Troisième Sexe

 


"Hey, si demain ! Si demain dans ta rue, si demain dans ta rue, ou si demain dans ta ville, on te montre du doigt, parce que t'as les cheveux comme ça, ou parce que tu t'habilles comme ça... Dis-leur, dis-leur que ce sont des pervers, voici Troisième Sexe !"
Nicolas Sirchis sur la scène du Zénith, 1986

Citation archi-emblématique et archi-intéressante puisque Nicolas ne parle que de vêtements et de cheveux.

 

Jacky Jakubowicz : Le troisième sexe, c'est quoi exactement ?
Nicolas Sirchis : Beh, ça te choque le titre ou pas ?
- Non pas du tout mais je voudrais que tu expliques, les garçons au féminin, les filles au masculin...
- Ouais, en fait nan, ouais c'est une grande histoire. Le grand problème, c'est que j'ai remarqué que... Bon, nous dans notre génération, on s'habille un peu...
- Comme des ados ?
- Un peu bien quoi, on s'amuse bien. Et que ça choquait pas mal de gens quoi. Et c'était, histoire de... 1, on peut faire flipper les vieux comme on s'habille quoi, hein... Et puis 2, c'est surtout que toute cette jeunesse, enfin toute notre génération on se retrouve, on évite d'être dans des castes, n'est-ce pas... Chacun habillé diff... chacun dans son clan, et il faut qu'on se retrouve, qu'on se prenne la main pour justement avancer vers le... Back to the future. N'est-ce pas mon Jacky.
- Mais c'est très bien. Voilà une bonne explication."

Nicolas interviewé par Jacky Jakubowicz, Super Platine, 1985

 

"En France, il n'y a pas de groupe de rock gay. On est conscients d'avoir attiré les homosexuels dès le début de notre carrière mais on n'a rien fait pour, ni avant, ni après ! Il n'y a pas d'homosexuel dans Indochine. Du moins, pas que l'on sache ! Il y en a peut-être qui s'ignorent ! Il existe dans tout être humain une part d'homosexualité qui peut déboucher sur la bisexualité. On est sensible à la beauté d'un mec mais notre part d'homosexualité s'éteint si un mec très laid se met à nous draguer..."

Nicolas Sirchis, Stars Magazine, Août 1987

 

"H comme Homosexualité : Dans 'Troisième Sexe", nous n'affirmons pas que nous sommes un groupe de pédés, à la limite nous prenons une certaine bisexualité, et encore cela reste à prouver. On est avant tout Indochine, et avec tout le caractère d'aventure que ça comporte, et sans les messages philosophiques que certains voudraient nous faire endosser."

Indochine, Stars Passion, "De A à Z", mars 1988

"J'étais à Londres, il faisait beau et très chaud, dans la rue on voyait des mecs avec des looks insensés. Ce que je voulais dire, c'est que les plus vicieux ne sont pas ceux qu'on croit, mais bel et bien tous les outragés qui réagissent négativement devant une image qu'ils ont tendance à toujours vouloir caser, classifier, ranger dans des tiroirs. Aujourd'hui, on s'habille comme on veut, et le fait de porter une jupe pour un mec n'a rien à voir avec le fait qu'il soit pédé ou travesti. Il est ridicule de faire de telles associations."
Nicolas Sirchis in Le Septennat, 1988

En 1988 donc, Nicolas estimait encore avoir fait une chanson sur le fait qu'il est ridicule de traiter une personne de "pédé" si elle s'habille de façon un peu excentrique. Dont acte. Mais il semble surtout très plausible que cette réaction aille de pair avec ses complexes à propos du rock, domaine très masculin et hétérosexuel : Nicolas ne tenait pas à ce qu'Indochine soit vu comme un groupe de pédés !

Nicolas évoque souvent Patti Smith et surtout David Bowie comme des modèles d'androgynie, évoquant par là-même une certaine cooptation avec la grande époque du glam. Il est tout de même important de noter que le maquillage et les paillettes ne constituaient aucun lien avec des préférences non-hétérosexuelles. Au delà des positions de Bowie sur une possible homosexualité, souvent faites d'ambiguïtés saupoudrées en interview, le glam rock était un domaine musical traditionnellement old wave, davantage porté sur l'image et le marketing, et surtout très majoritairement hétérosexuel.

