Art contemporain

"Y'a beaucoup de choses qui m'ont été inspirées sur... dans des biennales d'art contemporain, parce que c'est là où je puise ma principale source d'inspiration. Je trouve que justement l'artiste contemporain, l'art contemporain est une des rares choses où tout peut exister (...) C'est extrêmement osé. Je trouve que dans l'art contemporain, on ose plus que dans le rock aujourd'hui." 
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain2013

Si vous êtes un lecteur du présent blog, vous aurez remarqué que le gros du travail du Nicolas sur ses différents projets musicaux a toujours tourné autour de l'image et du visuel. Et très souvent sans aucun lien avec la musique que cela serait censé soutenir.
"Je voulais être photographe, journaliste, écrivain... Chanteur, non." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Dans une des plus vieilles archives papier sur les goûts non musicaux des membres d'Indochine, Nicolas y est déjà présenté comme "un amoureux de l'image". Alors que Stéphane est un fan de bandes dessinées, lui "son jardin secret c'est la photo".

Une description du Leicaflex SL-2, pour ceux qui aiment la photo
"Troquant, dès qu'il en a la possibilité son micro contre un Canon automatique ou un Hasselblad, le grand plaisir de Nicolas est de s'enfermer dans une chambre noire accompagné d'une jeune fille aux traits délicats... Eh oui, il n'aime qu'une chose: réaliser des portraits noir et blanc de sujets féminins !"
José Bosquet, Passions Indochinoises, Salut! n°209, 1983 

"J'attarde beaucoup à l'image (sic), parce que, bon, j'ai toujours été, moi... intéressé par la peinture. Dès 16 ans, j'allais dans tous les musées... par la peinture, par les... la culture, en tout cas, tout ça. Ça m'a toujours intéressé." 
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain, 2013

Nicolas faisait notamment de la photo à l'époque des jeunes gens modernes :

Photo prise par Nicolas, pour Moderne (1982)

La seule autre production à se mettre sous la dent (hors photos sur les réseaux sociaux) est un tableau au catalogue "100 Hommes pour la vie" pour une vente aux enchères au profit de la recherche contre le cancer en 2006. Les autres contributeurs sont aussi divers que Steevy Boulay ou Serge Dassault.


L'approche pluridisciplinaire dans les productions artistiques est souvent source d'originalité. Chez Indochine, c'est probablement l’intérêt de Nicolas pour le cinéma, la photographie, l'ailleurs fantasmé par les films et les images, la syntaxe percutante de titres et de slogans et une écriture par collage qui fut jadis source de singularité dans ses paroles.

Rapidement, dans ces années Jack Lang, comme pour s'élever par rapport à ses origines banlieusardes ses références se font plus "culturelles", dans la définition ministérielle du mot. Son Orient passe d'hollywoodien en 1982 à durassien en 1985, avant d'être rejeté dans les années 90. Dès lors, ne faut-il retenir que l'aspect littéraire des paroles, plutôt que la réalité des thèmes abordés ? 
"Malheureusement, je me suis laissé piéger par le nom du groupe et au final, je trouve que l'univers est trop évidemment extrême-oriental. Il y avait sans doute une envie d'Asie dans l'air..." 
Nicolas Sirchis à propos du Péril JauneKissing my songs, Agnès Michaux, 2011

Sans doute, oui.


"D'où est venue d'ailleurs l'idée de 'Kao Bang' et le côté asiatique de l'album Le Péril Jaune ?
C'était surtout dû à Nicolas qui aimait ces ambiances. J'aimais l'esthétique asiatique et je traînais souvent dans le treizième arrondissement. On était même parfois habillés avec des habits chinois de kung fu ! (rires)"
Dominique Nicolas, Platine, 2004

Depuis, Nicolas aime à répéter qu'il fréquente beaucoup de musées (surtout leurs cafés et librairies). Ont déjà été cités :
  • Man Ray (Dada et surréalisme) pour Le Baiser
  • Egon Schiele (expressionnisme) pour Un jour dans notre vie
  • Mark Ryden, Ana Bagayan et Ray Caesar (surréalisme pop) pour Alice & June
  • Sophie Calle (art conceptuel & installation) pour La République des Météors
  • Henry Darger (art brut) pour 13

