Art contemporain

"Y'a beaucoup de choses qui m'ont été inspirées sur... dans des biennales d'art contemporain, parce que c'est là où je puise ma principale source d'inspiration. Je trouve que justement l'artiste contemporain, l'art contemporain est une des rares choses où tout peut exister (...) C'est extrêmement osé. Je trouve que dans l'art contemporain, on ose plus que dans le rock aujourd'hui." 
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain2013

Si vous êtes un lecteur du présent blog, vous aurez remarqué que le gros du travail du Nicolas sur ses différents projets musicaux a toujours tourné autour de l'image et du visuel. Et très souvent sans aucun lien avec la musique que cela serait censé soutenir.
"Je voulais être photographe, journaliste, écrivain... Chanteur, non." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Dans une des plus vieilles archives papier sur les goûts non musicaux des membres d'Indochine, Nicolas y est déjà présenté comme "un amoureux de l'image". Alors que Stéphane est un fan de bandes dessinées, lui "son jardin secret c'est la photo".

Une description du Leicaflex SL-2, pour ceux qui aiment la photo
"Troquant, dès qu'il en a la possibilité son micro contre un Canon automatique ou un Hasselblad, le grand plaisir de Nicolas est de s'enfermer dans une chambre noire accompagné d'une jeune fille aux traits délicats... Eh oui, il n'aime qu'une chose: réaliser des portraits noir et blanc de sujets féminins !"
José Bosquet, Passions Indochinoises, Salut! n°209, 1983 

"J'attarde beaucoup à l'image (sic), parce que, bon, j'ai toujours été, moi... intéressé par la peinture. Dès 16 ans, j'allais dans tous les musées... par la peinture, par les... la culture, en tout cas, tout ça. Ça m'a toujours intéressé." 
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain, 2013

Nicolas faisait notamment de la photo à l'époque des jeunes gens modernes :

Photo prise par Nicolas, pour Moderne (1982)

La seule autre production à se mettre sous la dent (hors photos sur les réseaux sociaux) est un tableau au catalogue "100 Hommes pour la vie" pour une vente aux enchères au profit de la recherche contre le cancer en 2006. Les autres contributeurs sont aussi divers que Steevy Boulay ou Serge Dassault.


L'approche pluridisciplinaire dans les productions artistiques est souvent source d'originalité. Chez Indochine, c'est probablement l’intérêt de Nicolas pour le cinéma, la photographie, l'ailleurs fantasmé par les films et les images, la syntaxe percutante de titres et de slogans et une écriture par collage qui fut jadis source de singularité dans ses paroles.

Rapidement, dans ces années Jack Lang, comme pour s'élever par rapport à ses origines banlieusardes ses références se font plus "culturelles", dans la définition ministérielle du mot. Son Orient passe d'hollywoodien en 1982 à durassien en 1985, avant d'être rejeté dans les années 90. Dès lors, ne faut-il retenir que l'aspect littéraire des paroles, plutôt que la réalité des thèmes abordés ? 
"Malheureusement, je me suis laissé piéger par le nom du groupe et au final, je trouve que l'univers est trop évidemment extrême-oriental. Il y avait sans doute une envie d'Asie dans l'air..." 
Nicolas Sirchis à propos du Péril JauneKissing my songs, Agnès Michaux, 2011

Sans doute, oui.


"D'où est venue d'ailleurs l'idée de 'Kao Bang' et le côté asiatique de l'album Le Péril Jaune ?
C'était surtout dû à Nicolas qui aimait ces ambiances. J'aimais l'esthétique asiatique et je traînais souvent dans le treizième arrondissement. On était même parfois habillés avec des habits chinois de kung fu ! (rires)"
Dominique Nicolas, Platine, 2004

Depuis, Nicolas aime à répéter qu'il fréquente beaucoup de musées (surtout leurs cafés et librairies). Ont déjà été cités :
  • Man Ray (Dada et surréalisme) pour Le Baiser
  • Egon Schiele (expressionnisme) pour Un jour dans notre vie
  • Mark Ryden, Ana Bagayan et Ray Caesar (surréalisme pop) pour Alice & June
  • Sophie Calle (art conceptuel & installation) pour La République des Météors
  • Henry Darger (art brut) pour 13

Ses coups de foudre semblent venir de ces expositions :

@ Trianon de Bagatelle, du 31 mars au 5 juin 1989

@ Musée-Galerie de la Seita, du 15 décembre 1992 au 27 février 1993

@ 52e Biennale de Venise, 2007
@ BNF, 2008

@ Musée d'Art Moderne, MAM, du 29 mai au 11 octobre 2015

@ Musée National des Arts Asiatiques - Guimet, du 22 février au 22 mai 2017

Voir : David Bowie

"Oui ben justement, j'ai appris que... Madame [Marie-Claire Adès, ndlr] était justement, s'occupait du musée de la Seita où j'avais été y'a deux ans voir une superbe exposition d'Egon Schiele... C'est là où j'ai écrit une chanson d'après ça, d'après... ce peintre là que j'aime beaucoup."

