se félicite d'avoir enfin compris ce que faisait Dominique, vingt-trois ans après son départ, une fois aidé par l'informatique d'aujourd'hui ! C'est tout de même un comble, et il serait intéressant et certainement amusant d'entendre l'avis du compositeur d'Indochine Mk1 sur cette sortie. Comprenez-vous en quoi Mk1 et Mk2 sont si différents ?

Voir : Pourquoi Indochine Mk2 ?, Révisionnisme et malentendus


La gêne de Nicolas face à son groupe de jeunesse nous aiguille aisément sur sa lecture de sa propre carrière, et nous en avons déjà beaucoup parlé. Difficile, en conséquence, de proposer un album totalement situé sur une mode rétromaniaque devenue la norme depuis presque 20 ans. Mais Nicolas voit les choses au présent, et c'est une grande qualité qui le dispense de tabler à fond sur une quelconque mode nostalgique. Heureusement pour lui.

Voir : 2020 - "3SEX" & Singles 1981 - 2001


En dépit de ces contradictions, confusions et changements de direction à donner le vertige, nous trouvons assez chouette de voir nos amis assumer enfin les synthés pouet pouet, sans complexes ni grosses guitares compensatrices.

 

Sauf que. Certes, nous fustigions les grosses guitares bourrines d'Alice & June, mais ne sommes pas certains que de gros synthés bourrins soient franchement préférables. Nicolas aime la musique électronique, écoute certains disques parfois assez complexes (comme Discreet Desires d'Helena Hauff dont il apprécia la pochette), mais ne comprend que les mélodies simples, les accords magiques et la course à l'attention des oreilles distraites comme les siennes. Il sème donc un terrain peu propice à l'expérimentation, et l'on se résigne vite au fait que la musique proposée par 13 ne soit qu'un support au spectacle.

Quitte à avoir de bonnes idées impliquant du visuel, comme les drapeaux ! Des travaux graphiques visiblement assez réfléchis, déclinés en pochettes de singles, et dont le parpaing donne quelques clés de compréhension.


Probablement contre les anciennes espérances du jeune Olivier Gérard embarqué en 1999 sur le navire indochinois, nous marchons donc ici sur les traces non pas de Kraftwerk, de Fad Gadget ou même de Depeche Mode, mais sur celles d'une techno radiophonique rencontrant les Coldplay les plus stadiers et colorés. Si ce n'est les best-of des hits de toutes les époques.

Serait-ce un phénomène analogue qui mène par exemple le groupe londonien à passer de Parachutes à Mylo Xyloto, et donc Mk2 de Dancetaria à 13 ? Une évolution post-an 2000 inéluctable ? Une certaine inclination devant le marché, ou la course à l'attention avec des mélodies immédiates et percutantes dès les premières secondes ? En ce sens "2033", l'une des chansons présentes sur cet opus, était outrageusement pensée pour envoyer des confettis. Dans la recherche de la mélodie la plus limpide et fédératrice, nous pourrions même spéculer que Nicolas aurait vendu sa mère pour le gimmick de "Blinding Lights" (The Weeknd, 2019).

"2033" sur le 13 Tour

Serait-ce encore le symptôme d'un cheminement de la musique depuis un médium d'expression se suffisant à lui-même, vers la composante sonore d'une proposition plus large, essentiellement visuelle ? Nicolas considère, et il l'assume totalement, que la musique et le visuel ont la même importance. Pourquoi pas, mais il faut aller au bout de son idée : une apparition d'Indochine est avant tout un spectacle à venir voir avec ses yeux. Nicolas se montre d'ailleurs largement plus à l'aise lorsqu'il dirige sa scénographie et se montre sur scène plutôt qu'au moment de fabriquer des morceaux, une phase du travail de création qui ressemble davantage à une corvée pour lui.

Voir : Black City Parade, le film

C'est possiblement l'une des raisons pour lesquelles en dehors de cette zone de confort, il est rare qu'Mk2 impressionne avec la seule force de sa musique. C'est aussi en partie pour cela que Nicolas impose de se déplacer avec tout le matériel informatique : non par exigence comme il aimerait le faire croire, mais par nécessité de rendre un résultat aussi impressionnant que sur disque. Avec, donc, un très grand nombre de pistes automatisées, dont un paquet de voix. L'album dans son ensemble est d'ailleurs très vocal, et c'est une de ses qualités. Nous passons l'éponge sur la flagrante utilisation de la technologie correctrice, mais Nicolas chante en ouvrant bien grand la bouche, comme il le fit sur Wax. Comme sur ce dernier, les nombreux chœurs assurés par le patron sont parmi les points forts de l'album.

Fort logiquement, cela devient un point faible en live, avec des voix enregistrées extrêmement audibles et nombreuses. Parfois franchement gênantes, elles sont en tout cas révélatrices d'un Nicolas plus que jamais dépendant de la technologie qui, bien loin de jeter sur lui un éclairage positif, ne fait que renvoyer ce non-musicien dans ses pénates. Les durs progrès réalisés avec Pilot sont aujourd'hui d'un autre temps, et cela explique en partie pourquoi le Nicolas que vous voyez sur scène depuis le 13 Tour est si différent de celui, par exemple du Dancetaria Tour.

Voir : 1996 - Wax, 1999 - Dancetaria, 2002 - Paradize

Il est véritablement regrettable, lorsque vous allez voir un groupe de rock, que le chanteur soit aussi incapable de la moindre improvisation. Mais comme interprète, à force de répétitions et de filages, il peut assurer un concert de plus de deux heures et cette capacité doit être soulignée. Cependant, ce qui nous intéresse se situe moins dans les tonnes de son et de lumière que sur l'album.

"2033", Nancy, juin 2018

Parallèlement à la présence de plus en plus imposante de lourdes instrumentations électroniques ces quinze dernières années et au recyclage d'esthétiques étiquetées eighties avec plus ou moins de pertinence, le marché des synthétiseurs se développa comme jamais, pour le plus grand bonheur des bidouilleurs.

Nicolas confiait avoir acheté des machines au beau milieu de cette frénésie et espéra certainement, avec l'environnement sonore qui allait donner 13, correspondre à une description berlinoise, tout en estimant qu'il existait une filiation avec des groupes comme Dead or Alive. Il est aussi possible d'y voir l'influence durable (et néfaste) de formations comme Dead Sexy Inc. ou Alex Sindrome, des amis personnels du chanteur chez qui l'adjectif berlinois correspond plutôt à une caricature de pop synthétique et grimaçante, maquillée à la truelle. Quoi qu'il en soit, le fait de retourner des potards lui rappela qu'il avait effectivement joué du synthé dans les années 80.


À l'époque de Paradize, Nicolas dénigrait régulièrement l'alors tout récent Discovery de Daft Punk (2001), arguant qu'ils auraient pris le pire des années 80, alors qu'Mk2 en aurait pris le meilleur. Cela peut étonner les fans actuels, mais Paradize en son temps était pensé comme un retour aux belles années 80, entre Depeche Mode, The Cure et tout un panthéon de références institutionnelles. Qu'en pensent les fans d'aujourd'hui : de 13 ou Paradize, lequel est le plus rétromaniaque ? 

Voir : 2002 - Paradize, Depeche Mode, The Cure, Influences et références


Quoi qu'il en soit, le chanteur semble avoir fait évoluer son point de vue, puisque c'est Mick Guzauski, connu entre autres pour son travail remarquable sur Random Access Memories, qui s'occupe du mixage de 13.

"Pendant la tournée Black City Parade, je me suis acheté plein d'instruments électro, MPC, Maschine Studio, Ableton... L'électro m'intéressait beaucoup."

Nicolas Sirchis, Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Les musiques électroniques étant aussi anciennes que le rock, il était temps. Nous espérons que Nicolas ait fini par choisir son école parmi les fonctionnements très différents de ces instruments, et gageons qu'un bon nombre d'entre eux prennent actuellement la poussière, en particulier au vu de la nullité édifiante de sa reprise synthétique de "Heroes" ou encore de son affligeant Berlin Mix de "Belfast" - où l'on entendrait presque Olivier lui expliquer patiemment les fonctionnalités les plus basiques d'Ableton avant de le laisser s'amuser. A-t-il vraiment l'impression avec de telles singeries, de faire comme dans les années 80 ?

 
Cela n'empêche cependant pas Nicolas d'être crédité d'un nombre croissant d'instruments, une constante depuis le départ de Dominique. Chacun des instruments est même écrit au pluriel (les pianos, les guitares, les synthés...). On entend ainsi son très évident piano à la fin de "Cartagène", ses synthétiseurs sur "Station 13" et "Kimono dans l'ambulance" (ses propres compositions, enrobées par Olivier) et aimerions savoir sur quels titres il a estimé nécessaire de jouer la babasse à la place de Marc Eliard. Il est aussi amusant de noter que la cadence ternaire des accords de "Black Sky" interdit à Nicolas d'y jouer de la guitare, sous peine de finir dans le décor dès la quatrième mesure.

13 (déplié), 2017

La pochette, dont le format détonne avec celui du disque (vinyle ou CD) est directement inspirée des peintures d'Henry Darger, qui donne aussi un titre à l'une des chansons de 13. La source de cet intérêt pour le peintre américain est à chercher du côté du Pariscope, puisqu'une exposition avait eu lieu au Musée d'Art Moderne en 2015. L'occasion de rester dans la grande tradition nicolienne de montrer sur ses pochettes... des filles. Un choix très classique et prévisible de la part de notre héros, donc. Quelle ne fut pas notre surprise lorsqu'il fut plus tard présenté comme une prédiction de #metoo !
"En fait, avec le recul, cette pochette prend un autre sens : elle est sortie quelques mois avant #metoo, Weinstein, les porcs... C'est la révolte du féminin sur le patriarcat. Je suis heureux de l'avoir fait avant de l'avoir senti venir...(sic)"

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

En plus d'être assez gonflée, sa phrase n'a aucun sens, et la pochette de 13 non plus. Rappelons, s'il le fallait, que le fait d'aimer les filles n'est pas synonyme de quelconque féminisme.

Voir : Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran, Le dernier tabou
 

Henry Darger donne par ailleurs son nom à l'un des titres de 13, que nous nous attendions à voir nager au-dessus du lot lorsque nous avons appris la présence de Marc Eliard à la composition. Et c'est vrai, le titre est un des moments forts de l'album. En live en revanche, le savant mélange de voix pré-enregistrées et d'échos ne masqua pas totalement le fait que ce titre était difficile à chanter pour Nicolas, même en début de set.


"'Henry Darger' est une des propositions de composition que j'ai amenées à l'époque, qui a été décortiquée et reprise pour certains passages. La basse commence toute seule, comme une grande, avec des petits sons de synthé."

Marc Eliard in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Mais c'est avec "La vie est belle", assez miraculeusement protégée de toute fuite sur Internet que l'ère 13 fut lancée chez le régulier Yann Barthès. Et ce qui nous frappa quasi-instantanément, c'est que toutes nos plaisanteries sur des phrases "à la Nicolas" n'avaient pas atteint ce niveau d'autoparodie. Même le Sirkisator n'était pas capable d'un tel résultat : Nicolas montre dans "La vie est belle" que rien ne vaut l'original. Et à l'ère de l'intelligence artificielle, ce constat est rassurant. L'occasion également de souligner que l'existence même d'un générateur aléatoire de paroles d'Indochine est assez éloquent. Nous ne croyions pas possible que Nicolas soit si peu conscient de ses tics d'écriture ! Quel est le thème du morceau ? Tel que nous le comprenons, que la vie c'est bien mais parfois c'est moins bien. Bon.

Nos amis sont d'ailleurs allés jouer ce titre dans le métro bruxellois, comme U2 l'avait fait deux ans plus tôt. Vous souvenez-vous, comme nous l'écrivons régulièrement sur ce blog, que l'on retrouve quasi-systématiquement les idées utilisées par Mk2 dans les deux années précédentes ?

Un beau succès auprès des fans et du grand public, un peu comme en son temps "J'ai demandé à la lune", une autre composition signée Mickaël Furnon. De là à y voir une stratégie commerciale qui offrirait à 13 un démarrage aussi fulgurant que l'opus de 2002, il n'y a qu'un pas. Nicolas invoqua simplement, pour sa part, un choix de la maison de disques.


NRJ Music Awards (ou awkwards), 2017

Mais s'il nous faut parler d'écriture parodique, il est plus adapté encore d'évoquer "Karma Girls", un troll magistral de Jean-Louis Murat qui reprend les tics d'écriture de Nicolas pour en faire un des pastiches nicoliens les plus réussis à ce jour. Pourtant, ni notre héros ni personne dans le public ne semble avoir capté cette blague de l'auteur de Un singe en hiver. Le sérieux avec lequel Nicolas continue de chanter cet exercice de style provoque toujours chez nous de larges fous-rires.

Le titre et l'esthétique indienne ne semblent se justifier que par la présence d'un sitar - peut-être le Danelectro dont joue Marc Eliard sur une des photos du parpaing. C'est à se demander quel élément a précédé l'autre. Quant au clip, la brève référence à la Holi laisse place à une redite de "Belfast" : un public décidément extraordinaire dialoguant avec le plus bel être humain du monde. En d'autres termes, une publicité agressive pour un certain mode de vie indochinois dont nous avons déjà parlé. Mais c'est surtout une idée piquée à Coldplay... deux ans plus tôt !

Voir : "Hymn for the Weekend" (Coldplay, A Head Full of Dreams, 2015)

"Black Sky" sur le 13 Tour

De même qu'"Henry Darger", un autre titre est inspiré par une exposition : Kimono, début 2017 au Musée des Arts Asiatiques.


