Marguerite Duras et la bande dessinée

Ce post est chaleureusement conseillé à tous les fans d'Indochine étudiants en lettres.

Bob Morane et Bill Ballantine dessinés par Dino Attanasio

Un des mythes les plus récurrents à ce jour concerne l'origine du nom "Indochine".

Nous avons tous entendu ou lu Nicolas expliquer que le nom de son groupe venait de son amour inconditionnel pour les livres de Marguerite Duras. Mais il suffit de faire une petite rétrospective pour se rendre compte que quelque chose ne va pas.
"NCL : Vous avez commencé sous le nom Indochine, vous aviez des tendances plutôt asiatiques.
- Bah non, Indochine c'est aussi français, j'veux dire, c'est une tendance à l'évasion avant tout. C'est pas une tendance ni provocatrice ni aventureuse, c'est une... qui a tendance à s'évader, à retrouver le rêve de l'exotisme."

Nicolas Sirchis, Antenne 2 Midi, 1984
 
"Et ce nom Indochine ?
Nicolas : Ah beh justement vas-y...
- Expliquez un peu.
Dimitri : Bah... (rires)
Stéphane : Nan c'est parce qu'on aimait bien les sonorités euhhh... orientales et tout ça et puis euh, on explique ça euh... parce que quand y'avait l'Indochine en France y'avait les jeunes qui partaient à la guerre en Indochine... (il repousse le joint) partaient écouter du rock'n'roll aussi donc... c'est pour ça qu'on a appelé ça Indochine. Mais c'est pas politique sinon. Voilà.
Dimitri : No war, war is stupid comme y disait l'autre... La reine d'Angleterre."

Indochine, interview au Club Lord Nelson, Örebro, octobre 1984


"Ils ont hésité longtemps avant d'arrêter leur choix sur le patronyme qui allait leur porter chance. Ils ont pensé à F.T.P., les Résistants, les Épatants... Et puis, toujours en cherchant un nom choc, Nicola a dévié vers l'Extrême-Orient : Saigon... et Indochine."

Doctor Jepman in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986
(livre officiel)
 
Question d'un téléspectateur : "D'où vient le nom Indochine ? (Brouhaha dans le public)
C'est à dire que... [...] C'est un hasard. Y'a aucune connotaissance chavirée (sic) de... C'est euh... C'étaient les syllabes qui étaient jolies. Y'a aucune connotaissance (sic) politique ou coloniale ou quoi que ce soit. On nous l'a beaucoup demandé, puis voilà quoi. Ce qui est marrant c'est que les mômes, ils connaissent pas ce qui s'était passé avant quoi."

Nicolas Sirchis, Direct+, 1987
 
"Nous, on voulait simplement s'échapper du quotidien et sortir du côté politique du rock en France. Il est vrai que ce nom a une connotation politique guerrière, mais la mise au point s'est faite d'elle-même, en chanson, avec 'L'Opportuniste'. [...] En fait, ce nom d'Indochine était aussi empreint d'une appartenance à un courant international, un peu comme Human League et surtout Culture Club. Pour Boy George, un tel nom de groupe voulait signifier qu'il prenait en compte toutes les cultures du monde et que leur musique en était la résultante."

Nicolas Sirchis in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère, 1988
(livre officiel)

Roch Voisine : "Indochine ça vient d'où ? Le nom par exemple. Comment vous avez choisi ?
Bah tu sais c'est un hasard total, c'est à dire que quand tu... Quand on a commencé, quand le groupe s'est formé on a cherché des noms, et puis y'a différents noms, c'est comme si tu cherches un nom d'une chanson ou d'un film, tu jettes différents noms, puis y'en a un qui vient et qui fait l'unanimité, et euh, sans aucune recherche ethnique, ethnologique ou j'sais pas quoi... Surtout une recherche phonétique. Donc c'était ça quoi."

Nicolas Sirchis, Saturday, 1989
Indochine en 1982 aux Olympiades (le Chinatown parisien)

Pour Dominique Nicolas, il est question d'un nom rigolo et légèrement provocateur. Aucune trace de Marguerite Duras :
"Deux-trois jours avant le concert on avait choisi le nom avec Nicolas, on avait plein de noms comme ça, et puis après on avait décidé de s'appeler Indochine. [...] Je lui ai dit 'Tu vois avec le nom qu'on a, je pense que ça marchera jamais' parce que déjà, on va dire 'Indochine', les gens ils vont nous prendre pour des fachos. Et Nicola dit 'Ah tu crois, tu crois ?', et la preuve que je me suis trompé."

Dominique Nicolas, Fréquenstar, 1992

Il s'agit ci-dessous de la première mention connue de Marguerite Duras concernant l'origine du nom. Nous sommes en 1999 :
"À l'origine, j'avais choisi ce nom-là parce que je suis un fan de Marguerite Duras, pas pour le fantasme colonial !"

Nicolas Sirchis, Rocksound, juillet 1999

"Salut Nicola !!! Dis pourquoi Indochine comme nom du groupe ? 
Nicola : Pour la 100000e fois, c'est plus un hommage pour Marguerite Duras, avec un soupçon de provocation, je suis un grand fan de cet écrivain dont la période majeure de son œuvre se passe en Indochine !
Nicolas Sirchis, chat Zicline.org, août 2000

"Le nom du groupe vient principalement euh, de mon intérêt euhhh, je suis un grand fan de Marguerite Duras, depuis l'âge de quinze ans, et euh, j'ai lu tous ses livres, et euh, chaque fois que je lisais ses livres, que ce soit L'Amant, Un Barrage Contre Le Pacifique ou autre, les situations se passaient pour elles, y'avait ce mot qui revenait sans arrêt, Indochine. Donc je trouvais la phonétique très intéressante."

Nicolas Sirchis en conférence de presse à Hanoï, Bye Bye Vietnam, juin 2006

"Est-ce que tu as eu la permission de Marguerite Duras elle-même ?
Personne nous a demandé en France, grosso modo pourquoi on avait pris ce nom-là. Elle ne le savait pas à l'époque, qu'on avait pris, parce que, elle est morte en 84, et nous le groupe a vraiment été connu (sic) au début des années 80."

Nicolas Sirchis à la radio vietnamienne, Bye Bye Vietnam, juin 2006

Stop, ça va trop loin.

"Tout le monde nous a demandé pourquoi ce nom. D'abord, c'est parce que ça sonnait bien. Et puis, on cherchait un nom qui évoque l'aventure, l'exotisme, le cinéma, la bande dessinée... On a tout de suite été d'accord sur ce nom, qui est, c'est vrai, quand-même un brin provocateur... mais pas tant que ça."
Dominique Nicolas, hors-série Les Grands du Rock, juin 1986

On respire un grand coup et on recommence.

Prétendre qu'Indochine vient de Marguerite Duras est un mensonge, construit petit à petit dans une période de discrétion médiatique. Mais aller raconter à l'autre bout du monde que personne en France n'a demandé d'explications relève de la tartufferie. De plus, Nicolas, considéré par beaucoup comme un homme de culture qui a "lu tous ses livres", déclare en toute décontraction à la radio vietnamienne que Marguerite Duras est morte en 84, alors qu'elle est morte en 1996. Le tout validé pour le final cut de Bye Bye Vietnam, donc.


Une simple recherche du mot Indochine au sein d'une version numérique d'Un barrage contre le Pacifique nous apprend que le mot n'est cité qu'une seule fois, page 12 :
"Peu après leur mariage, ils firent ensemble leur demande d'admission dans les cadres de l'enseignement colonial et ils furent nommés dans cette grande colonie que l'on appelait alors l'Indochine française."

