Pour ceux qui ne se sont pas demandé pourquoi Indochine apparaissait dans une émission "hommage à Brel" avec une chanson anglophone, il s'agit d'une adaptation du Moribond par le chanteur canadien Terry Jacks, datant de 1974, et qui constitue son plus grand succès.
Si vous êtes lecteur de ce blog et/ou si votre mémoire ne vous fait pas défaut, vous savez qu'à cette époque Nicolas bataillait pour faire accepter une image d'anglophile et s'éloigner de toute accointance avec la dite variété française. C'est ce qui explique aussi en partie ce look entre Oasis et Blur, au milieu de cette émission très française : J'vous ai apporté des chansons...
Nicolas ne connaissait les paroles, et potentiellement, la chanson, que depuis peu de temps.
"Je leur permets alors de participer à leur première télé depuis un bail, pour une spéciale Jacques Brel pur mes débuts sur France 2 à la rentrée 1998. Typiquement, et pour bien marquer leurs distances avec la chanson française, même brechtienne (et kurtweillienne), le groupe ne se lance pas dans 'Amsterdam', même version David Bowie. Tout au contraire, il choisit 'Le Moribond' dans sa version pop américaine, à la mélodie sans grand rapport avec l'original, mais qui fut numéro 1 en 1974 : 'Seasons in the sun' par Terry Jacks, dont je déchiffre les paroles à l'oreille pour Nicolas."
Yves Bigot, Un autre monde, p.161, Don Quichotte, 2017
C'est donc Yves Bigot qui aurait gracieusement proposé cette émission à Nicolas malgré les relations glaciales entre les deux hommes, il est aussi possible que Virginie Borgeaud - manageuse d'Indochine et compagne de Bigot - ait joué un rôle de médiatrice. Nous arrivons alors dans cette situation typique d'un groupe invité dans une émission à thème, et qui doit trouver, dans l'urgence, quelque chose de cohérent à y faire.
C'est aussi, comme beaucoup le savent déjà, la dernière apparition de Stéphane Sirchis, et la deuxième d'un Boris Jardel déjà très à l'aise (sa première étant Les Années Tubes plus tôt dans l'année). Ce dernier n'était à l'époque qu'un guitariste de session de plus, et n'imaginait pas faire d'Indochine son activité principale. Ce que ne devait pas savoir le réalisateur de l'émission, qui privilégie énormément le petit nouveau au montage, au détriment de Stéphane. Il est bien sûr difficile de savoir si cela a été fait à dessein ou non.
"Je
suis arrivé en février 1998, quand mon ami Maxime m'a informé qu'ils
cherchaient un guitariste. J'ai vu Nico chez lui, il m'a donné les infos
du groupe, on a regardé une vidéo, papoté. J'avais un souvenir de "3",
et j'étais agréablement surpris par la couleur très rock que prenait le
groupe. On a passé deux heures ensemble, puis il m'a convié à une
audition quelques jours après, et sur les dix mecs présents, c'est moi
qui étais (sic) retenu pour l'Indo Live tour, d'une vingtaine de dates. A
la fin de cette tournée, Nicola m'a demandé si je voulais rester pour
les enregistrements en studio. J'ai posé mes premières guitares en
studio sur 'Dancetaria'. Je jouais avec L'Affaire Louis' Trio à ce
moment-là. Auparavant, j'avais joué dans le système Sinclair, et
accompagné Vanessa Paradis ou Axel Bauer. J'étais un sideman, quand il
fallait un guitariste rock, ma réputation de fan de british rock me
précédait. C'est ce qui me plaisait, et quand on cherchait ce style,
c'était moi qu'on appelait"
Boris Jardel in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011
Live Tour, Le Bataclan (Paris), mai 1998
Boris oublie ici de mentionner "Seasons in the sun", qui est bien son premier enregistrement avec Indochine et dont il se souvint d'ailleurs plus tard. Mais dans le même livre, à propos du Live Tour :
"Puis
Stéphane est tombé malade, il était hospitalisé, mais on avait des
concerts prévus. Je faisais de mon côté une thérapie, parce que c'était
violent de voir son frère jumeau se dégrader. Mon thérapeute m'a
conseillé de faire ces concerts, de penser à moi. Je suis allé prévenir
Stéphane, il m'a dit 'ok, fais ces concerts, puisqu'il faut les faire'.
On a fait ces trois ou quatre concerts sans lui, je prévenais le public
qu'il était malade, et je prenais sa place à la guitare. On avait fait
un Bataclan. Ça se passait toujours bien."
Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011
Il est très aisé de narrer une page discrète et lointaine de l'histoire à des fans récents, mais le Live Tour compta quinze dates. L'un exagère ses souvenirs, quand l'autre minimise à fond son choix d'assurer une tournée sans son frère, "malade comme un chien". Quant au fait de prendre sa place à la guitare, laissez-nous rire fort.
Nous nous demandons encore comment il se fait que Stéphane bien qu'exclu du Live Tour, soit tout de même apparu pour Les Années Tubes, La Fureur à Bercy (juin 1998) et donc J'vous ai apporté des chansons en octobre. Sa guitare y est, comme toujours à cette époque, quasi-inaudible, tout comme sur le mix de la version studio offerte plus tard sur indo.fr à l'occasion des 200 000 connexions. Le site n'oublia d'ailleurs pas de préciser qu'il s'agissait du dernier morceau enregistré avec Stéphane (voir annexes).
Nicolas à Bercy pour La Fureur en juin 1998
C'est étonnant pour un Dancetaria où il est bien présent, promotionné jusqu'à aujourd'hui comme l'album où l’on peut entendre les derniers riffs de guitares de Stéphane Sirkis. Mais la réponse semble être la présence physique de Stéphane en studio pour "Seasons", alors que l'album de 1999, dont l'enregistrement à proprement parler a débuté après la mort du guitariste, comprend des extraits de démos enregistrées en pré-production.
C'est en tout cas le premier morceau studio où Nicolas chante en anglais, et malgré les apports du montage, il a fait bien pire que ça dans le futur. Mais l'Angleterre et sa musique semblait vraiment être aussi exotique que sa langue, pour ce Nicolas épuisé par les années 90. Il n'avait notamment pas compris que l'anglophilie ne consistait pas nécessairement à nier tout ce qui était français ou francophone.
"Brian Molko : Si tu as habité la Belgique, tu dois connaître Brel.
Nicolas Sirchis : J'étais à l'école avec sa fille. Mais je dois dire que je ne suis pas un grand fan de Brel.
- Vraiment !?! Absolument tout ce qu'a fait Brel me touche. Totalement."
Interview croisée, Rocksound, 2000
Le Nicolas de cette époque, obsédé par Placebo, creusait le fossé entre lui et des personnalités plus érudites comme Brian Molko ou Morrissey, extrêmement francophiles. Le chanteur de Placebo se fit d'ailleurs remarquer en 2010 avec une reprise spectaculaire du chanteur belge, "Ne me quitte pas".
Puis subitement, en 2021, à la télévision belge :
"Léo Ferré, Georges Brassens, j'ai jamais été là-dedans, ça me parlait pas. Jacques Brel, j'ai écouté son album là, Les Marquises, j'étais ouaaah... Ça c'était fou. Ça m'a floué. Parce que là, il écrivait comme un paysage, il écrivait comme Duras, c'est à dire qu'on voyait les images."
Nicolas Sirchis, Une belge histoire, RTBF, décembre 2021
On voyait les images. Franchement, est-ce là une analyse de quelqu'un qui lit beaucoup ? Non, Nicolas improvise avec des éléments tout faits, afin de fournir dans l'urgence une réponse à la question qui lui est posée. En espérant que ça enchaîne en face.
Nous avons choisi de ne pas dater la naissance d'Mk2 à Wax, puisque selon notre analyse, la gestation du projet que nous connaissons aujourd'hui a pris plusieurs années, et Indochine Mk2 apparaît vraiment avec la troisième tentative de premier album : Paradize. (Voir les articles correspondants) Cette période d'incertitude, d'inconsistance et d'incompréhension sera à partir de 2001 appelée trilogie. Mais en 1998, un an avant Dancetaria, où Nicolas allait expliquer qu'Indochine avait toujours été dark, nous n'avions affaire à rien de plus qu'un titre fantôme joué par un groupe fantôme.
"Personne en France ne veut plus d'eux pour autant. Max Guazzini, tout-puissant patron de NRJ, nous l'affirme clairement un soir chez Lionel Rotcage : 'un cas difficile.' Un euphémisme."
Yves Bigot, Un autre monde, p.162, Don Quichotte, 2017
Une dissonance taboue semble exister entre deux éternels adolescents de la pop française, deux têtes d'affiche d'une hydre 'french pop' pourtant très racontée.
"C'est vraiment très spécial, définir ce que représente l'importance de vos dizaines et dizaines d'années maintenant, de chansons. Vous êtes l'incarnation en fait, de la pop française. Y'a eu la pop américaine, qui était vraiment le mainstream, la musique populaire. Y'avait les chanteurs contestataires, les rockers, le rythm'n'blues, etc. Mais la pop américaine c'était vraiment du hit-parade. Puis y'a eu la pop britannique, qui a été extrêmement porteuse de nouvelles vagues musicales, qui vous ont énormément enthousiasmé lorsque vous étiez enfant [Daho - bien sûr.], adolescent, qui ont toujours ajouté dans leurs paroles quels que soient les rythmes de danse, quelque chose de social, quelque chose de poétique, quelque chose de révolté, espace de liberté. Et y'avait peu de traductions en France. Même si on avait des chanteurs extraordinaires dans nos années d'adolescence, y compris dans les vôtres. Et puis, y'a eu cette french touch de la pop, avant la french touch techno, qui a été inventée par Étienne Daho, et dont il maintient la cuisson à bonne température, depuis 40 ans."