"J'adore moi l'album des Sparks qui s'appelait Kimono my house, et ça faisait très longtemps que je voulais faire [un titre] avec ce terme 'Kimono', et justement, avec le nom Indochine c'est un peu lourd à porter, Indochine, kimono, c'est un peu facile. Donc j'ai attendu, et là, kimono, ambulance, j'avais trouvé le truc."

Difficile de ne pas pouffer de rire face à des explications d'une telle absurdité. Comme dit par ailleurs, à part une pochette attrayante, les fans pourront difficilement éprouver quelconque intérêt pour la musique proposée par les Sparks puisque les intérêts de Nicolas ne sont que visuels et vaguement sémantiques.


Il est à noter que "Kimono dans l'ambulance" bénéficie d'une enveloppe marketing particulière, puisqu'il eut droit à un clip mobilisant des moyens financiers encore plus larges. Il est même qualifié sur Internet comme dans le parpaing de "premier court-métrage" de Nicolas, qui le dote d'une affiche et d'une diffusion cinéma.

Le motif justifiant ce traitement de faveur ? Visiblement, il ne s'agit que de la durée de l'objet visuel en question : douze interminables minutes, une première pour Indochine (Mk1 ou Mk2). Rappelons néanmoins qu'un "court-métrage" n'a pas de durée minimale. L'honnêteté intellectuelle voudrait même que l'on définisse un vidéoclip comme un court-métrage visant à promouvoir un titre musical : tous les clips réalisés jusqu'ici par Nicolas ("More...", "Un ange à ma table", "Gloria", "Karma Girls" et donc "Kimono") sont donc des courts-métrages, ou aucun n'en est. Après le dantesque raté que fut le clip de "Tes Yeux Noirs" signé par un Gainsbourg saoûl, la carrière de Nicolas manquait d'un coup d'éclat filmique digne du duo Farmer-Boutonnat. Et comme d'habitude chez lui, "faire mieux" se résume à "faire gros". 

Les plans drone, le slow-motion, la qualité exceptionnelle de l'image, la mobilisation de membres du GIGN (qui avaient sûrement mieux à faire) et de têtes d'affiche médiatiques (mal, ou pas dirigées) ne sont hélas pas un gage de qualité, pas plus que ces douze minutes de ralentis lourdauds et répétitifs ne parviennent à donner à la vidéo un label "cinéma d'auteur" que Nicolas recherchait manifestement.

"Depuis pas mal de temps, j'avais noté ce titre dans un de mes carnets et j'avais cette idée d'écrire un morceau autour de ce paradoxe de l'intérieur d'une ambulance où on essaye de retarder la mort, de donner ou redonner la vie et de l'extérieur avec la ville, les rues où la vie semble se dérouler, indifférente… "

Nicolas Sirchis, Allociné, mars 2019


Nous avions déjà souligné à propos de Black City Parade que notre héros n'avait pas compris la définition du mot paradoxe. Tout comme "Un été français", le film Kimono et son explication rejoignent directement les baragouinages sur le pseudo concept de l'album de 2013, révélant une nouvelle fois l'interchangeabilité des choix chez Mk2, et les tentatives désespérées de produire un discours artistique. Pourtant, de telles explications lui vaudraient sans aucun doute d'être recalé à l'entrée de n'importe quelle école d'art.

"Comment vous est venu le choix d’opposer le ralenti à l’intérieur de l’ambulance et la vitesse normale à l’extérieur ? Vous êtes-vous inspiré de films ou de cinéastes ?
- C'était ma vision du film de souligner le paradoxe
(soupir, ndlr) entre la vie à l'extérieur et la vie ou la mort comme suspendues à l’intérieur. J'aime beaucoup le slow motion et les plans aériens. Gus Van Sant est une référence pour moi."

Nicolas Sirchis, Allociné, mars 2019


Entre ce clip et celui de "Karma Girls", on va finir par comprendre que Nicolas adore le ralenti. Le résultat final, lui, n'est que l'étirement pénible et arythmique d'une poignée d'images mentales nées avec le morceau et que son réalisateur n'a hélas pas développées. Pour l'anecdote, parler de "la vie, la mort" est une blague récurrente dans les milieux artistiques pour exprimer un manque d'inspiration.

"Un bémol aussi sur la vidéo Kimono dans l'ambulance où l'on suit une ambulance vintage sillonnant les routes enneigées de l'Aubrac. Elle tombe complètement à plat."

Lena Lutaud, Le Figaro, 2018


Peut-être faut-il plutôt voir dans l'imagination du chanteur, des questionnements : que faire d'artistique avec tout cet argent ?


L'argent permet aussi de rémunérer de talentueux compositeurs. Pourtant, Nicolas se sentit obligé de préciser que Renaud Rebillaud, producteur de Sexion d'Assaut et Gim's, avait dans sa jeunesse fait partie d'un groupe punk du 13e arrondissement. Oui, et alors ? Doit-on voir une parenté avec l'excellent groupe dans lequel Nicolas se retrouva au micro au début des années 80 ? Le mot punk est-il devenu une promesse de sincérité et/ou de qualité ? En tout cas, ce punk du treizième est à l'origine des "Bella", "Tu vas me manquer" et autres "Color Gitano" dont la qualité n'est plus à prouver.

Le chanteur d'Indochine a donc bel et bien fait appel à l'un de ces faiseurs de tubes qui toucheraient les jeunes d'aujourd'hui. Le compositeur, sachant se servir de ses oreilles, sut parfaitement comment faire plaisir à Nicolas... Et on peut sans crainte spéculer que l'instrumental de "Song for a dream", profondément générique et interchangeable, a consterné Olivier, qui confiait déjà dans Black City Parade le film un certain ras-le-bol des suites d'accords magiques. Il existe à n'en pas douter dans les cartons de projets des dizaines de "Song for a dream" en puissance, mais Nicolas est le seul à décider du final cut... Pauvre Olivier, qui dut aller jouer cette purge sur le plateau de C à Vous ! 


Voir : Black City Parade, Le Film, Révisionnisme et malentendus


Il est navrant de se remémorer le combat qu'a mené Nicolas pendant des années pour se défaire d'une image trop variété, en se réclamant d'une certaine culture dite alternative à l'époque où c'était la mode. Tous ces efforts pour arriver en bout de chaîne avec un des morceaux les plus lisses jamais sortis et qui rencontra un grand succès au sein du fandom. La réaction de nos amis face à "Glory Hole" en 2020 résume l'affaire : une légère honte face à des travaux de jeunesse correspondant à une mode révolue, dont les influences grossières n'étaient absolument pas digérées.

Rappelons-nous aussi ce jeune oLi De SaT alternatif et underground, personnage aux grosses chaussures qui écoute "Nine inch nails des trucs comme ça", autour duquel la communication fut assez matraquée pour que l'on s'en souvienne. Il avait alors critiqué un The Cure devenu trop sage avec sa pop à guitare sèche... Une telle arrogance était-elle nécessaire chez le sang neuf dont avait besoin Nicolas aux débuts d'Mk2, qui joue aujourd'hui les singles de 13 au piano sur le service public ? À moins qu'Olivier ne soit plus cet oLi enthousiasmé et enthousiasmant. Rouler dans le même lave-linge que le patron pendant vingt ans, c'est prendre le risque qu'il déteigne.

Voir : 1999 - Dancetaria, 2002 - Paradize

Nicolas & Olivier, 2017

Les titres précédemment cités sont des exemples éloquents, mais ni les premiers ni les derniers, de la chute drastique de la qualité des textes de Nicolas. Jusqu'aux années 2010, nous pouvions toujours lui trouver un certain sens de la formule qui pouvait parfois faire mouche. Mais cela fait maintenant une décennie que recyclage et ornementation sont de rigueur. Nicolas semble se complaire dans la réutilisation jusqu'à l’écœurement de thèmes, formules et slogans qu'à force de décliner dans un ordre ou dans l'autre, il prive de sens ou à défaut, d'impact. Ce que montrait cette séquence hallucinante, où le chanteur ne sait plus dans quelle chanson il a chanté quoi.

"Je sais plus de quelle chanson vous faites allusion là (sic), c'était laquelle... Ah c'est 2033 ! Nan c'est pas 2033...  Si c'est 2033, sisi c'est 2033... Nan attends c'est, où est-ce que... Je commence avec [...] que j'arrive pas à faire, y'a un la qui dure... Suffragettes BB. Ouais. Euhhh... Nan c'est pas Suffragettes BB... Le la... - C'est pas Station 13 ? - C'est pas dans Cartagène ? - ....... Attends. Mais oui parce qu'on l'a répété là et puis y'a un la qui fait deux mesures sur le premier couplet, et une mesure sur le deux... UN ETE FRANÇAIS. Et tout le monde a encore besoin de moi ! Lalalalalala... Voilà."

Nicolas Sirchis, Hotmixradio, septembre 2017

Ses paroles plus que jamais interchangeables, applicables à n'importe quelle situation, donnent l'impression de ne pas pouvoir être chantées autrement qu'apprises par cœur. Récitées par des fans dévoués qui ne savent pas face à qui ils lèvent le poing, mais marchent ensemble et c'est le principal. Loin et protégés d'un monde sombre et mystérieux, où certaines personnes n'écoutent pas Indochine.

"Nos Célébrations", sorte de redite de "La Treizième Vague", montra cependant en 2020 que Nicolas continuait de creuser.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine, 2020 - "Nos Célébrations" & Singles 2001 - 2021


Cela fait bien longtemps que Nicolas n'a plus rien à dire ni à défendre, à part sa légitimité à rester sur le devant de la scène. Toutefois, il semble sur 13 vouloir évoquer certains sujets de société, ou plutôt cocher les cases d'un certain nombre de hashtags, et donc se faire valider lui-même par une nouvelle génération. Et ce, avant même le parpaing. Ainsi, y passent :

#feminist : avec "Suffragettes BB" (mélange d'un titre de Bowie et d'un titre de Gainsbourg), inspirée par la fameuse photo de Trump signant un amendement sur l'avortement, exclusivement entouré d'hommes. On sent Chloé Delaume, co-auteure du texte, fatiguée et redondante. Quant à Nicolas, il aime toujours les filles, surtout quand elles y vont.

"De tous temps, on a essayé de rendre la femme coupable de tout. L’homme était considéré comme l’idiot du village mais la femme, soit on la brûlait soit on la mettait au couvent. Sans tomber dans le féminisme à l’excès, je préfère faire une chanson comme 'Suffragettes BB' que 'Femmes je vous aime'."

Nicolas Sirchis, Le Populaire, mars 2018
 
Comme à son habitude, Nicolas se sent obligé de prendre ses distances avec la variété française, qui l'a pourtant largement formé. Comble de l'ironie, les paroles du "Femmes je vous aime" de Julien Clerc collent parfaitement au rapport à la féminité que nous connaissons à Nicolas - et qu'il se rassure, on ne le trouve pas franchement féministe à l'excès.
 
 
S'il doit être très fier de son jeu de mots avec le "point G-néral", nous ne sommes en revanche pas certains que ce "Introvertis l'ordre et la morale" soit une pirouette volontaire ; mais nous aurons l'occasion de reparler des aventures de Nicolas Sirchis avec la langue française. Il ne sut jamais non plus très bien quel accord de guitare venait après l'autre, mais est-ce bien utile de continuer à le faire remarquer - la guitare est totalement décorative sur ce morceau quasi-entièrement synthétique.

Voir : Nicolas et la guitare

 
#queer : avec "Tomboy" (tiré du titre d'un film de Céline Sciamma), censé raconter les tourments d'un garçon transgenre (ou une fille, Nicolas ne sait plus très bien), le terme anglophone signifiant simplement "garçon manqué". La superficialité du texte, parlant de "devenir un garçon" et de "mettre les robes de ta mère", trahit non seulement une écriture paresseuse à base de formules recyclées, mais surtout, une nouvelle fois, un besoin de communicant de s'insérer au chausse-pied dans les mouvements sociétaux actuels plutôt qu'un engagement réfléchi.
"Quand  Erwin Olaf a commencé à la faire [la pochette de 13], euh il m'appelle en catastrophe... Au départ c'était 13 filles, et il me dit : 'Y a une fille qui veut absolument pas mettre de robe, qui a même pleuré, qui veut mettre un pantalon et qui dit qu'elle est un garçon.' Et j'lui dis "Mais c'est incroyable parce que moi j'ai, c'est, c'est l'histoire même d'une chanson", donc j'lui dis "Qu'elle s'habille en pantalon" et donc elle est au milieu de ces 13 filles."

Nicolas Sirchis dans Le Lab de Virgin Radio, 2017

 

De plus, comme le veut la tradition des duos chez Mk2, "Tomboy" n'est en fait qu'un caméo de Kiddy Smile qui, toujours selon la tradition, disparut assez vite des radars indochinois. D'ailleurs, la chanson existe aussi sur disque dans sa version originale sans Kiddy Smile, numérotée comme le fut en son temps le "Pink Water" écrit par Brian Molko. Preuve s'il en est que Nicolas n'estime pas ses featurings comme se suffisant à eux-mêmes : ce que lui a écrit, eh bien c'est quand même mieux.

L'histoire est racontée par le patron lui-même durant la campagne de promotion de l'album. 
"C'est ma nièce qui me l'a fait connaître en, sur le titre "Let... em... BITCH" ("Let a B!tch know", ndlr)... et euh, j'ai été tout de suite intéressé par... son agit-prop c'est-à-dire la façon dont il, il assumait son truc. Et donc euh, comme j'avais écrit en parallèle la chanson "Tomboy" euh, j'l'ai contacté, je lui ai fait lire et il était partant à mort."
Nicolas Sirchis dans Le Lab de Virgin Radio, 2017


Pourtant, le souvenir de Kiddy Smile diffère légèrement de cette version officielle.