Marguerite Duras ne cite autrement l'Indochine que de sa propre voix dans Cahiers de la guerre (1943-49, paru en 2006) ou encore dans Les Parleuses (1974). Le mot est en revanche souvent présent au sein des documentaires, reportages et biographies même courtes, ce qui n'a pas dû échapper à notre héros.

Marguerite Duras
"Marthys : Qui a trouvé le nom du groupe ?
Nicola : moi :-) J'avais fait une liste avec plusieurs noms, et étant tombé sur un livre de Marguerite Duras, j'ai pris ce nom-là."
Chat RTL2, 2008

Donc ce coup-ci ce ne serait plus l'univers des livres de Marguerite Duras, Nicolas serait simplement "tombé" sur un de ses livres, il ne précise pas lequel...

Comme montré plus haut, le livre officiel de 1986 écrit par Jean-Eric Perrin ne mentionne pas Marguerite Duras, ni pour le nom ni pour autre chose. Les livres préférés de Nicolas y sont "Parias de Bruckner, Le Mépris de Moravia, et un bouquin de Jack London, le Loup des Mers, un titre comme ça."

Clairement, Nicolas a galéré à citer un troisième livre. Et en bande dessinée, il cite "Les Passagers du Vent de Bourgeon, Buck Danny et Les Mange-Bitume."

François Bourgeon, La fille sous la dunette, Glénat, 1979




Aujourd'hui, nous entendons plutôt ce genre de chose, d'un ridicule absolu au regard de toutes les explications pré-1999 :

"Le titre Indochine, est-ce que ça doit un peu à Marguerite Duras ?
- Ah ouiouioui, que à Marguerite Duras. On nous a dit... En 1981 on avait plein de maisons de disques aux fesses, 'on veut signer avec vous mais faut que vous changiez de nom, ça va pas. Indochine ça fait Algérie Française, c'est une défaite et blablabla et blablabla'. Et on a pris le producteur le plus alcoolique du truc, qui nous a permis de garder notre nom. Et il m'a dit 'pourquoi Indochine', j'ai dit 'Marguerite Duras', 'connais pas'. Bah c'est la musique hein. Et pourtant L'Amant sortait trois ans plus tard."
Nicolas Sirkis interviewé par Olivier Bellamy, Radio Classique, 2013

Affabulation totale dans cette interview où Nicolas explique aussi que Verdi est pop, déclenchant une bienveillante taquinerie de la part d'Olivier Bellamy. Le chanteur se montre ici extrêmement charmeur face à une personne forte de sa culture classique, mais qui ne voit pas qu'il enrobe la réalité d'une grande dose de fiction. Indochine aurait donc été un groupe de littéraires incompris, poursuivis par des producteurs incultes qui leur auraient demandé de changer de nom, pas assez cultivés pour voir la référence à Duras ?


Pourtant, relire ou réentendre les explications des années 80 porte un coup fatal à cette image de groupe de littéraires voulue par Nicolas, par désir de réécriture d'une réalité peu arrangeante pour lui. Nous remarquons également l'éternel logiciel ressassé par le chanteur, selon lequel ce serait par manque de culture que certains balourds ne sauraient pas apprécier Indochine.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine

Scan du Septennat, Marc Thirion, Carrère,1988
 
Indochine n'avait aucunement plein de maisons de disques aux fesses, n'a rien pris, et le nom ne semble pas avoir été un frein à ce point-là. C'est uniquement Pathé Marconi, seule autre maison intéressée à ce stade, qui s'est montré réticente avec le nom. Tout naturellement, le groupe s'est tourné vers Didier Guinochet, qui est bien la personne que Nicolas traite d'alcoolique chez Olivier Bellamy.
"On a signé avec [Didier Guinochet] parce que d'abord il nous avait offert à boire, et ensuite c'étaient les seuls qui n'exigeaient pas que l'on change de nom. Pathé Marconi voulaient aussi nous signer, ils avaient déjà Téléphone et Starshooter. Mais ils ne voulaient pas que l'on s'appelle Indochine. [...] J'avais essayé de leur expliquer Duras, mais à l'époque L'Amant n'était pas encore sorti, donc ils ne connaissaient pas Duras."

Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, juin 2010


"Quand j'ai voulu trouver un nom pour le groupe, je trouvais que c'était bien. Ça a été vachement mal pris à l’époque, personne n'avait fait la liaison avec Marguerite Duras. Maintenant on le dit, on le redit et on le surdit."

Nicolas Sirchis, Europe 1, mai 2021


Disons-le, redisons-le et surdisons-le, en plusieurs langues s'il le faut : Nicolas ne citait jamais Duras à cette époque, il est donc assez déplacé de fanfaronner en estimant le niveau de culture des autres à la baisse. Mais cette manière de matraquer une chimère sur plus de deux décennies nous interroge : Nicolas a t-il conscience d'asséner une contrevérité, ou a t-il vraiment fini par y croire ?

"Pourquoi le groupe s'appelle Indochine ? [...]
- Ça ça aurait pu être une question d'y a dix ans.
- Ouais.
- Eh beeeeeeeeen... C'est que, voilà. Nan, au dép... C'est toujours pareil, tu mets vingt noms de groupes comme ça et tout, y'en a un qui te sort, euh... de tous les autres, et pis euh... Phonétiquement y sonnait bien. Y'avait un petit côté provocateur qui n'était pas négligeable à l'époque...
- Il est vrai.
- Et euh c'est vrai qu'on a fait deux ou trois maisons de disques qui ont un peu flippé en disant 'ohlala Indochine non jamais'...
- On a même voulu vous faire changer de nom je crois pendant un moment au début.
- Ouais ouais, ça c'était une ancienne boîte qui voulait... Qui aimait bien ce qu'on faisait mais euh, Pathé Marconi pour ne pas la nommer mais qui est toujours une bonne boîte de disques, mais ils voulaient pas, ils voulaient qu'on change de nom quoi. Nous on a dit non on change pas de nom. Et pis mais bon et pis mais...
- C'est un petit côté provo quoi.
- Ouais pis après on peut élaborer sur... Extrapoler sur, ouais on aime bien la musique un peu de partout, etc, on mélange tout enfin voilà quoi."

Nicolas Sirchis interviewé par Laurent Boyer, Pour un clip avec toi, 1991

 

"J'aimais bien le nom, Indochine, c'était assez original. Et puis j'ai été séduit par ce que j'ai entendu. Et j'ai dit OK on produit."
Gérard Lenorman, L'Aventure Indochine, 2017

Séduit, pas grâce à Nicolas mais à la musique de Dominique. Il ne devrait plus y avoir besoin de le souligner. Aujourd'hui encore, Nicolas est régulièrement cité comme la raison principale de ne pas aimer Indochine.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine


Dans Insolence Rock, Nicolas invente la possibilité de relire un livre qui vient juste de sortir. Et d'utiliser systématiquement revoir plutôt que simplement voir. Y a t-il tant de honte à découvrir un livre ou un film, pour la première fois ?
"J'étais à fond dans Duras et j'ai notamment relu L'Amant... J'étais plongé dans les thèmes de l'adolescent rebelle, de sa sexualité. Pour "Hors-la-loi", cette chanson sur des gamins qui se révoltent, j'ai également revu If, le film anglais avec Malcolm McDowell. C'était vraiment la révolution teenage, quoi. (Film sorti en 1969, ndlr)"
Nicolas Sirchis à propos de l'écriture de 3, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004