Pierre Lescure face à Étienne Daho ("L'empereur de la french pop"), C à Vous, décembre 2017
"Nicolas, on a rappelé ces chiffres dingues, les prochains concerts que vous avez annoncés pour Lille, le premier, les 28000 places se sont arrachées je crois en 5h30, fallait vraiment être le plus rapide sur la balle, euh... Depuis le départ de votre histoire, et de l'histoire d'Indochine, elle est belle, elle peut être quelquefois grave, mais elle est belle et romanesque. Y'a comme les trois mousquetaires, y'a un '20 ans après', y'aura même maintenant deux fois 20 ans puisqu'on approche des 40 ans... Indochine, dont personne ne voulait tout à fait être convaincu du nom, en 82. [...] N'empêche que dès 82, un an après la formation d'Indochine, la France entière chante et danse sur ce morceau ! ["L'Aventurier" ♫] Et Nicolas, tout à l'heure vous avez évoqué effectivement cet effort de créativité, de production, que vous voulez imprimer à chacun des concerts, à chacune des nouvelles tournées ou presque, parce que vous voulez qu'à chaque fois, y'ait du spectacle, que les fans qui viennent, quelle que soit leur ancienneté, aient quelque chose de nouveau. Nicolas - Bah, c'est à dire que vu la longueur de la carrière il vaut mieux proposer... (rires)"
Pierre Lescure face à Nicolas Sirchis ("Indochine, l'événement !"), C à Vous, janvier 2019
Les deux C à Vous et les éditos respectifs de Pierre Lescure face à Étienne Daho puis face à Nicolas Sirchis exposent cette dissonance. Un vocabulaire extrêmement mélioratif et un champ lexical de la qualité et de l'influence pour l'un, celui de la quantité et des dimensions pour l'autre. Même le ton de la voix de Lescure est différent.
Nous pouvons aussi rapprocher les deux chanteurs pour s'être farci une image de chanteurs dits à minettes ou à posters
dans les années 80 ainsi que des critiques sur leurs voix, comme Jean-Jacques Goldman. Une génération précédente plus ancrée dans un certain rockisme, plus masculine aussi, semblait voir cette nouvelle vague d'un très mauvais œil et la considérer comme une régression musicale ciblant leurs petites sœurs. Ce point de vue rencontre aujourd'hui encore un certain succès.
D'un côté,
l'Indomania, de l'autre la Dahomania, entre rock et variété, qui couvraient encore à cette époque un public commun d'indolescents et de daholescents. Les deux chanteurs étaient souvent questionnés sur des sujets analogues.
Bus d'Acier pour Indochine en 1983
Bus d'Acier pour Étienne Daho en 1985
Mais Étienne se fout d'être rock : il est, et ne cherche jamais à paraître. Il n'a pas non plus besoin d'appuyer sur sa "sincérité", il est sincère et ça suffit. Nicolas lui,
passe son temps à se justifier de situations et malentendus jamais vraiment réglés, et modifie ses analyses selon le besoin du moment.
Il veut absolument être rock, affiliable à des groupes anglais, et le
martèle depuis au moins vingt-cinq ans. Si vous êtes lecteur du blog, vous savez que nous appuyons beaucoup sur le fait qu'il n'existe pas de lien strict entre une attitude rock et la sincérité.
"J'avais envie de trouver mes racines françaises et d'essayer d'inventer quelque chose. Et comme on me disait 'mais qu'est-ce que tu fais, du rock, de la variété', les gens essayaient de me définir, de me mettre dans une petite case, à l'époque la notion de 'pop' existait... [M. Achour : En Angleterre.] Oui voilà, le côté anglo-saxon, la pop anglo-saxonne, pas trop en France. C'était un concept un peu... donc je me suis dit voilà je fais de la pop. Et je me suis auto-défini, bêtement, comme chanteur pop, je savais même pas ce que ça voulait dire. Mais c'était un peu prétentieux de ma part, j'avais envie de me mettre un peu dans une zone où je suis tout seul, voilà."
Les émissions Clique avec les deux chanteurs sont également intéressantes à visionner, on voit à quel point l'inspiration est différente chez un Mouloud Achour fasciné par Daho, alors qu'il bute sur un Nicolas creux qui s'engouffre dans des tunnels de plusieurs minutes. Étienne parle peu, très calmement et très bien, Nicolas beaucoup, très fort et très mal.
"Les médias en ont eu ras-le-bol de nous. Les radios et les télés
qui nous avaient soutenus au début ont dû être saturées et se sont dit
'c'est un groupe qui ne marche plus !' Mais le renouveau pop va
peut-être renverser la vapeur ! Car la pop en France, c'est tout de même
venu avec Indochine."
Chacun sait que si Indochine a effectivement fait partie de cette mouvance de groupes à l'anglaise au début des années 80, avec un public en commun avec Daho, cette hybridation entre rock et variété existait déjà depuis longtemps et la pop n'est pas venue avec Indochine que ce soit dans la sémantique ou le contenu musical strict. L'hagiographie nicolienne qui explique qu'Indochine serait venu mettre un coup de pied dans la fourmilière entre lavariété etun rock trop sérieux ne tient pas. C'est une réécriture à la première personne uniquement destinée à un public jeune et/ou qui ne s'intéresse pas à la musique de cette époque et à son effervescence de nouveaux groupes et chanteurs. Il suffit de lire par exemple le livre officiel de 1988, Le Septennat, pour avoir un portrait un peu plus adéquat de cette époque :
"Les nombreux groupes qui ont éclaté ces dernières années n'en sont alors qu'à leurs premiers pas : Fred, des Rita Mitsouko, a joué dans un groupe avec Dominik. Tokow Boys (Luna Parker) ainsi que les Avions sortent leur premier album (eh oui, déjà !). Plus marginal et hermétique est le groupe rennais Marquis de Sade, de Philippe Pascal (Octobre puis Marc Seberg). Les Civils créent le tube surprise avec 'La Crise'. Bijou et Starshooter ('Betsy Party') éclatent mais c'est surtout la vague Taxi Girl (sorti de la période précédente du Rose) qui continue à déferler à la suite de 'Cherchez le garçon'. Tous ces groupes choisissent le plus souvent d'évoluer en marge des grands médias, comptant avant tout sur un noyau d'inconditionnels acquis à leur cause. La culture rock n'a pas encore pénétré dans les chaumières mais cela ne devrait plus tarder. Quelques groupes commencent d'ailleurs à s'infiltrer dans les hit-parades des stations dites périphériques : Bandoléro et son 'Paris Latino' ou Regrets avec Agathe qui ne veut pas rentrer chez elle seule le soir. [...] Avec Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman et, plus tard, Jeanne Mas, Lio, Daho, le fossé entre variétés et rock s'amenuise."
Jérôme Soligny, musicien et critique très connu et influent, signe en 1986 le tube "Duel au soleil" et d'autres chansons pour Daho. Il
compose "Like a monster" pour Indochine Mk2 en 2002.
"On se croisait chez Daho depuis quinze ans et je savais qu'on avait des goûts en commun. Il nous a vus au Zénith durant la tournée 'Dancetaria' et a encensé le concert à une époque où dire du bien de nous était plutôt malvenu. Il a proposé ce titre très glam qu'on a un peu métamorphosé en Nine Inch Nails. 'Like A Monster' est en français mais on a conservé son titre qui colle vraiment bien à la chanson."
Nicolas Sirchis, Rock & Folk, 2002
Non, Soligny a chroniqué le concert du Havre, dont il est originaire, en 2000.
Nicolas, avec Étienne Daho et Françoise Hardy, Victoires de la musique 1986
Étienne Daho n'a pas voulu travailler avec Serge Gainsbourg mais a été ami avec lui, soit l'exact contraire de Nicolas qui n'a eu qu'une relation professionnelle, au moment du clip de "Tes Yeux Noirs".
"Quelques jours plus tard, [Gainsbourg] se rend à Val d'Isère pour le Valrock, un festival de films rock parrainé par Philippe Manoeuvre de Rock&Folk. Serge y croise Nicolas Sirkis, du groupe Indochine, qui tente en vain de le faire sortir un petit peu : après l'avoir obligé à s'acheter des Moon Boots et une doudoune, il essuie un refus quand il lui conseille de faire de la luge... Lors de la soirée de clôture animée par les anciens du groupe Bijou, Serge monte sur scène ivre mort alors que Sirkis et la comédienne Charlotte Valandrey se lancent dans une version improvisée de 'Harley Davidson'..."
"Gainsbourg", Gilles Verlant, Albin Michel, 2000
Serge Gainsbourg et Étienne Daho, 1987
Daho chante d'ailleurs "Comme un boomerang" avec Dani en 2004, et avec Charlotte Gainsbourg sur "If" en 2003. En 2020, il réalise l'album Oh, pardon tu dormais... de Jane Birkin, et chante sur le titre éponyme.
En 1988, Sébastien Chantrel réalise "Des heures hindoues" pour Daho, et "La Chevauchée des Champs de Blé" pour Indochine.
En 1992, Nicolas Sirchis choisit de travailler avec les Valentins, après la collaboration réussie d’Édith Fambuena avec Étienne Daho en 1990.