"Est-ce qu’il t’a expliqué les raisons de son choix ? Vos univers musicaux sont pour le moins éloignés.
- Il se tient super au courant de ce qui se fait. C’est sa nièce qui lui a montré mes clips, il a bien aimé mon discours, il trouvait que c’était rafraîchissant. De mon côté j’étais un peu hésitant, je réfléchis trop, je me demande si ça colle à ce que je fais. Je me suis dit : 'Si j’aime la musique, je le ferais'. J’ai adoré. J'ai choisi la chanson que je préférais. J’ai écrit mon texte et il m’a laissé libre."

Kiddy Smile, Têtu, septembre 2017

Pierre-Edouard Hanffou et Nicolas Sirchis pendant l'enregistrement de "Tomboy"


Une fois encore, nous assistons à la communication bien rodée d'un chanteur auquel il faudrait décerner une médaille pour se tenir au courant de ce qui se fait, et qui trouve intéressantes des choses piquées à droite à gauche au sein des tendances. Mais surtout, Pierre-Edouard Hanffou (de son vrai nom) semble divulguer par accident l'étonnant fonctionnement interchangeable d'Mk2 chez qui, une fois invité, l'on peut choisir la chanson où l'on posera sa voix en vue d'un produit fini. Il aura sans doute été ravi de constater que Nicolas ne s'était intéressé à ses activités (en l'occurrence, un clip) qu'au moment de lui faire franchir les portes du studio. Une fois le nom et la réputation du musicien yvelinois associés à Indochine, Nicolas se fichait manifestement du reste.

Un rapprochement musical avec "Marilyn" a été énormément discuté, il ne s'agit toutefois que d'un bête rythme à consonance de marche militaire. La composition du morceau, un assemblage de nombreux éléments disparates, n'a que peu à voir avec le single mansonien de Paradize.


#antifa : avec "Un été français", une chanson qui explique que le FN c'est mal et que l'orgasme c'est bien. Le morceau est en fait perçu par le plus grand nombre comme la chanson "française" par excellence. Sur le Central Tour, un extrait de la Marseillaise est d'ailleurs diffusé en introduction du morceau, et l'audience des stades la reprend avec une telle ferveur que nous restons perplexes quant à l'intention artistique derrière ce choix.
"Sur le choix de mes morceaux, il y a certainement des gens qui votent Front national qui nous écoutent mais je ne vais pas me censurer par rapport à ça."

Nicolas Sirchis, Le Populaire, mars 2018

Certainement oui, et cela n'a rien d'étonnant.


#notmypresident :
avec "Trump le monde" (simple jeu de mots sur un titre des Pixies), une chanson étrange que nous n'avons pas longtemps imposée à nos oreilles. Profitons-en pour rappeler qu'Olivier Gérard s'était publiquement agacé d'un U2 mettant en garde le public américain quant à l'issue de cette élection... Pour finalement permettre ce titre une fois l'élection passée. C'est une nouvelle occasion pour nos amis de faire des doigts d'honneur, et de placer des samples vocaux (incompréhensibles), une recette de studio facile pour accentuer de faibles passages instrumentaux. Il est peu dire que nous sommes ici dans un moment musical d'une rare vacuité, auquel aucun des musiciens présents sur scène ne croit si ce n'est Nicolas.
"Barack Obama avait changé l'opinion, avait changé la vision que nous avions des Américains, tout d'un coup c'était des gens comme nous, habillés comme toi et moi, ah putain ils sont un peu plus cool, eeeeet... L'arrivée de Trump a stérilisé tout ça, a choqué tout ça, a plombé tout le dossier.
- Je te laisse parler du titre, "Trump le monde" ?
- Ouinonmaisc'était... Oui c'est, mais y'a p... Oui, c'est Trump le monde, oui c'est ça."
Nicolas Sirchis, Virgin Radio, septembre 2017
 
Nicolas, qui avait plusieurs fois confié détester les Américains, prend peut-être son cas pour une généralité.

 

Pour les chansons de 13 comme pour les albums précédents d'Mk2, notre héros dévoile par ses laïus superficiels au possible qu'il ne maîtrise que des titres et de vagues slogans. Nicolas a toujours eu peur d'être considéré ainsi, mais nous en sommes bien désolés : il donne par sa paresse l'image d'un très grand simplet. "Song for a dream", comme une confirmation que ce titre ressemble beaucoup au Nicolas actuel, survit d'ailleurs aux années et conserve sa place dans les setlists. À l'image de la différence saisissante entre les textes de Nicolas pour Mk2 et ceux de son ancien groupe, 13 est définitivement un album de réseau social, qui se décline très bien en extraits, jingles et donnerait presque l'impression d'être fait pour ça. 

"Moi je suis né ici pour n'être qu'avec toi..."  

"Juste être bieeeeen
Être avec toiiiiiii...
"

"C'est ma viiiiiie..."

"C'est juste ma vie c'est juste mon âââme
On aura une vie incroyââââble...
"


Ici, nous croyons qu'il serait profitable pour #nicolasirkis de décoller un peu de son compte Twitter.

Voir : Avant-propos

"Nicola Sirkis est revenu vers moi cet été en me proposant quatre morceaux, mais aucun texte ne lui a convenu. Le problème, c'est que je voudrais vraiment que les textes du groupe reviennent à une écriture baroque, pleine d'hypallages et d'images étranges, comme à l'époque de 7000 danses, mon album favori, sorti à la fin des années 1980. Mais ce qu'une chanson pop impose, c'est la simplicité, l'efficacité du texte. Indochine a tellement renouvelé son public qu'il s'adresse, hors le cortège massif des fidèles, à une majorité de jeunes, d'adolescents. J'aurais aimé pour eu des paroles plus complexes, finalement proches de celles de Thiéfaine, mais ce n'est pas compatible, leur univers ne peut se situer là."

Chloé Delaume, entretien avec Barbara Havercroft, "Le soi est une fiction"


Olivier bosse bien, maîtrise ses logiciels, séquenceurs et synthétiseurs, et aime sûrement toujours le travail de studio. Malheureusement, les puissants arrangements de 13 font office de cache-misère à une musique attendue et redondante. De la musique du groupe qui débuta avec Paradize quinze ans plus tôt, ne subsistent que les miettes des influences et références qui en constituaient un contenu déjà chancelant.

Voir : Influences et références

13 est aussi le produit d'une époque où l'importance d'un groupe d'êtres humains jouant ensemble a été largement revue à la baisse. Une partie non négligeable des musiques pop à tendance électronique semble aujourd'hui réduite à des codes, des éléments et signifiants, des sons et beats, des agglomérats visuels et/ou aléatoires (on met ça avec ça...)... Des loops qui tournent, des éléments en quatre temps qui se suivent... Et l'ordinateur ne paraît plus évitable, que ce soit durant la composition ou en live où il est au centre du rendu final.

Ce n'est pas un mal en soi, et même au contraire pour qui aime la musique électronique. Mais il aurait été souhaitable que 13 assume totalement un aspect machinique, voire industriel, plutôt que se servir de l'ordinateur comme d'un constructeur de morceaux aléatoires. Cela aurait rappelé à oli sa truculente jeunesse aux débuts d'Internet où l'on écrivait dans un mélange de langage SMS et de fautes d'orthographe. Il est pourtant possible de mener une musique énergique à la couleur industrielle, entre énergie électrique, artificialité et agressivité métallique, sans sacrifier l'aspect humain.

Nous pourrions avoir un Indochine avec une boîte à rythmes, des séquences et des samples en direct comme sur le Dancetaria Tour, que saurait pourtant parfaitement gérer Olivier Gérard. Au lieu de ça, sur le 13 Tour, nous sommes allés écouter défiler un long fichier accompagné par la grosse caisse de Ludwig Dahlberg et quelques guitares, et nous demandions franchement à quoi correspondait encore ce groupe de rock.

Stade Pierre Mauroy, 2019

Mk2 semblait pourtant vouloir se lever contre une certaine aseptisation de la pop, avec courage et indépendance, en proposant des morceaux plutôt longs et un album construit "à l'ancienne". Malheureusement, et nous ne pouvons pas les en blâmer, il est difficile d'échapper à son époque : assistanat excessif de l'ordinateur, course à l'attention, compression extrême, communication visuelle abusive sur une foultitude de réseaux sociaux. De fait, l'album est bien trop fatigant à écouter à l'ancienne, c'est à dire tout simplement en laissant jouer la musique.


Pour le 13 Tour, Nicolas se pointa sur scène décoloré et plus glam que jamais avec sa veste à paillettes, bowiesque à la façon d'un Reality Tour. Pourtant, il faut plutôt aller chercher du côté de Mick Jagger (ici dans "Shine a Light" à 63 ans) pour comprendre ce Nicolas qui ne veut plus s'arrêter malgré le poids des années et des jambes.
"Il y a des exemples qui me touchent comme les Stones, ils ont 75 ans, vingt ans de plus que moi et ils sont en pleine forme et ce qu’ils présentent n’est pas trop dégueu."

Nicolas Sirchis, Le Populaire, mars 2018

"J'ai toujours dit ça. À vingt ans je me voyais pas à trente ans, à trente ans je me voyais pas à quarante, blablablabla... Là j'en ai cinquante euh, c'est vrai que si on dit soixante, là ça sent quand même le sapin hein... Enfin pour être sur scène, digne. Maintenant j'y travaille, donc c'est vrai que je suis plutôt en forme par rapport à d'autres."

Nicolas Sirchis, Coope of the pope, mars 2011


"Black Sky", 2018

Voir : David Bowie


Les problématiques très présentes dans les années 80 avec les "bandes" (voir Depeche Mode) reviennent ici sous une forme nouvelle : les cinq musiciens d'Indochine jouent sur une timeline, déclenchant de nombreuses pistes sonores synchronisées avec les vidéos et la lumière. Comme ici, où l'aspect club est très largement assumé (une grosse artillerie, au détriment d'idées intéressantes pour un énième medley).

Paradoxalement, les critiques immanquables dans les années 80, sur le décalage entre le live et le pré-enregistré sont devenues rares, si ce n'est inexistantes. Tout le monde s'en fout, et les critiques n'ont plus qu'à aller se faire voir. Que s'est-il donc passé sur les quinze dernières années ? Avons-nous fini par accepter d'aller écouter une timeline défiler, comme à Disneyland ?


Des débuts d'Mk2 et son gros rock, il ne reste aujourd'hui plus que l'obligation d'avoir un vrai batteur, et nous nous demandons même pourquoi, au-delà de l'envie manifeste de ressembler à un vrai groupe de rock. Certes, l'album semble avoir les couilles voulues par Nicolas, à la différence - à ses oreilles - de la musique d'Mk1, mais même Alice et June paraît malin au regard de ce qui est proposé en 2017.

"Pour moi, 13 est le meilleur album d'Indochine depuis les années 1980. En termes de chansons, et de son. Le son est vraiment bon, massif, américain."

Ludwig Dahlberg, in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Il serait intéressant de connaître l'avis de Ludwig Dahlberg sur chacun des disques où Nicolas posa sa voix.

Boris Jardel sur "Station 13", Bruxelles, 2021

Pourtant les festivités autour du mode de vie indochinois continuent, année après année. Le 13 Tour présentait même la spécificité d'être sponsorisé par la banque préférée des Français, le Crédit Mutuel. Et en effet, Nicolas ne s'est jamais montré spécialement gêné par le fait d'aller chercher la thune là où elle est.

"Le Crédit Mutuel donne le LA", publicité sur le périphérique parisien, 2018

"Pour ce 13 Tour, Nicola Sirkis va encore plus loin. Il s'en prend aux fondements du show-biz français en se passant de producteur. Un tremblement de terre dans le milieu. Michel Sardou et Mylène Farmer restent indissociables de Thierry Suc. Gad Elmaleh, de Gilbert Coullier. Après trente-six ans de carrière, Sirkis estime qu'il connaît les ficelles. De l'extérieur, il semble seul face à ses fans. Mais en confiant le marketing et le travail de régisseur à une société externe, il s'assure un revenu confortable sans prendre l'intégralité du risque. Après avoir négocié une somme fixe pour lui, il impose ses conditions: billets à tarif unique (40 euros) et show grandiose. Avec ce système, même un géant américain comme l'entreprise de spectacles Live Nation n'a pas gagné d'argent sur la tournée de 2013.

Pour les artistes à l'affiche comme Florent Pagny et Bertrand Lavilliers, qui demandent entre 39 et 65 euros pour une place de concert, le discours d'Indochine, et ses places uniques à 40 euros, a des effets dévastateurs. Il les renvoie à une image de voleur. « Sirkis en Robin des bois du show-biz est une posture », accusent plusieurs producteurs.

Le leader d'Indochine s'est déniché un surnom qui vous assoit une réputation : « le pit­bull », car « il mord dès qu'on le contredit ».

Des shows grandioses mais à un prix public au plus bas du marché : à quoi tient le miracle ? Pour gagner davantage, Sirkis amortit ses frais fixes de préproduction (répétitions, création du décor) sur un nombre conséquent de dates. Il noue des partenariats. Pour ce 13 Tour, il a accepté pour la première fois d'avoir une banque comme partenaire. « Indochine rassemble les foules depuis près de quarante ans, il embarque toutes les générations et a le souci de rendre la musique accessible à tous », explique Estelle Bourgin, en charge des partenariats musique du Crédit mutuel (via la plateforme RiffX, ndlr).