"Mouloud Achour : Grand fan de Duras...
- Ah ouiouioui. Bah ça a été ma... Comment. On va pas dire ma maîtresse mais presque. Maîtresse littéraire. 
- Ça peut se dire avec Duras. Plein de gens ont été l'amant littéraire...  
- Justement, je préfère dire 'ma maîtresse' parce que, elle m'a éduqué. Dans le sens littéraire. 
- C'est drôle parce que y'a plein de gens aujourd'hui qui font leur éducation à travers internet et les sites un peu 'hum hum'... [...]
- Ah ouiouioui, ouioui, ben à l'époque, j'suis vieux moi, y'avait pas ça hein. 
- Et vous aviez dit que vos premiers émois c'était en lisant les mots.
- Oui, euh, ben surtout L'Amant. L'Amant de Duras quand on a quatorze ans ou quinze ans, tout d'un coup c'est, c'est... Y'a beaucoup de préliminaires. C'est ce qui manque aux films."
Nicolas Sirchis, Clique Dimanche, 2018

Rappel historique, et comme Nicolas semble pourtant le savoir au vu de l'extrait chez Bellamy, L'Amant est sorti en 1984. Nicolas avait donc vingt-cinq ans. Ce flagrant délit de mensonge - ou de capacité au voyage dans le temps - ne va pas dans le sens de l'histoire officielle, vous l'aurez compris.

3, 1985

Pour en revenir à "Trois Nuits par Semaine", oui, Nicolas s'est inspiré de L'Amant et l'a toujours dit.
"'Trois Nuits par Semaine', c'est parce que je venais de lire L'Amant de Marguerite Duras, et il y a une phrase qui dit qu'elle retrouvait son amant trois nuits par semaine, j'ai trouvé ça très beau... C'est toujours du hasard inconscient !"

Nicolas Sirchis, Tribu Move, janvier 2001

Au delà d'une inspiration durassienne effectivement perceptible, cette explication reste une distorsion de la réalité. Il n'y a rien dans L'Amant qui ressemble de près ou de loin à une telle phrase. Au mieux, l'extrait le plus proche possible de ce qu'avance Nicolas est le suivant :
"Des fois il disait qu'il voulait me caresser parce qu'il savait que j'en avais une grande envie et qu'il voulait me regarder lorsque la jouissance se produirait. Il le faisait, il me regardait en même temps et il m'appelait comme son enfant. On avait décidé de ne plus se voir mais ce n'était pas possible, ça n'avait pas été possible. Chaque soir je le retrouvais devant le lycée dans son automobile noire, la tête détournée de la honte."

Marguerite Duras, L'Amant, Les Editions de Minuit, 1984
 
De la part de quelqu'un qui éprouve déjà des difficultés à citer ses propres textes, cela n'est pas franchement étonnant. Qu'en pensent les fans qui ont soigneusement rangé L'Amant - ainsi que L'Homme assis dans le couloir et Un barrage contre le Pacifique - sur la même étagère que leurs disques d'Indochine ? Les ont-il lus ?
 
 
"NCL : Ce disque, L'Aventurier, a été fait d'après la bande dessinée Bob Morane, et c'est en grande partie ce qui a fait son succès.
Nicolas : Bah euh oui, c'est à dire qu'il y avait une essence d'aventure...
DB : J'ai l'impression que vous n'êtes pas les seuls à vous inspirer des bandes dessinées, Gotainer par exemple conçoit son spectacle comme autant de séquences de bande dessinée, ça inspire beaucoup les groupes aujourd'hui ?
Nicolas : Bah oui, c'est à dire que maintenant on a plus besoin de s'évader un peu, j'veux dire, nous la lecture de maintenant, j'veux dire, les jeunes d'aujourd'hui lisent de la bande dessinée, pas des bouquins, donc ça se rebet (sic) sur les paroles quoi."
Nicolas Sirchis, Antenne 2 Midi, 1984

En effet, aux débuts du groupe, et comme il le disait très clairement, Nicolas était bien plus marqué par la bande dessinée que par quelconque littérature. En janvier 1982, Indochine est en couverture de Rock BD, "l'actualité de la rock'kulture".


Philippe Delisle explique dans Bande dessinée franco-belge et imaginaire colonial que c'est à la fin des années 70 que la thématique coloniale retrouve sa place au sein de la BD, mais cette fois avec un second degré et un humour qui n'avait plus été possible pendant une vingtaine d'années. Une distanciation permise par la redécouverte de l'humour d'Hergé et de son positionnement contre les clichés occidentaux (Le Lotus Bleu) et son discours anti-esclavagiste (Coke en Stock) certes tardif mais bien réel. Loin de la violence colonialiste de Tintin au Congo, son dessin "ligne claire" et son humour constituèrent au début des années 80 les principales influences du retour à la mode du style atome, né dans les années 50, et qui s'attacha à ridiculiser la mentalité coloniale et les stéréotypes sur les peuples colonisés.

En d'autres termes, sans distanciation permise par la bande dessinée, il n'aurait pas été envisageable de s'appeler "Indochine" en invoquant le rêve, l'évasion et l'aventure.

Freddy Lombard, le Cimetière des Elephants, Yves Chaland, Les Humanoïdes Associés, 1984

En 2018, La Vallée des Immortels, nouvelle aventure de Blake et Mortimer, rend de nouveau hommage à cette tendance de la bande dessinée. Le résumé et les dessins sont tellement Péril Jaune qu'il est presque impossible de ne pas sourire en pensant au jeune Nicolas et à ses paroles.

Voir : La Vallée des Immortels - Menace sur Hong Kong sur Dargaud.com

"l'idée de cet album est de raconter plein de petites histoires. Il s'agit d'un véritable collage de petits films, d'un livre d'images que l'on feuillette. Chaque chanson est une nouvelle page, une nouvelle histoire. L'Aventurier, c'était plus la BD."

Nicolas Sirchis à propos du Péril Jaune, Salut, 1983

En 1983, Nicolas écrivait pourtant toujours selon une logique de séquence d'images fixes, autrement dit de bande dessinée.
Blancs et jaunes réunis
Rites et vapeurs à l'infini
Sur le quai ils s'activent
A décharger la marchandise
Les bandits, caisse par caisse
Vérifient leur commerce
Le grand maître du jeu
L'insoupçonné Docteur Tseu
Dans la nuit, le va-et-vient
Des pousse-pousse est établi
A l'affût, pas très loin
L'imper espionne de son coin 
"Razzia", Le Péril Jaune, 1983

 


"Du côté des BD j'étais servi, car vers 8, 10 ans je vivais à Bruxelles où mon père travaillait pour la CEE. Je lisais Spirou, et je m'embarquais avec Buck Danny et Gil Jourdan dans leurs aventures. J'étais aussi très Pif Gadget."

Nicolas Sirchis, Best, 1986
Scan du hors-série Les Grands du Rock, juin 1986




Scans du chapitre "Rock in B.D.", Le Septennat, Marc Thirion, Carrère, 1988
Boyer : "Après Bob Morane, quel sera le prochain personnage de BD, héros, d'un de vos titres ?
Nicolas : Heuuuuuuu...
Stéphane : Ricky Banlieue, de Frank Margerin !
Nicolas : Hé hé...
Boyer : Margerin que vous aimez bien mais enfin bon pour l'instant c'est pas prévu je présume.
Nicolas : Non effectivement c'est pas prévu.
Stéphane : Nicolas a abandonné la BD pour lire !
Nicolas : Arrête tu rigoles... On m'en a envoyé trente, je fais partie d'un jury, je dois lire trente BD en dix jours... Tous les soirs j'suis là...
Stéphane : Tu peux m'en filer un peu.
Nicolas : Ouais c'est ça je vais t'en filer."