"Ta partenaire dans cette aventure est Édith Fambuena. En faisant équipe avec elle, tu n'as pas eu peur d'arriver avec un album trop clairement inscrit dans la lignée Daho? - Bien sûr, j'y ai pensé. J'adore travailler avec des filles. J'ai toujours aimé les filles avec une dégaine rock'n'roll, la guitare, la mèche de cheveux qui tombe... Bon, Edith, elle a sa tête, sa façon de jouer, ses tics, ses manies... sa personnalité, quoi. Et ça, je ne pouvais pas le changer. On a coproduit l'album ensemble et le résultat est en accord complet avec ce que j'avais dans la tête. Finalement, on est assez loin de l'univers de Daho. Et puis, elle sort un nouvel album des Valentins en janvier qui sera encore différent de tout ça.
Si tu avais enregistré un single solo avec une reprise, laquelle aurais-tu gardé en priorité? - Sans aucun doute Brand new life de Young Marble Giants. C'est une reprise que j'avais envie de faire depuis longtemps. Avec Édith, on avait commencé à y travailler il y a trois ans. Et puis, on avait un peu laisser tomber l'idée. Pendant l'enregistrement de 'Paris Ailleurs', elle était à New York avec Daho et elle me téléphonait tout le temps... 'Alors on le fait cet album de reprises ?' Pour finir, c'est elle qui m'a un peu poussé à le concrétiser."
Nicolas Sirchis, Télémoustique, 1992
En 1991, Édith Fambuena apparaît dans le clip de "Des attractions désastre" (avec une Mustang rouge !) alors que Nicolas se montre seul dans celui de "Alice dans la lune", en faisant semblant de jouer de sa nouvelle guitare.
En 1996, l'immense Eden lorgnait brillamment du côté du trip-hop, de la jungle et de la french touch naissante, notamment à travers le sampling. Deux semaines plus tôt, Indochine sortait le foutraque Wax, sorte de démonstration d'incompréhension de la musique britannique de cette époque. Alexandre Azaria, qui co-réalise l'album, avait pourtant essayé de proposer quelque chose qui pouvait s'apparenter aux paysages d'Eden, avec des titres comme "L'Amoureuse" où Nicolas essayait sans grand succès de se montrer sensuel. Un domaine dans lequel Daho fait plus qu'exceller.
"On est clairement plus proche de l'Iggy Pop de American Caesar que d’Étienne Daho !
Très
très loin d’Étienne Daho, ça c'est sûr ! On se sent plus proche de
groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs
aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le
paysage francophone."
Nicolas Sirchis à propos de Wax, Tribu Move n°7, avril 1999
Comme nous l'avons développé dans l'article sur cette époque, Nicolas était en plein matraquage pour se faire affilier à des groupes anglais plus hype et s'éloigner d'une certaine variété française. Mais le chanteur semblait avoir un problème avec Étienne Daho, et le considérer avec une dose généreuse de mépris comme un représentant de cette variété.
"Vous avez présenté Blitz comme le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers seraient Pop Satori et Eden…
On y trouve la même liberté, la même envie de faire une expérience.
Le même coup de foudre pour un disque aussi : Pop Satori c’était le
groupe de William Orbit, Torch Song, et Eden, l’installation d’une
certaine forme de musique électronique - la drum’n’bass, la musique la
plus 'sex' depuis le punk ! - mêlée au retour de Burt Bacharach. Le
lien, c’est que ce sont des disques qui sont obsédés par leur objet. Ce
sont des disques qui provoquent un rejet souvent à la première écoute
aussi."
Étienne Daho à propos de Pop Satori, Eden et Blitz, Libération, novembre 2017
"Nos fans aiment autant les Smashing Pumpkins que Björk."
Nicolas Sirchis, Platine n°34, octobre 1996
Quelques uns, c'est possible. Mais Eden montre des points communs musicaux avec le phénoménal Post (1995) de la chanteuse islandaise. Wax, non.
Soulignons-le : Eden et Wax sont tous deux sortis en novembre 1996.
En 2000, Corps et Armes est de nouveau produit par Les Valentins, avec Édith Fambuena à la guitare.
Comateens, un groupe dont les fans d'Indochine connaissent l'existence - à défaut de la musique - et avec qui Étienne est ami depuis très longtemps.
"J'avais adoré leur premier album. (1980, ndlr) 'Le Grand Sommeil'
était sorti sur une compile aux États-Unis et je devais faire un
showcase à la Danceteria à New York. Nous sommes devenus amis très vite.
Une évidence."
Étienne Daho à propos de Comateens, Slate, 2019
"Très pudiquement, Etienne évoque la dernière chanson d'Oliver Dumbling :
"elle est écrite par Oliver, le frère de Nicholas Dembling des
Comateens. Son décès a été traumatisant pour nous tous. Nicholas et Lyn
m'ont offert cette chanson sublime et chantent les choeurs avec moi.
Cette chanson a une grande signification pour nous trois". Sortie en
single uniquement pour le marché anglais, la chanson ne bénéficiera pas
d'une version longue mais d'un clip (tourné juste après son concert
Bruxellois), à la différence du troisième extrait de l'album en France
"Caribbean Sea".
à propos de "Stay with me" in Dahodisco, Benoît Cachin, Gründ, 2013
On voit d'ailleurs Xavier "Tox" Géronimi dans le clip de la chanson en question :
Les Comateens jouent en première partie du Tour Martien en 1989, à la demande de Daho. Mais l'influence du groupe s'exerce différemment sur Nicolas :
"C'est eux, en fait qui nous ont donné envie de nous maquiller. A cette
époque, ils étaient déjà super maquillés et habillés ultra new wave.
Nous, à côté, on faisait vraiment pauvres mecs de banlieue. Je me
souviens qu'on les a vu passer dans les coulisses et on s'est dit 'Putain, ils sont maquillés, c'est classe !' Et on s'y est mis aussi !"
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
En 2007, L'invitation propose des compositions de Xavier "Tox" Géronimi, Édith Fambuena et Jérôme
Soligny. Malheureusement, notre radar n'a repéré aucun intérêt de la part de quiconque parmi les fans d'Indochine.
Vous connaissez
sûrement l'interview croisée en 1999 de Nicolas Sirchis et Brian Molko, le
très courtisé chanteur de Placebo. Mais connaissiez-vous celle de Brian Molko et Étienne Daho en 2003 dans Rolling Stone ? Lire les deux interviews l'une après l'autre est très éloquent : Daho et Molko semblent avoir énormément à échanger... Ce qui est moins évident de l'autre côté.
En 2007, Nicolas précisait son point de vue sur le chanteur rennais :
"Je déteste les égocentriques. Étienne Daho ne parle que de lui, il est devenu inintéressant."
Nicolas Sirchis, Phosphore, 2007
Est-ce l'hôpital qui se fout de la charité, ou avez-vous une meilleure expression pour désigner cette sortie de notre héros ?
En
2013, Daho chante sur l'époustouflant "Mortelle" de Rone (2013). La
même année, Nicolas essaye le logiciel Ableton sur un remix personnel de "Belfast" qu'il crut intelligent d'appeler "The Berlin Mix" et même de sortir.
Une vingtaine d'années après les tentatives de Wax et Dancetaria, Nicolas se mit avec 13 à parler plus ouvertement d'electro (souvent à travers l'évocation de l'achat de certaines machines). Mais la même année qu'Eden, Étienne Daho avait aussi enregistré un EP avec Comateens. Les auditeurs avertis de musiques électroniques se retrouveront davantage dans cette collaboration qu'en écoutant 13.
Comateens sur Instagram : "we are so proud of this record... love to all"
Les liens de Nicolas avec des artistes électroniques ? Des chœurs chez les consternants Dead Sexy Inc., une amitié avec le très visuel Sindrome,
la reprise de Troisième Sexe par Miss Kittin ou des remix, parfois prestigieux
(Curve, Tricky).
Étienne Daho est à ce jour considéré et respecté par une grande partie des auditeurs francophones commele parrain de la french pop. Il organise d'ailleurs fin 2017 une exposition de photographies, "Daho l'aime pop !", et immortalise entre de nombreux autres jeunes gens modernes Requin Chagrin, signé sur... KMS Records, le label de Nicolas.
Mais Indochine en est très ouvertement absent.
"De
toute façon on a toujours été un petit peu à part, parmi... Même toute
cette vague là, on reparle de la vague néo-pop, les parrains de la pop
française, pff... C'est comme si on n'existait pas. Et en fait on est
encore plus présent que... C'est assez, assez marrant ce côté euh...
élitiste français, mais euh... Effectivement au stade où on en est c'est
pas très important..."
Indochine continue à ce jour d'occuper un créneau bien à lui, c'est en partie ce qui le rend si singulier et fascinant. La dénonciation par Nicolas d'un "élitisme français" est audible, lui qui a souvent pointé un certain public non-français qui aurait su récompenser le succès plutôt que le punir, et c'est une de ses formules les plus connues :
"En France on ne pardonne pas l'insuccès mais on pardonne encore moins le succès."
Nicolas Sirchis, Un flirt sans fin, 2006
Nicolas évoque ici un mécanisme de distinction bourgeois et centre-parisien, milieu social dont il n'est issu qu'en partie et qu'il semble envier. C'est pourtant ce même logiciel snob qui le mène par exemple à rejeter la bande dessinée au profit d'une attitude de littéraire, plus proche de son groupe social de référence.