Ses coups de foudre semblent venir de ces expositions :

@ Trianon de Bagatelle, du 31 mars au 5 juin 1989

@ Musée-Galerie de la Seita, du 15 décembre 1992 au 27 février 1993

@ 52e Biennale de Venise, 2007
@ BNF, 2008

@ Musée d'Art Moderne, MAM, du 29 mai au 11 octobre 2015

@ Musée National des Arts Asiatiques - Guimet, du 22 février au 22 mai 2017

Voir : David Bowie

"Oui ben justement, j'ai appris que... Madame [Marie-Claire Adès, ndlr] était justement, s'occupait du musée de la Seita où j'avais été y'a deux ans voir une superbe exposition d'Egon Schiele... C'est là où j'ai écrit une chanson d'après ça, d'après... ce peintre là que j'aime beaucoup."

Nicolas Sirchis, LCI, 1994

Nous ne jugerons pas la découverte de peintres ou plasticiens lors des grandes et très médiatisées expositions parisiennes. Au contraire, c'est même plus que louable d'être curieux dans ce domaine et de promouvoir les arts visuels à un jeune public. Et comme Nicolas semble croire dans le mythe de l'ascension sociale par la culture, c'est normal que cela nourrisse ses centres d’intérêt. Par contre, nous émettons un bémol sur sa posture d'esthète exceptionnel, puisqu'une fois passé les têtes d'affiche ou les gros événements, il semble largué. (Voir le reste du blog)

Par exemple, selon ses dires, sa grande passion serait l'art contemporain. Mais à ce sujet, il ne cite quasi-exclusivement que Sophie Calle. Laquelle l'avait invité avec une quarantaine d'autres musiciens et de chanteurs français et étrangers pour composer, chacun, un morceau pour une expo en hommage à son chat décédé. Le casting est impressionnant et nous pouvons imaginer l'enthousiasme de ce projet pour Nicolas, ici totalement en solo.


Pourtant elle est absente du clip de "Nos Célébrations" où nous apprenons que les trois artistes les plus marquants des quatre dernières décennies seraient Damien Hirst, Jeff Koons et Erwin Olaf.



- Je trouve que dans l'art contemporain c'est là où ça se passe en ce moment. Depuis une vingtaine d'années, c'est plus dans la musique, je .... aujourd'hui hein. L'audace est dans l'art contemporain, mais dans la danse contemporaine aussi. Moi j'ai beaucoup de ...
- Elle n'est plus dans la musique ?
- Je dis pas qu'elle n'est plus dans la musique. C'est pas dans cette généralité là. Mais je trouve qu'elle est plus originale... L'audace, elle est plus aud... effectivement, elle est plus forte dans l'art contemporain aujourd'hui. Il y a plus de force... euh... et c'est là où je puise mon inspiration.  
Nicolas Sirchis face à Léa Salamé, Stupéfiant!, 2019
 
- Quelle est votre définition de l'art ?
- Je pense que l'art c'est rendre ce qui est laid beau et ce qui est beau laid. C'est un peu ce que je pense. 
- Merci.
- Pas mal !
Nicolas Sirchis face à Léa Salamé, Stupéfiant!, 2019

Les pré-XXe apprécieront, on avait pourtant demandé une définition de l'art et non de l'art contemporain. Nicolas semble vraiment toujours être en improvisation sur ces sujets là. Il propose des réponses comme un étudiant lors d'un oral non préparé. Et nous ne saurons jamais de la bouche du chanteur d'Indochine en quoi l'art contemporain est plus audacieux, fort et osé que le rock. 

Mais surtout, si c'est là le fond de sa pensée, que pense t-il faire avec le projet Indochine, du rock ou de l'art ? Si la deuxième réponse devait s'imposer en priorité, peut-être est-ce la raison pour laquelle il a poursuivi son entreprise toutes ces années, après avoir dit qu'il ne pourrait plus chanter "L'Aventurier" ou "Troisième Sexe" à partir d'un certain âge. 