Nicolas & Stéphane Sirchis, Pour un clip avec toi, 1991

"Effectivement, sur nos deux premiers albums, notre langage était simpliste. Très bande dessinée, un peu cinéma même."

Nicolas Sirchis, Le Lundi, 1994

 

"Guy Lemaire : L'Aventurier, c'est Bob Morane !
Nicolas : Ah bah oui, c'est clair, c'est clair ! S'il vous plaît !
Guy Lemaire : Et c'est pas un hasard.
Nicolas : Ah bah non c'est pas un hasard, c'est vrai que, bon c'est pas un mystère, Stéphane et moi on habitait Bruxelles, donc on a été effectivement en Belgique effectivement Bob Morane est plus, comment dire, plus accessible tout de suite par les jeunes générations, et puis on a... Quand on a commencé à écrire cette chanson, j'ai pris un livre dans ma bibliothèque et y'avait ce... Je crois que c'était L'Ombre Jaune effectivement donc euh... J'avais envie d'adapter un petit peu tous ces titres, qui sont un petit peu... 
Henri Vernes : C'est moi qui ai écrit les paroles puisqu'il s'est servi de tous les titres de Bob Morane pour écrire sa chanson, hein ! 
Nicolas : Maintenant on s'quitte plus ! 
Guy Lemaire : En tout cas vous êtes ensemble sur le plateau de Tour de Chance. [...] Le deuxième disque c'était d'ailleurs Le Péril Jaune... 
Nicolas : Ouais, après oui on a, on a, on a fait notre route effectivement, sur...
Guy Lemaire : Y'avait aussi des gentils chez vous, y'a Miss Paramount
Henri Vernes : Y'avait Miss Paramount aussi ! Miss Paramount aussi ! Oui oui ! 
Nicolas : Oui, c'était un dérivé de ce qu'il restait de L'Aventurier..."

Nicolas "effectivement" Sirchis dans Tour de Chance avec Henri Vernes, 1994

L'émission est amusante. L'époque est différente, Nicolas est mal à l'aise et surtout très très loin de l'intellectuel dont il se donne aujourd'hui l'image. Henri Vernes, pas dupe du tout, avait très bien compris que Nicolas ne piochait que dans les titres et jamais dans le contenu, ce qui se vérifie encore à ce jour. Et en effet, les relations entre le chanteur et l'écrivain ne semblent pas si idylliques : 
"Au départ, L'Aventurier a été un tube alternatif, le succès populaire est venu après. Henri Vernes, l'auteur de Bob Morane est arrivé à ce moment-là. Il voulait absolument qu'on mette un autocollant sur le single : 'la chanson de Bob Morane'. Et puis la presse s'en est mêlé. On voulait nous lier dans les interviews... Mais moi ça m'emmerdait un peu. Je trouvais ça hors-sujet. Je n'avais pas écrit ce texte par admiration pour l'auteur de Bob Morane." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Nous revîmes une référence BD dans "Astroboy" en 1999, un jeu de mots de plus avec des titres.
"C'est Gwen qui m'a fait découvrir Astro Boy. Ça a donné ma première chanson manga. Après tout, c'est une sorte de Bob Morane des années 90. [...] 'La route orange' est le titre de l'une des aventures d'Astro Boy. [...] J'ai eu beaucoup de plaisir à l'écrire, mais en fait, pour être sincère, je ne lis pas beaucoup de mangas." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Astro Boy d'Osamu Tezuka a en fait été publié de 1952 à 1968 avec des reprises épisodiques jusqu'au début des années 80. De plus, il n'est nullement question de route orange dans les aventures du petit robot. Kimagure Orange Road est un autre manga, écrit et dessiné par Izumi Matsumoto dans les années 80.

   
"Quel autre personnage de BD vous inspire ?
...Mais moi j'ai jamais été super BD hein ! [...] Bob Morane j'ai dû lire ça pendant... Une dizaine de Bob Morane quand j'étais petit j'arrêtais pas, et puis quand j'ai... on a commencé à écrire L'Aventurier, j'ai été piocher dans ma bibliothèque, et j'ai vu ça, et j'ai vu tous les titres j'ai dit putain ça peut faire une bonne chanson ça..."

Nicolas Sirchis interviewé par Witold Langlois, RTS, 2018

Stratégie ? Mythomanie ? Alzheimer ? Nous voyons parfaitement dans cet extrait tout le crédit que Nicolas porte au neuvième art. Quoi qu'il en soit, une BD sur Indochine était sortie quelques années avant cette divagation de Nicolas, n'ayant malheureusement pas d'autre intérêt que la variété des dessins puisqu'elle reprend la version officielle de l'histoire du groupe.

Indochine : la BD, Gaet's et Sébastien Bataille, Fetjaine, 2012
 
Alors que Nicolas assumait sans peine la bande dessinée au début des années 80, et que les deux premiers albums d'Indochine exposent cette influence au grand jour, l'intellectuel qu'il veut être aujourd'hui ne souhaite plus y être associé, préférant certainement les vrais livres, sans images, que l'on serait censé lire en tant qu'adulte.  
"J'avais la mélodie de la chanson et j'ai eu l'idée de faire un zapping des titres des bouquins, L'Ombre Jaune, La Vallée Infernale, etc. Après, il y a eu des malentendus, on a dit qu'Indochine était un groupe qui s'inspirait de la bande dessinée, alors qu'il s'agissait bien des romans." 
Nicolas Sirchis, hors-série Rolling Stone, juin 2010

Comment ne pas éclater de rire ? Nicolas n'a pris que les titres, mais attention c'étaient de vrais livres ! Ce qui est bien dommage, puisque le descriptif de l'album sur Indochine Records le contredit :


Le rapport qu'entretient Nicolas avec la littérature, plus le fait qu'il se comporte systématiquement en publicitaire de lui-même, est très révélateur de sa propension à réécrire l'histoire. Certainement influencé au départ par une certaine espièglerie et une culture alternative, Nicolas semble avoir été au fil du temps plus attiré par une attitude cultureuse qui correspondait mieux à sa personnalité. Ne se sentant plus d'équerre avec ses thèmes de l'époque, Nicolas a fini par enrober ses anciens textes et thèmes d'un parfum de culture légitime, bien plus en adéquation avec l'image d'intellectuel qu'il souhaite donner, quand il n'invoque pas un second degré dont il est pourtant incapable. Les références BD parsèment pourtant tous les livres officiels et interviews des années 80.

Mais il n'y a aucune honte - bien au contraire ! - à avoir été influencé par l'univers très riche de la bande dessinée, et à avoir voulu jouer avec un univers asiatique en toc que les banlieusards connaissent bien. Stéphane lui, ne cessa jamais d'évoquer des auteurs comme Frank Margerin, Jano ou Philippe Vuillemin. Il est d'ailleurs compositeur en 1996 de la musique du documentaire La bande dessinée a 100 ans de Diane Perelsztejn. 


Pour en revenir au nom, notre théorie bullshit à nous c'est qu'ils auraient vu le mot "Indochine" sur la devanture d'un restaurant de la banlieue parisienne ou du 13e arrondissement.
"On était dans tout ce phénomène de héros ridicules du cinéma hollywoodien, comme Rocky, comme machin... Le seul truc qui avait un peu d'humour, c'était L'Aventurier de l'Arche Perdue (sic). C'était un peu... Moi ce que, c'était ça, c'était la vallée infernale, égaré dans la vallée infernale le héros s'appelle Bob Morane... C'était vraiment quelque chose de totalement second degré."