Sirkis surveille aussi les dépenses. Tout le monde doit se serrer la ceinture. À l'inverse, Kissing My Song (KMS), la PME dont Sirkis est l'unique associé, affiche un chiffre d'affaires de 1,7 million d'euros en 2013, 1,6 million en 2014 et 900.000 euros en 2015. Les profits sont plutôt confortables: 500.000 euros en 2013 puis 83.000 et 316.000. Pour 2016, on ne le saura pas. « Comptes déposés avec déclaration de confidentialité », fait savoir le tribunal de commerce de Paris."

Lena Lutaud, Le Figaro, 2018


Il est normal de gagner de l'argent avec son activité, beaucoup moins de prendre les gens pour des imbéciles en faisant courir le bruit qu'on n'en gagne pas, voire qu'on joue à perte, lorsqu'on est assis sur autant de pognon. Salomon Hazot, président de Nous Productions (racheté par Live Nation en 2016), a son avis sur la question :

"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine. Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. 
- Juste pour dire aux gens, nous deux on le sait mais... Nicolas Sirchis qui au fait est le vrai boss d'Indochine... a la réputation d'être très compliqué avec les producteurs, n'en faire qu'à sa tête et de changer de producteur à chaque tournée. C'est un peu ça que vous voulez nous dire ?
- Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas.
- Je suis désemparé. (rires)
- Oui, non... Je trouverais volontiers une expression... Mais on va en rester là. Et donc je décide de ne pas faire Indochine, et tous ceux qui ont fait Indochine se reconnaissent bien là, mais une grande partie l'ont fait, et Live Nation fait Indochine. Et ça nous fait tous marrer, parce que Nicolas... Et je dirais qu'il a eu raison ! Il tombe sur quelqu'un qui est totalement abruti et qui jette l'argent par la fenêtre, parce qu'encore une fois ce n'est pas son argent ! Jamais oublier que Live Nation n'est pas producteur de spectacles privé, c'est une multinationale. Ça gagne c'est bien, ça perd c'est bien, c'est pas grave."

Salomon Hazot, Sold Out (16:35), mai 2023

Budget illimité. Nicolas put même s'organiser une grande fête d'anniversaire au stade Pierre Mauroy (faute de U Arena où il se voyait bien, mais heureusement le grand écran fut reconstruit à Lille à l'identique !), et se montra très ému une fois le programme de la soirée écoulé, avec l'arrivée sur scène de la fanfare de la garde républicaine, comme s'il ne s'y attendait pas. Un peu comme quelqu'un qui dirait "Oh, il ne fallait pas..." après avoir envoyé lui-même les cartons d'invitation.

Stade Pierre Mauroy, 2019

Après de pénibles dates du 13 Tour où pas même l'ombre d'une nostalgie ne se manifesta dans nos esprits, le concert du Stade Pierre Mauroy acheva de nous casser les oreilles, et confirma avec un certain brio des craintes déjà anciennes.


Imaginez la musique comme de la sculpture. Dans un premier temps, vous accumulez des morceaux de terre glaise, et façonnez une forme grossière. Dans un second temps, vous enlevez de la matière, puis sculptez l'ensemble plus précisément.

Indochine Mk2 ne fait plus qu'ajouter de la matière par gros pâtés. Quand un arrangement apparaît dans un morceau live, plus jamais il ne le quitte. Qu'ils soient anciens ou actuels, les morceaux joués par ce groupe-là ne sont que des amoncellements d'arrangements grossiers extrêmement fatigants pour les oreilles. Les dates suivantes, notamment à l'espace Niemeyer et au sommet de la Tour Montparnasse ne firent qu'enfoncer le clou, avec un Nicolas vocalement insupportable, face à qui plus personne ne peut faire de remarque.

Bien sûr, cette débauche de moyens donne forcément un résultat impressionnant, à l'image de tous ces clips chers, ces campagnes de communication chères et ce rendu sonore cher. Pour un public de consommateurs, pour ainsi dire de clients fidèles qui avaleraient n'importe quoi pour autant que la marque Indochine soit là, cela fait le job et bien plus. Cependant, voici un aperçu très juste de comment le 13 Tour peut sonner face à ceux qui ne sont pas préalablement fans.

Voir : Indochine, "13 Tour", 16 février 2018, AccorHotels Arena (bertrandferrier.fr)


L'ère 13 révèle par tous ses aspects un fonctionnement par empilement : il n'est plus question que de quantité.

Voir : Étienne Daho


Et Nicolas, qui louait chez U2 une capacité à laisser respirer la musique serait bien inspiré de suivre cet exemple, ne serait-ce qu'un tout petit peu, plutôt que se concentrer sur la scénographie du groupe irlandais et le look de Bono.

"Henry Darger", Colmar, juillet 2018
 
13 n'est ni meilleur, ni plus moderne, ni plus progressiste que tout ce que Nicolas a pu faire auparavant, il continue en revanche de confirmer l'opportunisme et l'autocomplaisance du chanteur. Pire encore, il transpire la thune, et que les arguments employés par les fans pour défendre Nicolas concernent essentiellement la carrière et la réussite est immensément parlant. 13 n'a rien à voir avec les années 80, si ce n'est un aspect assez outrageusement bling bling sans aucune forme d'ironie. Comme nous le faisions remarquer précédemment, avec Nicolas il n'est question que de quantité et de dimensions, et il n'a pas compris que ce n'était pas un gage de qualité. Le Central Tour et ses tonnes de matériel ne firent que le confirmer. Mais notre lectorat peut-il entendre que faire gros n'est pas synonyme de faire mieux ? Que ni l'argent dépensé, ni la complexité des dispositifs mis en œuvre, ne peuvent compenser un manque si flagrant d'originalité et de maturité ?


Selon le parpaing, les deux cerveaux d'Mk2 sont particulièrement fiers de 13 et le voient comme un égal à Paradize. D'une certaine façon, nous pouvons comprendre ce point de vue : cet album a tout pour plaire, et coche toutes les cases de la séduction du public actuel d'Mk2 - largement mis en valeur sur les écrans durant la tournée. Nous aussi en avons apprécié quelques morceaux, et comme systématiquement parmi les indophiles : nous ne sommes pas d'accord entre nous.

"13 je le mettrais du côté Paradize, c'est un peu le bis."

Olivier in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Il est aussi possible de considérer que la présence de Mickaël Furnon (pour le versant grand public) et celle de Jean-Louis Murat (pour le versant lettré) renforcent ce sentiment d'avoir affaire à une sorte de nouveau Paradize.

"Il y a eu le 3, Paradize, et le 13."

Nicolas in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Ailleurs dans le parpaing, il estime que les Meteors, Black City et 13 forment une trilogie, "sans le savoir, sans le vouloir"... Mais nous connaissons assez bien la porosité des analyses de Nicolas et sa propension à faire les choses en improvisation totale, pour ne pas avoir à s'attarder davantage sur ces nouvelles tentatives de trilogie...

Voir : 1996 - Wax, 1999 - Dancetaria, 2002 - Paradize

Olivier Gérard s'étant démarqué par des remix dans la veine electro-indus qui a forgé sa musicalité, nous serions curieux d'entendre les albums qu'il pourrait écrire dans un cadre plus personnel, sans les limites imposées par Nicolas. Olivier, qui préférera toujours être comparé à Trent Reznor qu'à Jean-Michel Jarre, a depuis le temps emmagasiné assez de finances pour s'entourer de synthétiseurs, et délivre ici le maximum de ses compétences synthétiques. Et en effet, les fans du musicien lorrain - s'illustrant souvent par leur rejet d'Mk1 - ont adhéré à 13 de façon quasi-unanime, poursuivant l'idée selon laquelle ce groupe-là est bien plus mature qu'Indochine Mk1. Et ce, malgré un Nicolas qui a définitivement perdu tout ce qui avant, pouvait le rendre intéressant.

"L'Aventurier" à la Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand, 2020

Sachant pourtant oli très orienté shoegaze et alternative rock, nous serions curieux de savoir s'il existe des versions plus guitare des morceaux qui finirent sur 13. Mais connaissant la répulsion de Nicolas pour des bonus intéressants, nous ne le saurons jamais. L'album est pourtant sorti six fois en deux ans (voir annexes), sans aucun inédit à se mettre sous la dent, ni même aucun document intéressant pour un amateur de musique. Mais à chaque fois, toute nouvelle sortie aura eu sa campagne de communication sur les réseaux sociaux. Et les ventes furent exceptionnelles, sans compter les recettes d'un merchandising inépuisable, qui comblent grassement les coupes dans le prix du ticket.

La fast fashion proposée sur l'Indoshop est pourtant à l'image de la musique d'Mk2 : vite usée, et obsolète dès la sortie d'une nouveauté. L'album transpire l'impudence et l'auto-complaisance, tel un Nicolas qui n'en finit plus de révéler sa personnalité comme un livre ouvert, au fur et à mesure que la marque Indochine continue d'exister.

Voir : Biais d'auto-complaisance


À l'approche d'un nouvel album, après le je-m'en-foutisme de "Nos Célébrations" et les tonnes de son, d'acier et de lumière du Central Tour, que va bien pouvoir trouver notre héros pour faire encore plus fort

 
Voir aussi sur le blog :

2013 - Black City Parade

Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran 

Révisionnisme et malentendus

David Bowie


Annexes :

Les sorties de 13

  • 8 septembre 2017 : Album CD, 2CD (4 titres "bonus") & vinyle. Box collector, avec l'album, des photos, une K7 et un walkman (livré sans casque). Il ne s'agit pas vraiment d'un walkman mais d'un numériseur de cassettes fabriqué en Chine et de mauvaise qualité, que l'on trouve facilement en ligne dans toutes sortes de déclinaisons : ici, un autocollant 13 est collé dessus. Il est fourni dans une pochette en coton noire estampée "13", et avec un cordon de serrage 100% coton !
  • 4 décembre 2017 : Le pack faux walkman + K7 (album en intégralité !) est disponible en ligne au prix de 76€.
  • 16 novembre 2018 : Nouvelle box collector avec un bouquin de photos, des clips et des crayons de couleur / édition 3CD avec l'album en version instrumentale et deux titres "bonus" déjà présents sur la première édition, deux titres live tellement compressés qu'ils en sont inaudibles, et un livret de 24 pages.
  • 22 février 2019 : édition limitée (on ne sait pas en quoi) à prix spécial. Il s'agit de l'album simple en digisleeve.
  • 14 mars 2019 : édition FNAC avec des vinyles de couleur : 13 est translucide.
  • 13 décembre 2019 : nouvelle édition vinyle pour Noël, mais cette fois-ci il est blanc !

Révisionnisme et malentendus

Les nombreux malentendus qui entourent Indochine Mk1 comme Mk2 semblent, à la lumière des interviews, avoir atteint Nicolas lui-même : penchons-nous sur le révisionnisme de sa propre histoire et de sa propre musique qui en résulte.

À croire les interviews récentes de Nicolas Sirchis, la version originale d'Indochine était un groupe synthétique. Et surtout un groupe de jeunesse, avec des albums faits dans l'inconscience et l'amateurisme. À l'inverse, la formation actuelle serait mature, beaucoup plus exigeante, professionnelle et qualitative.

Stéphane au synthétiseur dans "Troisième Sexe" (1985)

C'est un des plus vastes et indéboulonnables malentendus concernant Indochine : ils auraient commencé comme un groupe poppy, à synthés, et seraient devenus rock à partir de la refonte par Nicolas. Cette méprise est à mettre directement en lien avec la définition française de la new wave, soit une confusion avec la trop moquée synthpop (The Human League, OMD, Depeche Mode). Petit rappel pour les auditeurs ayant découvert Indochine récemment :

 
Pourquoi malgré la présence massive de guitares dans Indochine Mk1, ce sont les séquences et les boîtes à rythmes qui restent dans l'imaginaire collectif ? Un "vrai" groupe à guitares ne doit-il pas avoir de guitares claires ? La présence de réverbération rendrait le groupe synthétique ? Est-ce l'absence de batterie ? De bassiste ? Les guitares déphasées ? L'absence de tatouages ? Les belles gueules ? Il y a pourtant eu de la drogue dans ce groupe et pas qu'un peu : nous savons depuis Eddy le Quartier que s'ils se droguent, bon ben c'est du rock. 
 
La raison la plus plausible est pour nous l'image lookée/maquillée du groupe. Bien plus proche du rockisme à l'américaine que d'une excentricité androgyne typiquement britannique, la mentalité française semble bien plus encline à considérer, même inconsciemment, qu'un tel "groupe de pédés" serait forcément non rock et à synthés. En remontant un peu le temps, nous comprenons que Nicolas n'a pas toujours été très à l'aise avec cette image.
 

Taxi Girl, même après avoir été un duo synthétique, a toujours eu une crédibilité à faire pâlir d'envie Nicolas. De même pour Étienne Daho, qui n'a jamais souffert d'une image ringarde et jouit d'une excellente image auprès de la presse rock française.

Voir : Étienne Daho

 
Pourquoi cette occultation des guitares de Dominique et de Stéphane ? La présence d'un synthétiseur annule-t-elle celle des cordes grattées ? Sur 13, seul "Un été français" semble vaguement faire écho aux guitares claires et mélodieuses du groupe original, mais était-ce voulu ? Les guitares claires, Nicolas Sirchis ne semble pas vraiment considérer cela comme du vrai rock, et cela intensifie davantage son quiproquo sur les musiques synthétiques, qui seraient alors vues comme légères et superficielles.