"Le méta-message de Bowie était un message d'évasion : s'évader de sa classe sociale, de son sexe, de son identité personnelle, de tout engagement trop évident - vers un passé de fantaisie ou un futur de science-fiction. Quand la 'crise' contemporaine était abordée, c'était de façon oblique, à travers la fantasmagorie d'un univers mort peuplé d'humanoïdes, un univers ambivalent tout à la fois célébré et abhorré. Pour Bowie (et pour les Sex Pistols après lui), il n'y avait 'pas d'avenir pour toi, pas d'avenir pour moi'. Et pourtant, malgré ce 'no future', c'est à Bowie qu'on doit d'avoir introduit la question de l'identité sexuelle au sein du rock et de la culture juvénile, où elle était jadis refoulée, ignorée, ou tout au plus objet de vagues allusions. Dans le glam rock, ou en tout cas chez les artistes les plus sophistiqués de l'univers glitter, comme Bowie et Roxy Music, ce n'était plus la classe sociale ou la jeunesse qui jouaient un rôle subversif, mais la sexualité et la remise en question des stéréotypes de genre. Même si Bowie n'avait rien de très radical, préférant le travestissement et le dandysme à une véritable politique de libération et de dépassement des rôles sexuels, on ne peut pas nier que lui et ses adeptes s'employaient à 'remettre en question la valeur et la signification de l'adolescence et de la transition vers le monde du travail' (Taylor et Wall, 1976). Et ils le faisaient à leur manière unique, mélangeant avec art les images du masculin et du féminin, censées traditionnellement définir le passage de l'enfance à l'âge adulte."

Dick Hebdige, Sous-culture, le sens du style, Zones, 1979

Il est important de rappeler également que Nicolas ne citait que très peu David Bowie dans les années 80, bien qu'il ait longtemps été devant sa télé dans les années 70 et qu'il ait forcément été influencé par le glam rock d'une façon ou d'une autre.

Nicolas a sûrement et sincèrement voulu projeter en France ce qu'il avait observé dans le glam, notamment à travers son goût pour le visuel et une apparence percutante, mais aussi en proposant un idéal d'évasion, appuyé dans le cadre d'Indochine sur la bande dessinée et le cinéma.
Mais à la différence de Bowie, il a toujours été incapable de faire preuve d'humour et de distanciation, ce qu'il lui aurait fallu pour jouer un personnage tel qu'un Ziggy Stardust. Le premier degré absolu de Nicolas et sa vacuité en interview le rendaient à l'époque - et aujourd'hui encore - plus proche d'un Bruel que d'une quelconque star glam.

De plus, l
'excentricité et le sarcasme britanniques étant toujours très étrangers aux Français, il semble que la mayonnaise n'ait pas pris dans l'Hexagone, et que ce soit cette dissonance qui ait provoqué des réactions homophobes : "c'est quoi ce groupe de pédés ?" Au grand déplaisir de Nicolas, hétérosexuel complet qui n'a pas franchement apprécié cette association.
"L'homosexualité masculine c'est toujours plus bestial. [...] L'homosexualité féminine est toujours beaucoup plus troublante, c'est l'initiation etc."
Nicolas Sirchis interviewé par Sébastien Ministru, PureFM, février 2013

Nous pouvons aussi parler du texte de "Canary Bay" - plus populaire dans les milieux queer que 'Troisième Sexe" - qui, au delà d'une ode à l'homosexualité féminine comme il est souvent perçu, est en fait un fantasme hétérosexuel trivial sur les lesbiennes. 

"Avec Canary Bay, on nage en plein fantasme hétéro ?
- J'avoue, oui. Avec un côté Sa Majesté des Mouches, transposé dans une bande de gamines de vingt ans. Canary Bay, c'était la république des filles, des Amazones. L'île fantasmée où j'aurais bien aimé passer du temps." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, 2011

 

"Oui, c'était une vision un peu adolescente Canary Bay, c'est pas le truc dont je suis le plus fier, un peu une vision un peu adolescente du fantasme euh, un peu masculin...
- Oui j'ai vu ça, mais pourquoi, un peu macho ?
- Masculin, masculin, rêver d'être sur une île déserte avec que des amazones... J'avais 17 ou 18 ans à l'époque."