Nicolas Sirchis, Un flirt sans fin, 2006.

"Oli, il faut faire attention à tout ce que l'on dit avec Nicola ?
- Oui. Il a pas beaucoup de second degré."
Interview sur MFM, 2014

"Les aventuriers de l'arche perdue" de Steven Spielberg (1981)
Oui, je l'ai vu. C'est un peu pour ça que j'ai fait "L'Aventurier"... J'adore Harrison Ford, dans le film il s'en sort toujours de justesse... Il y a une scène que j'aime bien, lorsque un immense Arabe fait virevolter son sabre pour l'impressionner : Indiana Jones prend son flingue et boum ! C'est très drôle."

Nicolas Sirchis, les toiles de Nicola d'Indochine, 1991


Le plus ironique c'est que la négation du rôle de la bande dessinée chez Indochine au nom d'une certaine posture lettrée, est justement la négation de son lien historique le plus solide avec une culture alternative. Sans refaire l'histoire de la contre-culture, il y a toujours eu des échanges entre phylactères, contestations, marges et musiques électriques, depuis les Underground Comix jusqu'à Métal Hurlant en passant par le magazine new-yorkais Punk qui offrit son nom au mouvement.
"Comme la pochette était faite par Marion, dans une option bande dessinée, il y a eu une sorte de malentendu autour d'Indochine. On nous a qualifié de 'groupe de rock BD'. À l'époque il y avait Métal Hurlant qui marchait bien, avec toute une nouvelle scène de dessinateurs effectivement branchés rock, mais on n'avait pas vraiment de lien avec eux. Comme je l'ai souvent expliqué, c'était plutôt du second degré par rapport au mythe du héros invincible." 
Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011

Une relecture bien peu audible lorsqu'on connaît la redondance du thème de l'héroïsme chez Nicolas. Rembobinons une dernière fois :
"Les sons exotiques peuvent s'intégrer au rock. À l'Olympia, on accentuera plus sur le côté aventure, nous sommes une réaction contre les groupes politiques, ce qu'on veut c'est privilégier à nouveau le mythe du héros ; la BD, les voyages nous intéressent. Si l'album L'Aventurier était assez BD, le prochain sera plutôt cinéma, ambiance Pépé le Moko, un peu. Il y a des textes sur le désert, des climats différents à chaque chanson."

Nicolas Sirchis, "Fièvre Jaune", Best, 1983

Les cartoons d'Olivier Gérard pour le programme du Dancetaria Tour et du Paradize Tour étaient encore témoins des influences alternatives d'Indochine qui paraissent bien loin aujourd'hui.






 

Stéphane lisant un roman de Bob Morane.

Bonus : la possible véritable histoire du rapport de Nicolas à la littérature a été racontée dans Fréquenstar le 13 juin 1992:
"[...] et puis il y a les inspirations littéraires. On sent que t'as été fouiller, Conrad, Salinger.
Bah j'ai pas été fouiller, en fait, c'est venu comme ça. Mais en fait, je crois qu'on s'est... le problème... 
T'étais littéraire avant ou pas ?
On était toujours en... Je sais pas si on s'est cultivé. Moi j'adorais les bouquins. C'est vrai que euh... à partir de 15 ans, bon, on avait chacun le bouquin de Breton dans sa poche. C'était cette mode là. C'est-à-dire qu'on faisait partie de cette adolescence qui aimait Rimbaud, Breton, Mallarmé, les surréalistes, etc. Donc j'ai commencé à lire ça. Et à partir... à 20 ans j'ai décroché pendant 5 ans quoi. J'étais plus dans la musique, dans la photo, dans les trucs. Mais... et puis c'est revenu après. C'est revenu très vite parce qu'il y a une réflexion de la femme avec qui j'étais pendant 7 ans. Je lui disais "j'arrive pas à lire". Elle me dit "Il n'y a que les fous qui arrivent pas à se concentrer pour lire". Alors ça m'a fait peur et depuis je lis sans arrêt. (rire) Peur d'être fou."


En 2010 pour Dernières Nouvelles d'Alsace :

"Je suis pas un grand... quelqu'un qui lit vachement. J'essaye au moins de... pallier à toutes les années d'absence littéraire. Au moins de lire des pages tous les jours.

[...]

J'ai très peu lu."

David Bowie

Le jeune Nicolas d'Indochine Mk1 n'a pas grand chose à voir avec l'actuel personnage médiatique.

"Dans la musique, il y a deux personnages qui m'ont marqué, Bécaud et Sheller. Gilbert Bécaud d'abord pour tout ce qu'il dégage sur scène et William Sheller pour son sens aigu de la mélodie. Aujourd'hui encore, quand je les écoute ils me font craquer."

Nicolas Sirchis, Best, 1985

"Question d'un fan : Je me suis demandé, dans votre jeunesse c'était qui vos idoles ?
Alors pour ma part, c'est un peu ce qui était sur la carte blanche, c'est vraiment David Bowie et Patti Smith. [...] Ça m'a pas inspiré dans la musique, ça m'a donné envie de faire de la musique. Ce qui est quand même plus intéressant, parce que je me suis dit c'est vraiment ce qui m'intéresse, ces émotions-là m'intéressent beaucoup, enfin c'était ça qui me parlait."

Nicolas Sirchis, conférence à la FNAC de Lyon en 2008

David Bowie est à ce jour un des artistes que Nicolas a le plus cités, il est même devenu incontournable dans son paysage de références et cela n'échappe plus à personne. Nous connaissons tous aujourd'hui un "fan de Bowie et de Patti Smith", mais comme souvent, il est intéressant de faire une rétrospective.


Pour Nicolas, David Bowie est loin d'être une référence récente ou calquée sur une quelconque mode. Sa mention est présente dans tous les livres officiels, et nous entendons depuis longtemps des reprises du chanteur londonien. "Heroes" clôturait déjà les concerts au début du Wax Tour en 1996, ainsi que ceux du Dancetaria Tour (1999-2000), reprise ressortie en 2016 après sa mort. Un décalque de la version originale à l'intérêt franchement limité. Voir également cette reprise de "Rebel Rebel" avec El Presidente chez Nagui en 2006, sans oublier celle de 1993 avec Marc Toesca.
 
Nicolas déguisé en Thin White Duke (2013)


Nous aurions pu nous attendre à ce que Nicolas ait des choses à dire sur ce qui ressemble à son idole de toujours, et c'est plus ou moins le cas. En 2016, il fut forcément questionné après la disparition de l'auteur de Blackstar...
"Oui, ouiouioui, ça a été une hécatombe, principalement sur David Bowie, alors même si l’œuvre de Bowie est éternelle, et j'écoutais beaucoup moins, et j'écoutais même pratiquement pas ses albums, cette carrière, after-Outside, où là j'ai un peu décroché... La première fois que tu vois David Bowie t'es... qu'est... Enfin il se passe quelque chose où... voilà. J'ai été un fan incroyable de Diamond Dogs, Aladdin Sane, Peanuts (sic)... Tous les... euhh... Station to Station qui était sa période berlinoise."

Nicolas Sirchis, interview pour Oui FM, 2017

Non. On parle de Pin Ups et non de Peanuts. Nicolas fait cette erreur au moins depuis 1993.

Pin Ups, 1973
 
Non plus. Bien que Station to station (1976) soit en effet influencé par la musique allemande de cette époque, la période berlinoise de Bowie regroupe les albums Low (1977), Heroes (1977) et Lodger (1979).


