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Étienne Daho

Une dissonance taboue semble exister entre deux éternels adolescents de la pop française, deux têtes d'affiche d'une hydre 'french pop' pourtant très racontée.

"C'est vraiment très spécial, définir ce que représente l'importance de vos dizaines et dizaines d'années maintenant, de chansons. Vous êtes l'incarnation en fait, de la pop française. Y'a eu la pop américaine, qui était vraiment le mainstream, la musique populaire.  Y'avait les chanteurs contestataires, les rockers, le rythm'n'blues, etc. Mais la pop américaine c'était vraiment du hit-parade. Puis y'a eu la pop britannique, qui a été extrêmement porteuse de nouvelles vagues musicales, qui vous ont énormément enthousiasmé lorsque vous étiez enfant [Daho - bien sûr.], adolescent, qui ont toujours ajouté dans leurs paroles quels que soient les rythmes de danse, quelque chose de social, quelque chose de poétique, quelque chose de révolté, espace de liberté. Et y'avait peu de traductions en France. Même si on avait des chanteurs extraordinaires dans nos années d'adolescence, y compris dans les vôtres. Et puis, y'a eu cette french touch de la pop, avant la french touch techno, qui a été inventée par Étienne Daho, et dont il maintient la cuisson à bonne température, depuis 40 ans."

Pierre Lescure face à Étienne Daho ("L'empereur de la french pop"),
C à Vous, décembre 2017


"Nicolas, on a rappelé ces chiffres dingues, les prochains concerts que vous avez annoncés pour Lille, le premier, les 28000 places se sont arrachées je crois en 5h30, fallait vraiment être le plus rapide sur la balle, euh... Depuis le départ de votre histoire, et de l'histoire d'Indochine, elle est belle, elle peut être quelquefois grave, mais elle est belle et romanesque. Y'a comme les trois mousquetaires, y'a un '20 ans après', y'aura même maintenant deux fois 20 ans puisqu'on approche des 40 ans... Indochine, dont personne ne voulait tout à fait être convaincu du nom, en 82. [...] N'empêche que dès 82, un an après la formation d'Indochine, la France entière chante et danse sur ce morceau ! ["L'Aventurier" ♫]
Et Nicolas, tout à l'heure vous avez évoqué effectivement cet effort de créativité, de production, que vous voulez imprimer à chacun des concerts, à chacune des nouvelles tournées ou presque, parce que vous voulez qu'à chaque fois, y'ait du spectacle, que les fans qui viennent, quelle que soit leur ancienneté, aient quelque chose de nouveau.
Nicolas - Bah, c'est à dire que vu la longueur de la carrière il vaut mieux proposer... (rires)"

Pierre Lescure face à Nicolas Sirchis ("Indochine, l'événement !"),
C à Vous, janvier 2019


Les deux C à Vous et les éditos respectifs de Pierre Lescure face à Étienne Daho puis face à Nicolas Sirchis exposent cette dissonance. Un vocabulaire extrêmement mélioratif et un champ lexical de la qualité et de l'influence pour l'un, celui de la quantité et des dimensions pour l'autre. Même le ton de la voix de Lescure est différent.

Nous pouvons aussi rapprocher les deux chanteurs pour s'être farci une image de chanteurs dits à minettes ou à posters dans les années 80 ainsi que des critiques sur leurs voix, comme Jean-Jacques Goldman. Une génération précédente plus ancrée dans un certain rockisme, plus masculine aussi, semblait voir cette nouvelle vague d'un très mauvais œil et la considérer comme une régression musicale ciblant leurs petites sœurs. Ce point de vue rencontre aujourd'hui encore un certain succès.

D'un côté, l'Indomania, de l'autre la Dahomania, entre rock et variété, qui couvraient encore à cette époque un public commun d'indolescents et de daholescents.
Les deux chanteurs étaient souvent questionnés sur des sujets analogues.

Bus d'Acier pour Indochine en 1983

Bus d'Acier pour Étienne Daho en 1985

Mais Étienne se fout d'être rock : il est, et ne cherche jamais à paraître. Il n'a pas non plus besoin d'appuyer sur sa "sincérité", il est sincère et ça suffit. Nicolas lui, passe son temps à se justifier de situations et malentendus jamais vraiment réglés, et modifie ses analyses selon le besoin du moment. Il veut absolument être rock, affiliable à des groupes anglais, et le martèle depuis au moins vingt-cinq ans. Si vous êtes lecteur du blog, vous savez que nous appuyons beaucoup sur le fait qu'il n'existe pas de lien strict entre une attitude rock et la sincérité.

Voir : le reste du blog

"J'avais envie de trouver mes racines françaises et d'essayer d'inventer quelque chose. Et comme on me disait 'mais qu'est-ce que tu fais, du rock, de la variété', les gens essayaient de me définir, de me mettre dans une petite case, à l'époque la notion de 'pop' existait... [M. Achour : En Angleterre.] Oui voilà, le côté anglo-saxon, la pop anglo-saxonne, pas trop en France. C'était un concept un peu... donc je me suis dit voilà je fais de la pop. Et je me suis auto-défini, bêtement, comme chanteur pop, je savais même pas ce que ça voulait dire. Mais c'était un peu prétentieux de ma part, j'avais envie de me mettre un peu dans une zone où je suis tout seul, voilà."

Étienne Daho, Clique, février 2018

Les émissions Clique avec les deux chanteurs sont également intéressantes à visionner, on voit à quel point l'inspiration est différente chez un Mouloud Achour fasciné par Daho, alors qu'il bute sur un Nicolas creux
qui s'engouffre dans des tunnels de plusieurs minutes. Étienne parle peu, très calmement et très bien, Nicolas beaucoup, très fort et très mal.
"Les médias en ont eu ras-le-bol de nous. Les radios et les télés qui nous avaient soutenus au début ont dû être saturées et se sont dit 'c'est un groupe qui ne marche plus !' Mais le renouveau pop va peut-être renverser la vapeur ! Car la pop en France, c'est tout de même venu avec Indochine."

Nicolas Sirchis, Platine, 1996

 
Stop.

Chacun sait que si Indochine a effectivement fait partie de cette mouvance de groupes à l'anglaise au début des années 80, avec un public en commun avec Daho, cette hybridation entre rock et variété existait déjà depuis longtemps et la pop n'est pas venue avec Indochine que ce soit dans la sémantique ou le contenu musical strict. L'hagiographie nicolienne qui explique qu'Indochine serait venu mettre un coup de pied dans la fourmilière entre la variété et un rock trop sérieux ne tient pas. C'est une réécriture à la première personne uniquement destinée à un public jeune et/ou qui ne s'intéresse pas à la musique de cette époque et à son effervescence de nouveaux groupes et chanteurs. Il suffit de lire par exemple le livre officiel de 1988, Le Septennat, pour avoir un portrait un peu plus adéquat de cette époque :
"Les nombreux groupes qui ont éclaté ces dernières années n'en sont alors qu'à leurs premiers pas : Fred, des Rita Mitsouko, a joué dans un groupe avec Dominik. Tokow Boys (Luna Parker) ainsi que les Avions sortent leur premier album (eh oui, déjà !). Plus marginal et hermétique est le groupe rennais Marquis de Sade, de Philippe Pascal (Octobre puis Marc Seberg). Les Civils créent le tube surprise avec 'La Crise'. Bijou et Starshooter ('Betsy Party') éclatent mais c'est surtout la vague Taxi Girl (sorti de la période précédente du Rose) qui continue à déferler à la suite de 'Cherchez le garçon'. Tous ces groupes choisissent le plus souvent d'évoluer en marge des grands médias, comptant avant tout sur un noyau d'inconditionnels acquis à leur cause. La culture rock n'a pas encore pénétré dans les chaumières mais cela ne devrait plus tarder. Quelques groupes commencent d'ailleurs à s'infiltrer dans les hit-parades des stations dites périphériques : Bandoléro et son 'Paris Latino' ou Regrets avec Agathe qui ne veut pas rentrer chez elle seule le soir. [...] Avec Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman et, plus tard, Jeanne Mas, Lio, Daho, le fossé entre variétés et rock s'amenuise."