Il serait peut-être ridicule, admettons, de chanter du rock exotique à soixante ans avec les cheveux blancs, mais ça ne l'est pas si c'est de l'art. À la différence de l'art muséal, la chanson et plus globalement la musique populaire ne seraient qu'un art mineur, comme l'avait soufflé Serge Gainsbourg. Et justement :
"J'avais beaucoup discuté à l'époque avec Serge Gainsbourg qui était lui catastrophé en disant 'moi ce que je fais c'est de la merde, je vole l'argent des pauvres, je fais un art mineur'. Quelque part je suis d'accord avec lui, ce qu'on fait en chanson c'est pauvre par rapport à un..."
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain, 2013

Nous ne savons pas si Nicolas évoque une vraie discussion avec Serge Gainsbourg, mais lors de la fameuse altercation avec Guy Béart dans Apostrophes en 1986, l'homme à tête de chou employa à peu de chose près les mêmes mots.

Et surtout, pauvre par rapport à un quoi ? Nous savons que Nicolas ne finit pas ses phrases quand il n'est pas à l'aise, mais nous aurions aimé connaître la suite. Peut-être pensait-il à une œuvre d'art exposable dans un musée comme celui où il se trouvait, ou bien des pratiques plus institutionnalisées :
"Comment voyez-vous votre reconversion après Indochine ?
Mon rêve, ça serait de faire des musiques de films. Parce que je serais toujours dans les images.
Nicolas Sirchis in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986

D'un certain point de vue, Nicolas n'est-il pas en train de réaliser ce vieux rêve, en considérant qu'il participe à la mise en musique d'un univers essentiellement visuel ? 

Lors de l'interview au Pompidou Metz en 2013, Paul-Marie Pernet pointe le cœur du sujet :
"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"
 
L'avis d'Olivier Gérard à ce sujet serait intéressant. On sait le fameux oLi De SaT très fan de Trent Reznor, qui s'est dirigé ces dernières années vers une carrière de compositeur de musiques de films. Une évolution très logique vu son parcours avec Nine Inch Nails, connus pour avoir toujours su mêler une musique puissante et des visuels percutants, notamment les arts numériques et la 3D.

Pour en revenir à Nicolas, on pourrait évoquer l'illustration sonore d'une vaste publicité artistique (ou art publicitaire). On ne compte plus les grands photographes, plasticiens, stylistes ou cinéastes ayant fait leurs armes aux services d'une marque ou d'un produit, car c'est là où il y a un besoin de travail et parfois les moyens de produire quelque chose avec une qualité professionnelle. Véhiculer un concept ou une idée par des œuvres, c'est déjà de la publicité.

"On vend justement l'illusion du monde moderne, c'est l'art contemporain, c'est ça." 
Nicolas Sirchis, En balade avec de Nikos Aliagas, Europe 1, 2017 

Comme notre héros aimerait en jeter, autant que les personnes plus érudites qu'il est amené à croiser !

Pourquoi une place si fondamentale du visuel chez Nicolas ? Possiblement une manière plus évidente d'amener ses groupes sur le terrain de l'art-rock, ce qu'il fit par exemple sur la fin d'Indochine Mk1, avant de reproduire exactement le même schéma avec Indochine Mk2. Des premiers albums résolument adolescents (L'Aventurier, Le Péril Jaune pour Mk1 ; Paradize, Alice & June pour Mk2), puis une envie d'accéder à un statut supérieur par la combinaison de plusieurs domaines artistiques, et des références culturelles plus marquées (3, 7000 Danses, Le Baiser pour Mk1 ; Meteors, Black City pour Mk2). Y'avait-il une envie d'être considéré comme un artiste multidisciplinaire comme David Bowie ? Pensez à Alice & June, son décorum et surtout son soit-disant concept qui ne fut rien d'autre qu'un moyen pour vendre vingt-deux morceaux. 

Mk2 en 2005 par Peggy m., séance inspirée du Déjeuner sur l'herbe, Manet, 1863


Mais alors, pourquoi spécifiquement l'art contemporain plutôt que tous les Beaux-Arts dans le discours de Nicolas ? 