Mais en tant qu'artiste c'est différent : les mondanités ne pouvant pas suffire, Nicolas a rarement su aller plus loin que la collection de citations, pensée comme un contenu suffisant. C'est bien le problème avec ce public plus chic dont il calque les habitudes culturelles, mais dont il pourfend le refus de reconnaître Indochine : Nicolas se situe totalement dans cet élitisme français pourtant dénoncé. Citerait-il Indochine, s'il n'en faisait pas partie ? La question lui fut posée en 2007, et la réponse est éloquente :
Si tu étais ado en 2007 serais-tu fan d’Indochine ? Aucune idée en tout cas les références de ce groupe me plairaient beaucoup.
Comme si des références bien placées devaient former le gros du contenu et se suffire à elles-mêmes. C'est justement un piège dans lequel n'est pas tombé Étienne Daho, qui a toujours su proposer quelque chose de personnel et ne rencontra jamais aucune confusion à décrire ce qu'il avait voulu faire.
Nicolas, devenu nouveau riche esthète mais ayant gardé son côté banlieusard, trouve plutôt de la reconnaissance auprès d'un public dit populaire, moins animé par les modes et la culture pyramidale. Malgré de nombreuses perches tendues à coups de références institutionnelles, ce public plus traditionnellement cultivé et/ou branché continue de ne pas accrocher à Indochine. Dans le meilleur des cas, il arrive d'entendre du bien des deux premiers albums, plus alternatifs et branchés, dont le recul permis par le temps et la redécouverte de la new wave par une nouvelle génération leur permet aujourd'hui de bénéficier d'une certaine légitimité émergente.
Étienne Daho est issu d'un milieu plus aristocrate, et fut très tôt entouré de nombreuses influences culturelles. Le facteur rennais, déterminant, l'éloigna pourtant du parisianisme qui allait former Nicolas. Présent à Londres en 1976, passionné, musicien dans l'âme et mélomane - ce que Nicolas ne deviendra jamais - il fit ses armes auprès des groupes Marquis de Sade, Elli & Jacno, Comateens.
Son public est tout aussi disparate que celui de Nicolas, mais Daho est tellement soutenu par la petite bourgeoisie culturelle branchée (Télérama, Inrockuptibles) et affiliés, que ne pouvons que remarquer en priorité ce public-là. Celui-là même dont Nicolas est exclu par manque de légitimité, et que nous ne croisons jamais aux concerts d'Indochine Mk2 !
Nicolas au Stade Pierre Mauroy, juin 2019
"Il y a toujours des gens qui ont la haine. Moins qu'avant, mais quand même. Maintenant, les plus intelligents de nos détracteurs avouent au moins un respect pour ce groupe. Mais il y a une haine, une telle haine,
que je n'arrive pas à élucider. Des crachats, des commentaires qui
disent juste 'c'est de la merde'. Étienne Daho est un peu passé par là,
par le côté 'non chanteur', mais ça n'a pas duré longtemps pour lui. Il y
a une haine pour les gens qui ont du succès en France. On ne pardonne pas l'insuccès, mais encore moins le succès."
Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011
Il existe une énorme cassure entre Indo et Daho, et visiblement entre leurs publics respectifs. Comme un mur aussi infranchissable qu'invisible. Nous pourrions évoquer en parallèle l'opposition dans la presse musicale des années 2000, entre Rock Mag & co (adolescent, banlieusard, périurbain, apolitique) et Les Inrockuptibles (jeune adulte, petit bourgeois intello, citadin intramuros, centre-gauche).
Un livre serait nécessaire pour développer ce sujet que, de notre aveu, nous ne prétendons pas maîtriser au point de proposer une vraie étude. Il se peut que nous y revenions par la suite.
Quoi qu'il en soit, Étienne Daho est ouvertement cité par de très nombreux jeunes popeux, et assumer Indochine est bien plus compliqué passées les épouvantables Divisions de la Pop. Lorsque ça arrive, Nicolas le souligne systématiquement, voire relaie un bruit de couloir à base de on m'a dit que, une vieille habitude :
"En revanche, beaucoup de groupes anglais nous aiment bien, comme Placebo, mais aussi des groupes de la nouvelle scène comme Antony & the Johnsons, Gossip, ou récemment on m'a dit que les Two Door Cinema Club nous trouvaient cool."
Nicolas Sirchis, Hors-Série Rolling Stone spécial Indochine, juin 2010
Et ?
En 2013, alors qu'il avait coécrit "Les Portes du Soir" et "Traffic Girl", et fut première partie récurrente avec son groupe Asyl, Matthieu Peudupin dit "Lescop" se garda bien d'évoquer Indochine dans sa communication autour de son premier album solo. Parce que ce dernier ciblait un public plus porté vers Étienne Daho ou Daniel Darc - autrement dit un public Inrocks/Télérama - et non celui d'Indochine : il ne s'agissait pas de se griller en provoquant une affiliation visible avec Nicolas Sirchis ! Le plus que dispensable mais pourtant très hypé Lescop (2013) lorgnait bel et bien davantage vers le chanteur rennais et autres jeunes gens mödernes, ce qui n'échappa ni à la critique ni au public.
Lescop, Lescop, 2013
Matthieu Peudupin apparaît même avec Étienne Daho en 2014 pour chanter "Le Grand Sommeil" dans l'émission Alcaline. Nous l'avions vu précédemment avec Indochine Mk2 aux Francofolies de la Rochelle en 2006, pour une reprise débile de "Teenage Kicks", en pleine mode des guitares distordues et des attitudes rock. L'assumerait-il encore ?
Sa pose de fan pâmé pour les murs de briques l'éloigne pourtant d'un Daho bien plus discrètement érudit, et trahit sa génération malgré des références anciennes et ancrées : une génération rétromaniaque pour qui des références dénuées de sens constituent un contenu identifiable, comme une collection de hashtags. Et cela le rapproche bien plus de Nicolas Sirchis.
Mais Daho garde l'enthousiasme inchangé d'un adolescent dans sa curiosité et son érudition, contrairement à un Nicolas qui n'a jamais été plus loin qu'une rhétorique de fan qui aurait cessé d'évoluer passée la vingtaine. Il ne semble s'être attardé que sur l'image, et ne trouve du confort que dans une certaine superficialité : l'apparente ignorance musicale (ou consensualité) d'une grande partie de son public et de ses défenseurs médiatiques lui rend superbement service.
En d'autres termes, Nicolas semble tirer son public vers le bas, Daho vers le haut.
Vous avez sûrement entendu parler de David Bowie via les interviews de Nicolas. Mais si vous connaissez bien David Bowie, vous connaissez forcément son fidèle producteur Tony Visconti. Ce dernier a récemment produit... Étienne Daho ! pour une nouvelle version de "Paris Sens Interdits", originellement sorti en 1989.
Étienne est bisexuel, discret mais pas secret. Lui n'a jamais eu besoin de marteler sur les plateaux de télévision qu'il aurait écrit tel ou tel "hymne", et que soit-disant des personnes homosexuelles lui écriraient "tous les jours" pour le remercier (information uniquement rapportée par Nicolas...). Il n'a pas besoin non plus de lever le poing sur scène, haranguer ses fans avec des slogans, et se draper dans les couleurs de l'arc-en-ciel pour se faire affilier à une lutte sociétale - comme le fait régulièrement le très hétérosexuel chanteur d'Indochine.
Nicolas Sirchis, Clermont-Ferrand, 2020
"La maison de disques ne voulait pas la sortir, parce que c'était une chanson dite de "pédés". Marc Lavoine ou Étienne Daho sont venus me voir pour me féliciter d'assumer quelque chose."
Soit, mais assumer quoi exactement, sachant que cette chanson ne parlait que de vêtements et de cheveux, en pleine mode de l'androgynie ? (Note : Tony Visconti a aussi produit Marc Lavoine)
En 2015, Dominique Nicolas devant un micro sur ses propres compositions, lorgnait nettement vers Étienne Daho, ce qui n'échappa à quasiment personne. Cela constitue un aperçu hallucinatoire d'une collaboration formidablement cohérente que nous n'avons jamais eue. Imaginez seulement...
...avec ici (1989) à la guitare un Xavier "Tox" Géronimi plus dominikien que jamais. Sommes-nous passés si près que ça d'avoir de vrais Smiths français ? Peut-être n'est-il pas trop tard ?
Et en ce qui
concerne Tox, il a sans aucun doute fait le pire truc de sa carrière
avec Indo Live (1997), alors qu'il a toujours été impeccable avec Daho, d'où l'importance de savoir diriger ses musiciens.
Étienne Daho peut être vu comme le contraire de Nicolas Sirchis. Ce dernier est un homme très creux et superficiel qui a voulu faire de grandes choses. À l'inverse, Daho est quelqu'un de très conséquent, qui a souhaité faire quelque chose de plus léger : de la pop. Éternel adolescent dans ses bons côtés pour l'un (fascination, enthousiasme), ses mauvais pour l'autre (inculture, arrogance).
Pour schématiser à l'extrême : Étienne Daho serait un provincial cultivé, salué par un public parisien en mal d'authenticité ; Nicolas un parisien superficiel et cultureux, salué par un public éloigné des centre-villes et des problématiques de capital culturel.
Nous avons beaucoup évoqué sur ce blog les emprunts faits par Nicolas à des artistes qu'il semblait envier : Brian Molko, Dave Gahan, Brett Anderson... Mais au fond, n'aurait-il pas rêvé d'être Étienne Daho ?
Certes, si le paysage éminemment branchouille qui entoure le chanteur rennais et son côté trop parfait peut le rendre plus facile et avantageux à citer dans l'espace social plutôt qu'un Nicolas indéfendable, il apparaît tout de même qu’Étienne Daho est un homme plus enrichissant à entendre en interview et sur disque. Nicolas a stagné, sa musique n'a jamais évolué - voire n'a jamais vraiment existé - et semble avoir maintenu ses fans dans une longue et stérile immaturité, nécessaire pour continuer de l'admirer sans remise en question possible.