Marc Thirion, Le Septennat, 1988, Carrère/Kian
Écouter : Pop Française (playlist Youtube)


Jérôme Soligny, musicien et critique très connu et influent, signe en 1986 le tube "Duel au soleil" et d'autres chansons pour Daho. Il compose "Like a monster" pour Indochine Mk2 en 2002.
"On se croisait chez Daho depuis quinze ans et je savais qu'on avait des goûts en commun. Il nous a vus au Zénith durant la tournée 'Dancetaria' et a encensé le concert à une époque où dire du bien de nous était plutôt malvenu. Il a proposé ce titre très glam qu'on a un peu métamorphosé en Nine Inch Nails. 'Like A Monster' est en français mais on a conservé son titre qui colle vraiment bien à la chanson."

Nicolas Sirchis, Rock & Folk, 2002


Non, Soligny a chroniqué le concert du Havre, dont il est originaire, en 2000. 


Nicolas, avec Étienne Daho et Françoise Hardy, Victoires de la musique 1986

Étienne Daho n'a pas voulu travailler avec Serge Gainsbourg mais a été ami avec lui, soit l'exact contraire de Nicolas qui n'a eu qu'une relation professionnelle, au moment du clip de "Tes Yeux Noirs".
"Quelques jours plus tard, [Gainsbourg] se rend à Val d'Isère pour le Valrock, un festival de films rock parrainé par Philippe Manoeuvre de Rock&Folk. Serge y croise Nicolas Sirkis, du groupe Indochine, qui tente en vain de le faire sortir un petit peu : après l'avoir obligé à s'acheter des Moon Boots et une doudoune, il essuie un refus quand il lui conseille de faire de la luge... Lors de la soirée de clôture animée par les anciens du groupe Bijou, Serge monte sur scène ivre mort alors que Sirkis et la comédienne Charlotte Valandrey se lancent dans une version improvisée de 'Harley Davidson'..."

"Gainsbourg", Gilles Verlant, Albin Michel, 2000

Serge Gainsbourg et Étienne Daho, 1987


Daho chante d'ailleurs "Comme un boomerang" avec Dani en 2004, et avec Charlotte Gainsbourg sur "If" en 2003. En 2020, il réalise l'album Oh, pardon tu dormais... de Jane Birkin, et chante sur le titre éponyme.
 
En 1988, Sébastien Chantrel réalise "Des heures hindoues" pour Daho, et "La Chevauchée des Champs de Blé" pour Indochine.

 
En 1992, Nicolas Sirchis choisit de travailler avec les Valentins, après la collaboration réussie d’Édith Fambuena avec Étienne Daho en 1990.
"Ta partenaire dans cette aventure est Édith Fambuena. En faisant équipe avec elle, tu n'as pas eu peur d'arriver avec un album trop clairement inscrit dans la lignée Daho?
- Bien sûr, j'y ai pensé. J'adore travailler avec des filles. J'ai toujours aimé les filles avec une dégaine rock'n'roll, la guitare, la mèche de cheveux qui tombe... Bon, Edith, elle a sa tête, sa façon de jouer, ses tics, ses manies... sa personnalité, quoi. Et ça, je ne pouvais pas le changer. On a coproduit l'album ensemble et le résultat est en accord complet avec ce que j'avais dans la tête. Finalement, on est assez loin de l'univers de Daho. Et puis, elle sort un nouvel album des Valentins en janvier qui sera encore différent de tout ça.

Si tu avais enregistré un single solo avec une reprise, laquelle aurais-tu gardé en priorité?
- Sans aucun doute Brand new life de Young Marble Giants. C'est une reprise que j'avais envie de faire depuis longtemps. Avec Édith, on avait commencé à y travailler il y a trois ans. Et puis, on avait un peu laisser tomber l'idée.
Pendant l'enregistrement de 'Paris Ailleurs', elle était à New York avec Daho et elle me téléphonait tout le temps... 'Alors on le fait cet album de reprises ?' Pour finir, c'est elle qui m'a un peu poussé à le concrétiser.
"

Nicolas Sirchis, Télémoustique, 1992

En 1991, Édith Fambuena apparaît dans le clip de "Des attractions désastre" (avec une Mustang rouge !) alors que Nicolas se montre seul dans celui de "Alice dans la lune", en faisant semblant de jouer de sa nouvelle guitare.

Voir : 1992 - Dans la luneNicolas et la guitare



En 1992, Daho est à l'origine une compilation pour la recherche contre le SIDA. Indochine est dessus, avec une version acoustique de "Tes Yeux Noirs". 
 
En 1995, Étienne chante "Tous les goûts sont dans ma nature" en duo avec Jacques Dutronc. Nous connaissons le goût de Nicolas pour les morceaux "Et moi et moi et moi" et bien sûr "L'Opportuniste".


En 1996, l'immense Eden lorgnait brillamment du côté du trip-hop, de la jungle et de la french touch naissante, notamment à travers le sampling. Deux semaines plus tôt, Indochine sortait le foutraque Wax, sorte de démonstration d'incompréhension de la musique britannique de cette époque. Alexandre Azaria, qui co-réalise l'album, avait pourtant essayé de proposer quelque chose qui pouvait s'apparenter aux paysages d'Eden, avec des titres comme "L'Amoureuse" où Nicolas essayait sans grand succès de se montrer sensuel. Un domaine dans lequel Daho fait plus qu'exceller.
"On est clairement plus proche de l'Iggy Pop de American Caesar que d’Étienne Daho !
Très très loin d’Étienne Daho, ça c'est sûr ! On se sent plus proche de groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le paysage francophone."

Nicolas Sirchis à propos de Wax, Tribu Move n°7, avril 1999

Comme nous l'avons développé dans l'article sur cette époque, Nicolas était en plein matraquage pour se faire affilier à des groupes anglais plus hype et s'éloigner d'une certaine variété française. Mais le chanteur semblait avoir un problème avec Étienne Daho, et le considérer avec une dose généreuse de mépris comme un représentant de cette variété.

"Vous avez présenté Blitz comme le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers seraient Pop Satori et Eden
On y trouve la même liberté, la même envie de faire une expérience. Le même coup de foudre pour un disque aussi : Pop Satori c’était le groupe de William Orbit, Torch Song, et Eden, l’installation d’une certaine forme de musique électronique - la drum’n’bass, la musique la plus 'sex' depuis le punk ! - mêlée au retour de Burt Bacharach. Le lien, c’est que ce sont des disques qui sont obsédés par leur objet. Ce sont des disques qui provoquent un rejet souvent à la première écoute aussi."

Étienne Daho à propos de Pop Satori, Eden et Blitz, Libération, novembre 2017

Parce que oui, Étienne Daho a aussi sa trilogie !

Voir : 1996 - Wax, 1999 - Dancetaria, 2002 - Paradize


"Nos fans aiment autant les Smashing Pumpkins que Björk."

Nicolas Sirchis, Platine n°34, octobre 1996

 
Quelques uns, c'est possible. Mais Eden montre des points communs musicaux avec le phénoménal Post (1995) de la chanteuse islandaise. Wax, non.

Soulignons-le : Eden et Wax sont tous deux sortis en novembre 1996.



En 2000, Corps et Armes est de nouveau produit par Les Valentins, avec Édith Fambuena à la guitare.



Comateens, un groupe dont les fans d'Indochine connaissent l'existence - à défaut de la musique - et avec qui Étienne est ami depuis très longtemps.
"J'avais adoré leur premier album. (1980, ndlr) 'Le Grand Sommeil' était sorti sur une compile aux États-Unis et je devais faire un showcase à la Danceteria à New York. Nous sommes devenus amis très vite. Une évidence."

Étienne Daho à propos de Comateens, Slate, 2019
 
"Très pudiquement, Etienne évoque la dernière chanson d'Oliver Dumbling : "elle est écrite par Oliver, le frère de Nicholas Dembling des Comateens. Son décès a été traumatisant pour nous tous. Nicholas et Lyn m'ont offert cette chanson sublime et chantent les choeurs avec moi. Cette chanson a une grande signification pour nous trois". Sortie en single uniquement pour le marché anglais, la chanson ne bénéficiera pas d'une version longue mais d'un clip (tourné juste après son concert Bruxellois), à la différence du troisième extrait de l'album en France "Caribbean Sea".