Au lieu d'être réellement subversif ou politique, une grande partie de l'art contemporain aime jouer avec les thèmes qui bousculent les vieux réactionnaires comme le sexe, la religion, le choc des générations... Soit certains des thèmes du rock depuis plus de soixante ans, et sur lesquels Nicolas se calque volontiers. La transgression et la provocation, est-ce cela qui lui parle tant ? Ou alors est-ce que citer le monde de la culture lui permet d'esquiver un paysage musical qui le dépasse, ou ne l'intéresse pas ?

De plus, l'intérêt de Nicolas pour "là où ça se passe en ce moment" ressemble à un aveu, comme quoi il s'intéresse à ce vers quoi la mode parisienne le mène, loin d'une culture alternative depuis longtemps rejetée, ou d'un parcours culturel plus personnel apparemment difficile. L'art contemporain a fort bonne presse dans les milieux bourgeois, mais comme toute activité humaine, même artistique, il est loin d'être à l'abri des critiques.

Frank Lepage, militant et éducateur populaire, spécialiste des politiques culturelles, explique assez souvent ce qu'il nomme "l'arnaque de l'art contemporain", qui ne serait fondamentalement pas une évolution historique de l'art moderne désignant les œuvres actuelles, mais un marché spéculatif brassant du vent.
"Pourquoi attendre le jugement de la postérité ? Pourquoi attendre deux siècles que le public décide qu'une œuvre a de la valeur ? Un Rembrandt, un Picasso, j'en sais rien. Il suffit d'inverser le truc. Il ne faut pas attendre que ce soit l'œuvre qui fasse l'artiste, il faut faire le contraire. Il faut désigner des gens comme 'artistes' et à ce moment là tout ce qu'ils font c'est de l'art. Et c'est de l'art immédiatement, et vous pouvez construire un marché avec ça."
 Frank Lepage sur l'art contemporain, Centre Culturel Jacques Tati, Amiens, 2015

Nicolas embrasse clairement cette conception essentialiste, et fait exactement ce que dénonce Lepage : il s'autoproclame rockeur, poète, rebelle, esthète, cultivé par son jeu de références et de collaborations. Dès lors, tout ce qu'il fait gagne ces qualificatifs et la critique devient difficile voire interdite. L'absence d'appréciation ou d'acclamation est alors exclusivement expliquée par l'incompréhension de la démarche de l'artiste créateur. Un argument fallacieux que partagent les amateurs d'art contemporain et les fans d'Indochine.

Comme dans tout monothéisme, le verbe précède la réalité.

Sur les colonnes de Buren au Palais Royal, Paris, 2020


Voir aussi sur le blog : 

Influences et références

1981 - Dizzidence Politik

Devant un Yann Barthès en mode découverte, Nicolas revient sur le premier titre d'Indochine :
"Dizzidence Politik c'est la première chanson que j'ai écrite. Au départ c'était un reggae. Et les membres du groupe m'ont fait comprendre que 'non on préférerait plutôt un truc un peu plus...' donc euh..."
Nicolas Sirchis, Quotidien, mai 2020
 
Petit voyage dans le temps.
"On s'appelait les Espions. Des copains de Stéphane tous à la Ligue Révolutionnaire. C'était le début du mouvement punk, et ils voulaient faire du rock dur et militant, à la Clash. C'est là qu'est né le premier 'Dizzidence Politik', j'avais écrit le texte, et c'était un reggae !"

Nicolas Sirchis, in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986
 
"Au mois d'août (1981, ndlr) la maquette de Françoise et Dizzidence était faite, Dominik avait fait toute la musique, Nicola avait mis sa voix, et moi j'avais glissé trois notes de saxe sur une version reggae de Dizzidence !" 
Dimitri Bodianski in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986

 

"Bah t'sais au départ cette chanson c'était un reggae au début hein, c'était complètement un truc euh... un... Beaucoup plus lent. Puis Dominique a dit 'attends moi j'ai un truc plus nerveux', il a joué ça et puis depuis ça nous a suivi quoi. Et c'est vrai que c'est un morceau qu'on joue tout le temps à la fin des concerts, parce que c'est... ah ça détonne, c'est pas mal."