Pour finir, Étienne Daho a toujours extrêmement bien chanté, là
où Nicolas nous fait franchement honte d'année en année.
Dahophile arrivé par accident sur ce blog, et qui se demande quel disque d'Indochine écouter pour la curiosité ? Le Baiser, à la rigueur. Il n'est pas non plus exclu que Dancetaria vous plaise.
"À mon avis, on pourrait plus comparer, s'il y a à comparer, au Velvet Underground. On a d'ailleurs fait écouter le titre à Etienne avant sa sortie, il n'a pas trouvé que ça lui ressemblait."
Dominique Nicolas à propos du titre "Le Baiser" in Indochine Story, Anouk Vincent, 2012
J-P Pilot, G. Jones, N. Sirchis, P. Délire en 1999
Dancetaria jouit d'une réputation inégalée au sein de la discographie d'Indochine. De nombreux adjectifs très valorisants ont été employés à son sujet, par Nicolas, ses musiciens, fans et même non-fans. "Ultra-classe", "féérique", "le Black Celebration d'Indochine", "le meilleur album"... Tous semblent s'accorder pour couronner l'album de 1999 au plus haut de l'histoire du groupe.
À cette époque, le discours indochinois commençait à se situer sur une attitude "indé"... La confidence dans laquelle était restée Wax, bien qu'ayant profondément exaspéré Nicolas, se transforma en un argument pour soutenir une attitude d'outsider - malgré la publicité pour le live de 1997 permise par un partenariat avec TF1. L'apparent désamour du public français et d'une grande partie des médias était devenu depuis Wax un moyen pour se présenter comme une sorte de vilain petit canard, dont l'existence emmerderait certains garde-chiourmes.
Dancetaria est également cité et considéré comme l'album noir du groupe... Comme chacun sait, il est marqué par la disparition de Stéphane Sirchis à 39 ans. Arrivée durant une période de vaches maigres, cette tragédie participa à faire percevoir l'album sur la durée comme une œuvre magistrale et lumineuse sortie de tréfonds psychologiques.
Nicolas devait sûrement souhaiter que son état d'endeuillé soit perçu publiquement. Débuta subitement une posture de renfrogné, de mauvais client qui ne parle ni ne sourit beaucoup, et qui durera plusieurs années. Cela est très comparable au personnage timide et dépressif de Mylène Farmer créé de toutes pièces par Laurent Boutonnat. C'est d'ailleurs à partir de cette époque et jusqu'à Alice et June que nous pûmes observer l'hybridation la plus marquée entre l'auditorat d'Indochine et celui de la chanteuse rousse. Tous semblèrent se retrouver autour de figures romantiques, torturées, post-ado, lunaires, un peu bizarres... et cætera.
De la même manière que les apparitions de Farmer pré-Boutonnat, les nombreuses émissions des années 80 et surtout celles des années 2010 montrent la réalité de l'être humain : Nicolas est d'un naturel souriant et ricaneur, il parle beaucoup et fort, et aime être au centre de l'attention.
Pourtant, cette posture de fait-la-gueule a très bien fonctionné. Aujourd'hui encore, malgré l'extrême transparence du personnage, il arrive encore à passer pour quelqu'un de discret, introspectif et mélancolique. Il est pourtant éloquent de se replonger dans les interviews de l'époque de Dancetaria et Paradize pour constater le calcul évident autour de ces bouderies et apparents mutismes, tant le comportement d'aujourd'hui est plus naturel et forcément différent.
"C'est sûr que la mort de Stéphane faut pas se leurrer, a suscité une sorte de capital sympathie, maintenant c'est le plus beau cadeau qu'il ait fait."
"C'était pas facile. Heureusement qu'on avait chacun deux univers différents, qu'on était pas inséparables, ou qu'on était pas... Parce que ça ça aurait été difficile, mais c'est vrai que... C'est pas facile. [...]"
Nicolas
est d'une froideur étonnante sur la mort de son frère, et comme à son
habitude il se pose en chroniqueur de sa propre histoire. Malgré cette maladresse grossière, il est dans le vrai en soulignant que la mort peut déclencher de
nouvelles lectures et apporter un aspect quasi-sacré à la musique. Les
exemples sont nombreux avec le fameux Club des 27 ou encore les Nick Drake, Joy
Division et Jeff Buckley. À la lumière de cette sortie, est difficile de ne pas penser que Nicolas a capitalisé
sur ce drame et l'aura qu'il allait apporter à Indochine.
Mais dans un monde normal, ce type de mutation
s'opère au sein du public, ainsi que des médias et critiques et l'artiste en est exclu. Il le subit très souvent de façon indécente, alors qu'il est encore en période de deuil. L'exemple d'un chanteur infiltrant lui-même les
mécanismes de perception de son propre groupe, pour tenter d'en orienter le récit et la direction, nous semble ici absolument inédit.
De nombreux commentateurs s'accordent également à dire que la disparition de Stéphane fut bénéfique pour Nicolas, et lui permit d'amener enfin le groupe vers les sommets.
"Oui, pour Nicolas la perte de ce frère jumeau est évidemment une souffrance, mais c'est aussi une résurrection. Nicolas a soutenu ce frère malade pendant des années. Maintenant que Stéphane n'est plus de ce monde, Nicolas est seul, oui et c'est bien triste. Mais Nicolas est libre ! Libre d'écrire la légende d'Indochine comme il l'entend."
"Le départ de Stéphane, évidemment est très douloureux et caetera, mais... ça libère Nicolas du passé. Tout d'un coup il est le seul qui reste, de ce qu'était Indochine, et donc il est le détenteur de ce groupe, de cette marque, et de sa survie."
Les faits ont été documentés et analysés par Christophe Sirchis, et nous vous suggérons une lecture de Starmustang pour mieux comprendre cette époque. Quant à cette façon d'estimer la mort de Stéphane comme bienfaitrice, permettant l'élévation de Nicolas en PDG légitime sachant mieux que quiconque ce qu'il fallait faire, elle nous semble franchement déplacée et choquante. Devons-nous vraiment considérer Paradize comme le résultat de cette liberté retrouvée, ce retour à l'excellence permise par la mort d'un homme ?
Stéphane et Nicolas, décembre 1998
Il est difficile de s'aventurer davantage sur ce contexte forcément bouleversant pour Nicolas, et de commenter a posteriori ses pérégrinations psychologiques à la seule lumière de ses interviews.
'Vous auriez pu avoir envie de passer à autre chose... J'ai eu envie, et il y a encore des moments où j'ai envie de passer à autre chose, mais il y a aussi des jours où j'ai une force en moi qui a envie de continuer et à être fier de présenter ces morceaux sur scène. Ce n'est pas la pression du show-business qui me pousse. Mais il ne faut pas se leurrer, quand c'est arrivé on était en plein enregistrement, je n'avais pas du tout envie de continuer. Mais quand j'ai réécouté ces morceaux, je me suis dit : ce sont les plus beaux que Stéphane a jamais écrits, il faut qu'ils existent, ne serait-ce que pour la mémoire et pour sa fille. Il faut comprendre aussi que la mort fait partie de la vie.
C'est Stéphane qui est mort, il faut passer au-delà, cela aurait été plus dur encore de tout arrêter. Pour le moment, l'objectif est de défendre l'album pendant cette tournée qui se terminera à la fin de l'année 2000. Après, on verra. En principe, j'ai re-signé pour trois albums sous le nom d'Indochine."
Nous ne remettons aucunement en question la décision de Nicolas de continuer la musique, que nous estimons parfaitement audible et tout à son honneur. Soulignons simplement que cette disparition constitua le début de la communication autour de l'âme du groupe... qui était alors devenu bien autre chose, voire le contraire de ce qu'il avait été.
"Le gardien de l'âme du groupe" semble pourtant être une invention journalistique, à laquelle Nicolas commença d'abord par répondre négativement, avant d'y prendre goût :
En tant que dernier membre du groupe, tu te sens l'âme d'un gardien? Non, pas vraiment, car au fil du temps Indo a toujours évolué avec des nouveaux membres. Pour moi, Dancetaria marque surtout ma dernière collaboration avec mon frère et c'est pour cette raison que je tiens autant à cet album.
"A chaque fois que le groupe monte sur scène, même si il n'y a plus les mêmes membres, il se passe quelque chose de magique. [...] Personne n'est irremplaçable mais chez nous, l'âme est restée."
Au regard de ces citations et de nos souvenirs de l'époque, il semble que nous étions déjà informés sur comment apprécier le disque avant même de l'avoir entendu. Retour donc à l'album, sorti le 24 août 1999, sur lequel nous entendons les dernières guitares de Stéphane, chose qui sera beaucoup utilisée comme un argument de vente. C'est très ironique, sachant que la dite guitare était systématiquement shuntée lors des concerts et émissions TV.
Les fans se sont-ils demandés quelles étaient ces guitares ? Indochine Records ne précise même pas quels sont les titres en question. On reconnaît bien la Mustang sur "Stef 2", l'acoustique qui frise sur "She Night", la petite guitare mélodieuse sur "Le Message". Il semble en revanche ne pas rester grand chose de lui sur "Manifesto" ni "Atomic Sky".
"On privilégiait les mélodies imparables et puis il fallait les habiller. Il y a donc eu des professionnels comme Phil Délire ou Gareth Jones, puis des amateurs comme Stéphane et moi. On a considéré cet album comme le deuxième d'Indochine. Wax était vraiment le premier de Stéphane et de moi."