à propos de "Stay with me" in Dahodisco, Benoît Cachin, Gründ, 2013

On voit d'ailleurs Xavier "Tox" Géronimi dans le clip de la chanson en question :


Les Comateens jouent en première partie du Tour Martien en 1989, à la demande de Daho. Mais l'influence du groupe s'exerce différemment sur Nicolas :
"C'est eux, en fait qui nous ont donné envie de nous maquiller. A cette époque, ils étaient déjà super maquillés et habillés ultra new wave. Nous, à côté, on faisait vraiment pauvres mecs de banlieue. Je me souviens qu'on les a vu passer dans les coulisses et on s'est dit 'Putain, ils sont maquillés, c'est classe !' Et on s'y est mis aussi !"

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

En 2007, L'invitation propose des compositions de Xavier "Tox" Géronimi, Édith Fambuena et Jérôme Soligny. Malheureusement, notre radar n'a repéré aucun intérêt de la part de quiconque parmi les fans d'Indochine.

  
Vous connaissez sûrement l'interview croisée en 1999 de Nicolas Sirchis et Brian Molko, le très courtisé chanteur de Placebo. Mais connaissiez-vous celle de Brian Molko et Étienne Daho en 2003 dans Rolling Stone ? Lire les deux interviews l'une après l'autre est très éloquent : Daho et Molko semblent avoir énormément à échanger... Ce qui est moins évident de l'autre côté.

Brian Molko et Étienne Daho, 2003
Voir : Placebo


En 2007, Nicolas précisait son point de vue sur le chanteur rennais :
"Je déteste les égocentriques. Étienne Daho ne parle que de lui, il est devenu inintéressant."

Nicolas Sirchis, Phosphore, 2007

Est-ce l'hôpital qui se fout de la charité, ou avez-vous une meilleure expression pour désigner cette sortie de notre héros ?

En 2013, Daho chante sur l'époustouflant "Mortelle" de Rone (2013). La même année, Nicolas essaye le logiciel Ableton sur un remix personnel de "Belfast" qu'il crut intelligent d'appeler "The Berlin Mix" et même de sortir.


Une vingtaine d'années après les tentatives de Wax et Dancetaria, Nicolas se mit avec 13 à parler plus ouvertement d'electro (souvent à travers l'évocation de l'achat de certaines machines). Mais la même année qu'Eden, Étienne Daho avait aussi enregistré un EP avec Comateens.
Les auditeurs avertis de musiques électroniques se retrouveront davantage dans cette collaboration qu'en écoutant 13.


Comateens sur Instagram : "we are so proud of this record... love to all"


Les liens de Nicolas avec des artistes électroniques ? Des chœurs chez les consternants Dead Sexy Inc., une amitié avec le très visuel Sindrome, la reprise de Troisième Sexe par Miss Kittin ou des remix, parfois prestigieux (Curve, Tricky).

Étienne Daho est à ce jour considéré et respecté par une grande partie des auditeurs francophones comme le parrain de la french pop. Il organise d'ailleurs fin 2017 une exposition de photographies, "Daho l'aime pop !", et immortalise entre de nombreux autres jeunes gens modernes Requin Chagrin, signé sur... KMS Records, le label de Nicolas.

Mais Indochine en est très ouvertement absent.

"De toute façon on a toujours été un petit peu à part, parmi... Même toute cette vague là, on reparle de la vague néo-pop, les parrains de la pop française, pff... C'est comme si on n'existait pas. Et en fait on est encore plus présent que... C'est assez, assez marrant ce côté euh... élitiste français, mais euh... Effectivement au stade où on en est c'est pas très important..."

Nicolas Sirchis, France Bleu, septembre 2017

Nicolas est dans le vrai.

Indochine continue à ce jour d'occuper un créneau bien à lui, c'est en partie ce qui le rend si singulier et fascinant. La dénonciation par Nicolas d'un "élitisme français" est audible, lui qui a souvent pointé un certain public non-français qui aurait su récompenser le succès plutôt que le punir, et c'est une de ses formules les plus connues :
"En France on ne pardonne pas l'insuccès mais on pardonne encore moins le succès."

Nicolas Sirchis, Un flirt sans fin, 2006

Nicolas évoque ici un mécanisme de distinction bourgeois et centre-parisien, milieu social dont il n'est issu qu'en partie et qu'il semble envier. C'est pourtant ce même logiciel snob qui le mène par exemple à rejeter la bande dessinée au profit d'une attitude de littéraire, plus proche de son groupe social de référence.

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée


Mais en tant qu'artiste c'est différent : les mondanités ne pouvant pas suffire, Nicolas a rarement su aller plus loin que la collection de citations, pensée comme un contenu suffisant. C'est bien le problème avec ce public plus chic dont il calque les habitudes culturelles, mais dont il pourfend le refus de reconnaître Indochine : Nicolas se situe totalement dans cet élitisme français pourtant dénoncé. Citerait-il Indochine, s'il n'en faisait pas partie ? La question lui fut posée en 2007, et la réponse est éloquente :
Si tu étais ado en 2007 serais-tu fan d’Indochine ?
Aucune idée en tout cas les références de ce groupe me plairaient beaucoup.

Nicolas Sirchis, interview pour indo-paradize, 2007

Comme si des références bien placées devaient former le gros du contenu et se suffire à elles-mêmes. C'est justement un piège dans lequel n'est pas tombé Étienne Daho, qui a toujours su proposer quelque chose de personnel et ne rencontra jamais aucune confusion à décrire ce qu'il avait voulu faire.

Voir : Influences et références, Art contemporain


Nicolas, devenu nouveau riche esthète mais ayant gardé son côté banlieusard, trouve plutôt de la reconnaissance auprès d'un public dit populaire, moins animé par les modes et la culture pyramidale. Malgré de nombreuses perches tendues à coups de références institutionnelles, ce public plus traditionnellement cultivé et/ou branché continue de ne pas accrocher à Indochine. Dans le meilleur des cas, il arrive d'entendre du bien des deux premiers albums, plus alternatifs et branchés, dont le recul permis par le temps et la redécouverte de la new wave par une nouvelle génération leur permet aujourd'hui de bénéficier d'une certaine légitimité émergente.


Étienne Daho est issu d'un milieu plus aristocrate, et fut très tôt entouré de nombreuses influences culturelles. Le facteur rennais, déterminant, l'éloigna pourtant du parisianisme qui allait former Nicolas. Présent à Londres en 1976, passionné, musicien dans l'âme et mélomane - ce que Nicolas ne deviendra jamais - il fit ses armes auprès des groupes Marquis de Sade, Elli & Jacno, Comateens.

Son public est tout aussi disparate que celui de Nicolas, mais Daho est tellement soutenu par la petite bourgeoisie culturelle branchée (Télérama, Inrockuptibles) et affiliés, que ne pouvons que remarquer en priorité ce public-là. Celui-là même dont Nicolas est exclu par manque de légitimité, et que nous ne croisons jamais aux concerts d'Indochine Mk2 !

Nicolas au Stade Pierre Mauroy, juin 2019

"Il y a toujours des gens qui ont la haine. Moins qu'avant, mais quand même. Maintenant, les plus intelligents de nos détracteurs avouent au moins un respect pour ce groupe. Mais il y a une haine, une telle haine, que je n'arrive pas à élucider. Des crachats, des commentaires qui disent juste 'c'est de la merde'. Étienne Daho est un peu passé par là, par le côté 'non chanteur', mais ça n'a pas duré longtemps pour lui. Il y a une haine pour les gens qui ont du succès en France. On ne pardonne pas l'insuccès, mais encore moins le succès."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011


Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine


Il existe une énorme cassure entre Indo et Daho, et visiblement entre leurs publics respectifs. Comme un mur aussi infranchissable qu'invisible. Nous pourrions évoquer en parallèle l'opposition dans la presse musicale des années 2000, entre Rock Mag & co (adolescent, banlieusard, périurbain, apolitique) et Les Inrockuptibles (jeune adulte, petit bourgeois intello, citadin intramuros, centre-gauche).

Un livre serait nécessaire pour développer ce sujet que, de notre aveu, nous ne prétendons pas maîtriser au point de proposer une vraie étude. Il se peut que nous y revenions par la suite.