Nicolas Sirchis, Pour un clip avec toi, 1991

"Le premier truc qu'on a réussi à mettre en place, to stick together comme disent les Anglo-Saxons... C'est le truc qui après s'est appelé Dizzidence Politik." 
Alain Dachicourt (guitariste des Espions), 2009
 
"Compilant un ensemble de phrases empruntées à l'antisoviétisme des années 1970, [Nicolas] fait ses premières armes sur 'Dizzidence Politik'. Alain trouve un thème à la guitare, et les trois s'entraînent ainsi pendant des heures à expérimenter ce concept revendicateur, soutenu par un rock très basique." 
Christophe Sirchis, Starmustang, 2009
 
"Pour moi, c'était une sorte de morceau à la Clash, un truc un peu revendicatif à la London Calling." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

"Dizzidence Politik" fut composé du temps des Espions, probablement un sorte de punky-reggae façon Clash. Dominique, apparemment peu emballé par la direction musicale du groupe, aurait proposé une version alternative. Le titre que nous connaissons aujourd'hui semble assez directement inspiré de "Sunday Papers" de Joe Jackson, pendant lequel Dominique avait l'habitude, en concert, de placer le riff de "Runaway Boys" des Stray Cats.

Il existe une version live impressionnante de "Dizzidence Politik", jouée en direct sur France 3, avec un Laurent Voulzy qui en avait parfaitement saisi l'esprit, en ajoutant une guitare très Police à ce mélange de reggae, de rockabilly et de rythm&blues.


Quant aux paroles, sans se prétendre être "Le Bilan" de Jean Ferrat (une critique du stalinisme depuis la gauche) ou "Vladimir Ilitch" de Michel Sardou (idem depuis la droite), la seule explication de texte que nous avons trouvée reste au niveau de l'énonciation accompagnant la danse :
"On était un groupe de pop ; ma définition est : 'du rock qui fait danser les gens'. Avec le titre 'Dizzidence politik', ils dansaient sur un texte qui parlait de stalinisme, de politique et d'hôpital psychiatrique."
Nicolas Sirchis, Tribu Move n°21, janvier 2001

Comme nous l'avions déjà souligné précédemment, employer des mots d'un certain champ lexical ne signifie pas que l'on a écrit sur le sujet en question, dès lors quel serait le propos ? Il est intéressant de remarquer que Nicolas, selon la situation, admet écrire des textes qui ne racontent rien en particulier, ou au contraire défend l'utilisation de certains mots comme autant de thèmes abordés. Le texte de "Dizzidence Politik" ne parle de rien en particulier au delà de la sonorité des mots, et cela ne l'empêche pas d'être un excellent morceau. Mais il faudra tout de même rappeler à Nicolas que la revendication n'est pas une attitude ou un choix thématique : si "Dizzidence" est un truc un peu revendicatif, alors que revendique t-il ?

Même seul élément restant du groupe original, il serait appréciable de ne pas l'entendre revendiquer une musique qui n'est pas la sienne. Dominique Nicolas silencieux, Alain Dachicourt et Stéphane Sirchis disparus, il utilise volontairement le terme flou écrite pour s'arroger la paternité du morceau, et invente une situation où les musiciens auraient exigé de sa part une autre direction musicale. Un comportement qui, à la lecture de Starmustang, n'est pas sans antécédents.

Pourquoi cette invention sur le plateau de Quotidien, rois du fact-checking qui n'estiment visiblement pas nécessaire de faire ce travail quand il ne s'agit que de musique et non de politique ?

Pourtant, tout est politik !
 

 
 
Annexes :
 
 
De nos jours, Indochine Mk2 n'est capable de nous proposer que des versions acoustiques, réduites et feignantes de "Dizzidence Politik". Imaginez s'ils étaient intelligents, et nous proposaient une version électrique et énervée, avec ces sons de synthétiseur délirants. Un peu comme en 91 :

2000 - Génération Indochine

Indochine n'existe plus. Les compositeurs historiques sont partis. Au sortir du Dancetaria Tour, Nicolas Sirchis est en pleine création d'un nouveau projet musical qu'il nommera comme son précédent. 

Pendant cette période gestation, à la recherche de nouvelles références visuelles et sonores, un pavé tombe dans la mare : le 10 avril 2000, son ancienne maison de disques BMG sort une compilation rétrospective, sans aucune concertation avec les ex-membres du groupe.