Nicolas Sirchis interviewé par Bernard Montiel, RFM, 2021

Non. En 1985, Nicolas avait vingt-six ans.
"Nicolas : 'Troisième Sexe' ça parlait de, en fait, en grande partie de tolérance. De tolérance envers le... l'individu euh... euh, moi j'avais remarqué en fait que, qu'une personne s'habille bizarrement ou pense bizarrement euh... Ce qu'il faut c'est le tolérer quoi. Et j'trouvais qu'il y avait une certaine intolérance envers une certaine catégorie de jeunes.
Stéphane : Fallait oser à l'époque porter des boucles d'oreilles ou avoir les cheveux verts ou oranges tu vois, à Clermont-Ferrand ou ailleurs tu vois, dans les villes de province donc c'est vrai que, y'a beaucoup de jeunes qui nous disaient 'ouais, le look c'est hyper important, on a peur de s'habiller euh... punk, de s'habiller new wave, parce qu'on se fait remarquer dans la rue'. Donc c'est vrai que ça parlait un peu de ça quoi."

Nicolas et Stéphane Sirchis, Giga, 1991

"Moi j'ai écrit des chansons... Y'a des gens qui m'ont dit putain ouais... 'Troisième Sexe c'est une chanson d'homosexuel, vous êtes homosexuels' j'sais pas quoi... J'dis bah non, non, mais euh, j'avais envie de parler de... Déjà c'était pas une chanson sur l'homosexualité, mais une sorte d'étape comme ça, et euh, les gens sont toujours étonnés de nous voir déjà, sur scène, nous voir après dans la vie, enfin cette différence-là, c'est ça qui est intéressant."

Nicolas Sirchis, Paristroïka, 1993

 "Quel rapport as-tu avec la communauté gay ?  
- Un amalgame a été fait avec 'Troisième sexe', certains l'ont perçu comme une chanson sur l'homosexualité alors qu'elle traite de l'intolérance vis-à-vis d'une partie de la jeunesse et des libertés sexuelles de façon générale. Presque 15 ans après, elle reste d'actualité. On a voté le PACS de justesse, et finalement la chasse aux sorcières dont parle la chanson continue. Pour parler des fans gays, franchement je ne les vois pas. Je parle des garçons et des filles. Je crois que leur sexualité ne me regarde pas !"
Nicolas Sirchis, Tribu Move, Avril 2000

"L'image du groupe a été un moment complètement aseptisée, une partie de la presse rock nous a associé plus à Duran Duran qu'à Cure. C'est le public qui a fait la différence, comme toujours. Mais on était issu de la new-wave, beaucoup plus 'fleur bleue' que le punk. Cela étant, le premier morceau d'Indo, c'était quand même 'Dizzidence Politik', et on ne peut pas dire que 'Troisième Sexe' ou 'Trois Nuits par Semaine" étaient des comptines puisqu'elles faisaient toutes les deux l'apologie de la bisexualité !"
 
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
...Comment ?
"Mais au départ c'était une chanson sur le respect de l'ambiguïté, même pas de l'ambiguïté sexuelle, non, c'est que toutes les sexualités méritent le respect, et c'est pas parce que des fois on est habillé un petit peu hors du commun, qu'on a forcément... Parce que c'était ça hein, euh, 'lui il se maquille alors c'est forcément un pauvre pédé', ce genre de réaction... Euh, et en fait beaucoup de gens ont pris ça comme une sorte d'hymne de génération... [...] Moi ce qui m'a fait marrer c'est que cette chanson que j'ai écrite comme ça, elle est presque autant d'actualité, elle était autant d'actualité y'a quatre ans ou trois ans quand y'a eu cette levée du bouclier autour du PACS, y'a toujours cette haine vis-à-vis de cette sexualité, cette haine vis-à-vis des gens un petit peu différents, enfin c'est assez curieux."
Nicolas Sirchis dans En Aparté, Canal+, 2003

En 2003, même si Nicolas n'était plus très sûr de ce qu'il voulait faire dire à "Troisième Sexe", il s'agissait toujours d'un morceau à propos de looks perçus comme hors du commun, et des réactions & insultes, souvent homophobes, qu'ils engendrent. Mais le chanteur semblait toujours ne pas souhaiter être associé à un "pédé", peu importe son look. Et finalement...


"Alors le prochain morceau est dédié à tous les garçons qui aiment les garçons, à toutes les filles qui aiment les filles, à toutes les filles qui aiment les garçons, à tous les garçons qui aiment les filles. Merci de votre tolérance, merci, merci beaucoup !" 
Nicolas Sirchis sur la scène de Paris-Bercy, 2003

Cette manière de présenter "Troisième Sexe" n'a même pas eu cours sur l'intégralité de la tournée, puisqu'elle servait à la base d'introduction à la reprise de "Smalltown Boy", un vrai hymne gay. À la différence de "Troisième Sexe", donc.