Nicolas Sirchis, LCI, 1994

Nous ne jugerons pas la découverte de peintres ou plasticiens lors des grandes et très médiatisées expositions parisiennes. Au contraire, c'est même plus que louable d'être curieux dans ce domaine et de promouvoir les arts visuels à un jeune public. Et comme Nicolas semble croire dans le mythe de l'ascension sociale par la culture, c'est normal que cela nourrisse ses centres d’intérêt. Par contre, nous émettons un bémol sur sa posture d'esthète exceptionnel, puisqu'une fois passé les têtes d'affiche ou les gros événements, il semble largué. (Voir le reste du blog)

Par exemple, selon ses dires, sa grande passion serait l'art contemporain. Mais à ce sujet, il ne cite quasi-exclusivement que Sophie Calle. Laquelle l'avait invité avec une quarantaine d'autres musiciens et de chanteurs français et étrangers pour composer, chacun, un morceau pour une expo en hommage à son chat décédé. Le casting est impressionnant et nous pouvons imaginer l'enthousiasme de ce projet pour Nicolas, ici totalement en solo.


Pourtant elle est absente du clip de "Nos Célébrations" où nous apprenons que les trois artistes les plus marquants des quatre dernières décennies seraient Damien Hirst, Jeff Koons et Erwin Olaf.



- Je trouve que dans l'art contemporain c'est là où ça se passe en ce moment. Depuis une vingtaine d'années, c'est plus dans la musique, je .... aujourd'hui hein. L'audace est dans l'art contemporain, mais dans la danse contemporaine aussi. Moi j'ai beaucoup de ...
- Elle n'est plus dans la musique ?
- Je dis pas qu'elle n'est plus dans la musique. C'est pas dans cette généralité là. Mais je trouve qu'elle est plus originale... L'audace, elle est plus aud... effectivement, elle est plus forte dans l'art contemporain aujourd'hui. Il y a plus de force... euh... et c'est là où je puise mon inspiration.  
Nicolas Sirchis face à Léa Salamé, Stupéfiant!, 2019
 
- Quelle est votre définition de l'art ?
- Je pense que l'art c'est rendre ce qui est laid beau et ce qui est beau laid. C'est un peu ce que je pense. 
- Merci.
- Pas mal !
Nicolas Sirchis face à Léa Salamé, Stupéfiant!, 2019

Les pré-XXe apprécieront, on avait pourtant demandé une définition de l'art et non de l'art contemporain. Nicolas semble vraiment toujours être en improvisation sur ces sujets là. Il propose des réponses comme un étudiant lors d'un oral non préparé. Et nous ne saurons jamais de la bouche du chanteur d'Indochine en quoi l'art contemporain est plus audacieux, fort et osé que le rock. 

Mais surtout, si c'est là le fond de sa pensée, que pense t-il faire avec le projet Indochine, du rock ou de l'art ? Si la deuxième réponse devait s'imposer en priorité, peut-être est-ce la raison pour laquelle il a poursuivi son entreprise toutes ces années, après avoir dit qu'il ne pourrait plus chanter "L'Aventurier" ou "Troisième Sexe" à partir d'un certain âge. 

Il serait peut-être ridicule, admettons, de chanter du rock exotique à soixante ans avec les cheveux blancs, mais ça ne l'est pas si c'est de l'art. À la différence de l'art muséal, la chanson et plus globalement la musique populaire ne seraient qu'un art mineur, comme l'avait soufflé Serge Gainsbourg. Et justement :
"J'avais beaucoup discuté à l'époque avec Serge Gainsbourg qui était lui catastrophé en disant 'moi ce que je fais c'est de la merde, je vole l'argent des pauvres, je fais un art mineur'. Quelque part je suis d'accord avec lui, ce qu'on fait en chanson c'est pauvre par rapport à un..."
Nicolas Sirchis à Pompidou Metz, Le Républicain Lorrain, 2013

Nous ne savons pas si Nicolas évoque une vraie discussion avec Serge Gainsbourg, mais lors de la fameuse altercation avec Guy Béart dans Apostrophes en 1986, l'homme à tête de chou employa à peu de chose près les mêmes mots.

Et surtout, pauvre par rapport à un quoi ? Nous savons que Nicolas ne finit pas ses phrases quand il n'est pas à l'aise, mais nous aurions aimé connaître la suite. Peut-être pensait-il à une œuvre d'art exposable dans un musée comme celui où il se trouvait, ou bien des pratiques plus institutionnalisées :
"Comment voyez-vous votre reconversion après Indochine ?
Mon rêve, ça serait de faire des musiques de films. Parce que je serais toujours dans les images.
Nicolas Sirchis in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986

D'un certain point de vue, Nicolas n'est-il pas en train de réaliser ce vieux rêve, en considérant qu'il participe à la mise en musique d'un univers essentiellement visuel ? 