Quoi qu'il en soit, Étienne Daho est ouvertement cité par de très nombreux jeunes popeux, et assumer Indochine est bien plus compliqué passées les épouvantables Divisions de la Pop. Lorsque ça arrive, Nicolas le souligne systématiquement, voire relaie un bruit de couloir à base de on m'a dit que, une vieille habitude :
"En revanche, beaucoup de groupes anglais nous aiment bien, comme Placebo, mais aussi des groupes de la nouvelle scène comme Antony & the Johnsons, Gossip, ou récemment on m'a dit que les Two Door Cinema Club nous trouvaient cool."

Nicolas Sirchis, Hors-Série Rolling Stone spécial Indochine, juin 2010

Et ?


En 2013, alors qu'il avait coécrit "Les Portes du Soir" et "Traffic Girl", et fut première partie récurrente avec son groupe Asyl, Matthieu Peudupin dit "Lescop" se garda bien d'évoquer Indochine dans sa communication autour de son premier album solo. Parce que ce dernier ciblait un public plus porté vers Étienne Daho ou Daniel Darc - autrement dit un public Inrocks/Télérama - et non celui d'Indochine : il ne s'agissait pas de se griller en provoquant une affiliation visible avec Nicolas Sirchis ! Le plus que dispensable mais pourtant très hypé Lescop (2013) lorgnait bel et bien davantage vers le chanteur rennais et autres jeunes gens mödernes, ce qui n'échappa ni à la critique ni au public.

Lescop, Lescop, 2013

Matthieu Peudupin apparaît même avec Étienne Daho en 2014 pour chanter "Le Grand Sommeil" dans l'émission Alcaline. Nous l'avions vu précédemment avec Indochine Mk2 aux Francofolies de la Rochelle en 2006, pour une reprise débile de "Teenage Kicks", en pleine mode des guitares distordues et des attitudes rock. L'assumerait-il encore ?


Sa pose de fan pâmé pour les murs de briques l'éloigne pourtant d'un Daho bien plus discrètement érudit, et trahit sa génération malgré des références anciennes et ancrées : une génération rétromaniaque pour qui des références dénuées de sens constituent un contenu identifiable, comme une collection de hashtags. Et cela le rapproche bien plus de Nicolas Sirchis.

Voir : 2002 - Paradize


Mais Daho garde l'enthousiasme inchangé d'un adolescent dans sa curiosité et son érudition, contrairement à un Nicolas qui n'a jamais été plus loin qu'une rhétorique de fan qui aurait cessé d'évoluer passée la vingtaine. Il ne semble s'être attardé que sur l'image, et ne trouve du confort que dans une certaine superficialité : l'apparente ignorance musicale (ou consensualité) d'une grande partie de son public et de ses défenseurs médiatiques lui rend superbement service.

En d'autres termes, Nicolas semble tirer son public vers le bas, Daho vers le haut.

Voir : le reste du blog


Vous avez sûrement entendu parler de David Bowie via les interviews de Nicolas. Mais si vous connaissez bien David Bowie, vous connaissez forcément son fidèle producteur Tony Visconti. Ce dernier a récemment produit... Étienne Daho ! pour une nouvelle version de "Paris Sens Interdits", originellement sorti en 1989.




Étienne est bisexuel, discret mais pas secret. Lui n'a jamais eu besoin de marteler sur les plateaux de télévision qu'il aurait écrit tel ou tel "hymne", et que soit-disant des personnes homosexuelles lui écriraient "tous les jours" pour le remercier (information uniquement rapportée par Nicolas...). Il n'a pas besoin non plus de lever le poing sur scène, haranguer ses fans avec des slogans, et se draper dans les couleurs de l'arc-en-ciel pour se faire affilier à une lutte sociétale - comme le fait régulièrement le très hétérosexuel chanteur d'Indochine.

Nicolas Sirchis, Clermont-Ferrand, 2020
"La maison de disques ne voulait pas la sortir, parce que c'était une chanson dite de "pédés". Marc Lavoine ou Étienne Daho sont venus me voir pour me féliciter d'assumer quelque chose."

Nicolas Sirchis, Platine, 1996

Soit, mais assumer quoi exactement, sachant que cette chanson ne parlait que de vêtements et de cheveux, en pleine mode de l'androgynie ? (Note : Tony Visconti a aussi produit Marc Lavoine)

En 2015, Dominique Nicolas devant un micro sur ses propres compositions, lorgnait nettement vers Étienne Daho, ce qui n'échappa à quasiment personne. Cela constitue un aperçu hallucinatoire d'une collaboration formidablement cohérente que nous n'avons jamais eue. Imaginez seulement...


...avec ici (1989) à la guitare un Xavier "Tox" Géronimi plus dominikien que jamais.

Sommes-nous passés si près que ça d'avoir de vrais Smiths français ?
Peut-être n'est-il pas trop tard ?

Et en ce qui concerne Tox, il a sans aucun doute fait le pire truc de sa carrière avec Indo Live (1997), alors qu'il a toujours été impeccable avec Daho, d'où l'importance de savoir diriger ses musiciens.

Étienne Daho peut être vu comme le contraire de Nicolas Sirchis. Ce dernier est un homme très creux et superficiel qui a voulu faire de grandes choses. À l'inverse, Daho est quelqu'un de très conséquent, qui a souhaité faire quelque chose de plus léger : de la pop. Éternel adolescent dans ses bons côtés pour l'un (fascination, enthousiasme), ses mauvais pour l'autre (inculture, arrogance).

Pour schématiser à l'extrême : Étienne Daho serait un provincial cultivé, salué par un public parisien en mal d'authenticité ; Nicolas un parisien superficiel et cultureux, salué par un public éloigné des centre-villes et des problématiques de capital culturel.


Nous avons beaucoup évoqué sur ce blog les emprunts faits par Nicolas à des artistes qu'il semblait envier : Brian Molko, Dave Gahan, Brett Anderson... Mais au fond, n'aurait-il pas rêvé d'être Étienne Daho ?


Certes, si le paysage éminemment branchouille qui entoure le chanteur rennais et son côté trop parfait peut le rendre plus facile et avantageux à citer dans l'espace social plutôt qu'un Nicolas indéfendable, il apparaît tout de même qu’Étienne Daho est un homme plus enrichissant à entendre en interview et sur disque. Nicolas a stagné, sa musique n'a jamais évolué - voire n'a jamais vraiment existé - et semble avoir maintenu ses fans dans une longue et stérile immaturité, nécessaire pour continuer de l'admirer sans remise en question possible.

Pour finir, Étienne Daho a toujours extrêmement bien chanté, là où Nicolas nous fait franchement honte d'année en année.

 
Dahophile arrivé par accident sur ce blog, et qui se demande quel disque d'Indochine écouter pour la curiosité ? Le Baiser, à la rigueur. Il n'est pas non plus exclu que Dancetaria vous plaise.

"À mon avis, on pourrait plus comparer, s'il y a à comparer, au Velvet Underground. On a d'ailleurs fait écouter le titre à Etienne avant sa sortie, il n'a pas trouvé que ça lui ressemblait."

Dominique Nicolas à propos du titre "Le Baiser" in Indochine Story, Anouk Vincent, 2012



Révisionnisme et malentendus

Les nombreux malentendus qui entourent Indochine Mk1 comme Mk2 semblent, à la lumière des interviews, avoir atteint Nicolas lui-même : penchons-nous sur le révisionnisme de sa propre histoire et de sa propre musique qui en résulte.

À croire les interviews récentes de Nicolas Sirchis, la version originale d'Indochine était un groupe synthétique. Et surtout un groupe de jeunesse, avec des albums faits dans l'inconscience et l'amateurisme. À l'inverse, la formation actuelle serait mature, beaucoup plus exigeante, professionnelle et qualitative.

Stéphane au synthétiseur dans "Troisième Sexe" (1985)

C'est un des plus vastes et indéboulonnables malentendus concernant Indochine : ils auraient commencé comme un groupe poppy, à synthés, et seraient devenus rock à partir de la refonte par Nicolas. Cette méprise est à mettre directement en lien avec la définition française de la new wave, soit une confusion avec la trop moquée synthpop (The Human League, OMD, Depeche Mode). Petit rappel pour les auditeurs ayant découvert Indochine récemment :

 
Pourquoi malgré la présence massive de guitares dans Indochine Mk1, ce sont les séquences et les boîtes à rythmes qui restent dans l'imaginaire collectif ? Un "vrai" groupe à guitares ne doit-il pas avoir de guitares claires ? La présence de réverbération rendrait le groupe synthétique ? Est-ce l'absence de batterie ? De bassiste ? Les guitares déphasées ? L'absence de tatouages ? Les belles gueules ? Il y a pourtant eu de la drogue dans ce groupe et pas qu'un peu : nous savons depuis Eddy le Quartier que s'ils se droguent, bon ben c'est du rock. 
 