Notre théorie, c'est que Nicolas aurait pris conscience à cette époque seulement du potentiel gay friendly de ce morceau, et en a fait son "Smalltown Boy" à lui, alors que ce n'était pas du tout une chanson sur l'homosexualité. C'est aussi une époque où il semblait enfin se détendre à ce sujet. Dans cette version au Zénith, dont la voix est pourtant réenregistrée en studio, Nicolas arrive cependant à chanter une phrase sur deux en yaourt, ce qui en dit long sur sa compréhension du morceau dont il ne saisit absolument pas la profonde mélancolie.

Il semble également évident que cette volonté d'apparaître toujours plus ambigu sexuellement, participait directement du rapprochement voulu par Nicolas avec Placebo, alors plus à la mode que jamais dans la francophonie. Sirchis et Jardel jouaient donc les Molko & Olsdal dans le clip de "Marilyn", une occasion en or pour Nicolas de régler ses vieux complexes, car de nouveau être "pédé" faisait rock...

Voir : Placebo, 2002 - Paradize


Une certaine habitude pour Nicolas de faire évoluer la portée significative de ses morceaux avec le sens du vent. Nous pouvons entendre qu'avec l'évolution de la société et le fait que certains discours trouvent plus ou moins d'écho dans l'espace public, on puisse découvrir une nouvelle lecture possible dans de vieux morceaux. Le problème, c'est que Nicolas est guidé par un opportunisme certain.
"Pour Nicolas, en 1983 une chanson voulait dire quelque chose, et en 1995 elle ne voulait plus tout à fait dire la même chose, il lui fait dire ce qui lui convient, car certaines chansons ont plusieurs niveaux de lecture. Pour moi, 'Troisième Sexe' était avant tout un message de tolérance. Une liberté aussi bien sexuelle que politique."
Dominique Nicolas, Platine, 2004

"Vous avez justement été plutôt avant-gardiste avec Indochine, sur des sujets de société comme l'homosexualité. Je pense particulièrement à la chanson Troisième Sexe, et puis aujourd'hui sur votre dernier, y'a "College Boy", qui parle pour le coup d'homophobie. On a changé d'époque, est-ce que vous avez l'impression, vous, d'avoir changé de combat ?
- Si 'College Boy' existe aujourd'hui, c'est parce qu'effectivement je n'aurais pas cru une seconde que trente ans ou vingt-cinq ans après il y aurait encore autant d'intolérance vis-à-vis de ça. Vis-à-vis de l'homosexualité, vis-à-vis de la différence, vis-à-vis de la bisexualité."

Nicolas Sirchis, Grand Public, 2013

Une situation où différence et homosexualité semblent être devenus des quasi-synonymes pour Nicolas. "College Boy" (Black City Parade, 2013) était effectivement une chanson sur l'homophobie au collège (qui se dit middle school en anglais et non college).
"Si j'ai écrit ce morceau, c'est uniquement parce que j'ai été choqué qu'un groupe qui a signé sur le même label que moi [Sexion d'Assaut], tienne des propos homophobes et violents. Et qu'il ait été condamné du bout des lèvres par ce même label, parce que ce groupe vendait des disques."

Nicolas Sirchis, Paris Match, février 2013

Puis apparut dans les médias français la problématique du harcèlement scolaire. Nicolas ne perdit donc pas de temps pour faire évoluer la portée de son morceau, cette fois en un temps infiniment plus court qu'il ne lui en a fallu pour Troisième sexe. Xavier Dolan, réalisateur alors au sommet de la hype, et à qui Nicolas avait laissé carte blanche pour un clip, choisit de mettre en scène le rejet dont souffre son personnage principal - dont on ne connaît pas la sexualité - au sein de son établissement scolaire. Sensibilisé par les problématiques sur les armes à feu en Amérique du Nord, il amena Nicolas sur le terrain du harcèlement scolaire, probablement sans l'avoir souhaité. D'un morceau sur l'homophobie, "College Boy" devint finalement un hymne contre le harcèlement scolaire, le harcèlement en général, voire sur le fait de se faire emmerder par les schlagues de son village parce qu'on est habillé en noir (voir au début de la vidéo ci-dessous). Une certaine manière pour Nicolas de revenir à ses thèmes originels : les fringues.


Le naturel hétérosexuel est pourtant très présent chez lui à la même époque, comme dans cette sortie très spontanée ouvertement pré-metoo. Et si l'on y regarde de plus près il l'a toujours été, passant parfois de la caricature hétéro-beauf à des sorties encore plus problématiques.