Mettons de côté l'opportunisme de l'opération et penchons nous sur sa réception.
"Il ne faut pas oublier que pendant la même période (Nuits Intimes, ndlr) sortait cette fameuse compilation à laquelle j'ai tenté sans succès de m'opposer et qui ramène inlassablement le groupe comme pivot central de la 'nostalgie des 80's'."  
"Ce qui était le plus choquant dans cette compile sortie par BMG, c'était l'avoir appelé Génération Indochine ! Quel orgueil ! Moi-même, je n'aurais jamais osé !" 
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
 
Depuis le départ de Dominique, Nicolas a expérimenté diverses communications selon ses prévisions sur le sens du vent (grunge, britpop, alt rock, indus, goth), mais la pochette de la compilation ne rappelle qu'une seule chose : Indochine Mk1. Avec sa temporisation révolue et générationnelle dans les années 80, le trio des deux derniers albums et l'étoile rouge, sorte de logo tacite du groupe et évoquant la sensibilité politique de Stéphane Sirchis.

Et la compilation se vend à 240 000 exemplaires, plus qu'Unita, le best of "posthume" mais officiel, quatre ans plus tôt, où Nicolas avait déjà imposé un esthétisme discordant avec le contenu. L'opération sera reproduite pour Singles Collection 1981-2001 illustré par le fantasme de ce que le groupe aurait pu être. Il est dès lors assez cocasse de constater sa montée au créneau sur le visuel de Génération Indochine qui évoque l'univers indochinois bien plus justement qu'Unita

L'association de la marque "Indochine" avec ce passé glorieux encore dans les mémoires a toujours été à l'encontre de ce nouveau groupe mis sur pied avec son nouveau bras droit, Olivier Gérard. 
"Moi, je me fous de l'argent : je ne veux pas leur retirer le pain de la bouche, car le matériel leur appartient, mais juste qu'ils ne considèrent pas les artistes comme des vaches à lait ou des produits et qu'ils respectent les univers des uns et des autres. C'est cela l'objet de la négociation pour l'instant, qui risque d'aboutir." 
Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, 2003

Nicolas voulait du cryptique pour une nouvelle génération de fans, avec de nouvelles références dans l'air du temps, et non pas un résumé de sa vie passée. La colère que cette sortie a généré chez lui fut proportionnelle à l'énergie qu'il mettait déjà depuis plusieurs années à parler d'un nouveau public, rock, qui aime Suede, Blur, Oasis ou Marilyn Manson, et aux goûts duquel il fallait à tout prix faire correspondre la musique et les visuels d'Indochine.

"Avec Dancetaria, nous sommes parvenus à attirer les faveurs d'un nouveau public. Nous en avons vendu plus de 100 000 en France, ce qui est un bon score. Nous avons montré que nous allions toujours de l'avant. Et là, cette compilation renvoie complètement le groupe à sa situation antérieure, à un passé révolu. Et ça, c'est regrettable."

Nicolas Sirchis, La Nouvelle Gazette, 2000

"Or nous on s'était aperçu au contraire il y a déjà quatre ou cinq ans qu'il y avait un tout nouveau public, pour Indo, qui n'était pas là par nostalgie mais parce qu'il associe le groupe à Placebo ou aux Smashing Pumpkins."

Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001

Nicolas ne s'était pas aperçu qu'il y avait un nouveau public. Il avait tout fait pour attirer ses faveurs, obtenant même un bon score. Ce sont ses mots. Et patatras, Génération Indochine le renvoie à l'époque de Dominique !


La présence du mur de Berlin semble tout particulièrement indisposer Nicolas.
"En plus, mettre le mur de Berlin sur la pochette, c'est-à-dire de traîner le groupe vers le passé avec un visuel qui, de plus, n'a rien à voir - Moi je n'ai jamais écrit sur le mur de Berlin -, je pense que dans la bagarre, ils ont confondu avec Téléphone en plus !" 
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
 
"Visuel 100% eighties et inapproprié (pochette représentant le mur de Berlin !)
Sébastien Michaud, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004
(Livre officiel supervisé par Nicolas) 