C'est un point très positif de garder un lien fort avec le présent, et penser un nouvel album avec la détermination d'un premier essai. À condition que cette attitude soit celle d'un artiste sachant faire table rase, et non d'un communicant réécrivant son histoire au gré de ses besoins.
Comme dit auparavant, Nicolas ne semblait toujours pas apprécier le savoir-faire de son frère à sa juste valeur, et était toujours bloqué dans une binarité amateur/professionnel.
Wax était déjà tiraillé entre des directions différentes et potentiellement contradictoires. Comme son prédécesseur, Dancetaria cherche une synthèse entre des goûts affirmés et les tendances de l'époque, comprises ou non. Vous attendez tous le même mot : gothique.
"Sur certains titres, on a parfois presque l'impression d'écouter de l'indus...
N.S. : quand on est rentré Stéphane et moi en composition avec Jean-Pierre Pilot, ça a vraiment été un travail de groupe comme ça. L'idée au départ était de privilégier les mélodies. On voulait des mélodies hypnotiques, sombres ou non. Le but était d'obtenir des mélodies qui restent gravées dans les esprits.
Après, les références proches du gothique sont venues très tôt. Mais ce que je souhaitais, c'est obtenir un mélange pop, glam et gothique. La pop pour le côté mélodique, le glam pour le côté sensuel, sexuel et le gothique pour le côté sombre, hypnotique. Pour moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut qu'il y ait de l'énergie, du sexe.
Noir Désir c'est tout sauf ça, car Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas. Et c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant, j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens. Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple, retrouver chez Placebo."
Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000
"Dancetaria est un mot féerique. C'est de la pop qui fait danser les gens, un rock assez sensuel, pervers aussi bien dans les guitares que dans les textes. Et gothique à cause de son aspect hypnotique qui ouvre sur une richesse harmonique."
"Votre dernier
album "Dancetaria", sorti mercredi dernier, marque-t-il
un tournant pour Indochine? - Ce dernier album est une
renaissance artistique et émotionnelle. Les textes de "Dancetaria"
sont plus féériques et plus bouleversants que nos précédentes
chansons. Nous avons voulu allier la pop, notre base, la
sensualité du glam et le côté hypnotique du gothique."
"Nous croisons le rock, musique à danser, l'inspiration gothique du
XIXe siècle et le glam pour les textes provocants. Indochine, c'est de
l'agit-prop mêlée au complexe de Peter Pan', analyse Nicola Sirkis, 40
ans. Il se définit en 'ado éternel, ou attardé, c'est comme vous voulez".
Gilles Médioni, Ancien de l'Indo, L'Express, décembre 1999
"Dancetaria est un album dont Nicola Sirkis dit qu'il est "celui qu'il aime le plus et qu'il déteste le plus". Dans des sonorités à la fois très actuelles (des parfums trip hop, de l'électronique moderne) et très fidèles (le synthétique sautillant), Indochine pratique une sorte de noirceur joyeuse, de morbidité heureuse.
'Je ne suis pas un pessimiste foncier, mais ce n'est pas moi non plus qui fais rire à table', dit le chanteur. Quelque chose de léger effleure la mort, la solitude, l'ambiguïté, la gratuité du malheur. Parfois, même, l'atmosphère est incommodante ("Venus"), mais avec une candeur et une santé confondantes.
'Je suis attiré par ce qui est un peu choquant, pervers, par intérêt pour les vies qui ne sont pas normales. Je vis une vie normale pour pouvoir écrire des choses anormales. Si je vivais une vie anormale, je n'écrirais peut-être pas des choses très intéressantes. Je suis plutôt dans une esthétique gothique, noire, face à une société où on aime l'argent, la beauté, les jeunes. C'est l'histoire d'avoir un flirt avec la mort, pour être plus serein le jour où elle vous prend.""
"La noire fraîcheur d'Indochine", Le Figaro, août 1999
À la fin des années 90, le look et les postures sombres et gothiques
étaient revenues à la mode. Dans le cinéma de Matrix à Sleepy Hollow,
mais aussi dans la musique avec l'explosion médiatique du rock
industriel et du black metal. Les plus anciens se souviennent même de ce
Zone Interdite, avec la jeunesse victime du péril sataniste.
Il faut tout de même rappeler ici que le terme "gothique" fut surtout un moyen pour accumuler de nombreux domaines artistiques disparates sous la même bannière goth, au seul motif qu'ils pouvaient être considérés comme sombres. A l'époque, et même dans le discours du mouvement lui-même, il était courant de trouver estampillé "gothique" des œuvres d'époques et contextes différents, violentes, provocantes, décalées, ambiantes, romantiques, déviantes d'une certaine morale voire simplement achromes.
Et ce via des esthétismes, ou des vêtements hors de prix. En d'autres termes, un domaine sous-culturel spectaculaire, avec des signifiants visuels dictant d'abord l'apparence en amont d'un contenu personnel plus flou. Nous avons tous entendu le célèbre "être gothique c'est un état d'esprit", occultant toute explication concrète au profit d'une attitude plus passionnée et mystique.
Nicolas Sirchis, 1999
Parfait pour le Nicolas version moribond, qui se retrouva dans cette mode comme un poisson dans l'eau. Et la promesse d'un public naïf et influençable, quel que soit son âge. Possiblement, ceux-là mêmes qui allaient se mettre à dire plus tard que "Indochine ça ne s'explique pas, ça se vit"...
"À l'époque, on nageait en plein rap, street wear, baggy machin et j'en
passe. Alors les mecs qui avaient le courage de s'habiller en robe noire,
moi, je trouvais ça fort. Ils sortaient du stéréotype en vogue, ils
sortaient du lot. Je reconnaissais dans cette attitude notre propre
volonté de sortir du lot nous aussi, de ne pas faire comme les autres."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
En 1998, Nicolas était encore loin de ses robes noires. Mais nous retrouvons ici une possible projection de cet état d'esprit : faire comme ceux qui ne font pas comme les autres, parce que moi non plus je ne suis pas comme les autres. Nous pouvons aussi évoquer l'aversion quasi-généralisée du public goth de l'époque pour le rap, et autres musiques non-blanches.
Mais évidemment, selon Nicolas, Indochine aurait toujours été ça.
"Là, effectivement il y avait une renaissance du gothique. Mais je ne me suis pas senti opportuniste, je n'ai pas cherché à me raccrocher au wagon d'une tendance, c'est plutôt qu'Indochine a toujours été ça."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Voir : Révisionnisme et malentendus, avec le changement de discours selon la situation ou le besoin. Doit-on le préciser, non, Indochine n'a pas toujours été dans cette mouvance gothique, et ce n'est pas un problème. Mais Nicolas avait parfaitement compris le créneau qui s'ouvrait devant lui. Comme à son habitude, il faisait mine de n'être qu'un observateur alors qu'il était en plein entrisme :
"On a vu les fans de Marilyn Manson sur la tournée..."
Nicolas Sirchis, Elegy, 2001
Les goths se sont acharnés ces quarante dernières années à faire accepter sombre comme synonyme de qualitatif, et durant toutes les années 2000 il a fallu entendre c'est plus sombre comme c'est mieux. Nous sommes beaucoup à avoir entendu de jeunes visages blancs & vêtements noirs dire qu'ils préféraient Indochine depuis que c'était devenu plus sombre.
Nicolas Sirchis, 2000
Un terreau forcément fertile pour le petit nouveau : Olivier Gérard,
systématiquement présenté à travers ses goûts musicaux comme un
étendard de nouvelles références plus dures et exigeantes. L'occasion de
placer les mots "Nine Inch Nails" dans beaucoup d'interviews de l'époque, et
réajuster l'image du groupe pour la rendre attractive auprès d'une cible
jeune et sensible à cette attitude alors à la mode, énervée et provocatrice.
"Puis,
une fois qu'on a eu retenu une vingtaine de morceaux, on a pris contact
avec un jeune fan qui, depuis longtemps déjà, nous envoyait des remixes
excellents de nos anciens morceaux. Or comme on voulait vraiment
travailler sur les ambiances pour le nouvel album, on lui a envoyé une
cassette de nos démos en lui disant de faire ce qu'il voulait pour
l'embellir.
On a été pleinement satisfaits du résultat. Le
côté indus du disque vient de là, car le jeune homme en question était
aussi un fan de Nine Inch Nails. On n'est pas tombé, pour autant, dans
le piège high tech."
Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000
Comme à son habitude, Nicolas spéculait sur les affinités musicales de ceux qui aiment Indochine, qu'elles soient réelles ou fantasmées, pour modeler l'image de la marque. Ici, les goûts d'Olivier Gérard, ou plutôt leur représentation selon Nicolas, allaient constituer le cœur de la communication autour de l'obscur et énervé Paradize.
Le titre de votre nouvel album,
"Dancetaria", rappelle le nom d'un label de disques
français... - Oui, c'était un label spécialisé
dans le gothique, qui était l'une de nos références. 'Dancetaria',
c'est aussi à cause du mot dance, souvent très hypnotique, très
atmosphérique. En même temps, c'est du Indochine.
On a toujours fait de la pop, de la new
wave. Au début, on utilisait des boîtes à rythmes, et on était
mal vus. Alors qu'aujourd'hui, la new wave est la principale
source de la techno."
La méprise (très répandue chez les goths) autour de la new wave, qui serait une musique à synthés précurseuse des autres musiques synthétiques plus tardives, résulte d'un profond décalage avec la culture britannique, et a été réutilisée par Nicolas en 2017 pour promouvoir 13.