Voir : Le dernier tabou


Aujourd'hui, Indochine jouit d'une image plus gay friendly qu'ils ne l'étaient dans les années 80 et surtout les années 90 où tous les complexes de Nicolas sur le rock, sa masculinité et son hétérosexualité sous-jacentes, se sont exprimées au grand jour : concurrence avec les très masculins Noir Désir, thème omniprésent de la féminité - adolescente -, évolution des guitares vers un son gras et saturé, vêtements plus rock'n'roll. Pourtant, là où Nicolas était toujours empêtré dans les relations entre filles et garçons (sic), c'est plutôt Stéphane dont le discours était tourné vers la fluidité de genre (voir cette interview dans Taratata en 97) et qui semblait sensible à l'évolution des relations au sein des couples modernes. 
"Une journaliste canadienne nous a un jour interviewés. Elle nous a demandé ce qu'était le troisième sexe. Je lui ai répondu : 'le troisième sexe, c'est quand le premier rentre dans le deuxième.' " 
Nicolas Sirchis, Muse & OUT, janvier 2013

Nicolas n'a à ce jour jamais autant parlé d'homosexualité, et semble encore suivre le sens du vent, à une époque où de très nombreuses minorités - dont il ne fait aucunement partie - se sont fait valoir et ont élevé leur voix en tant que telles, avec une force de frappe jusqu'ici inégalée. Nous croisons donc ça et là dans 13 les thèmes de la transsexualité avec "Tomboy" (Tiré du titre d'un film de Céline Sciamma) ; le féminisme avec "Suffragettes BB" (où Nicolas mélange un titre de Bowie et un titre de Gainsbourg) ; le Front National supposément avec "Un été français", et Donald Trump avec "Trump le monde", simple jeu de mots sur un titre des Pixies.


À la manière d'un politique débutant, arriviste et opportuniste, Nicolas Sirchis s'est montré automatiquement aux côtés de tous ceux qui agitaient le drapeau d'un certain progressisme. Loin des débats et du recul demandé par certaines problématiques sociétales profondes, il s'est contenté de suivre le chemin le plus sécurisé en prêchant des convertis au sein de son propre public. Derrière une image jeune et rebelle, c'est pourtant le choix qui ne lui aurait valu à coup sûr aucune controverse, tout comme le fait d'afficher publiquement des gens ayant depuis longtemps perdu toute crédibilité, comme Christine Boutin ou Christian Vanneste.

Voir : 2013 : Black City Parade


Nous pourrions nous amuser à dire que Nicolas n'a jamais pensé écrire une chanson sur le racisme, bien que Bouha Kazmi, à qui il avait donné carte blanche, aborde ce sujet dans son clip pour Station 13. Clip qui n'a aucun rapport avec la chanson, chanson qui n'a elle-même aucun rapport avec rien. Mais pour quelqu'un qui a toujours clamé ne pas vouloir faire de social, Nicolas est relativement cohérent : En restant dans le sociétal et les problématiques dépolitisées (souvent non-françaises), il montre son inaptitude à creuser les sujets, qu'il se contente simplement d'évoquer à coups de slogans et de clins d’œil comme autant de cache-misères.
"C'était une belle métaphore entre mes héros qui m'ont donné envie de faire de la musique, David Bowie et d'autres... Et de voir que y'a plus de porte-paroles aussi forts qu'eux... On entend que les populistes là, et il faudrait que des gens reprennent la parole pour que... Effectivement ça ça a été tourné en Afrique du Sud, il manque de gens comme Mandela, il manque de gens comme des... voilà."

Nicolas Sirchis à propos de "Station 13", Quotidien, novembre 2018
 
"Moi j'ai écrit une chanson qui s'appelait Troisième Sexe en 1986 (1985, ndla), et euhhh la chasse aux sorcières etc, rien n'a bougé. Dans chaque ville où on passe, on est passé à Toulouse y'a quelques jours, y'a eu une agression d'une jeune lesbienne, à Rouen, un agression d'un jeune... J'veux dire c'est de plus en plus violent, euh, parce que y'a des, voilà, je trouve que la démocratie en général, et c'est important que la musique le dise, ne se défend pas assez face à des gens qui mentent et qui accusent les autres, enfin qui sont intolérants. Et je trouve que la démocratie devrait être intolérante avec les intolérants."
Nicolas Sirchis, Quotidien, novembre 2018