Lors de l'interview au Pompidou Metz en 2013, Paul-Marie Pernet pointe le cœur du sujet :
"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"
 
L'avis d'Olivier Gérard à ce sujet serait intéressant. On sait le fameux oLi De SaT très fan de Trent Reznor, qui s'est dirigé ces dernières années vers une carrière de compositeur de musiques de films. Une évolution très logique vu son parcours avec Nine Inch Nails, connus pour avoir toujours su mêler une musique puissante et des visuels percutants, notamment les arts numériques et la 3D.

Pour en revenir à Nicolas, on pourrait évoquer l'illustration sonore d'une vaste publicité artistique (ou art publicitaire). On ne compte plus les grands photographes, plasticiens, stylistes ou cinéastes ayant fait leurs armes aux services d'une marque ou d'un produit, car c'est là où il y a un besoin de travail et parfois les moyens de produire quelque chose avec une qualité professionnelle. Véhiculer un concept ou une idée par des œuvres, c'est déjà de la publicité.

"On vend justement l'illusion du monde moderne, c'est l'art contemporain, c'est ça." 
Nicolas Sirchis, En balade avec de Nikos Aliagas, Europe 1, 2017 

Comme notre héros aimerait en jeter, autant que les personnes plus érudites qu'il est amené à croiser !

Pourquoi une place si fondamentale du visuel chez Nicolas ? Possiblement une manière plus évidente d'amener ses groupes sur le terrain de l'art-rock, ce qu'il fit par exemple sur la fin d'Indochine Mk1, avant de reproduire exactement le même schéma avec Indochine Mk2. Des premiers albums résolument adolescents (L'Aventurier, Le Péril Jaune pour Mk1 ; Paradize, Alice & June pour Mk2), puis une envie d'accéder à un statut supérieur par la combinaison de plusieurs domaines artistiques, et des références culturelles plus marquées (3, 7000 Danses, Le Baiser pour Mk1 ; Meteors, Black City pour Mk2). Y'avait-il une envie d'être considéré comme un artiste multidisciplinaire comme David Bowie ? Pensez à Alice & June, son décorum et surtout son soit-disant concept qui ne fut rien d'autre qu'un moyen pour vendre vingt-deux morceaux. 

Mk2 en 2005 par Peggy m., séance inspirée du Déjeuner sur l'herbe, Manet, 1863


Mais alors, pourquoi spécifiquement l'art contemporain plutôt que tous les Beaux-Arts dans le discours de Nicolas ? 

Au lieu d'être réellement subversif ou politique, une grande partie de l'art contemporain aime jouer avec les thèmes qui bousculent les vieux réactionnaires comme le sexe, la religion, le choc des générations... Soit certains des thèmes du rock depuis plus de soixante ans, et sur lesquels Nicolas se calque volontiers. La transgression et la provocation, est-ce cela qui lui parle tant ? Ou alors est-ce que citer le monde de la culture lui permet d'esquiver un paysage musical qui le dépasse, ou ne l'intéresse pas ?

De plus, l'intérêt de Nicolas pour "là où ça se passe en ce moment" ressemble à un aveu, comme quoi il s'intéresse à ce vers quoi la mode parisienne le mène, loin d'une culture alternative depuis longtemps rejetée, ou d'un parcours culturel plus personnel apparemment difficile. L'art contemporain a fort bonne presse dans les milieux bourgeois, mais comme toute activité humaine, même artistique, il est loin d'être à l'abri des critiques.

Frank Lepage, militant et éducateur populaire, spécialiste des politiques culturelles, explique assez souvent ce qu'il nomme "l'arnaque de l'art contemporain", qui ne serait fondamentalement pas une évolution historique de l'art moderne désignant les œuvres actuelles, mais un marché spéculatif brassant du vent.
"Pourquoi attendre le jugement de la postérité ? Pourquoi attendre deux siècles que le public décide qu'une œuvre a de la valeur ? Un Rembrandt, un Picasso, j'en sais rien. Il suffit d'inverser le truc. Il ne faut pas attendre que ce soit l'œuvre qui fasse l'artiste, il faut faire le contraire. Il faut désigner des gens comme 'artistes' et à ce moment là tout ce qu'ils font c'est de l'art. Et c'est de l'art immédiatement, et vous pouvez construire un marché avec ça."
 Frank Lepage sur l'art contemporain, Centre Culturel Jacques Tati, Amiens, 2015

Nicolas embrasse clairement cette conception essentialiste, et fait exactement ce que dénonce Lepage : il s'autoproclame rockeur, poète, rebelle, esthète, cultivé par son jeu de références et de collaborations. Dès lors, tout ce qu'il fait gagne ces qualificatifs et la critique devient difficile voire interdite. L'absence d'appréciation ou d'acclamation est alors exclusivement expliquée par l'incompréhension de la démarche de l'artiste créateur. Un argument fallacieux que partagent les amateurs d'art contemporain et les fans d'Indochine.

Comme dans tout monothéisme, le verbe précède la réalité.

Sur les colonnes de Buren au Palais Royal, Paris, 2020


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Influences et références

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