Il semble en revanche qu'il y ait eu un malentendu autour de ce qu'était Danceteria Records. Il s'agissait bien d'un label spécialisé dans la distribution sur le territoire français de labels indépendants étrangers, mais ne fut jamais axé sur une quelconque image goth.
Le mot a plu à Nicolas, mais il dut se justifier quant à ce qu'il représentait... un terrain forcément dangereux pour notre héros. Nous pouvons même spéculer que "Dancetaria" vienne d'une faute d'orthographe lorsqu'il a noté le mot dans un de ses carnets.
Vue l'association récurrente entre les deux mots, il semble qu'il faille comprendre sa représentation d'une musique dite gothique comme hypnotique. Par exemple, le versant solennel de The Cure, avec des nappes de synthé orchestrales ? Ou encore leurs basses massives et cycliques ?
"Nicola voulait faire un album hypnotique, à la Cure, moi je rêvais de quelque chose de plus extrême."
Jean-Pierre Pilot in Le roman-vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Possiblement, une manière inconsciente de renouer avec cette attitude de nouveaux-romantiques, celle-là même qui avait provoqué une affiliation subie avec le groupe de Crawley.
Et pourtant en 1999, The Cure était considéré comme "un groupe de vieux qui tourne toujours". À l'époque pourtant, cet Indochine recrédibilisé par le noir arriva à happer quelques curistes auparavant très réticents au groupe français.
Il est aussi possible de lire dans le Xymox ci-dessous un chaînon entre Indo et Cure, et une projection de ce que Nicolas et Pilot souhaitaient faire à la fin du siècle dernier.
Plus sombre donc, plausiblement plus axé vers des émotions brutes, adolescentes voire post-adolescentes et
nostalgiques. Cela peut expliquer l'arrivée
de corbeaux obsédés par le périssable et les mondes perdus, et adultes cafardeux se sentant marginaux à l'approche de l'an 2000, dans cette époque de plus en plus
incompréhensible.
Depuis 2009, il semble toutefois que ces
derniers soient redescendus dans leurs caves. L'étrangement mature La République des Meteors fut pourtant comparé à Dancetaria par le chanteur himself, mais ne présentait pas d'imagerie goth ou emo identifiable, si ce n'était un goût prononcé pour le noir et blanc, souvent utilisé pour rendre une image froide, austère ou historique.
Gothique : romantique, hypnotique, féérique, climatique, orchestral, new wave
"Nous voulions un peu 'boucler la boucle' : nous servir de synthés plutôt vintages, de boîtes à rythmes, et les mélanger avec des guitares. Je le définirais pour rigoler (? ndlr) 'entre pop, glam et gothique' ! C'est un album très "années 80" au niveau de la composition, mais avec l'acquis que l'on a depuis quinze ans et les nouvelles technologies.
Si l'on doit faire des rapprochements, sans être présomptueux, "Dancetaria" est un peu un mélange de Garbage, Radiohead, pour le côté 'pop progressive' de certains morceaux, et Suede.
Avec des guitares glam comme les premiers Bowie : un peu sales, mais dont les notes ont un côté séduisant. Le tout avec une identité propre, car je crois qu'en France on est les seuls à faire ce genre de musique."
Nicolas Sirchis, interview de Gareth Jones & Indochine, PlayRecord, août 1999
Et il a raison, Indochine était seul dans son créneau.
"Juste toi et moi" est aussi un morceau très influencé par Oasis, avec des accords et un solo à la façon de Noel Gallagher. C'est aussi ce que faisait Calogero... L'occasion de revoir Nicolas au Hit Machine en octobre 1999, sans son guitariste, mimant le solo dans un hasard complet. Peut-être vous demandez-vous où était Boris pendant ce temps ?
Les crédits de Dancetaria sont pourtant très étranges : "Réalisé par JP Pilot et Indochine".
Jean-Pierre Pilot formait avec Nicolas le duo créateur d'Indochine, comme Dominique hier ou Olivier aujourd'hui. Il n'était pas qu'un simple claviériste interchangeable, et il est important de souligner ici à quel point les documentaires, livres et discours officiels post-2001 minimisent voire suppriment son rôle. Pilot est pourtant celui grâce à qui Indochine a survécu dans les années 90, en cela c'est grâce à lui qu'Indochine existe toujours en tant que tel et que Nicolas ne chante pas dans Stars 80.
Nicolas Sirchis et Jean-Pierre Pilot, 1999
Le très officiel et très irritant Un flirt sans fin, réalisé par Peggy M., présente pourtant la conception de l'album comme suit :
"Le 27 février 1999, Stéphane Sirchis disparaît brutalement, alors que l'enregistrement de l'album Dancetaria venait à peine de commencer.
Nicolas décide malgré tout de poursuivre l'aventure pour le public et pour son frère. Il termine l'enregistrement de Dancetaria, avec l'aide d'un nouveau venu Oli de Sat, un musicien fan du groupe, qui le bluffa avec ses arrangements."
Un flirt sans fin, 2006
Rectification. Jean-Pierre Pilot a réalisé tout l'album, en a composé et arrangé la majeure partie, apportant même une aide gracieuse aux morceaux de Nicolas sans être crédité ("Venus") comme il le fit sur Wax. Oli de Sat fut contacté au cours de la réalisation suite à un problème sur "Rose Song", et continua à apporter des idées de sons, enregistrant même des guitares et des claviers. Probablement les lourdes guitares d'"Astroboy" et les tentativesalt rock de "Stef 2".
"La composition nous a pris entre six et huit mois, à Stéphane, Jean-Pierre Pilot et moi.
Nous avions mis la barre assez haute : nous enregistrions autant que nous voulions mais il fallait des mélodies imparables qui, même sur deux notes, restent dans la tête dès la première écoute.
Puis une deuxième couche a été passée par un jeune fan du groupe, qui a bruité les morceaux, leur a donné des climats, des sons un peu étranges. "
"On a gardé quelques trucs tels quels, mais on a aussi samplé beaucoup de choses que l'on a recalé pour synchroniser ses machines avec les miennes, parce qu'il avait joué tellement spontanément chez lui que ça ne pouvait pas se refaire. L'avantage du laboratoire, c'est que l'on pouvait vraiment passer du temps à chercher dans les samples, et en équipe restreinte. On a pu garder ainsi beaucoup de choses, mêmes des guitares que Stéphane avait faites en répétition qui se retrouvent définitives sur l'album."
Un travail de studio que le duo d'Indochine Mk2 évoque en 2020 chez Bernard Montiel, alors que Nicolas ne se souvient plus très bien quels titres Stéphane a composés. "Manifesto" en fait bien partie, bien qu'il ne semble effectivement pas rester grand chose de la démo originelle.
Il faut vraiment imaginer Pilot découvrant les propositions d'Olivier Gérard sur CD-R, les rééchantillonnant telles quelles (avec les sampleurs de
l'époque, donc avec des disquettes) pour les intégrer aux arrangements,
avec les difficiles problématiques de tempo et de calage que cela
implique. Et un boulot très avancé sur les batteries et boîtes à rythmes par dessus. Un gros
travail de studio, très professionnel, à la différence du plus amateur Paradize.
Dancetaria reste toutefois mystérieux lorsqu'on se demande qui joue quoi, et c'est une sorte de miracle qu'il ait cette cohérence et cette pertinence.
Il semble pourtant que le nom de Jean-Pierre Pilot soit devenu tabou :
"Les maquettes étaient faites, on signe, on rentre en studio et Stéphane meurt. Je me suis retrouvé tout seul avec Oli et deux, trois musiciens..."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
"Ensuite le compositeur de l'époque s'en est allé vers d'autres aventures..."
L'apport d'Olivier Gérard est audible et notable, mais il est scandaleux
que Jean-Pierre Pilot soit à ce point occulté de l'histoire, et ce avec un tel mépris et une telle ingratitude.
Et en effet, en 2001 Jean-Pierre Pilot joua sur La Zizanie de Zazie, et retrouva même Matthieu Rabaté sur l'album suivant Rodéo (2004), dont il est compositeur et réalisateur. Les deux musiciens, surtout Pilot, sont superbement mis en valeur sur le film du Rodéo Tour (2005).
"C'est un vrai créateur qui a été bien utile à Nicolas après mon
départ. Il a surtout fait du bon boulot sur Dancetaria, mais comme je ne
connais pas les maquettes de base, je ne peux pas vraiment juger ce
qu'il a apporté. Aujourd'hui, Nicolas en veut à Zazie parce que
Jean-Pierre Pilot ne pouvait plus le supporter et est parti travailler
avec elle. Nicolas préfère dire qu'il l'a viré sous prétexte qu'il fait
de la varièt'."
Dominique Nicolas, Platine, 2004
"Je suis parti de mon plein gré, sans aigreur. Parce que ça faisait huit ans que j'étais avec Indochine, et que j'avais l'impression de tourner en rond. Il y avait aussi les textes des chansons, que je trouvais trop "ado" et qui, après la naissance de ma fille, me gênaient. [...] Mais je savais que le succès allait arriver, que ce groupe était une bombe, et qu'il suffisait d'un single avec un bon texte pour qu'il fasse un carton absolu. C'est arrivé avec l'album Paradize, que je trouve superbe, et je m'en réjouis."