Rappelez-vous les influences des débuts, probablement de vieux trucs d'un autre temps pour le public actuel, pour qui le fantasme des années 80 semble plus séduisant que la réalité de cette décennie. De la même manière que ce qu'aurait pu être le groupe au début semble plus attractif pour Nicolas lui-même, que les jeunes garçons réels qui formèrent Indochine.

Voir : 2020 - "Nos Célébrations" & Singles Collection 2001-2021


Au cours des années 2010, la synthwave a ressorti des sonorités synthétiques et plastiques 80's, précédemment vues comme kitsch, et les a rendues de nouveau cool et hype. Le film "Drive" (2011) y fut pour beaucoup et inspira le clip de "Memoria" (2013).
 
 
Le soi-disant retour aux sources de 13 (2017) participe directement de ce cliché et malentendu sur cette époque, qui mélange low-tech et tout ce qui exista avant Internet. Cette méprise extrêmement répandue fait des bandes originales synthétiques typiques, de la Hi-NRG et de la vague synthpop du début des eighties, une généralité sarcastique sur l'ensemble de la décennie. Cette synthwave provoqua aussi de nouvelles propositions et rééditions de la part des fabricants de synthétiseurs, et rendit les sonorités synthétiques de nouveau attrayantes pour de nombreux musiciens de tous âges.
"Les sonorités des années 80, le retour des synthés, une touche d’électro voilà pour la musique. 13 est un album résolument dansant.
Nicolas Lemarignier, France Info, décembre 2017

Nous pouvons remercier ce revival pour avoir dépoussiéré les 80's, même s'il a cristallisé un certain nombre de méprises, dont la sempiternelle confusion avec la new wave. Si 13 s'affranchit des clichés sur les synthétiseurs, il ne constitue pas pour autant un retour nostalgique, ce qui est une qualité pour un projet musical proposant une évolution dans les arrangements au fil des albums.

Les synthétiseurs n'ont jamais vraiment quitté Indochine. De "L'Aventurier" à "Go, Rimbaud Go!", en passant par "Canary Bay", "Unisexe" ou "Like a Monster" et jusqu'à "Europane", les musiciens qui y sont passés ont toujours su mêler les sonorités synthétiques aux guitares, fussent-elles claires ou saturées. Mais une fois pour toute, la présence de synthés n'induit pas un retour aux années 80. Sébastien Bataille remarquait déjà en 2003 que :
"Indochine a longtemps été catalogué 'groupe des années 80'. Ainsi, quand sortent quatre albums studio la décennie suivante, les journalistes parlent systématiquement du 'retour d'Indochine' alors que le groupe n'a jamais vraiment cessé d'enregistrer et de tourner. Une autre manie journalistique consiste à réduire les années 80 à une période bâtarde en matière de création musicale, où seul le look comptait, au détriment du reste. Bref, les années 80 étaient kitsch, un point c'est tout."

Sébastien Bataille, Indochine de A à Z, Les guides MusicBook, 2003
Olivier Gérard et Nicolas Sirchis, aux Stéthos d'or en 2019

Si nous saluons l'acceptation sans complexe d'un album principalement synthétique par Indochine Mk2, nous faisons toutefois face à un paradoxe. Alors qu'une énergie gigantesque avait été dépensée depuis 1995 pour supprimer l'image datée et pouet pouet du premier groupe, au profit de grosses guitares, plus "crédibles", Nicolas a bel et bien changé son fusil d'épaule. C'est parce que les synthétiseurs sont redevenus à la mode qu'il embrasse des morceaux à la saveur synthpop, comme "Belfast" (2013) ou l'album 13. Il s'agit bien entendu d'un symptôme de la disparition de recherche de modernité en musique : un album ne se situe plus dans une évolution ou une temporalité mais se contente d'une mise en forme piochée parmi les sous-genres passés.
 
Même le très injustement moqué Jean-Michel Jarre a su profiter de ce revival pour réhabiliter son image, avec une communication efficace autour des deux albums collaboratifs Electronica (2015) et Electronica II (2016). Nicolas, lui, déteste toujours autant.

Mais à la différence des talentueux protagonistes de la très postmoderne synthwave, Nicolas est toujours incapable de distanciation et de second degré : par conséquent, emballé par la présence de sons électroniques, il présente très sérieusement Indochine comme un pionnier synthétique. Au lieu de corriger cette erreur courante sur ce que fut Indochine Mk1, il finit par s'arranger de ce malentendu :
"Moi je pense que les électros euh... les musiciens électro, en fait, se basent... enfin je pense que la new wave a toujours été et a ... c'est ce qui se dit, a été précurseur de ce que font les électros aujourd'hui. Moi j'aime beaucoup l'electro berlinoise, Helena Hauff, Paul Kalkbrenner, etc. Y'a des connotaissances (sic) depechemodiennes... enfin y'a plein de trucs qui se ressemblent. Ces instruments-là m'ont fait penser vraiment à la façon dont nous on a commencé à composer avec des MS-10 etc où on avait une note et on cherchait des sons. (...) Y'a même des trucs qui sonnent un peu comme Frankie Goes To Hollywood ou Dead or Alive. Mais nous on est issu de ça."
 Nicolas Sirchis, Oui FM, 2017

Nicolas n'ayant pas participé à la composition dans Mk1, sa recherche de sons ne devait pas dépasser le réglage de son synthétiseur. Est-ce l'énergie futuriste des années 80 qui lui donne encore aujourd'hui l'impression d'avoir mené un groupe de défricheurs ?
"On retouche à nos sonorités passées (...) L'Aventurier est né à d'une mélodie à un doigt sur un vieux synthé."

Nicolas Sirchis, lors de l'avant-première de 13, 2017

Mais à une époque où les guitares étaient à la mode, Nicolas rappelait que :
"La raison pour laquelle on nous a affilié au rock synthétique, c’est parce qu’il y a eu cette vague qui a déferlé mais nous avons toujours basé nos morceaux sur la guitare. 'L’Aventurier' c’est avant tout un "gimmick" de guitare et tous les titres qui ont marché sont aussi basés là-dessus. La critique a trop oublié ça.

Nicolas Sirchis, Rockstyle, février 1994
Indochine, septembre 1981
Et il a raison de rappeler qu'Indochine est un groupe à guitares. La vague qu'il évoque ici est celle de la synthpop au début des années 80, précédemment évoquée. Mais en 1996 :
"On nous avait tellement assassinés parce qu'on utilisait des synthés machin et caetera, maintenant ça devient... c'est le dernier chic, c'est de réutiliser des Minimoog, enfin tous les synthés, les vrais synthétiseurs c'est ceux qui font des bruits bizarres, des bruits de laboratoire [...], et donc justement les sons bbzzzz ça nous intéresse depuis le début, parce qu'on utilisait ça."
Nicolas Sirchis lors de l'enregistrement de Wax, Comme deux frères, 1996


Ici, Nicolas pense très plausiblement à la mode de l'easy-listening, sorte d'hommage post-moderne aux musiques de film des années 50, aux mélodies sirupeuses et aux vieux synthétiseurs. Nous pouvons entendre une telle influence sur Wax mais jamais le chanteur ne cita cette tendance, préférant se focaliser sur une certaine britpop. Quant aux bruits de laboratoire chez Indochine, pas vraiment au delà de "Dizzidence Politik". Il est cependant vrai que l'intégration de "nouvelles" technologies dans les musiques rock fut accueilli froidement par une grande partie du public, et ce bien au delà d'Indochine.

Voir : 1996 - Wax


Mais autant de contradictions sur - supposément - une seule discographie nous semble assez inédit. 

"Il y a même deux trois titres où il y a pas de guitare pas de basse pas de batterie. C'est vraiment... Et ça, je pense que c'était pas arrivé depuis... depuis les albums le Péril Jaune ou 3 par exemple."
Olivier Gérard à propos de 13Watt's In, 2017
 
En réalité, en excluant les piano-voix type "Un singe en hiver" ou "Tom & Jerry", ce n'était jamais arrivé. Mais Olivier Gérard ne doit pas avoir entendu ces albums comme nous. Hormis l'ouverture et la fermeture, Le Péril Jaune (1983) ne comporte que des titres où la guitare est fondamentale, et il en est de même pour 3 (1985) où la majorité des mélodies accrocheuses sont jouées avec cet instrument, bien que le synthétiseur y prenne une place plus large.


Pourquoi Indochine Mk1 est systématiquement réduit à de la pop synthétique ? Et qui plus est, à la fois par un Nicolas ayant fini par embrasser un cliché contre lequel il s'était battu, puis par l'actuel compositeur et ancien fan, qui vient conforter son patron dans cette méprise ?

Pour les deux cerveaux d'Mk2, la new wave (entendre ici la synthpop) et l'électro (entendre ici les musiques électroniques) seraient donc interchangeables. Nicolas confond new wave et EDM (electronic dance music) dans l'urgence de prétendre que les deux projets ayant porté le nom d'Indochine constituent un ensemble cohérent. 
 "Il faut revenir à l'essentiel. À la new wave."
Nicolas Sirchis dans Black City Parade, Le Film, 2012
 

S'il existe bien des liens historiques entre de nombreux défricheurs post-Kraftwerk de la fin des années 70, il n'y a pas d'équivalence entre la pop synthétique et les musiques électroniques sous prétexte de technologies ou sonorités communes. Autrement nous y ajouterions le rock progressif, le nu-jazz ou la musique de jeu vidéo. Les démarches d'écriture du chansonnier même derrière un synthétiseur, du compositeur électronique et du mix d'un DJ sont fondamentalement distinctes.

Indochine Mk2 pourrait donc aujourd'hui se vanter d'avoir fait partie du défrichage électronique, au moment de sortir un album très porté sur le synthétiseur comme 13. Nicolas se sent-il issu de cette cold wave lorsqu'il introduit "Station 13" ou lorsqu'il lance un arpégiateur au moment de présenter ses musiciens ?

Couverture de Sounds avec Florian Schneider & Ralf Hütter de Kraftwerk, novembre 1977

Quant à Berlin, la symbolique autour des cultures alternatives et du bouillonnement artistique a été tellement racontée et utilisée qu'elle est aujourd'hui galvaudée. On y vend aujourd'hui des vinyles de Bowie à la sauvette, pour les touristes friands de souvenirs estampillés #berlin
"J’ai toujours du mal à prononcer des phrases du genre 'Si le synthé sonne comme ci ou comme ça, c’est parce que nous étions à Berlin'. Je crois qu’il faut s’appeler David Guetta et être DJ pour s’exprimer ainsi."

Dave Rowntree (Blur), Air le Mag N°60, 2015
 
Nicolas est paradoxal dans la mesure où il lutte à la fois pour faire accepter une cohérence entre différentes entités musicales portant le même nom, mais également pour que son projet actuel soit accepté et reconnu comme bien supérieur à son groupe de jeunesse. 


Petit aparté nécessaire pour la suite : Nicolas avait déjà confessé préférer cacher sa personne derrière "l'anonymat d'un groupe". Mais l'équivalence, voire l'interchangeabilité conceptuelle, entre le chanteur et le groupe Indochine conduit Nicolas à fréquemment confondre "nous" et "je" quand il veut faire passer ses idées personnelles, ou même raconter ses expériences. Il se trahit souvent lors d'autocorrections spontanées "je... euh, nous". Cette généralisation peut aller du ridicule à l'insulte, notamment lorsqu'il s'agit de dévaluer Indochine Mk1, et dans ce cas le "on" est utilisé sans détour :
 "Oui, ça a évolué, heureusement, c'est euhhh... La voix s'est améliorée, euh, on joue mieux, euh... On écrit mieux, on compose mieux, j'espère, en 40 ans, qu'on a fait un peu de progrès.
Nicolas Sirchis, Radio Lac, août 2020

"Je suis beaucoup plus fier du Indochine de maintenant que de Indochine il y a trente ans. Pour la simple et bonne raison que euhhh... on s'est, on était totalement inconscient à l'époque, et de se présenter sur scène euh, sans savoir rien du tout euh, fallait un sacré culot quoi. Et euh, mais moi comme je suis très dur avec moi-même, là je trouve que, ça va là maintenant, euh... Le fait d'avoir euh, travaillé et... Je pense que... C'est digne d'être applaudi.
 
Nicolas Sirchis, TV7, Foire aux Vins d'Alsace, 2010

Ici Nicolas parle du groupe, et l'estime ignorant ou incapable, mais c'est bien de ses propres capacités musicales dont il est question : il était le seul à être entièrement novice. Même s'ils partageaient probablement tous les quatre l'enthousiasme candide de la jeunesse, le chanteur fut et resta le principal problème et défaut de ce groupe mené de main de maître par Dominique Nicolas, et permis par le professionnalisme de Stéphane et les progrès fulgurants de Dimitri.
"Pour le single 'Savoure le Rouge', lors de sa présentation à NRJ, ils avaient adoré mais n'en ont plus voulu quand ils ont entendu la voix de Nicolas."
Dominique Nicolas, Platine, 2004


"Le gros problème d'Indochine à ce moment-là c'est que chaque chanson aurait pu être un tube... mais pour d'autres artistes. Le problème, c'était Indochine, pas la musique."

Nicolas Sirchis à propos d'Un jour dans notre vie in Insolence Rock,
Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
 
Non, le problème c'était lui, et il est difficilement pensable de lui faire accepter cette réalité, encore aujourd'hui. Pour Nicolas, les problèmes d'Mk1 se trouvent chez les autres...
"Vous seriez du genre à réenregistrer vos classiques?
- Oui, mais ça choquerait trop les puristes. Pourtant, je sais qu’il y a des morceaux de notre première période qui sonnent mieux sur scène que sur album. L’aventurier, Trois nuits par semaine, 3e sexe, Canary Bay…

La nostalgie des fans tient justement sur l’aspect «imparfait» des sons de l’époque.
- C’est bien pour cela que je n’y toucherai pas. Je remarque juste des défauts, des mauvais breaks, tout ça. Je suis exigeant, ce qui a fait ma réputation d’emmerdeur."