Sa réaction épidermique sur le mur de Berlin est assez ironique pour ce fan autoproclamé de David Bowie qui a repris plusieurs fois "Heroes", et ce depuis 1996. Savait-il, et le sait-il aujourd'hui, de quoi parle ce morceau, ou ne s'est-il arrêté qu'à cet héroïsme qui lui est si cher ? Le Mur sera même évoqué, bien plus tard, à deux reprises :
- "Le Dernier Jour" en 2009 : "Je vis caché à Berlin-Est et demain je passerai à l'Ouest"
- "Nos Célébrations" en 2020 dont le clip montre Nicolas dans un train, traversant un mur de Berlin démesuré. Nous pouvons aussi voir une Trabant et le violoncelle de Rostropovitch.

Si vous êtes lecteur de ce blog, vous avez dû remarquer que nous-mêmes nous demandons souvent quel est le rapport entre les visuels choisis par Nicolas et la musique proposée.

Il appellera même à la compassion, invoquera une certaine morale en citant la fille de Stéphane, comme si cette dernière alors âgée d'une dizaine d'années avait pu prendre une décision quelconque.
"Et, pour finir, ne même pas en parler à l'héritière de Stéphane ; ne même pas avoir ce petit brin d'humanité..." 
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001

En avril 2000, "Indochine" assigne son ancienne maison de disques devant les prud'hommes pour n'avoir été ni informés ni consultés sur ce disque. Et finalement en septembre 2003, Indo.fr annonce :
Après 4 ans de procédures contre BMG, un accord a été trouvé entre la nouvelle direction, Dimitri, Nicola et l'héritière de Stéphane. La compilation "Génération Indochine" ne sera pas rééditée. L'exploitation du catalogue d'Indochine chez BMG se fera dorénavant en accord avec le groupe. 

Mais quid de Dominique Nicolas, non cité dans ce dénouement ? 

Par contre, ce dernier portera plainte en 2007 pour les CD et DVD d'Hanoï (2007) pour "une atteinte à son droit moral en tant que co-auteur et compositeur des titres les plus célèbres d'Indochine", regrettant qu'on ne lui ait pas demandé son avis.

Génération Indochine, sorte de Birthday Album amélioré avec les singles d'Un jour dans notre vie et Wax, reste une compilation intéressante, on lui doit d'avoir sorti Petit Jésus d'un oubli certain. Le morceau sera d'ailleurs régulièrement joué lors de la tournée Nuits Intimes en 2000.


Nous voyons parfaitement dans cet épisode l'importance immense accordée par Nicolas à l'image et l'univers, au détriment de la musique qui ne semble pas être davantage qu'un simple support à cet univers. Dès lors, en effet, en ce qui concerne les compositeurs "personne n'est irremplaçable". 


Voir aussi sur le blog :




Annexes : 
Rocksound en 2002
À propos du contentieux avec Dominique Nicolas sur Hanoï

1990 - Le Baiser

"Le Baiser est numéro 1 des ventes, mais est mis au pilori par la presse."

Nicolas Sirchis, Paris Match, mai 2020

Numéro 1 ? Première nouvelle. En fait, Nicolas a déjà dit ça il y a neuf ans. 

"L'album est tout de même resté n°1 pendant cinq mois, mais on ne l'a pas défendu en tournée et ça l'a un peu achevé. C'est un succès achevé et inachevé."

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Neuf ans pour croire à ses propres affabulations ? Si Le Baiser a été disque d'or, il n'a en revanche jamais été numéro 1.

En 1990 il fallait 100 000 ventes pour être certifié disque d'or. Est-ce la notion de disque d'or qui, portée par la diminution des ventes demandées pour l'obtenir, devient "numéro un" dans la bouche de Nicolas ? Et pourquoi dès lors persévérer dans le mensonge en ajoutant "pendant cinq mois" ?

Selon Chartsinfrance, la meilleure position du single "Le Baiser" fut atteinte le 19 mars 1990 avec la vingt-troisième place. Quant à l'album, il retrouve un certain succès grâce aux remasters proposées par Indochine Records, puisqu'il atteint le 31 août 2015 la quatre-vingt dixième place du classement des ventes d'albums.