La raison la plus plausible est pour nous l'image lookée/maquillée du groupe. Bien plus proche du rockisme à l'américaine que d'une excentricité androgyne typiquement britannique, la mentalité française semble bien plus encline à considérer, même inconsciemment, qu'un tel "groupe de pédés" serait forcément non rock et à synthés. En remontant un peu le temps, nous comprenons que Nicolas n'a pas toujours été très à l'aise avec cette image.
 

Taxi Girl, même après avoir été un duo synthétique, a toujours eu une crédibilité à faire pâlir d'envie Nicolas. De même pour Étienne Daho, qui n'a jamais souffert d'une image ringarde et jouit d'une excellente image auprès de la presse rock française.

Voir : Étienne Daho

 
Pourquoi cette occultation des guitares de Dominique et de Stéphane ? La présence d'un synthétiseur annule-t-elle celle des cordes grattées ? Sur 13, seul "Un été français" semble vaguement faire écho aux guitares claires et mélodieuses du groupe original, mais était-ce voulu ? Les guitares claires, Nicolas Sirchis ne semble pas vraiment considérer cela comme du vrai rock, et cela intensifie davantage son quiproquo sur les musiques synthétiques, qui seraient alors vues comme légères et superficielles.

Rappelez-vous les influences des débuts, probablement de vieux trucs d'un autre temps pour le public actuel, pour qui le fantasme des années 80 semble plus séduisant que la réalité de cette décennie. De la même manière que ce qu'aurait pu être le groupe au début semble plus attractif pour Nicolas lui-même, que les jeunes garçons réels qui formèrent Indochine.

Voir : 2020 - "Nos Célébrations" & Singles Collection 2001-2021


Au cours des années 2010, la synthwave a ressorti des sonorités synthétiques et plastiques 80's, précédemment vues comme kitsch, et les a rendues de nouveau cool et hype. Le film "Drive" (2011) y fut pour beaucoup et inspira le clip de "Memoria" (2013).
 
 
Le soi-disant retour aux sources de 13 (2017) participe directement de ce cliché et malentendu sur cette époque, qui mélange low-tech et tout ce qui exista avant Internet. Cette méprise extrêmement répandue fait des bandes originales synthétiques typiques, de la Hi-NRG et de la vague synthpop du début des eighties, une généralité sarcastique sur l'ensemble de la décennie. Cette synthwave provoqua aussi de nouvelles propositions et rééditions de la part des fabricants de synthétiseurs, et rendit les sonorités synthétiques de nouveau attrayantes pour de nombreux musiciens de tous âges.
"Les sonorités des années 80, le retour des synthés, une touche d’électro voilà pour la musique. 13 est un album résolument dansant.
Nicolas Lemarignier, France Info, décembre 2017

Nous pouvons remercier ce revival pour avoir dépoussiéré les 80's, même s'il a cristallisé un certain nombre de méprises, dont la sempiternelle confusion avec la new wave. Si 13 s'affranchit des clichés sur les synthétiseurs, il ne constitue pas pour autant un retour nostalgique, ce qui est une qualité pour un projet musical proposant une évolution dans les arrangements au fil des albums.

Les synthétiseurs n'ont jamais vraiment quitté Indochine. De "L'Aventurier" à "Go, Rimbaud Go!", en passant par "Canary Bay", "Unisexe" ou "Like a Monster" et jusqu'à "Europane", les musiciens qui y sont passés ont toujours su mêler les sonorités synthétiques aux guitares, fussent-elles claires ou saturées. Mais une fois pour toute, la présence de synthés n'induit pas un retour aux années 80. Sébastien Bataille remarquait déjà en 2003 que :
"Indochine a longtemps été catalogué 'groupe des années 80'. Ainsi, quand sortent quatre albums studio la décennie suivante, les journalistes parlent systématiquement du 'retour d'Indochine' alors que le groupe n'a jamais vraiment cessé d'enregistrer et de tourner. Une autre manie journalistique consiste à réduire les années 80 à une période bâtarde en matière de création musicale, où seul le look comptait, au détriment du reste. Bref, les années 80 étaient kitsch, un point c'est tout."

Sébastien Bataille, Indochine de A à Z, Les guides MusicBook, 2003
Olivier Gérard et Nicolas Sirchis, aux Stéthos d'or en 2019

Si nous saluons l'acceptation sans complexe d'un album principalement synthétique par Indochine Mk2, nous faisons toutefois face à un paradoxe. Alors qu'une énergie gigantesque avait été dépensée depuis 1995 pour supprimer l'image datée et pouet pouet du premier groupe, au profit de grosses guitares, plus "crédibles", Nicolas a bel et bien changé son fusil d'épaule. C'est parce que les synthétiseurs sont redevenus à la mode qu'il embrasse des morceaux à la saveur synthpop, comme "Belfast" (2013) ou l'album 13. Il s'agit bien entendu d'un symptôme de la disparition de recherche de modernité en musique : un album ne se situe plus dans une évolution ou une temporalité mais se contente d'une mise en forme piochée parmi les sous-genres passés.
 
Même le très injustement moqué Jean-Michel Jarre a su profiter de ce revival pour réhabiliter son image, avec une communication efficace autour des deux albums collaboratifs Electronica (2015) et Electronica II (2016). Nicolas, lui, déteste toujours autant.

Mais à la différence des talentueux protagonistes de la très postmoderne synthwave, Nicolas est toujours incapable de distanciation et de second degré : par conséquent, emballé par la présence de sons électroniques, il présente très sérieusement Indochine comme un pionnier synthétique. Au lieu de corriger cette erreur courante sur ce que fut Indochine Mk1, il finit par s'arranger de ce malentendu :
"Moi je pense que les électros euh... les musiciens électro, en fait, se basent... enfin je pense que la new wave a toujours été et a ... c'est ce qui se dit, a été précurseur de ce que font les électros aujourd'hui. Moi j'aime beaucoup l'electro berlinoise, Helena Hauff, Paul Kalkbrenner, etc. Y'a des connotaissances (sic) depechemodiennes... enfin y'a plein de trucs qui se ressemblent. Ces instruments-là m'ont fait penser vraiment à la façon dont nous on a commencé à composer avec des MS-10 etc où on avait une note et on cherchait des sons. (...) Y'a même des trucs qui sonnent un peu comme Frankie Goes To Hollywood ou Dead or Alive. Mais nous on est issu de ça."
 Nicolas Sirchis, Oui FM, 2017

Nicolas n'ayant pas participé à la composition dans Mk1, sa recherche de sons ne devait pas dépasser le réglage de son synthétiseur. Est-ce l'énergie futuriste des années 80 qui lui donne encore aujourd'hui l'impression d'avoir mené un groupe de défricheurs ?
"On retouche à nos sonorités passées (...) L'Aventurier est né à d'une mélodie à un doigt sur un vieux synthé."

Nicolas Sirchis, lors de l'avant-première de 13, 2017

Mais à une époque où les guitares étaient à la mode, Nicolas rappelait que :
"La raison pour laquelle on nous a affilié au rock synthétique, c’est parce qu’il y a eu cette vague qui a déferlé mais nous avons toujours basé nos morceaux sur la guitare. 'L’Aventurier' c’est avant tout un "gimmick" de guitare et tous les titres qui ont marché sont aussi basés là-dessus. La critique a trop oublié ça.