Nicolas Sirchis, tdg.ch, septembre 2017


Nicolas sait, mais nous ne sommes pas d'accord. Les morceaux qu'il cite sont des exemples de compositions impressionnantes, de riches arrangements et d'une excellente production. Il serait intéressant de savoir à quels défauts et mauvais breaks il pense... 

"EM : On voit que en quarante ans, sur les vingt premières années on a huit albums, les vingt suivantes cinq albums...
- NS : Oui mais meilleurs ! Hahaha ! [...] Nan mais en fait, oui, ça prend plus de temps, pourquoi, parce que euhhh... Au début il y a une spontanéité, une inconscience d'écrire, par exemple quand on a écrit le troisième album, en 1984-1985, on a écrit euh, huit morceaux, pas un de plus, et on a gardé les huit. On aurait peut-être pas dû, y'en a peut-être certains qu'on aurait dû enlever mais c'est comme ça."

Nicolas Sirchis interviewé par Émilie Mazoyer, Europe 1, septembre 2020

Les morceaux auxquels Nicolas pense ici sont certainement "Hors-la-loi" et "Le Train Sauvage" (composé par Stéphane), puisque ce sont les seuls qu'Indochine Mk2 n'a jamais repris parmi les neuf morceaux de 3.
[Tes Yeux Noirs ] Quand vous entendez ça vous avez l'air assez satisfaits je crois, et vous pouvez...
- NS : Oh nooon, satisfaits non, bah... Moi je suis super critique, vis à vis de, ouais ouais...
- BM : Pourtant y'a cet album qui va sortir...
- NS : Bah entre 'Le Grand Secret' et 'L'Aventurier' y'a une différence quand même de...
- BM : Ouais c'est pas pareil.
- NS : (dédaigneux) Ahhh non c'est pas pareil non...
"

Nicolas Sirchis interviewé par Bernard Montiel, RFM, juin 2020

Nous espérons que cela n'arrive pas jusqu'à Dominique.

Voir : "3SEX" & Singles Collection 1981 - 2001
 
Quand Mk2 reprend "À l'assaut" dans sa version originale, Stade Pierre Mauroy, 2019
Nicolas n'a jamais fait secret d'apprécier les confortables travaux de Dominique sur lesquels il n'avait qu'à se calquer. Pour autant, il n'a visiblement jamais réalisé à quel point le compositeur travaillait. Pense t-il à des créations spontanées, un peu magiques, en opposition avec les années demandées de nos jours pour pondre un album ? Et les mois de douleur en studio pour transformer ses projets en chansons ?

Voir : Black City Parade, Le Film

"Le nombre de groupes ou d'artistes qui cherchent leur son... C'est le premier truc qu'on nous a dit quand on a commencé à faire des albums en studio: 'vous vous avez déjà le son quoi !" [...] On ne l'a pas travaillé, c'était inné, et c'est ça qui est magique."
Nicolas Sirchis, Radio Lac, août 2020

Rectification, Nicolas n'a jamais travaillé à forger le son d'Indochine Mk1, tandis que Dominique travaillait la guitare sans relâche depuis la fin des années 70. Il semble avoir à cœur de prouver la qualité des travaux récents en soulignant le temps passé à travailler les morceaux, souvent en l'opposant à la prétendue spontanéité des années 80, alors qu'il minimise délibérément l'exigence et le sérieux de Dominique et de Stéphane. En filigrane, Nicolas estime la musique d'Indochine Mk2 bien meilleure et fait passer son rejet de son ancien groupe pour de l'autocritique et de l'exigence. C'est extrêmement sournois et fallacieux, et nous nous questionnons sur la conscience avec laquelle Nicolas avance cette relecture scandaleuse.

Pourtant, il a déjà loué cette spontanéité chez Mk2 voire une certaine désinvolture :
"Un titre qui a été écrit à Paris en une journée. [...] Moi, pour le refrain, je voulais ce truc avec des lalala, donc on a tourné un petit peu, 5-10 minutes autour de ces accords, et puis c'est venu très, très vite."

Nicolas à propos de "Black Page", Rockmag, décembre 2005

"Ça c'est un titre qu'on a composé comme ça en une journée."

Nicolas à propos de "Vibrator", Rockmag, décembre 2005

"J'ai écrit les paroles en quinze minutes, et maintenant c'est un des morceaux que beaucoup de gens préfèrent."
Nicolas à propos de "Anyway" dans Black City Parade, Le Film, 2013

Voir : 2005 - Alice et June


Ainsi, sélectionner les titres les plus potables parmi des dizaines de démos faibles serait une plus grande preuve d'exigence que garder un excellent album livré clé en main par Dominique. En fait, l'exigence fournie par Mk2 est compréhensible et maîtrisable par Nicolas, là où celle de Dominique lui était inaccessible. Mais quelles que soient les époques, l'inspecteur des travaux finis semble incapable d'estimer le travail fourni par les musiciens avec lesquels il travaille.
 
Parce qu'il ne comprend pas la musique d'Indochine Mk1, et porté par l'engouement de son projet solo portant le même nom que sa précédente formation, Nicolas redéfinit la musique de cette dernière comme si la rejeter n'était plus suffisant. Il est très curieux de constater que, selon le discours dont il a besoin, il s'en sert pour se faire passer pour un vétéran, ou au contraire la discrédite pour valoriser son projet actuel.

Mais dans un cas comme dans l'autre, pour lui comme pour bon nombre de fans et même pour les journalistes - ici Yves Bongarçon, un ami personnel de Nicolas - relayant ses propos sans contradiction, le groupe porté par Dominique ne fut que le brouillon d'Indochine Mk2, qui lui serait un "vrai" groupe de rock sérieux et mature.
"Contre vents et marées, malgré des doutes, des disparitions et des coups durs, Sirkis a su faire tenir le cap à un navire âgé de plus de vingt ans. Mieux que ça : d'un boys band générationnel (en tout cas perçu comme tel) à date de péremption rapide, il a su faire un groupe de rock authentique qui ne cesse de se poser des questions et d'aller de l'avant."
Yves Bongarçon, Rocksound, avril 2002

 

"Comme pour beaucoup d'autres fans, c'est avec L'Aventurier que l'on a découvert Indochine au début des années 80. Et quelle découverte ! Plus besoin de se prendre la tête à essayer de décrypter les accords de Louis Bertignac ou de Nono de Trust. Avec Indochine c'était simple, amusant et vachement efficace.
Daniel C. Marcoccia, Rocksound, mai 2003


Les gratteux à disto, influencés par oLi De SaT, sont-ils capables de reproduire correctement les parties guitare de "Françoise" ou "Tonkin"
? Permettez-nous d'en douter - les partitions d'aujourd'hui sont infiniment plus faciles à décrypter, et ce d'autant plus qu'elles sont notoirement prévisibles. 

Nicolas - en mode Brian Molko - "Electrastar", 2002

Pourtant, dans son souci de plaire à la fois aux jeunes adolescents amateurs de gros son et à la presse cultivée, Nicolas s'efforce d'effacer l'image du groupe pop banlieusard nourri de BD et de cinéma, et de promouvoir une chimère rock bien parisienne à la frontière de l'underground et des galeries d'art.


Le Septennat (1988) consacrait déjà un chapitre entier sur la notion de rock, avec l'ambition de régler le sujet une bonne fois pour toutes :
"On se fout pas mal de savoir si nous sommes rock ou pas. Le rock est une appellation rythmique. Nous n'aimons pas les étiquettes."

Indochine in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988
En France, le rock dans son emballage américanophile a été très mal compris, mais l'appréhension de la  pop - comme réponse britannique  - semble être impossible, réduit à un stéréotype de récupération commerciale. Ironiquement, à force de contempler le rock, Nicolas a fini par faire partie des nombreux à être passés à côté du fait qu'Indochine fut un grand groupe pop français.

"Indochine, malheureusement, ça relève de cette sous-culture, c'est-à-dire la récupération de la new wave à des fins commerciales."

Christophe Bourseiller, Ce Soir (Ou Jamais), 2008


En considérant Indochine Mk1 comme un groupe juvénile et spontané, Nicolas se pense t-il cohérent musicalement avec les morceaux balisés d'Mk2, construits sur les mêmes suite d'accords, faits en une journée ?

En 2001, Nicolas évoquait ses envies d'un son plus direct.
"Moi, je dis que ça va être l'album punk d'Indochine ; c'est un peu une façon de parler mais il va y avoir de ça..."

Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
Visuel du single de "Punker", 2002 (un titre composé par Nicolas)

Assurément, le mot "punk" lui plaît. Mais le mouvement n'est-il pas évoqué ici comme une excuse à son incompétence musicale, lui à qui il faut systématiquement un acolyte musicien pour transformer ses limites au moins en fraîcheur ? Olivier Gérard permit en 2002 la synthèse entre cette candeur et une énergie power pop certaine : cette association engendra quelques titres efficaces, mais nous y voyons malheureusement une réinitialisation plutôt qu'une évolution naturelle. En d'autres termes : un tout nouveau groupe qui repart de zéro. Cela montre que Paradize est indéniablement le premier album, avec son côté do it yourself, d'un jeune groupe qui avait alors tout à prouver.

S'il s'agit d'une manière cohérente d'entendre l'aspect punk de Paradize, cela va néanmoins à l'encontre de la communication de l'époque qui présentait Indochine comme un groupe enfin mûr et éclairé.
 

Pourtant, Mk2 dut au moins attendre son troisième album (La République des Meteors, 2009) pour prétendre avoir atteint une vraie maturité, même si cela reste incomparable au regard de ce qu'était devenu Mk1 avant le départ de Dominique. Depuis, Mk2 a même sensiblement régressé.

Voir : 2009 - La République des Météors


Revenons sur Paradize. Plus ironique encore, le malentendu sur cet album, sorte de démo augmentée réalisée de manière très artisanale, et qui était censé remettre les pendules à l'heure avec la nouvelle crédibilité précédemment évoquée. Les guitares cradingues enregistrées directement sur ordinateur - du moins elles sonnent comme telles - étaient censées émuler celles de Nine Inch Nails, Manson, et des trucs comme ça. Pourtant, avec ses instruments virtuels et ses effets numériques datés, Paradize est indubitablement l'album le moins organique et le plus synthétique sorti sous la marque "Indochine". 

Cela ne doit pas être entendu comme un défaut, simplement ce que nous considérons comme un fait. D'autant que Paradize ne rejette en aucun cas l'utilisation des synthétiseurs, au contraire, toujours dans la lignée post-indus des NIN & co, l'essai de 2002 emploie ces instruments avec le désir d'en prouver une utilisation intransigeante.

Mais si certains gardiens du rock adolescent 90's et 2000's avaient visiblement embrassé ce rejet d'un certain cliché "années 80 synthétiques et superficielles" au profit d'une posture plus authentiquement rock, Nicolas la rejoint en courant. N'avait-il simplement pas compris la musique sur laquelle il posa sa voix pendant une quinzaine d'années ? Ou est-ce un moyen de prendre une revanche personnelle sur ses anciens compagnons de route ? Visiblement, un peu des deux.
"Quand on écoute Daft Punk qui dit avoir rendu 'un hommage aux années quatre-vingt' en prenant le pire de cette période, je suis plutôt fier d’avoir fait cet album-là. Pour moi, le meilleur de ces vingt dernières années, ça passe par Cure, New Order, Depeche Mode et Marilyn Manson"

Nicolas Sirchis, RFI Musique, avril 2002

Pensait-il en 2002 qu'Indochine Mk1 faisait partie du pire des années 80 ? Est-ce pour cela qu'il souligne sa volonté d'être affilié à certains groupes et artistes plus crédibles ? Quoi qu'il en soit, Mick Guzauski, mixeur du Random Access Memories (2013) de Daft Punk est au manettes de 13 et des récents remixages des Singles Collections.

À ce jour, beaucoup considèrent inconsciemment Paradize comme le premier album du groupe qu'ils aiment, et Nicolas semble être de ceux-là. Tel un aveu, c'est à ce jour le seul album à avoir eu droit à son concert jubilé en 2012, comme souvent pour les premiers opus, pierre angulaire de toute carrière.

Indochine Mk2, Paradize+10 au Zénith de Paris, février 2012
 
 
Mais entre deux piques adressées à Dominique, Nicolas semble reconnaître que :
"[Dominique] reste à mon avis l'un des plus grands mélodistes français. Avec sa guitare, en autodidacte, il a pondu des choses incroyables. Quand on décortique un peu les morceaux d'Indochine, on s'aperçoit qu'il y a un gimmick à chaque refrain, à chaque liaison, que sous des dehors de simple pop, c'est très riche.
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, juin 2010

Nicolas s'exprime ici avec une sensibilité d'auditeur externe, et est totalement dans le vrai.

Mais Indochine Mk1, malgré ses qualités musicales et une implantation très marquée dans la France de Mitterrand et Lang, ne semble pas représenter pour Nicolas une caution culturelle suffisante par rapport à ses propres références et velléités, d'où une refonte de son image via les discours officiels.
 


