1998 - "Seasons in the sun"

Retour sur un épisode pas si anecdotique que ça.


Pour ceux qui ne se sont pas demandé pourquoi Indochine apparaissait dans une émission "hommage à Brel" avec une chanson anglophone, il s'agit d'une adaptation du Moribond par le chanteur canadien Terry Jacks, datant de 1974, et qui constitue son plus grand succès.

Si vous êtes lecteur de ce blog et/ou si votre mémoire ne vous fait pas défaut, vous savez qu'à cette époque Nicolas bataillait pour faire accepter une image d'anglophile et s'éloigner de toute accointance avec la dite variété française. C'est ce qui explique aussi en partie ce look entre Oasis et Blur, au milieu de cette émission très française : J'vous ai apporté des chansons...

 
Nicolas ne connaissait les paroles, et potentiellement, la chanson, que depuis peu de temps. 
"Je leur permets alors de participer à leur première télé depuis un bail, pour une spéciale Jacques Brel pur mes débuts sur France 2 à la rentrée 1998. Typiquement, et pour bien marquer leurs distances avec la chanson française, même brechtienne (et kurtweillienne), le groupe ne se lance pas dans 'Amsterdam', même version David Bowie. Tout au contraire, il choisit 'Le Moribond' dans sa version pop américaine, à la mélodie sans grand rapport avec l'original, mais qui fut numéro 1 en 1974 : 'Seasons in the sun' par Terry Jacks, dont je déchiffre les paroles à l'oreille pour Nicolas."

Yves Bigot, Un autre monde, p.161, Don Quichotte, 2017

C'est donc Yves Bigot qui aurait gracieusement proposé cette émission à Nicolas malgré les relations glaciales entre les deux hommes, il est aussi possible que Virginie Borgeaud - manageuse d'Indochine et compagne de Bigot - ait joué un rôle de médiatrice. Nous arrivons alors dans cette situation typique d'un groupe invité dans une émission à thème, et qui doit trouver, dans l'urgence, quelque chose de cohérent à y faire.

C'est aussi, comme beaucoup le savent déjà, la dernière apparition de Stéphane Sirchis, et la deuxième d'un Boris Jardel déjà très à l'aise (sa première étant Les Années Tubes plus tôt dans l'année). Ce dernier n'était à l'époque qu'un guitariste de session de plus, et n'imaginait pas faire d'Indochine son activité principale. Ce que ne devait pas savoir le réalisateur de l'émission, qui privilégie énormément le petit nouveau au montage, au détriment de Stéphane. Il est bien sûr difficile de savoir si cela a été fait à dessein ou non.
"Je suis arrivé en février 1998, quand mon ami Maxime m'a informé qu'ils cherchaient un guitariste. J'ai vu Nico chez lui, il m'a donné les infos du groupe, on a regardé une vidéo, papoté. J'avais un souvenir de "3", et j'étais agréablement surpris par la couleur très rock que prenait le groupe. On a passé deux heures ensemble, puis il m'a convié à une audition quelques jours après, et sur les dix mecs présents, c'est moi qui étais (sic) retenu pour l'Indo Live tour, d'une vingtaine de dates. A la fin de cette tournée, Nicola m'a demandé si je voulais rester pour les enregistrements en studio. J'ai posé mes premières guitares en studio sur 'Dancetaria'. Je jouais avec L'Affaire Louis' Trio à ce moment-là. Auparavant, j'avais joué dans le système Sinclair, et accompagné Vanessa Paradis ou Axel Bauer. J'étais un sideman, quand il fallait un guitariste rock, ma réputation de fan de british rock me précédait. C'est ce qui me plaisait, et quand on cherchait ce style, c'était moi qu'on appelait"
 
Boris Jardel in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011
 
Live Tour, Le Bataclan (Paris), mai 1998

Boris oublie ici de mentionner "Seasons in the sun", qui est bien son premier enregistrement avec Indochine et dont il se souvint d'ailleurs plus tard. Mais dans le même livre, à propos du Live Tour :
"Puis Stéphane est tombé malade, il était hospitalisé, mais on avait des concerts prévus. Je faisais de mon côté une thérapie, parce que c'était violent de voir son frère jumeau se dégrader. Mon thérapeute m'a conseillé de faire ces concerts, de penser à moi. Je suis allé prévenir Stéphane, il m'a dit 'ok, fais ces concerts, puisqu'il faut les faire'. On a fait ces trois ou quatre concerts sans lui, je prévenais le public qu'il était malade, et je prenais sa place à la guitare. On avait fait un Bataclan. Ça se passait toujours bien."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011


Il est très aisé de narrer une page discrète et lointaine de l'histoire à des fans récents, mais le Live Tour compta quinze dates. L'un exagère ses souvenirs, quand l'autre minimise à fond son choix d'assurer une tournée sans son frère, "malade comme un chien". Quant au fait de prendre sa place à la guitare, laissez-nous rire fort.