"Embrasser une cause ne suffit pas : il faut ensuite faire passer le message. Le plus dur commence. Car demander à un rocker de parler de politique, c'est un peu comme demander à Patrick Sébastien d'animer un colloque sur la notion de déterminisme chez Spinoza : l'un et l'autre s'accordent assez mal. Le rock prône la jouissance, pas la réflexion. La politique est un sujet trop sérieux, trop "adulte" pour qu'il puisse s'y introduire sans y perdre son âme et une partie de ses auditeurs. Fuyant une solennité contraire à leurs principes, les rockers s'efforcent donc d'aborder les choses sérieuses de la façon la moins sérieuse possible, en soignant la forme, et presque en détournant l'attention."

"Cette réactivation permanente de la mystique 'rock' est révélée avec plus d'évidence encore par l'usage répété du mot rock en tant qu'étiquette, chargé de cautionner toutes sortes d'initiatives (en plus de permettre un jeu de mot sur le verbe 'to rock' : bousculer, ébranler) : Rock Against Racism, Rock Against Reagan, Rock the Vote... À l'inverse, ils sont finalement rares, ces Bob Dylan ou Neil Young, qui ont suivi un cheminement idéologique personnel, sans se soumettre à leur fonction de rocker. 
S'engager en tant que rocker, concrètement, c'est s'engager au nom d'une certaine idée de la jeunesse.

Julien Demets, Rock & Politique, l'impossible cohabitation, Autour du Livre, 2011

Finalement, en 2018 Nicolas ramène "Troisième Sexe" à sa source, celle de la mode vestimentaire, durant une soirée ultra-parisienne et ultra-jet-set dédiée à Jean-Paul Gaultier. Nicolas y est comme un poisson dans l'eau.

"La chanson 'Troisième Sexe' l'a touché, pas mal, je crois, et puis, on s'est mis nous en robe, enfin bon on a un peu déconné, comme c'est un peu voilà... L'unisexe... No gender comme on dit maintenant !"

Daniel Balavoine avait pourtant écrit le très élégant "Lipstick Polychrome" en 1980, et personne d'une façon ou d'une autre n'en a fait tant d'histoires. Nicolas Sirchis et ses fans ne sont-ils pas finalement les seuls à expliquer que Troisième Sexe ait eu un tel impact ? 


Une très belle chanson, avec un joli titre qui plus est, Lipstick Polychrome, que Nicolas se serait damné pour trouver.


Finissons avec ce morceau on ne peut plus hétéro-beauf écrit par un homme de quarante-six ans, et que bon nombre de fans trouvent drôle. Nous, comme nous avions déjà eu l'occasion de le dire, trouvons plutôt que Nicolas n'est ici non seulement pas drôle, mais fait preuve d'une affligeante vulgarité et d'une indélicatesse digne d'un mauvais film porno. Mais depuis Jean-Marie Bigard, on sait que ces dernières peuvent sans difficulté remplir un Stade de France.


 
En 2020, Indochine Mk2 proposait "3SEX" avec Christine & The Queens, afin de promouvoir une compilation des singles sortis entre 1981 et 2000.
"Aujourd'hui, on assiste à des confusions très étranges qui créent un discours hyper puritain. Il y a confusion entre sexualité et nudité, et je pense que la plupart des artistes sont intéressés par l'idée de repousser les limites (...) Je voulais éviter l'écueil du duo trop genré homme-femme, et créer une symétrie, un dialogue un peu différent, plus naturel, plus égalitaire."

Héloïse Létissier, Quotidien, décembre 2020

À la différence du "Grand Secret" par exemple. "Troisième Sexe" parle des looks androgènes et de leur dénigrement, quand "Le Grand Secret" parle du déflorage d'une jeune fille avec un souhait d'inversion ponctuelle des rôles : la demoiselle aimerait avoir la maitrise et l'ascendant comme un partenaire masculin ; ce dernier accepte d'être passif et sur la défensive comme une partenaire féminine. On est loin de l'égalitarisme et de l'antisexisme, car il s'agit juste d'un jeu de rôles.

Dans "3SEX", chacun chante aléatoirement des passages, il n'y a aucune réelle construction thématique sur qui chante quoi. Certes ce n'est pas un duo genré, mais c'est parce qu'il n'y a qu'un seul narrateur.

On est proche d'une réappropriation type karaoké ou Star Academy.

Voir : 2020 - "3SEX" & Singles Collection 1981 - 2001