Nicolas est fondamentalement mal à l'aise avec l'Indochine pré-95 puisqu'il ne le maîtrisait pas, et à ce jour n'en maîtrise toujours pas la musique même comme auditeur. Ce sont donc ses souvenirs de simple chanteur, et sa vision personnelle des années 80 en France qui font office de nouvelle biographie officielle. Il a plusieurs fois insinué qu'il avait honte des débuts, comme si les clichés populaires sur les 80's ou même "Isabelle A les Yeux Bleus" fut la réalité de son groupe. 
"Il y a eu ce grand malentendu, les Inconnus imitant Partenaire Particulier, et les gens - ils avaient raison - ont pensé à Indochine. Au début j'avais jamais vu le truc, et on faisait que m'en parler, et lorsque je l'ai vu je me suis dit 'Attends, c'est nous, ils ont vu juste'."
Nicolas Sirchis, Rock&Folk, décembre 1991

Le moment précis où Nicolas "se" vit à la télévision, via le prisme de la parodie, fut-il le détonateur qui provoqua cette avalanche de réécritures ?

Voir : 1990 - Isabelle a les yeux bleus


Nous l'avions vu chez Yann Barthès 
en 2020, trahir sa gêne face à la musique d'Indochine Mk1, et éprouver une immense fierté quant à celle d'Mk2. Mais une nouvelle fois, le seul défaut de la musique d'Indochine 81-94, c'est Nicolas. En a t-il conscience ? Est-ce pour ça qu'il est si mal à l'aise avec Indochine Mk1 ?

Faudrait-il dès lors comprendre que c'est la voix le plus important dans un groupe, et que c'est sa maîtrise qui détermine la qualité de l'ensemble ? Non, évidemment. Mais il faut bien observer que pour beaucoup d'auditeurs francophones plus familiers des chanteurs solo (Nicolas inclus), il apparaît comme naturel de réduire un groupe à la personne qui se trouve derrière le micro. D'où une situation où Indochine = Nicolas est considérée comme parfaitement normale.

 
Quant aux guitares de Mk1, Nicolas Sirchis les rejette face à celles plus massives de Mk2, mais n'a jamais compris lui-même d'où elles venaient. Toutefois, les Fender Mustang lui ont été d'un grand secours lorsqu'il put expliquer qu'Indochine avait mis de la guitare avant Depeche Mode !
"Y'a 'Suffragettes BB', les sons un peu à la OMD...
- Tout à fait, effectivement c'est un peu ça. Euh, peut-être moins tubesque que 'Enola Gay', mais c'est 'tatatatata', ouais les séquences basses... Ouais même ou Depeche Mode aussi ouais. Quand Dominique était avec sa guitare, ça a donné le son Indochine euh, mélange d'électro et, et, de pop. Mais Depeche Mode a intégré la guitare beaucoup plus tard."

Nicolas Sirchis, Oui FM, septembre 2017

C'est vrai - même s'il n'a jamais été question d'électro chez Mk1. Mais l'analogie entre les deux groupes est inadaptée, et la place de la guitare chez l'un et l'autre est incomparable. Indochine a débuté comme un groupe new wave à guitares, influencé par le rockabilly et le reggae, et qui se retrouva en plein élan futuriste et romantique. Formé en 1979, Depeche Mode était un groupe totalement synthétique, suiveur de Kraftwerk, The Human League et Fad Gadget, et qui inclut au début des années 90 des guitares influencées par le blues, et même une vraie batterie.
 
Malgré la quasi-omniprésence actuelle de guitares distordues, de l'impressionnant Christian Eigner aux fûts, et même à ce jour d'une vraie basse, ils n'ont jamais cessé d'être considérés comme un groupe à synthés. Cela ne pose pourtant de complexe à personne, et surtout ne remet jamais en question les qualités passées et présentes du groupe de Basildon. Ils n'ont jamais ressenti le besoin d'actualiser ou faire coller à l'époque leurs morceaux antérieurs à Violator (1990), et les ont toujours joués avec les sons d'origine, sans que cela en altère l'impact et l'intemporalité.
 

En disant cela, Nicolas trahit évidemment sa vision de Mk1 comme un groupe à synthés, qui aurait été plus visionnaire que Depeche Mode quant à la place de la guitare au sein d'une telle musique. Fait-il, comme encore beaucoup trop de monde aujourd'hui, la confusion entre Indochine Mk1 et Partenaire Particulier ? Est-ce ce qui motiva l'envie d'un son plus radical, plus punk ? L'envie d'être le plus loin possible d'un groupe de garçons coiffeurs ?

Voir : Depeche Mode, 1990 - Isabelle a les yeux bleus


De nombreux morceaux d'Indochine repris par Mk2 l'ont pourtant été dans des versions très synthétiques - quand ils n'étaient pas expédiés dans des versions acoustiques réduites. Les sons et arrangements de Radio Indochine et d'Indo Live étaient déjà très cruels pour l'image "rock" que Nicolas voulait, jusqu'à la version synthpop de "Troisième Sexe" en 2018. Cependant, au cours du 13 Tour, "À l'assaut" retrouva son arrangement d'origine, uniquement à la guitare électrique.

Au delà d'Indochine, beaucoup de musiques des années 80 souffrent de nombreux malentendus, mais elles n'équivalent pas en France à ce qu'elles furent au UK, d'où une très mauvaise image. Indochine faisait partie des très rares à pouvoir rivaliser avec les propositions pop britanniques, malheureusement restées pour beaucoup d'entre elles marginales en France. D'ailleurs, alors qu'Indochine a souvent été comparé à Depeche Mode ou à The Cure, les quatre parisiens étaient pourtant plus proches des Smiths. En poussant l'analogie, Dominique Nicolas pourrait être considéré comme un équivalent français de Johnny Marr.
 
Le quatuor anglais n'eut toutefois pas un énorme retentissement au pays des 300 fromages, alors qu'il provoqua au Royaume-Uni un gigantesque phénomène de société. Comme Indochine chez nous - toutes proportions gardées, ce fut le groupe d'une génération, d'une époque.

Voir : The Cure, Pourquoi Indochine Mk2 ?

The Smiths
"Brian Molko : C'est [Johnny Marr] qui a inventé le son indie.
Nicolas : Je trouve ce son très pervers. C'est un son qui vient du glam et de Mick Ronson, pour dévier des sons plus clairs à Rickenbacker."

Interview croisée de Brian Molko & Nicolas Sirchis, Rocksound, octobre 2000
Voir : Placebo


Les sons plus clairs à Rickenbacker plaisaient assurément à Dominique Nicolas. Mais comme ni The Smiths ni l'indie ne font partie de l'univers de Nicolas,  il ne peut pas comprendre ce dont parle Molko : un jeu rapide et urgent, avec un son clair mais tranchant. Trop absorbé par son rejet des guitares carillonnantes, il enchaîne sur Mick Ronson, et c'est peut-être ce qu'il entend par pervers : de la distorsion et du maquillage recouvrant une masculinité équivoque. Son manque d'anglophilie laisse un gros doute sur sa capacité de compréhension du phénomène glam autre qu'une fascination adolescente pour les looks et les pochettes, sur laquelle il ne semble jamais être revenu. Nicolas manque pourtant une occasion en or de faire un lien très pertinent entre Dominique et le guitariste des Smiths, dont Brian Molko confesse l'immense influence.
 
Johnny Marr, avec sa Rickenbacker
 
D'où vient la musique de Dominique ? D'influences aussi diverses que digérées comme The Sex Pistols, The Police, Stray Cats, The Clash, Heaven 17, Joe Jackson, The Beat, B 52's, U2, etc. 
"Sting est un des meilleurs compositeurs de ces cinq dernières années. Avec Police, il nous a beaucoup apporté. Indochine lui doit pas mal aussi, et on doit l'en remercier."

Dominique Nicolas, Stars Magazine, octobre 1986

"J'ai des influences mais je ne copie jamais rien ! Indochine n'est pas un sous-autre chose. Je crois que nous avons créé un style Indochine qui est tout de suite reconnaissable.
Dominique Nicolas in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988
 
Et Dominique a raison, d'où une difficulté encore énorme pour une grande partie du public - Nicolas inclus - à identifier ses influences. The Police, cela semble faire ricaner le chanteur d'Indochine, comme lors de cette conférence à la Fnac de Lyon en 2009. Chaque musicien était invité à parler de ses idoles, et monsieur avait son petit commentaire sur tout :
"Shoes : The Police.
- Nicolas : Ah ouais...
- Très fan de The Police. Grâce à eux j'ai pu continuer...
- Continuer... [rire]
- Continuer, et développer mon sens de la musique."
The Police

The Police n'était-il pas assez provocateur ou assez sexuel pour Nicolas ? Quoi qu'il en soit, la parenté sonore avec la musique de Dominique s'entend encore aujourd'hui. Mais pour ici non, c'était simplement une manière de faire passer François Soulier pour un ringard.


Très actif dans les années 80, Nicolas semble n'avoir pas plus de clairvoyance sur ce que furent les musiques de cette époque, à commencer par celle sur laquelle il posa sa voix. Comme beaucoup de choses sont arrivées par accident, et que lui semble avoir couché ses textes sur le papier dans l'inconscience, il ne comprend plus ce à quoi il a participé, et devient même incapable de capitaliser sur ce qu'il a pu faire de bien. C'est pourquoi, trop occupé à le discréditer, il se trompe autant lorsqu'il évoque son ancien groupe, alors qu'il devrait être fier d'en avoir fait partie.
"Si vous ne pouvez pas expliquer quelque chose simplement, c’est que vous ne l’avez pas bien compris."
Albert Einstein

Il existe de nombreuses situations où Nicolas ressemble à un lycéen débarqué à un examen oral sans avoir révisé, essayant alors de flouter l'examinateur avec du baratin. En ce sens, oui, Nicolas est resté très adolescent, mais dans ses aspects les plus irritants. Nous sommes très loin de la représentation romantique d'un Peter Pan ou d'un Dorian Gray. Y'a t-il seulement un sujet, un domaine que Nicolas maîtrise, à soixante ans passés ? 
 

Par exemple une question simple : c'est quoi Indochine ?

Dans les faits : un groupe new wave formé en 1980, branché BD, exotisme et rock, ayant diversifié ses influences au cours d'une quinzaine d'années et six albums avec Dominique Nicolas, directeur artistique de l'époque. Celui-ci étant parti en 1994, le projet se recentre sur les jumeaux Sirchis puis, suite à la mort de Stéphane, sur Nicolas seul. Celui-ci embaucha plusieurs musiciens professionnels pour faire survivre la marque "Indochine", restant alerte jusque dans les années 2010 sur les différentes modes qui entourent la pop et le rock.

Pour le très bavard chanteur, les choses sont différentes. Si nous avons déjà souligné ses approximations et erreurs sur son ancien groupe, il faut aussi comprendre le calcul dans ses interventions. Et par conséquent le changement de son discours selon la situation ou le besoin. Dans chaque communication officielle, la promotion et le matraquage étudié de mots-clés annulent et remplacent la précédente publicité. Pourtant, l'indophile qui n'aurait pas jeté la précédente bible y constatera probablement de nombreuses incohérences dans les descriptions et explications du chanteur-leader.

Si le nouvel album à vendre...
  • met les synthés en avant : alors Indochine a toujours été synthétique / pop
  • met les guitares en avant : alors Indochine a toujours été électrique / rock
  • a un esthétisme sombre : alors Indochine a toujours été romantique / dark

"Il ne s'agit pas d'un nouvel univers. Celui-ci a toujours été 'dark'."


Nicolas en 2004 à propos du nouveau visuel d'indo.fr.

Voir : 1999 - Dancetaria, Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran

Indochine serait donc un peu de tout. En fait, la richesse d'Indochine Mk1 arrange beaucoup Nicolas depuis sa carrière solo et lui permet d'y piocher l'exemple lui permettant d'assurer sa promotion du moment avec le discours approprié, calqué sur la mode. À ce jour, c'est dans les guitares censées annuler l'image synthétique d'Indochine Mk1 qu'il a mis le plus d'énergie.

Mk2 au Grand Rex en 2011

Indochine Mk2 fait aujourd'hui ses albums en meetings, et joue en concert sur une timeline, brossant le cuir des pires clichés sur les musiques électroniques : "il suffit d'appuyer sur un bouton". Nicolas a même un métronome et des décomptes dans ses oreillettes. C'est extrêmement paradoxal.


Comment Nicolas cherche t-il à atteindre le crédit qui lui a tant fait défaut ? Pas en développant ses aptitudes musicales ou textuelles, mais par des choix marketing sur les arrangements calqués sur la mode, doublés de références artistiques et institutionnelles, éblouissant la jeunesse d'esprit de son nouveau public. Et, plus grave, certaines figures influentes de l'audiovisuel, estimant que oui, il est valorisant de fréquenter et défendre ce groupe-là. 



Le rock et la pop ne faisant pas partie de la culture française, il y a forcément une certaine éducation inévitable voire indispensable, pour appréhender son contenu et sa signification culturelle
lorsqu'on n'est pas soi-même anglo-saxon. Malheureusement en France, cette exigence est trop souvent confondue avec un certain snobisme, que Nicolas a pourtant pourfendu comme responsable de son manque de crédibilité, alors qu'il a lui-même profondément assimilé ce comportement.

Voir : Étienne Daho


Plus véritablement qu'une certaine érudition, la logique qui dessine les contours d'Indochine Mk2 semble être plutôt celle de la compensation :

Ce sont ces compensations qui sont perçues par le public - et affirmées par Nicolas - comme l'essentiel du contenu d'Indochine Mk2.