Nicolas est honnête en disant que Bowie ne l'a pas influencé au niveau musical, en effet il serait naïf de réduire les jeux d'influence dans la musique à la composition et aux sons. Il l'est moins dans la mesure où il en fait la base de tout son paysage musical. Dans le livre officiel de 1986, tous citent David Bowie, et Nicolas précise :
"Mon premier contact musical fut avec mes copains de St-Sulpice, Doctor Feelgood, Supertramp. [...] C'est donc à Paris que j'ai eu mes premiers contacts avec la musique, avant je m'intéressais surtout au cinéma. [...] Mais mon premier vrai 'enthousiasme' pour la musique, où ça m'a plu assez pour que je veuille acheter les disques, c'est avec David Bowie. J'avais un copain qui était spécialiste, inscrit au fan-club, et il m'y emmenait."

Nicolas Sirchis in Indochine, Jean-Eric Perrin, 1986

Nous parlons ici de 1974, année de son retour en France, et c'est vers cette époque qu'il a entendu "Rebel Rebel" sur Diamond Dogs, un choc musical évident qui en explique la citation récurrente avec le titre "Diamond Dogs".  
"Ah moi j'ai aimé, ah j... mais avant, avant Bowie et Patti Smith j'écoutais Supertramp, parce que c'était beaucoup plus connu en Belgique... Quand j'étais là-bas, et, et euh, les deux premiers albums, avec Dreamer et Crisis, What Crisis ? ouais... Après y'a eu Good Morning America ou quelque chose comme ça ouais. Énorme, énorme."

Nicolas Sirchis, RTL, juin 2014

Breakfast in America. Nicolas confond ici avec un mélange de Good Morning England et Good Morning Vietnam. "Dreamer" est une chanson parue sur Crime of the century en 1974 (!) et Crisis, What Crisis ? est sorti en 1975, respectivement les troisième et quatrième albums de Supertramp. Comme dit dans le premier livre officiel d'Indochine, Nicolas n'a pas écouté Supertramp en Belgique, mais parallèlement à Bowie, pendant ses années lycée à Paris.

Ce mensonge ne va pas spécialement dans le sens de ce récit selon lequel Nicolas aurait été un jeune fan de rock écoutant les radios libres en Belgique, parachuté en France au milieu d'un paysage saturé par la variété avec les trois François. Il serait par exemple amusant de lui rappeler que Claude François avait rempli Forest National, donnant lieu à l'album Sur Scène (1974). Nicolas s'est bel et bien mis à la musique à Paris, intégrant des artistes internationaux, dont Bowie, à un paysage très variété française qui ne lui posait alors aucun problème.

La séparation entre les musiques dites rock et la chanson française n'était pas aussi saillante qu'aujourd'hui, et "Un garçon pas comme les autres" (aussi connue comme la chanson de Ziggy), de la comédie musicale Starmania (1978), pouvait en témoigner. Le groupe Au Bonheur des Dames montrait déjà en 1973 que Ziggy, Roxy et Alice étaient largement connus et assimilés dans l'Hexagone.

 
Au sein d'Indochine, le grand bowiphile était Dimitri Bodiansky, qui le citait bien plus régulièrement. Le premier disque qu'il ait acheté est The rise and fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, lorsque Nicolas parle de Poupée de cire, poupée de son de France Gall. Questionné sur ses goûts musicaux dans Indochine en 1985, il y cite "Bowie, Bécaud, Salvador pour le swing."

Nicolas confiait aussi dans Rock & Folk en mars 1988 avoir "complètement craqué sur certains albums, en particulier 'Lodger' qui m'a fasciné.". Il ajoute toutefois : "Maintenant, j'aime bien quelques titres comme 'China Girl' mais il est clair que ce n'est plus le Bowie de la grande époque."
 
C'est vrai, la seconde moitié des années 80 est souvent considérée comme une période maudite pour l'homme qui venait d'ailleurs, et cela peut expliquer que Nicolas ait, comme énormément de gens, pris ses distances.
 
David Bowie sur le Serious Moonlight Tour (1983)

 
Au crépuscule des longues années 90, alors que David Bowie avait vu sa crédibilité artistique remonter après Earthling (1997), Nicolas nous éclairait superbement sur son fonctionnement en matière de goûts musicaux.
"Moi c'est Bowie qui m'a donné envie de faire de la musique et de préférer des groupes qui ont une aura sexuelle à d'autres."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, 2000

Il n'est pas impossible que les apparitions de David Bowie avec Placebo à cette époque, groupe alors admiré par Nicolas, ait réactivé son intérêt. Revenant aux bases, construisant jusqu'à nos jours ce personnage d'esthète rock aux frontières du cinéma et de la littérature, Nicolas réintègre également le mot glam dans son champ lexical pour la promotion de Dancetaria.

Voir : Placebo, 1999 - Dancetaria


Mais un glam francophone serait plutôt ancien, et à chercher chez Patrick Juvet ou William Sheller. Nous pourrions même regarder du côté de Johnny :
"Il faudra donc attendre 1982 et son spectacle 'Fantasmhallyday', dont la mise en scène spectaculaire s'inspire autant du shock rock d'Alice Cooper que de Mad Max, pour entrevoir tardivement ce qu'aurait pu donner un glam réellement assimilé par la culture hexagonale."

Eric Cartron-Eldin, Glam de France, Audimat n°16, 2021
 
S'il serait stupide de nier l'importance capitale du spectacle et de l'illusion au sein du phénomène glam rock, il nous semble assez étrange de remiser l'aspect musical à l'arrière-plan, à ce point-là. Adolescent dans les années 70, Nicolas semble avoir été marqué - voire formé par cette place immense donnée au management et au marketing dans la musique rock, métamorphosant son idéal révolutionnaire en communication rodée, ciblant un public jeune. Cela peut participer à expliquer pourquoi il donne une telle priorité à l'apparence, aux pochettes et au spectacle, au détriment d'un aspect musical compliqué à gérer pour ce non-musicien et non-mélomane. 

En plus du maquillage et d'une inclinaison pour les concerts très scénographiés, l'influence de Bowie se manifeste plus concrètement encore avec un titre, ici "Station to Station" (1976), dont Nicolas piocha un mot signifiant, pour Station 13. Un morceau pendant lequel une photographie de David Bowie apparaissait sur les écrans - ainsi qu'un Lou Reed période Transformer, pourtant jamais cité.

"Station 13" sur le 13 Tour, 2018
"La référence est une déférence mêlée d'un soupçon de gloire par procuration."
Simon Reynolds, Rétromania, Le Mot et le Reste, 2012

"Tous mes héros sont morts", certes, mais contrairement à une idée largement répandue dans notre société postmoderne, il ne suffit pas de se draper de l'image de ses héros pour en absorber le prestige. Le goût prononcé de David Bowie pour l'apparence, ainsi que sa propension connue à disséminer de petits mensonges en interview, afin de semer volontairement le trouble chez les auditeurs et journalistes, peut aussi avoir eu son petit effet sur Nicolas. S'il a indéniablement développé un penchant non-dissimulé pour la mise en scène de lui-même, influence possible des personnages bowiesques, une distanciation entre un Nicola Sirkis chimérique et la personne réelle n'a jamais été énoncée par ce dernier, qui ne s'est jamais montré très subtil en interview. Son inaptitude à expliquer ses choix, à discuter des mouvements culturels, et à s'éloigner d'un premier degré extrêmement ancré, nous éclaire sur l'absence manifeste de méta-commentaire via ses choix artistiques, et nous questionne sur leur pertinence au delà d'un simple alignement sur la mode.
"Il faut se remémorer quand Bowie est arrivé dans les années 1970 avec ses maquillages... Le nombre de gens comme moi qui se sont dit : 'Enfin, il se passe quelque chose, enfin ça me parle' [...] Je suis triste car ce type était quelqu'un qui sensiblement me touchait beaucoup. Je ne serais pas là si je n'avais pas écouté Bowie."