Nicolas Sirchis, Rockstyle, février 1994
Indochine, septembre 1981
Et il a raison de rappeler qu'Indochine est un groupe à guitares. La vague qu'il évoque ici est celle de la synthpop au début des années 80, précédemment évoquée. Mais en 1996 :
"On nous avait tellement assassinés parce qu'on utilisait des synthés machin et caetera, maintenant ça devient... c'est le dernier chic, c'est de réutiliser des Minimoog, enfin tous les synthés, les vrais synthétiseurs c'est ceux qui font des bruits bizarres, des bruits de laboratoire [...], et donc justement les sons bbzzzz ça nous intéresse depuis le début, parce qu'on utilisait ça."
Nicolas Sirchis lors de l'enregistrement de Wax, Comme deux frères, 1996


Ici, Nicolas pense très plausiblement à la mode de l'easy-listening, sorte d'hommage post-moderne aux musiques de film des années 50, aux mélodies sirupeuses et aux vieux synthétiseurs. Nous pouvons entendre une telle influence sur Wax mais jamais le chanteur ne cita cette tendance, préférant se focaliser sur une certaine britpop. Quant aux bruits de laboratoire chez Indochine, pas vraiment au delà de "Dizzidence Politik". Il est cependant vrai que l'intégration de "nouvelles" technologies dans les musiques rock fut accueilli froidement par une grande partie du public, et ce bien au delà d'Indochine.

Voir : 1996 - Wax


Mais autant de contradictions sur - supposément - une seule discographie nous semble assez inédit. 

"Il y a même deux trois titres où il y a pas de guitare pas de basse pas de batterie. C'est vraiment... Et ça, je pense que c'était pas arrivé depuis... depuis les albums le Péril Jaune ou 3 par exemple."
Olivier Gérard à propos de 13Watt's In, 2017
 
En réalité, en excluant les piano-voix type "Un singe en hiver" ou "Tom & Jerry", ce n'était jamais arrivé. Mais Olivier Gérard ne doit pas avoir entendu ces albums comme nous. Hormis l'ouverture et la fermeture, Le Péril Jaune (1983) ne comporte que des titres où la guitare est fondamentale, et il en est de même pour 3 (1985) où la majorité des mélodies accrocheuses sont jouées avec cet instrument, bien que le synthétiseur y prenne une place plus large.


Pourquoi Indochine Mk1 est systématiquement réduit à de la pop synthétique ? Et qui plus est, à la fois par un Nicolas ayant fini par embrasser un cliché contre lequel il s'était battu, puis par l'actuel compositeur et ancien fan, qui vient conforter son patron dans cette méprise ?

Pour les deux cerveaux d'Mk2, la new wave (entendre ici la synthpop) et l'électro (entendre ici les musiques électroniques) seraient donc interchangeables. Nicolas confond new wave et EDM (electronic dance music) dans l'urgence de prétendre que les deux projets ayant porté le nom d'Indochine constituent un ensemble cohérent. 
 "Il faut revenir à l'essentiel. À la new wave."
Nicolas Sirchis dans Black City Parade, Le Film, 2012
 

S'il existe bien des liens historiques entre de nombreux défricheurs post-Kraftwerk de la fin des années 70, il n'y a pas d'équivalence entre la pop synthétique et les musiques électroniques sous prétexte de technologies ou sonorités communes. Autrement nous y ajouterions le rock progressif, le nu-jazz ou la musique de jeu vidéo. Les démarches d'écriture du chansonnier même derrière un synthétiseur, du compositeur électronique et du mix d'un DJ sont fondamentalement distinctes.

Indochine Mk2 pourrait donc aujourd'hui se vanter d'avoir fait partie du défrichage électronique, au moment de sortir un album très porté sur le synthétiseur comme 13. Nicolas se sent-il issu de cette cold wave lorsqu'il introduit "Station 13" ou lorsqu'il lance un arpégiateur au moment de présenter ses musiciens ?

Couverture de Sounds avec Florian Schneider & Ralf Hütter de Kraftwerk, novembre 1977

Quant à Berlin, la symbolique autour des cultures alternatives et du bouillonnement artistique a été tellement racontée et utilisée qu'elle est aujourd'hui galvaudée. On y vend aujourd'hui des vinyles de Bowie à la sauvette, pour les touristes friands de souvenirs estampillés #berlin
"J’ai toujours du mal à prononcer des phrases du genre 'Si le synthé sonne comme ci ou comme ça, c’est parce que nous étions à Berlin'. Je crois qu’il faut s’appeler David Guetta et être DJ pour s’exprimer ainsi."

Dave Rowntree (Blur), Air le Mag N°60, 2015
 
Nicolas est paradoxal dans la mesure où il lutte à la fois pour faire accepter une cohérence entre différentes entités musicales portant le même nom, mais également pour que son projet actuel soit accepté et reconnu comme bien supérieur à son groupe de jeunesse. 


Petit aparté nécessaire pour la suite : Nicolas avait déjà confessé préférer cacher sa personne derrière "l'anonymat d'un groupe". Mais l'équivalence, voire l'interchangeabilité conceptuelle, entre le chanteur et le groupe Indochine conduit Nicolas à fréquemment confondre "nous" et "je" quand il veut faire passer ses idées personnelles, ou même raconter ses expériences. Il se trahit souvent lors d'autocorrections spontanées "je... euh, nous". Cette généralisation peut aller du ridicule à l'insulte, notamment lorsqu'il s'agit de dévaluer Indochine Mk1, et dans ce cas le "on" est utilisé sans détour :
 "Oui, ça a évolué, heureusement, c'est euhhh... La voix s'est améliorée, euh, on joue mieux, euh... On écrit mieux, on compose mieux, j'espère, en 40 ans, qu'on a fait un peu de progrès.
Nicolas Sirchis, Radio Lac, août 2020

"Je suis beaucoup plus fier du Indochine de maintenant que de Indochine il y a trente ans. Pour la simple et bonne raison que euhhh... on s'est, on était totalement inconscient à l'époque, et de se présenter sur scène euh, sans savoir rien du tout euh, fallait un sacré culot quoi. Et euh, mais moi comme je suis très dur avec moi-même, là je trouve que, ça va là maintenant, euh... Le fait d'avoir euh, travaillé et... Je pense que... C'est digne d'être applaudi.
 
Nicolas Sirchis, TV7, Foire aux Vins d'Alsace, 2010

Ici Nicolas parle du groupe, et l'estime ignorant ou incapable, mais c'est bien de ses propres capacités musicales dont il est question : il était le seul à être entièrement novice. Même s'ils partageaient probablement tous les quatre l'enthousiasme candide de la jeunesse, le chanteur fut et resta le principal problème et défaut de ce groupe mené de main de maître par Dominique Nicolas, et permis par le professionnalisme de Stéphane et les progrès fulgurants de Dimitri.
"Pour le single 'Savoure le Rouge', lors de sa présentation à NRJ, ils avaient adoré mais n'en ont plus voulu quand ils ont entendu la voix de Nicolas."
Dominique Nicolas, Platine, 2004


"Le gros problème d'Indochine à ce moment-là c'est que chaque chanson aurait pu être un tube... mais pour d'autres artistes. Le problème, c'était Indochine, pas la musique."

Nicolas Sirchis à propos d'Un jour dans notre vie in Insolence Rock,
Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
 
Non, le problème c'était lui, et il est difficilement pensable de lui faire accepter cette réalité, encore aujourd'hui. Pour Nicolas, les problèmes d'Mk1 se trouvent chez les autres...
"Vous seriez du genre à réenregistrer vos classiques?
- Oui, mais ça choquerait trop les puristes. Pourtant, je sais qu’il y a des morceaux de notre première période qui sonnent mieux sur scène que sur album. L’aventurier, Trois nuits par semaine, 3e sexe, Canary Bay…

La nostalgie des fans tient justement sur l’aspect «imparfait» des sons de l’époque.
- C’est bien pour cela que je n’y toucherai pas. Je remarque juste des défauts, des mauvais breaks, tout ça. Je suis exigeant, ce qui a fait ma réputation d’emmerdeur."

Nicolas Sirchis, tdg.ch, septembre 2017


Nicolas sait, mais nous ne sommes pas d'accord. Les morceaux qu'il cite sont des exemples de compositions impressionnantes, de riches arrangements et d'une excellente production. Il serait intéressant de savoir à quels défauts et mauvais breaks il pense... 

"EM : On voit que en quarante ans, sur les vingt premières années on a huit albums, les vingt suivantes cinq albums...
- NS : Oui mais meilleurs ! Hahaha ! [...] Nan mais en fait, oui, ça prend plus de temps, pourquoi, parce que euhhh... Au début il y a une spontanéité, une inconscience d'écrire, par exemple quand on a écrit le troisième album, en 1984-1985, on a écrit euh, huit morceaux, pas un de plus, et on a gardé les huit. On aurait peut-être pas dû, y'en a peut-être certains qu'on aurait dû enlever mais c'est comme ça."