N'oubliez pas que, conformément au phénomène de l'idole, le système de pensée de Nicolas se réfléchit très largement chez ses fidèles. Les plus vierges musicalement parlant découvrent parfois groupes et artistes uniquement au sein des interviews ("Qu'est-ce que vous écoutez en ce moment ?") et réseaux sociaux. Le discours d'Indochine Mk2 devient donc le cadre de pensée au sein duquel se développe leur représentation du paysage musical, avec pour chacun la sensation naissante de devenir, comme Nicolas, un soi-disant initié
Cela est très perceptible au sein du fandom, où différentes formes de hiérarchies basées sur une sorte de "capital indochinois" sont observables.

Cette mise à jour de l'auditorat du nouveau millénaire permit à l'intéressé de présenter Indochine comme étant devenu un groupe d'érudits, et non plus un boys band pour adolescents. Pour autant, cette contraction de malentendus rend la dissonance encore plus stridente entre Mk1 et Mk2. Un grand nombre de fans actuels ne portent, au mieux, qu'un intérêt poli à Mk1 car "c'est quand-même Indo", dans la croyance que le groupe aurait logiquement suivi une évolution naturelle et qualitative. Il se serait tout simplement bonifié avec le temps, alors que l'histoire du nom Indochine et des musiques associées est bien plus complexe. En acceptant les réflexions désobligeantes de Nicolas sur le vieil Indochine, ses fans le prennent à leur tour pour un groupe naïf de jeunesse, ce qui leur permet de tolérer les différences énormes avec leur groupe préféré. 
"La France a une perception différente du rock de celle des pays anglo-saxons. [...] Il est assez ironique, d'ailleurs, de constater que le rock, pilier de la culture populaire britannique ou américaine, joue en France un rôle inverse : musique d'initiés, il crée une hiérarchie  entre ses amateurs revendiquant à travers lui une certaine éducation culturelle, et le grand public, parfois assimilé avec mépris à la 'France profonde', dont les seuls divertissements seraient Intervilles ou les disques de Johnny."
 
 Julien Demets, Rock & Politique, l'impossible cohabitation, Autour du Livre, 2011
 
Chez Nicolas, sa recherche effrénée de crédibilité trahit aussi une mentalité très petit bourgeois 
  • Les enfants et les beaufs liraient des bandes dessinées, regarderaient la télévision et écouteraient de la musique commerciale.
  • Les esthètes liraient des romans, iraient voir des expos et écouteraient du vrai rock, David Bowie, Patti Smith, Lou Reed.
Voir : La menace du rock alternatif, Marguerite Duras et la bande dessinée, avec les "vrais livres"


Indochine Mk2 au moment de Paradize était bien un tout nouveau groupe, qui n'avait même que très peu à voir avec le collectif de Wax. Mais avec le prétexte de l'histoire, de la carrière, une attitude de survivant revanchard et grâce à la marque Indochine, les adolescents de 2002 purent écouter un tout jeune groupe avec l'impression d'écouter un vieux groupe culte. 

Indochine Mk2, 2002
 Voir : 2002 - Paradize


Une nouvelle fanbase se constitua, et au fur et à mesure que Nicolas reprenait confiance en lui, sa parole devenait de plus en plus empreinte de maturité et de charisme.

En fait, ces fans-là ne sont pas fans d'Indochine mais de Nicolas.

Ils n'ont que faire de la musique et de son histoire : leur affection est principalement portée sur l'image et les récits de la star, accréditant par-là tout son travail de réécriture à son avantage. Son autorité est telle que c'est lui qui cadre l'écoute ou la description des albums. Les vieilles compositions, même meilleures, seraient des erreurs de jeunesse à côté d'un Mk2 plus professionnel et qualitatif. L'hydre Indochine serait fondamentalement le même groupe, raturé et rectifié, mais cohérent, parce qu'officiellement c'est comme ça.

Nous pensons également que l'influence de Nicolas est catastrophique pour son public actuel. En effet, son projet marketing présenté comme l'alpha et l'oméga de la musique, en tout cas française, induit une inévitable altération du paysage musical afin d'occulter toute contradiction. La construction des goûts musicaux étant dialectique, elle se fait à la fois par adhésion de ce qui est perçu comme plaisant, qualitatif ou valorisant, et par rejet de ce qui est désagréable, médiocre ou honteux. Ici, les formations valorisées  n'ont d’intérêt que parce qu'elles sont des références pour Nicolas.

Évidemment, cela est intrinsèque au statut de fan. Mais pour diverses raisons, les groupes cités comme argument de crédibilité/autorité ont rarement trouvé un écho dans le public d'Indochine Mk2, au delà des très grosses modes comme Placebo ou Marilyn Manson. Cela est compréhensible puisque les références de Nicolas ne sont pas celles d'un mélomane ou d'un passeur, mais celles d'un communicant. Les artistes évoqués ne servent qu'à créer un décor pour Indochine Mk2 le temps d'un album, et transformer les interventions du chanteur en arguments d'autorité.



Pourtant, Indochine Mk1 avait tout pour inviter chacun à élargir sa curiosité, et son paysage culturel, dans l'effervescence des années 80. Mk2 au contraire, derrière une posture de groupe sérieux et cultivé, semble ne viser que les plus vierges musicalement, voire les maintenir dans une certaine candeur adolescente afin d'entretenir la disponibilité de leurs oreilles. Nicolas use, avec un niveau de conscience difficilement mesurable, d'un certain effet Barnum afin que chacun puisse se reconnaître dans ses paroles et estimer Indochine comme le groupe parfait. Dès lors qu'on croit avoir trouvé le Saint Graal, pourquoi aller plus loin ?

Les fans d'Indochine Mk2 sont connus pour être très bruyants, et pour leur attitude lobbyiste et dogmatique sur Internet. Pourtant peu sont capables d'éveiller un intérêt auprès de ceux qui auraient suivi d'autres directions musicales, à l'instar de Nicolas qui n'a jamais su se rendre intéressant auprès d'un public non-fan. 
"Mais même quand on n'en parle pas, quand ce n’est pas l’événement du moment, les gens sont attirés par Indochine et vont chercher la musique, par eux-mêmes. Les fans du groupe font un lobbying très puissant, ils font écouter nos chansons à d’autres qui leur répondent : ah, on ne savait pas que c’était comme ça !"

Nicolas Sirchis, RFI Musique, avril 2002

Comme souvent, ce sont ses rêveries et spéculations qui font office de factualité.

Indochine Mk2, 2020
 
Qu'Indochine aujourd'hui soit le même groupe que dans les années 80, dont Nicolas garderait l'âme, et qu'il aurait simplement évolué, est une extraordinaire foutaise. 

Ce sont ces malentendus précédemment développés qui propagent autant d'absurdités sur les deux groupes nommés Indochine. L'inculture de Nicolas, la promotion, le soutien des médias et des fans diffusent trop de contrevérités sur les protagonistes qui ont permis Indochine Mk1. Et cela devient pour nous aussi inadmissible qu'injuste. 
 
Le fait que Nicolas soit si peu à l'aise avec l'image de son ancien groupe explique son besoin de réécrire sa carrière, mais ne peut en aucun cas le justifier. Au vu de l'histoire de ses groupes, nous nous questionnons doublement sur ce besoin étrange de révisionnisme, effectué avec tant d'énergie et de culot, le tout dans une telle consensualité publique et journalistique.


Les discographies des groupes dont il a fait partie - ou dirigé - présentent suffisamment de qualités et une évolution assez remarquable pour ne pas avoir à tordre les faits. Pourtant Nicolas est bien trop coincé dans son rôle de communicant pour se soucier d'honnêteté intellectuelle et de pertinence musicale. Conséquemment, et c'est assez regrettable, il n'a toujours pas compris qu'il a fait partie d'un des plus brillants groupes pop français.
 
Dans le cas d'Indochine, écouter les disques ne semble pas  être suffisant pour identifier convenablement ce qu'il faut y entendre. Il est aberrant qu'un tel travail de recherche documentaire soit nécessaire pour annoter le roman indochinois officiel avec un tant soit peu d'exactitude.

Nicolas en discussion avec Émilie Mazoyer, Europe 1, 2020

Adolescent dans les années 70, Nicolas semble avoir été marqué au fer rouge par les aspects les plus superficiels de cette époque, qui vit l'idéal révolutionnaire du rock des années 60 se fondre dans sa récupération capitaliste. Soit le début d'une perception de la musique rock comme produit culturel, une importance capitale donnée aux vêtements et au spectacle, et la transformation des auditeurs en consommateurs de hypes. Sa manière de parler des vêtements et des pochettes de David Bowie est profondément éloquente quant à la priorité non dissimulée conférée au visuel. Et même si Nicolas fait sienne la dimension punk d'Indochine Mk1, elle ne lui sert finalement qu'à cautionner une très profonde incompétence, même comme directeur artistique. À la différence d'un David Bowie ou d'un John Lydon qui ont toujours su commenter pertinemment leur époque et diriger leurs musiciens, les interventions de Nicolas ne font bien souvent que révéler une incompréhension notoire des phénomènes culturels cités.

Voir : David Bowie, 1996 - Wax


La simplicité artisanale que le punk et la new wave défendaient était surtout une façon de mettre en valeur un discours, une prise de position générationnelle. Nicolas, lui, trahit un manque de contenu flagrant, notamment lorsqu'il réalise devoir se servir de l'actualité de ces quarante dernières années pour implanter un peu de matière dans le discours indochinois, manifestement assez insignifiant. Au mieux quelques postures morales, fondées sur un discours aussi convenu qu'instable.

"On a traversé ces quarante dernières années comme des observateurs, on a vu des choses bien, des choses moins bien."

Nicolas Sirchis, France Bleu, juin 2020

Pourtant, Indochine est toujours seul dans son créneau : cela aurait dû continuer d'être salué, mais depuis Mk2 cela est devenu très problématique. Le savoir-faire des musiciens ayant pris part au projet, y compris ceux encore présents, doit être souligné, mais Nicolas est aussi omniprésent qu'indéfendable. S'accaparant toute la lumière, ayant peu à peu évacué toute possibilité de contradiction, il remise dans l'ombre ou ridiculise les musiciens qui ont joué pour lui. Leur musique et leur travail s'en voient alors ignorés par tout un public, qui tourne systématiquement le dos à Indochine du fait de la présence de Nicolas. Et nous ne pouvons pas lui en vouloir. À ce jour au sein d'Mk2, les musiciens qui l'entourent ne servent qu'à déguiser sa carrière solo en groupe, et à mettre en forme ses plans. Indochine a été aspiré par Nicolas, sa légitimité récupérée et son histoire réécrite pour ne garder que lui.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine, Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran


Même s'il en a pris le nom et la direction, et même s'il en donne l'impression, Nicolas n'a jamais su assumer Indochine, son originalité et l'excellence de la première formation. La seule qualité que l'on puisse lui reconnaître est celle d'un manager. Nous ne nions pas l'importance d'un tel rôle pour un groupe, mais le cas d'Indochine Mk2 se révèle d'une rare impudence, et ressemble énormément à la métamorphose des partis politiques en entreprises. Il n'est fondamentalement plus question ni de musique (ou alors comme produit à vendre) ni d'un quelconque propos, mais plutôt de la gestion d'un collectif de personnes autour d'un projet musical rémunérateur, adapté à son époque comme une start-up
"Oui oui mais je vais les amener faire de l'accrobranche là, juste un peu avant... Du saut à l'élastique, tout le truc... Pour ressouder le groupe, tu sais."

Nicolas Sirchis interviewé par Émilie Mazoyer, Europe 1, septembre 2020

La formation est donc une entreprise à but lucatif, et ce sans aucune forme d'ironie, de critique ou méta-commentaire sur le consumérisme, les charts ou la consommation de musique. Pour Nicolas, tel que le prône l'actuel néolibéralisme dominant, il faut s'adapter au monde, tel qu'il est.


Mais il n'existe pas de lien strict entre une méthode ou attitude dite professionnelle et la qualité d'une proposition artistique. N'oublions pas que les stéréotypes du grand patron créateur de richesse et de l'artiste dans sa tour d'ivoire sont extrêmement valorisés et récompensés en France, indépendamment de la réalité de ce qu'il produisent au quotidien.

La distance naturelle de la France avec une culture rock et même pop, doublée à la candeur de son public, le sert dans ses révisions du passé. Mais ici l'orateur est ignorant, et ne professe que grâce à un pouvoir de séduction. Comment ses élèves pourraient-ils alors être autre chose qu'une audience stérile et pâmée ?
 
Les fans de Mk2, réduits à des consommateurs extasiés, méritent mieux que ça. Malheureusement, il nous faut bien observer que Nicolas, non content d'être la raison pour laquelle tant de gens détestent Indochine (Mk1 & Mk2 confondus), est un frein par rapport à ce qu'Mk2 aurait pu être. Nous ne pouvons nous empêcher de tenter d'imaginer sa musique, qui sans Nicolas pour freiner les velléités de chacun, serait indubitablement plus riche, audacieuse et originale. Au lieu de ça, la vacuité d'Mk2 ne fait que souligner la superficialité d'un leader bien trop influent, qui attire et conforte autour de lui l'inculture et la léthargie intellectuelle. Involontairement, il souligne aussi l'inconséquence d'une société, d'un système et d'une époque. 

Fin 2020, l'intérieur du boîtier de Singles Collection 1981 - 2001 présente une photo de Nicolas seul, avec trois fauteuils vides.

 
Nicolas a plusieurs fois répété que c'était le public qui avait su faire la différence. Mais après quarante ans de musique, d'interviews et de communication, le saura t-il encore ?



À lire également :

Hagiographie d'Indochine sur le site du X Festival (plausiblement écrite par Nicolas)
 
"Indochine, l'unique survivant" (Patrick Eudeline, Rock & Folk)