Nicolas Sirchis, RTL, septembre 2017

Il faut comprendre aujourd'hui que David Bowie est devenu dans les années 70 une superstar mondiale, qui a marqué énormément de gens de cette génération. Nicolas a comme quasiment tout le monde été marqué par l'image de Bowie, son attitude et ses looks, et en appréciait sans aucun doute une certaine idée. Mais cela semble avoir été si prévalent sur la musique que cette dernière ne surnage que via une poignée de singles.
"Ah oui alors, Bowie, c'est là où il y a un morceau incroyable, Ashes to ashes, Fashion... Mais ça c'était avant Let's Dance ? [...] Superbe album. C'est le dernier vraiment gros Bowie où.. où euh... enfin. Et puis surtout le premier clip de... Fort ! Avant même Thriller, Ashes to ashes c'était incroyable."
Nicolas Sirchis à propos de Scary Monsters, interview pour Hotmixradio, 2017

Pas de rapport musical avec le tube de Michael Jackson : si Nicolas l'évoque ici c'est pour le retentissement de son clip. "Thriller" (1982), avec sa narration et sa chorégraphie, constitue presque à lui tout seul le symbole de l'avènement du vidéoclip, pensé comme objet artistique quasi-indépendant du morceau qu'il accompagne. Mais deux ans avant, le très élaboré "Ashes to ashes" avait constitué le clip le plus cher jusqu'alors et fut même élu, avec "Fashion" justement, meilleur clip de l'année 1980. Des souvenirs visuels marquants pour un Nicolas passionné d'images.



En revanche vous imaginez, vous, un fan d'Indochine de toujours, demander si Le Baiser c'est bien avant Wax ?


Le remaniement des souvenirs de Nicolas est allé tellement loin qu'un beau jour :
"Bah alors, je me rappelle plus le jour où la première fois où, je crois que c'était... Je suis arrivé, moi j'ai quitté la Belgique en 73, 74, donc je suis arrivé et effectivement le contraste entre les musiques qu'on écoutait à la radio et... en Belgique et en France c'était un contraste euh, assez violent... Et Bowie je crois que j'ai dû... à mon avis, je crois que c'est grâce à Yves Mourousi, euh... qui était fan de Bowie. Qui était quand même le présentateur... Je me trompe, parce qu'en fait je l'avais vu à Top of the Pops. On captait la BBC nous à l'époque en Belgique, parce que y'avait déjà le câble, et je l'ai vu à Top of the Pops, sur 'Starman'. Et euh, j'avais douze ans treize ans, et là ouaahh putain."

Nicolas Sirchis, Clique, 2018

Stop.

Nicolas fait ici référence au très célèbre passage de Bowie dans TOTP en 1972, qui fut un catalyseur pour des musiciens britanniques comme Ian McCulloch ou Robert Smith, et continue d'être cité par de nombreux auteurs comme un moment-clé de l'histoire du rock. Il est abracadabrant d'entendre Nicolas tirer aujourd'hui cet épisode de son chapeau, comme s'il avait fait partie de l'avant-garde des musiciens anglais. Il est pourtant bien plus plausible qu'il soit retombé dessus au détour d'une exposition ou d'un livre sur Bowie, et ait trouvé intelligent de prétendre l'avoir vécu en direct - le mensonge est d'autant plus risible que Nicolas se corrige au milieu de sa phrase.

D'ailleurs, il se démonte tout seul dans le livre de Rafaëlle Hirsch-Doran :

"Là, dans le VIe arrondissement, j'ai rencontré une autre jeunesse, parisienne, aisée, mais de gauche, très intellectuelle, pleine de musique. Il y avait dans ma classe un fan de Bowie, qui me l'a fait découvrir, ainsi que Warhol..."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Comme souvent, nous nous questionnons sur le niveau de conscience avec lequel Nicolas souffle ce mensonge : le fait-il sciemment, ou a t-il fini par croire sincèrement à ses fabulations ?


Une fois pour toutes : les références de Nicolas Sirchis, réelles ou inventées, sont les têtes d'affiches de "discothèques idéales", avec les tubes que tout le monde de sa génération écoutant du rock a connu et écouté, quelles que soient les sensibilités politiques et sexuelles. Ce n'est pas un problème en soi, mais cela est profondément discordant avec l'image qu'il souhaite donner en interview.


Avec une posture d'intellectuel à l'anglaise directement inspirée de ce qu'il avait vu chez David Bowie, et bien qu'hésitante, confuse et bourrée d'approximations, Nicolas arrive miraculeusement à passer pour un esthète et un érudit. Mais cela ne fonctionne qu'aux jeunes yeux d'un public novice et candide, ébloui par le namedropping et pour qui un certain charisme d'homme cultivé, bien fringué et bien coiffé, semble suffire. N'est-ce pas une influence assez contestable mais bien réelle du phénomène glam, avec ses stars très visuelles et ses groupies, malgré la lecture réductrice qu'elle impliquerait ?

Forcément, les citations ne servant que d'emballage à une image à vendre, les musiciens évoqués par Nicolas pourront difficilement intéresser ses fans. Et c'est normal, puisqu'il n'est pas un passeur voulant partager ses goûts, mais un publicitaire de lui même, sans aucune trace de second degré. À la différence d'un Bowie absorbant les tendances et proposant sur album le résultat d'influences digérées, il est inutile et vain de chercher des points communs entre Indochine Mk2 et les références données en interview, qu'elles soient musicales, cinématographiques ou littéraires. Réfléchir aux motivations quant à ces références est en revanche bien plus intéressant, puisqu'il est souvent question de révélations accidentelles d'une superficialité et/ou incompréhension.
Par exemple, il n'y aurait a priori pas de raison de ne pas croire Nicolas lorsqu'il prétend que son groupe s'est maquillé dès 1981 sur l'influence de Bowie, mais la photo la plus connue de cette époque le contredit. Le look d'Indochine est celui d'un groupe new wave à tendance minet, et Nicolas y arbore une coupe banane cohérente avec l'inclinaison musicale rockab' alors proposée ("Indochine", "Françoise", "Dizzidence Politik"...).
Indochine au Rose Bonbon, 1981

Au sujet du maquillage, plus tardif, ce sont plutôt les Comateens que Nicolas avait évoqués, et leur influence visuelle est en effet bien plus perceptible.

"Les Comateens nous avaient donné cette idée. On se mettait du rouge à lèvres nous-mêmes pour affiner un peu nos visages."
Nicolas Sirchis in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère, 1988

"Quand Cure est arrivé en France, tout le monde a dit qu'ils avaient tout inventé, mais personne n'a rien inventé du tout. Moi je me maquillais parce que j'aimais bien David Bowie."

Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les Guides MusicBook, 2003
 
Voir : The Cure
"Genesis ils étaient maquillés hein, mais c'étaient des maquillages de théâtre, très théâtral, très mime machin... Lui c'était très, beaucoup plus, dans une sorte de violence sensuelle, forte... C'était rock quoi. C'était le glam avec T-Rex, etc."
 Nicolas Sirchis à propos de David Bowie, Clique, décembre 2018

En effet T-Rex, avec Marc Bolan, fut à l'origine de ce phénomène glam bien connu : les fans s'habillant et se coiffant comme leur idole. Bien sûr, cela fut aussi inévitable chez ceux du resplendissant David Bowie. Habitués des concerts d'Mk2, cela vous évoque t-il quelque chose ?