Jean-Pierre Pilot in Le Roman-Vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Pilot se montre ici très diplomate à propos d'une scission plus complexe qu'il n'y paraît, ayant débouché sur un procès et, comme très souvent avec Nicolas, une rupture humaine définitive. Le film "Les Divisions de la Joie" le montre systématiquement comme un demeuré, et l'argument des trop grandes prétentions personnelles fut, comme avec Alexandre Azaria, usité contre lui par Nicolas.
"Moi je lui ai dit, 'on n'est pas là pour faire ta carrière solo, on est là pour Indochine.' [...] Il n'était pas du tout dans notre univers."
Nicolas Sirchis in Le Roman-Vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Quelqu'un a t-il un jour osé retourner l'argument contre lui ? Des paroles scandaleuses vu le travail abattu par Jean-Pierre Pilot depuis Wax jusqu'au superbe Nuits Intimes. Et surtout, de quel univers parle t-on ? Qui y est, qui n'y est pas et pourquoi ? Devenait-il dangereux pour cette image "indé", lui qui apparemment ne "comprenait pas qu'on refuse de faire des télés, qu'on accompagne pas Johnny sur scène" ? Son remplacement au pied levé par le plus facilement identifiable Olivier Gérard comme "alternatif" semble accréditer cette idée.
Jean-Pierre Pilot, 1999
N'est-ce pas positif d'être ambitieux pour son groupe, ou bien faut-il comprendre cela comme une peur chez Nicolas de perdre la mainmise sur Indochine, gagnée avec le départ de Dominique ? Nous serions très intéressés de savoir si Olivier Gérard a déjà expérimenté un recadrage quant à ses ambitions artistiques. Nous ne pouvons croire qu'en son for intérieur il valide tous les morceaux de Black City Parade et 13.
Trop occupé à se présenter comme le gardien de l'âme du groupe, Nicolas ne sembla jamais se rendre compte qu'il était plutôt un cerbère, et que jamais ses goûts personnels ne devraient être contrariés, quitte à tirer la musique d'Indochine vers le bas.
En 1999, grand millésime pour la variété et l'aseptisation musicale, soit Indochine se relançait, soit il fallait rendre les armes. Nicolas était alors plus déterminé que jamais, et usa de sa stratégie la plus affûtée : la référence.
"Le nouveau label d'indo s'appelle Double T. Indochine rejoint tous les
groupes qui ont décidé de travailler avec des indés
comme suede, cure, oasis, blur, placebo etc."
Nicolas Sirchis, imaginet.fr/indochine (ancien site officiel)
Un exemple parmi tant d'autres de name dropping à pas cher, et de tentative de recrédibilisation par procuration. Nicolas, constamment en recherche de légitimité, était alors comme une grande partie des auditeurs de musique de l'époque, empêtré dans un logiciel indépendant/major, une sorte de projection marketing de la guerre underground/mainstream qui faisait encore rage.
Et d'un coup, nous étions censés assimiler cet Indochine-là comme un groupe indé, une sorte d'équivalence française à tous ceux cités en vrac - pourtant distribués en France par des majors. Même le fait d'écrire le nom des groupes en lettres minuscules était une mode indie arrivée avec la démocratisation du multimédia.
De nouvelles signatures visuelles apparurent également, comme par exemple la typographie de Suede. Celle-ci est disponible sur Dafont, et vous pouvez vous aussi faire votre propre album calibré brit-pop.
Cette
typographie tenait à cœur à Peggy M., graphiste affiliée aux exécrables Madinkà, et qui arriva dans la famille Indochine avec le
rapprochement des deux entités, pour des raisons sentimentales connues
des fans. Ce fut le début d'une collaboration très valorisée par le
public des années 2000 entre Peggy M., Olivier Gérard et Nicolas Sirchis. Selon la lecture de ces fans-là, Dancetaria constitue le moment charnière où Indochine allait enfin devenir autre chose.
La couverture de Dancetaria est directement empruntée à un extrait du film Great Expectations, qu'on voit aussi dans le clip de "Like a friend"
de Pulp (1998), présent sur la bande originale. Nicolas a peut-être vu
le film, mais a surtout plusieurs fois cité Pulp à cette époque, qui
était aussi celle de leur apogée médiatique
Mais c'est la volonté d'association avec Placebo qui fut la plus récurrente, inévitable en interview, et comme à l'habitude de Nicolas : en faisant des auto-analyses sur le public de ses rêves et sur ses propres stratégies de communication.
"Indo garde cette image forte en France de groupe des 80's, mais dans le reste de l'Europe on nous classe dans le même créneau que des groupes comme Placebo."
Nicolas martelait tellement son désir d'affiliation avec Placebo qu'il obtint un concert en commun en août 2000 aux arènes de Nîmes, et même une interview avec Brian Molko ! Le concert n'était pas complet, et les fans d'Indochine minoritaires mais bruyants. Les articles de l'époque mettaient l'accent sur le caractère très incongru de cette association :
"21h30.
Indochine joue et fait chanter les premiers rangs. Bonne surprise, le
public semble également venu pour eux. Nicola Sirkis, en bon caméléon,
est habillé en parfait sosie de Molko."
Basile Farkas, Rock & Folk, juin 2000
Mais à force de le répéter, Nicolas finit par provoquer cette
hybridation tant désirée, entre des publics pourtant très différents et
qui n'avaient qu'assez peu à partager. Les fans d'Indochine, qui
n'avaient pas pu échapper à la mode, virent alors en Placebo des sortes
de cousins, et surtout un soutien crédible de la part d'artistes anglo-saxons et rock ! L'intérêt fut en revanche - très logiquement - moins visible du côté de ceux qui
avaient aimé les premiers albums de Placebo, qui n'ont rien à voir avec
quelconque production indochinoise.
Nicolas persistait pourtant à abattre ses cartes référentielles. Un autre groupe très à la mode mais américain
cette fois, l'intéressait : The Smashing Pumpkins, qui était aussi rentré dans un logiciel gothique. Et ce, surtout à partir de Adore (1998), puisqu'il reprendra la robe de prêtre...
Billy Corgan pour Adore, 1998
Nicolas Sirchis pour Nuits Intimes, 2000
Et l’esthétique de la rose, dont il fit même un titre : "Rose Song".
The Smashing Pumpkins, Adore, 1998
"Rose Song" live en 2002
Motivé, il est aussi retourné voir The Cure en 2000 pour les deux dates parisiennes du Dream
Tour, et la rose rouge présente sur le programme et de nombreux
objets au merchandising a dû fortement l'inspirer pour la suite. C'était
alors pour The Cure la tournée révérée pour Bloodflowers, et qui devait constituer leurs adieux.
The Cure, visuel du Dream Tour, 2000
Nous voyons nettement ici les prémices de la croix de Paradize, et à partir de 2000 Nicolas mettra effectivement des roses partout. Un signifiant romantique ?
"Je les ai vus 2 fois au Zénith, j'aime énormément Maybe Sunday
(sic), mais j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, par contre les
concerts étaient magnifiques !!!"
On parle évidemment du premier single, "Maybe Someday". Tristement, Nicolas ne semble pas avoir retiré autre chose du très mature et raffiné Bloodflowers.
En 2000, Indochine sortait Nuits Intimes, pensé comme un anti-best of. Indochine Mk1 tirait sa révérence de la plus belle des manières, avec des morceaux sublimés par un collectif en état de grâce où chacun est au top, y compris Nicolas ! Jean-Pierre Pilot y est virtuose, d'une grande implication mêlée d'un respect infini pour les compositions de Dominique Nicolas, et s'y montre même plus expérimental que jamais avec "Punishment Park".
Au moment de passer au XXIᵉ siècle, Nicolas s'était intégré à la fois dans un logiciel indé et gothique. L'un n'amenant pas forcément à l'autre, mais étant tous deux permis par une certaine attitude d'artiste en décalage avec le dit grand public, ce sont des univers dans lesquels il était finalement assez logique - et amusant - de voir évoluer le chanteur d'Indochine.
De la même manière que l'étrange Wax, la combinaison proposée sur Dancetaria ne ressemblait pas à grand chose d'autre, et n'aurait pas dû être vendue avec un discours marketing centré sur l'affiliation à telle ou telle figure plus crédible. Nicolas avait un album très cohérent sous la main, et n'avait pas besoin de chercher à être un Molko ou un Anderson local, ni à calquer des esthétiques piochées ici et là, organisées en patchwork. Comme nous l'avons dit par ailleurs,
Indochine reste un groupe extrêmement français, et la qualité et la pertinence ne se transmettent
pas par rayonnement, ou captation de codes visuels.
Quant à Stéphane Sirchis, il semble qu'il ne fut jamais si important pour Indochine qu'en 1999.
Le jeune groupe Indochine Mk2 a pourtant su se montrer captivant, à l'image de la vidéo ci-dessous. Malheureusement, cela ne dura pas bien longtemps. Malgré le savoir-faire bien réel d'Olivier Gérard, il semble que le départ de Jean-Pierre Pilot n'ait jamais vraiment été comblé.
Que Dancetaria soit considéré comme le meilleur album d'Indochine ne nous semble pas aberrant. Il est même probable que sa qualité d'album-charnière entre les deux projets, et que l'on puisse considérer comme faisant partie de l'un ou de l'autre, lui donne encore plus de crédit.
Il fut en tout cas à sa sortie l'album le plus imprévisiblement impressionnant, et reste à ce jour un des disques d'Indochine les plus déroutants. S'y rencontrent le savoir-faire de Jean-Pierre Pilot, le talent de Stéphane Sirchis, l'enthousiasme d'Olivier Gérard et un Nicolas Sirchis au meilleur niveau musical possible... Des aptitudes durement gagnées qui n'allaient pas mettre longtemps à disparaître.