Voir : Nicolas et la guitare


Nous nous demandons encore comment il se fait que Stéphane bien qu'exclu du Live Tour, soit tout de même apparu pour Les Années Tubes, La Fureur à Bercy (juin 1998) et donc J'vous ai apporté des chansons en octobre. Sa guitare y est, comme toujours à cette époque, quasi-inaudible, tout comme sur le mix de la version studio offerte plus tard sur indo.fr à l'occasion des 200 000 connexions. Le site n'oublia d'ailleurs pas de préciser qu'il s'agissait du dernier morceau enregistré avec Stéphane (voir annexes).

Nicolas à Bercy pour La Fureur en juin 1998

C'est étonnant pour un Dancetaria où il est bien présent, promotionné jusqu'à aujourd'hui comme l'album où l’on peut entendre les derniers riffs de guitares de Stéphane Sirkis. Mais la réponse semble être la présence physique de Stéphane en studio pour "Seasons", alors que l'album de 1999, dont l'enregistrement à proprement parler a débuté après la mort du guitariste, comprend des extraits de démos enregistrées en pré-production.

C'est en tout cas le premier morceau studio où Nicolas chante en anglais, et malgré les apports du montage, il a fait bien pire que ça dans le futur. Mais l'Angleterre et sa musique semblait vraiment être aussi exotique que sa langue, pour ce Nicolas épuisé par les années 90. Il n'avait notamment pas compris que l'anglophilie ne consistait pas nécessairement à nier tout ce qui était français ou francophone.
"Brian Molko : Si tu as habité la Belgique, tu dois connaître Brel.
Nicolas Sirchis : J'étais à l'école avec sa fille. Mais je dois dire que je ne suis pas un grand fan de Brel.
- Vraiment !?! Absolument tout ce qu'a fait Brel me touche. Totalement.
"

Interview croisée, Rocksound, 2000

Le Nicolas de cette époque, obsédé par Placebo, creusait le fossé entre lui et des personnalités plus érudites comme Brian Molko ou Morrissey, extrêmement francophiles. Le chanteur de Placebo se fit d'ailleurs remarquer en 2010 avec une reprise spectaculaire du chanteur belge, "Ne me quitte pas".

Puis subitement, en 2021, à la télévision belge :
"Léo Ferré, Georges Brassens, j'ai jamais été là-dedans, ça me parlait pas. Jacques Brel, j'ai écouté son album là, Les Marquises, j'étais ouaaah... Ça c'était fou. Ça m'a floué. Parce que là, il écrivait comme un paysage, il écrivait comme Duras, c'est à dire qu'on voyait les images."

Nicolas Sirchis, Une belge histoire, RTBF, décembre 2021

On voyait les images. Franchement, est-ce là une analyse de quelqu'un qui lit beaucoup ? Non, Nicolas improvise avec des éléments tout faits, afin de fournir dans l'urgence une réponse à la question qui lui est posée. En espérant que ça enchaîne en face.

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée


Nous avons choisi de ne pas dater la naissance d'Mk2 à Wax, puisque selon notre analyse, la gestation du projet que nous connaissons aujourd'hui a pris plusieurs années, et Indochine Mk2 apparaît vraiment avec la troisième tentative de premier album : Paradize. (Voir les articles correspondants) Cette période d'incertitude, d'inconsistance et d'incompréhension sera à partir de 2001 appelée trilogie. Mais en 1998, un an avant Dancetaria, où Nicolas allait expliquer qu'Indochine avait toujours été dark, nous n'avions affaire à rien de plus qu'un titre fantôme joué par un groupe fantôme.
"Personne en France ne veut plus d'eux pour autant. Max Guazzini, tout-puissant patron de NRJ, nous l'affirme clairement un soir chez Lionel Rotcage : 'un cas difficile.' Un euphémisme."

Yves Bigot, Un autre monde, p.162, Don Quichotte, 2017

 

Stéphane et Nicolas, décembre 1998

Voir aussi sur le blog :

Annexes :
indo.fr, 1999