En revanche, Bowie a été depuis les années 60 dans "le théâtre d'avant-garde, le mime et la commedia dell'arte, et développe un intérêt pour son image et l'idée de personnages à présenter au public."


Le voici donc en grande démonstration de "mime machin", une pratique extrêmement respectable et qui demande beaucoup de travail. Une séquence du cultissime dernier concert des Spiders from Mars qui avait apparemment échappé à la mémoire de Nicolas. Pourtant, il s'en est souvenu plus tard chez Claire Chazal


Nicolas, qui avait parlé de Pina Bausch et Wuppertal en 2013 après Les Rêves Dansants (Anne Linsel, 2010) et Pina (Wim Wenders, 2011), devrait, nous semble t-il, se montrer plus sensible à l'expression artistique par le langage du corps.


La suite de l'interview avec Mouloud Achour est amusante : 
"Les Sparks étaient effectivement le dérivé de... de comment il s'appelle... de Bowie, avec l'album Kimono my house qui était extraordinaire."

Les Sparks ne sont absolument pas un dérivé de Bowie, quel rapport à part une certaine époque et un sens affirmé de la théâtralité ? Et Indochine, ce serait le dérivé de quoi ? Reste que Nicolas, comme avec Station, n'en a tiré une influence qu'à travers un mot, pour l'affligeant Kimono dans l'ambulance :
"J'adore moi l'album des Sparks qui s'appelait Kimono my house, et ça faisait très longtemps que je voulais faire [un titre] avec ce terme 'Kimono', et justement, avec le nom Indochine c'est un peu lourd à porter, Indochine, kimono, c'est un peu facile. Donc j'ai attendu, et là, kimono, ambulance, j'avais trouvé le truc."

Nicolas Sirchis, France Bleu, 2017

Un Nicolas aussi creux qu'incompréhensible, à propos d'un disque dont nous sommes prêts à parier l'existence du blog qu'il l'aime pour sa pochette. Malgré un visuel attrayant pour un fan d'Indochine, il sera difficile d'y déceler des points communs musicaux.

Sparks, Kimono my house, 1974

Voir : Art contemporain, avec l'exposition Kimono, au bonheur des dames début 2017.


Nicolas tenta en 2010 une explication à la Bowie pour le choix du maquillage :
"Par exemple, j'ai pris très tôt l'habitude de me maquiller, j'ai été influencé par le théâtre nô japonais."

Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010

Une justification clownesque, évidemment jamais énoncée auparavant - ni même après - au delà d'un goût affirmé dans les années 80 pour l'orientalisme de bande dessinée. En revanche, l'influence du théâtre nô et kabuki sur David Bowie est largement connue.

David Bowie habillé par Kansai Yamamoto, 1973

De nos jours, les échanges à la radio sont de plus en plus souvent filmés. De quoi apprécier un échange entre Nicolas Sirchis et Bernard Montiel en 2020, virant au combat de coqs pour déterminer qui aura le mieux appris sa leçon. Malheureusement, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Reconnaissant "Rebel Rebel" à l'antenne, Nicolas estime qu'il s'agit-là du "meilleur gimmick du rock fran... du rock en général, pour moi, 'Rebel Rebel', Bowie."

Pourquoi pas

"Nicolas : Je me rappelle, la première fois que je l'ai entendue c'était à la radio euh... en Belgique, en 73, euh, c'était sur l'album euh...

- Montiel : Ça c'est Fashion. C'est l'album Fashion.
- Euh, non c'est pas l'album Fashion ça.
- Si si.
- Rebel Rebel ?
- Si si, ça date de 1982, tu paries.
- 82, non non, alors là je parie tout ce que tu veux, c'est 'Rebel Rebel', extrait d'un album qui doit... Je me rappelle plus si c'est avant Diamond Dogs ou... Mais non, Fashion c'est une compilation de Bowie hein. Mille-neuf-cent-quatre-vingt [?] donc voilà, là il avait son bandeau noir sur son œil, en combinaison rouge, et euh voilà...
- Il t'a bien inspiré aussi David Bowie, le côté rebelle tout ça.
- Inspiré nan, c'est le côté androgyne, c'est marrant...
- Ouais c'est ça c'était l'époque !
- C'est que les deux choses qui m'ont le plus marqué moi, c'était Patti Smith et David Bowie. J'ai jamais pu le voir quand j'étais adolescent, mais c'était quelqu'un d'extrêmement important pour moi."
David Bowie en 1974

Face à Bernard Montiel, même Nicolas ne paraît pas si inculte. Si nous avions déjà remarqué qu'il avait du mal à dater les albums, il ne se laisse ici pas totalement avoir par un animateur très mal informé : Fame & Fashion (et non "Fashion") est bien une compilation de Bowie, sortie en 1984 et non 1982. Mieux encore, "Rebel Rebel" ne fait pas partie du tracklisting !

Pourtant, même à propos d'un Diamond Dogs cité et recité comme un de ses disques cultes, Nicolas arrive à douter de la présence de "Rebel Rebel" sur l'album, sorti en 1974 et non 73.

Plus tard dans l'émission, les informations sont vérifiées pour départager nos deux lutteurs : "En 1974, sur Diamond Dogs !"

"Ah, t'avais raison alors.
- Voilà... AVEC DIAMOND DOGS […] Y'avait 'Diamond Dogs', y'avait euh, donc 'Rebel Rebel', y'avait un autre titre aussi.............. 'Sweet Thing' !
- 'Heroes' ? Non c'est plus tard non ?"

C'est à ce moment-là que Montiel achève d'excéder Nicolas, qui s'empresse de corriger :



Raté, c'est 77. Comme dit plus haut, et bien que la période berlinoise soit une trilogie, elle compte deux albums parus en 1977, Low et Heroes, ainsi que Lodger en 1979. Nous remarquons aussi que Nicolas lutte pour citer trois titres de son album de référence, Diamond Dogs, dont il aurait été un "fan incroyable" !

Ce qui nous interpelle encore davantage, c'est à quel point David Bowie est devenu un artiste institutionnalisé, dont nos protagonistes ne parlent qu'à travers des impressions et informations totalement vides : "c'était l'époque !" Il n'est question ici uniquement que d'un savoir scolaire et superficiel sur une figure lointaine, bêtement rabâché. Les dates citées à tort et à travers ne sont plus inscrites dans la temporalité : ce ne sont que des nombres accolés à des images, reliques d'un passé muséifié, duquel il est facile de se prétendre expert après un passage sur Wikipédia.


Détail amusant, c'est le Bowie de Heathen (2002) qui apparaît discrètement dans le panthéon de la pochette de La République des Météors en 2009, Nicolas n'ayant pas eu le droit d'utiliser la photo de Ziggy Stardust qu'il souhaitait à la base.



En 2019 et 2020, Jérôme Soligny, connu des fans d'Indochine pour "Like a monster", et reconnu par ailleurs comme musicien, journaliste et très grand spécialiste de David Bowie, sort deux impressionnants volumes de Rainbow Man. Il s'agit d'une encyclopédie chronologique de son œuvre, rendant au factuel son importance primordiale face aux nombreux malentendus et légendes, et dans laquelle de nombreux proches du chanteur et personnalités du monde artistique sont interviewés. On peut y lire entre autres les interventions, souvent passionnantes, de musiciens français comme Catherine Ringer ou Nicolas Godin.

Rainbow Man 1967-1980, Jérôme Soligny, Gallimard, 2019

Nicolas Sirchis en est absent.


Voir aussi sur le blog :

Placebo




 
 
Annexes :