Nicolas Sirchis interviewé par Émilie Mazoyer, Europe 1, septembre 2020

Les morceaux auxquels Nicolas pense ici sont certainement "Hors-la-loi" et "Le Train Sauvage" (composé par Stéphane), puisque ce sont les seuls qu'Indochine Mk2 n'a jamais repris parmi les neuf morceaux de 3.
[Tes Yeux Noirs ] Quand vous entendez ça vous avez l'air assez satisfaits je crois, et vous pouvez...
- NS : Oh nooon, satisfaits non, bah... Moi je suis super critique, vis à vis de, ouais ouais...
- BM : Pourtant y'a cet album qui va sortir...
- NS : Bah entre 'Le Grand Secret' et 'L'Aventurier' y'a une différence quand même de...
- BM : Ouais c'est pas pareil.
- NS : (dédaigneux) Ahhh non c'est pas pareil non...
"

Nicolas Sirchis interviewé par Bernard Montiel, RFM, juin 2020

Nous espérons que cela n'arrive pas jusqu'à Dominique.

Voir : "3SEX" & Singles Collection 1981 - 2001
 
Quand Mk2 reprend "À l'assaut" dans sa version originale, Stade Pierre Mauroy, 2019
Nicolas n'a jamais fait secret d'apprécier les confortables travaux de Dominique sur lesquels il n'avait qu'à se calquer. Pour autant, il n'a visiblement jamais réalisé à quel point le compositeur travaillait. Pense t-il à des créations spontanées, un peu magiques, en opposition avec les années demandées de nos jours pour pondre un album ? Et les mois de douleur en studio pour transformer ses projets en chansons ?

Voir : Black City Parade, Le Film

"Le nombre de groupes ou d'artistes qui cherchent leur son... C'est le premier truc qu'on nous a dit quand on a commencé à faire des albums en studio: 'vous vous avez déjà le son quoi !" [...] On ne l'a pas travaillé, c'était inné, et c'est ça qui est magique."
Nicolas Sirchis, Radio Lac, août 2020

Rectification, Nicolas n'a jamais travaillé à forger le son d'Indochine Mk1, tandis que Dominique travaillait la guitare sans relâche depuis la fin des années 70. Il semble avoir à cœur de prouver la qualité des travaux récents en soulignant le temps passé à travailler les morceaux, souvent en l'opposant à la prétendue spontanéité des années 80, alors qu'il minimise délibérément l'exigence et le sérieux de Dominique et de Stéphane. En filigrane, Nicolas estime la musique d'Indochine Mk2 bien meilleure et fait passer son rejet de son ancien groupe pour de l'autocritique et de l'exigence. C'est extrêmement sournois et fallacieux, et nous nous questionnons sur la conscience avec laquelle Nicolas avance cette relecture scandaleuse.

Pourtant, il a déjà loué cette spontanéité chez Mk2 voire une certaine désinvolture :
"Un titre qui a été écrit à Paris en une journée. [...] Moi, pour le refrain, je voulais ce truc avec des lalala, donc on a tourné un petit peu, 5-10 minutes autour de ces accords, et puis c'est venu très, très vite."

Nicolas à propos de "Black Page", Rockmag, décembre 2005

"Ça c'est un titre qu'on a composé comme ça en une journée."

Nicolas à propos de "Vibrator", Rockmag, décembre 2005

"J'ai écrit les paroles en quinze minutes, et maintenant c'est un des morceaux que beaucoup de gens préfèrent."
Nicolas à propos de "Anyway" dans Black City Parade, Le Film, 2013

Voir : 2005 - Alice et June


Ainsi, sélectionner les titres les plus potables parmi des dizaines de démos faibles serait une plus grande preuve d'exigence que garder un excellent album livré clé en main par Dominique. En fait, l'exigence fournie par Mk2 est compréhensible et maîtrisable par Nicolas, là où celle de Dominique lui était inaccessible. Mais quelles que soient les époques, l'inspecteur des travaux finis semble incapable d'estimer le travail fourni par les musiciens avec lesquels il travaille.
 
Parce qu'il ne comprend pas la musique d'Indochine Mk1, et porté par l'engouement de son projet solo portant le même nom que sa précédente formation, Nicolas redéfinit la musique de cette dernière comme si la rejeter n'était plus suffisant. Il est très curieux de constater que, selon le discours dont il a besoin, il s'en sert pour se faire passer pour un vétéran, ou au contraire la discrédite pour valoriser son projet actuel.

Mais dans un cas comme dans l'autre, pour lui comme pour bon nombre de fans et même pour les journalistes - ici Yves Bongarçon, un ami personnel de Nicolas - relayant ses propos sans contradiction, le groupe porté par Dominique ne fut que le brouillon d'Indochine Mk2, qui lui serait un "vrai" groupe de rock sérieux et mature.
"Contre vents et marées, malgré des doutes, des disparitions et des coups durs, Sirkis a su faire tenir le cap à un navire âgé de plus de vingt ans. Mieux que ça : d'un boys band générationnel (en tout cas perçu comme tel) à date de péremption rapide, il a su faire un groupe de rock authentique qui ne cesse de se poser des questions et d'aller de l'avant."
Yves Bongarçon, Rocksound, avril 2002

 

"Comme pour beaucoup d'autres fans, c'est avec L'Aventurier que l'on a découvert Indochine au début des années 80. Et quelle découverte ! Plus besoin de se prendre la tête à essayer de décrypter les accords de Louis Bertignac ou de Nono de Trust. Avec Indochine c'était simple, amusant et vachement efficace.
Daniel C. Marcoccia, Rocksound, mai 2003


Les gratteux à disto, influencés par oLi De SaT, sont-ils capables de reproduire correctement les parties guitare de "Françoise" ou "Tonkin"
? Permettez-nous d'en douter - les partitions d'aujourd'hui sont infiniment plus faciles à décrypter, et ce d'autant plus qu'elles sont notoirement prévisibles. 

Nicolas - en mode Brian Molko - "Electrastar", 2002

Pourtant, dans son souci de plaire à la fois aux jeunes adolescents amateurs de gros son et à la presse cultivée, Nicolas s'efforce d'effacer l'image du groupe pop banlieusard nourri de BD et de cinéma, et de promouvoir une chimère rock bien parisienne à la frontière de l'underground et des galeries d'art.


Le Septennat (1988) consacrait déjà un chapitre entier sur la notion de rock, avec l'ambition de régler le sujet une bonne fois pour toutes :
"On se fout pas mal de savoir si nous sommes rock ou pas. Le rock est une appellation rythmique. Nous n'aimons pas les étiquettes."

Indochine in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988
En France, le rock dans son emballage américanophile a été très mal compris, mais l'appréhension de la  pop - comme réponse britannique  - semble être impossible, réduit à un stéréotype de récupération commerciale. Ironiquement, à force de contempler le rock, Nicolas a fini par faire partie des nombreux à être passés à côté du fait qu'Indochine fut un grand groupe pop français.

"Indochine, malheureusement, ça relève de cette sous-culture, c'est-à-dire la récupération de la new wave à des fins commerciales."

Christophe Bourseiller, Ce Soir (Ou Jamais), 2008


En considérant Indochine Mk1 comme un groupe juvénile et spontané, Nicolas se pense t-il cohérent musicalement avec les morceaux balisés d'Mk2, construits sur les mêmes suite d'accords, faits en une journée ?

En 2001, Nicolas évoquait ses envies d'un son plus direct.
"Moi, je dis que ça va être l'album punk d'Indochine ; c'est un peu une façon de parler mais il va y avoir de ça..."

Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
Visuel du single de "Punker", 2002 (un titre composé par Nicolas)

Assurément, le mot "punk" lui plaît. Mais le mouvement n'est-il pas évoqué ici comme une excuse à son incompétence musicale, lui à qui il faut systématiquement un acolyte musicien pour transformer ses limites au moins en fraîcheur ? Olivier Gérard permit en 2002 la synthèse entre cette candeur et une énergie power pop certaine : cette association engendra quelques titres efficaces, mais nous y voyons malheureusement une réinitialisation plutôt qu'une évolution naturelle. En d'autres termes : un tout nouveau groupe qui repart de zéro. Cela montre que Paradize est indéniablement le premier album, avec son côté do it yourself, d'un jeune groupe qui avait alors tout à prouver.