Curieusement, le premier album n°1 de l'histoire d'Indochine fut le live 3.6.3, atteint le 29 décembre 2003. Le premier single n°1 fut "J'ai demandé à la lune", le 15 juillet 2002.
"En France, toujours fidèles au poste, les fans consacrent Le Baiser disque d'or deux semaines seulement après sa sortie. Hormis quelques commentaires élogieux glanés ici ou là, l'album ne suscite pourtant pas l'engouement qu'il était légitimement en droit d'espérer et ne s'écoule au final qu'à près de deux cent mille exemplaires, "massacré" par une grande majorité de plumes de la presse rock."

Sébastien Michaud, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004 
(livre supervisé par Nicolas)

"Une grande majorité", certainement pas. Libération, en revanche, prenait plaisir à se payer Indochine :
"Nicolas et Stéphane Sirkis, les Bogdanoff de centres aérés, le premier a conservé sa moue Ian MacCulloch, le second a opté pour un recentrage Jean-Luc Lahaye. [...] Le recentrage de titres dits ambitieux [fait que] l'on mesure avec encore plus d'acuité l'étendue du marécage linguistique dans lequel s'enlisent les compositions. [...] Indochine ne sera pas convié à la prochaine dictée de Bernard Pivot, il a voulu son 'baiser' sensuel et vindicatif, il est aussi un rien déplacé."

Yves Bigot , Libération, 1990

L'historiographie nicolienne aura surtout retenu la remarque du même Yves Bigot sur le "corrige-moi mes fautes" à propos de laquelle il semble avoir gardé une rancœur tenace. 
"Le fameux 'corrige-moi mes fautes'... Yves Bigot avait fait une tartine de trois pages dans Libé pour expliquer que je faisais des fautes de syntaxe. La vache ! Je n'avais pas droit à la licence poétique. Et on me le faisait savoir, en dix paragraphes. Tout à coup, dans sa critique, cela devenait le truc le plus important de l'album... On rêve !"

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

"Malgré Des Fleurs pour Salinger, et bien que ce soit objectivement un bel et bon album, Le Baiser, avec ses 200 000 exemplaires vendus, ne rencontre pas un succès commercial suffisant, conforme aux attentes du groupe et de sa maison de disques."

Jean-Claude Perrier, Le roman-vrai d'Indochine, Bartillat, 2005

Le lunaire et très officiel Un flirt sans fin (2006) parle d'un album qui ne rencontre pas le succès escompté malgré le soutien des fans. C'est pourtant dans ce même film que Francis Zégut, qui à l'époque soutenait Nicolas, en sort une des rares phrases intelligentes :
"C'est une conjonction de plein de choses je crois, euh... La mode, tout simplement.

Francis Zégut, Un flirt sans fin, 2006
 
"Le Baiser a sa vie, les singles passent, Salinger est programmé sur les grosses radios, parce que c'était le début de la techno, et la séquence au début de la chanson leur plaisait. L'album a beaucoup de succès au Canada, et on va y faire de la promo, ainsi qu'en Belgique. C'est devenu un faux tube. C'est aussi la période des Inconnus, qui nous parodient, et notre maison de disques, au lieu de nous défendre, nous fait comprendre qu'on est grillés, qu'ils ne peuvent plus rien pour nous !"

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011

Un album valorisé par le talent et la maturité d'Indochine, et qui n'a besoin ni des blablas de Nicolas ni des nôtres, pour continuer d'exister. 
"Je les ai retrouvés, et je les ai retrouvés assez changés. C'est ça qui m'a décidé à retravailler avec eux, parce que, ils avaient changé humainement d'abord, ils avaient changé musicalement, et beaucoup au niveau des textes aussi. Et euh, pour moi c'était très important le, le changement, l'évolution de la personnalité de Nicolas, au niveau de l'écriture, euh... Il s'était débarrassé d'un certain côté euh... Comment je pourrais dire ça... Ado exotique. Exotico-adolescent. Tu vois, qui tournait un petit peu en rond, forcément."

Philippe Eidel, M6, 1990

On peut lire une remarque d'Agnès Michaux dans Kissing my songs, assez ironique lorsqu'on connaît la suite :
"Cela aurait pu être l'album d'un mec qui décide ensuite de faire une carrière solo."


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