S'il s'agit d'une manière cohérente d'entendre l'aspect punk de Paradize, cela va néanmoins à l'encontre de la communication de l'époque qui présentait Indochine comme un groupe enfin mûr et éclairé.
 

Pourtant, Mk2 dut au moins attendre son troisième album (La République des Meteors, 2009) pour prétendre avoir atteint une vraie maturité, même si cela reste incomparable au regard de ce qu'était devenu Mk1 avant le départ de Dominique. Depuis, Mk2 a même sensiblement régressé.

Voir : 2009 - La République des Météors


Revenons sur Paradize. Plus ironique encore, le malentendu sur cet album, sorte de démo augmentée réalisée de manière très artisanale, et qui était censé remettre les pendules à l'heure avec la nouvelle crédibilité précédemment évoquée. Les guitares cradingues enregistrées directement sur ordinateur - du moins elles sonnent comme telles - étaient censées émuler celles de Nine Inch Nails, Manson, et des trucs comme ça. Pourtant, avec ses instruments virtuels et ses effets numériques datés, Paradize est indubitablement l'album le moins organique et le plus synthétique sorti sous la marque "Indochine". 

Cela ne doit pas être entendu comme un défaut, simplement ce que nous considérons comme un fait. D'autant que Paradize ne rejette en aucun cas l'utilisation des synthétiseurs, au contraire, toujours dans la lignée post-indus des NIN & co, l'essai de 2002 emploie ces instruments avec le désir d'en prouver une utilisation intransigeante.

Mais si certains gardiens du rock adolescent 90's et 2000's avaient visiblement embrassé ce rejet d'un certain cliché "années 80 synthétiques et superficielles" au profit d'une posture plus authentiquement rock, Nicolas la rejoint en courant. N'avait-il simplement pas compris la musique sur laquelle il posa sa voix pendant une quinzaine d'années ? Ou est-ce un moyen de prendre une revanche personnelle sur ses anciens compagnons de route ? Visiblement, un peu des deux.
"Quand on écoute Daft Punk qui dit avoir rendu 'un hommage aux années quatre-vingt' en prenant le pire de cette période, je suis plutôt fier d’avoir fait cet album-là. Pour moi, le meilleur de ces vingt dernières années, ça passe par Cure, New Order, Depeche Mode et Marilyn Manson"

Nicolas Sirchis, RFI Musique, avril 2002

Pensait-il en 2002 qu'Indochine Mk1 faisait partie du pire des années 80 ? Est-ce pour cela qu'il souligne sa volonté d'être affilié à certains groupes et artistes plus crédibles ? Quoi qu'il en soit, Mick Guzauski, mixeur du Random Access Memories (2013) de Daft Punk est au manettes de 13 et des récents remixages des Singles Collections.

À ce jour, beaucoup considèrent inconsciemment Paradize comme le premier album du groupe qu'ils aiment, et Nicolas semble être de ceux-là. Tel un aveu, c'est à ce jour le seul album à avoir eu droit à son concert jubilé en 2012, comme souvent pour les premiers opus, pierre angulaire de toute carrière.

Indochine Mk2, Paradize+10 au Zénith de Paris, février 2012
 
 
Mais entre deux piques adressées à Dominique, Nicolas semble reconnaître que :
"[Dominique] reste à mon avis l'un des plus grands mélodistes français. Avec sa guitare, en autodidacte, il a pondu des choses incroyables. Quand on décortique un peu les morceaux d'Indochine, on s'aperçoit qu'il y a un gimmick à chaque refrain, à chaque liaison, que sous des dehors de simple pop, c'est très riche.
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, juin 2010

Nicolas s'exprime ici avec une sensibilité d'auditeur externe, et est totalement dans le vrai.

Mais Indochine Mk1, malgré ses qualités musicales et une implantation très marquée dans la France de Mitterrand et Lang, ne semble pas représenter pour Nicolas une caution culturelle suffisante par rapport à ses propres références et velléités, d'où une refonte de son image via les discours officiels.
 


Nicolas est fondamentalement mal à l'aise avec l'Indochine pré-95 puisqu'il ne le maîtrisait pas, et à ce jour n'en maîtrise toujours pas la musique même comme auditeur. Ce sont donc ses souvenirs de simple chanteur, et sa vision personnelle des années 80 en France qui font office de nouvelle biographie officielle. Il a plusieurs fois insinué qu'il avait honte des débuts, comme si les clichés populaires sur les 80's ou même "Isabelle A les Yeux Bleus" fut la réalité de son groupe. 
"Il y a eu ce grand malentendu, les Inconnus imitant Partenaire Particulier, et les gens - ils avaient raison - ont pensé à Indochine. Au début j'avais jamais vu le truc, et on faisait que m'en parler, et lorsque je l'ai vu je me suis dit 'Attends, c'est nous, ils ont vu juste'."
Nicolas Sirchis, Rock&Folk, décembre 1991

Le moment précis où Nicolas "se" vit à la télévision, via le prisme de la parodie, fut-il le détonateur qui provoqua cette avalanche de réécritures ?

Voir : 1990 - Isabelle a les yeux bleus


Nous l'avions vu chez Yann Barthès 
en 2020, trahir sa gêne face à la musique d'Indochine Mk1, et éprouver une immense fierté quant à celle d'Mk2. Mais une nouvelle fois, le seul défaut de la musique d'Indochine 81-94, c'est Nicolas. En a t-il conscience ? Est-ce pour ça qu'il est si mal à l'aise avec Indochine Mk1 ?

Faudrait-il dès lors comprendre que c'est la voix le plus important dans un groupe, et que c'est sa maîtrise qui détermine la qualité de l'ensemble ? Non, évidemment. Mais il faut bien observer que pour beaucoup d'auditeurs francophones plus familiers des chanteurs solo (Nicolas inclus), il apparaît comme naturel de réduire un groupe à la personne qui se trouve derrière le micro. D'où une situation où Indochine = Nicolas est considérée comme parfaitement normale.

 
Quant aux guitares de Mk1, Nicolas Sirchis les rejette face à celles plus massives de Mk2, mais n'a jamais compris lui-même d'où elles venaient. Toutefois, les Fender Mustang lui ont été d'un grand secours lorsqu'il put expliquer qu'Indochine avait mis de la guitare avant Depeche Mode !
"Y'a 'Suffragettes BB', les sons un peu à la OMD...
- Tout à fait, effectivement c'est un peu ça. Euh, peut-être moins tubesque que 'Enola Gay', mais c'est 'tatatatata', ouais les séquences basses... Ouais même ou Depeche Mode aussi ouais. Quand Dominique était avec sa guitare, ça a donné le son Indochine euh, mélange d'électro et, et, de pop. Mais Depeche Mode a intégré la guitare beaucoup plus tard."

Nicolas Sirchis, Oui FM, septembre 2017

C'est vrai - même s'il n'a jamais été question d'électro chez Mk1. Mais l'analogie entre les deux groupes est inadaptée, et la place de la guitare chez l'un et l'autre est incomparable. Indochine a débuté comme un groupe new wave à guitares, influencé par le rockabilly et le reggae, et qui se retrouva en plein élan futuriste et romantique. Formé en 1979, Depeche Mode était un groupe totalement synthétique, suiveur de Kraftwerk, The Human League et Fad Gadget, et qui inclut au début des années 90 des guitares influencées par le blues, et même une vraie batterie.
 
Malgré la quasi-omniprésence actuelle de guitares distordues, de l'impressionnant Christian Eigner aux fûts, et même à ce jour d'une vraie basse, ils n'ont jamais cessé d'être considérés comme un groupe à synthés. Cela ne pose pourtant de complexe à personne, et surtout ne remet jamais en question les qualités passées et présentes du groupe de Basildon. Ils n'ont jamais ressenti le besoin d'actualiser ou faire coller à l'époque leurs morceaux antérieurs à Violator (1990), et les ont toujours joués avec les sons d'origine, sans que cela en altère l'impact et l'intemporalité.
 

En disant cela, Nicolas trahit évidemment sa vision de Mk1 comme un groupe à synthés, qui aurait été plus visionnaire que Depeche Mode quant à la place de la guitare au sein d'une telle musique. Fait-il, comme encore beaucoup trop de monde aujourd'hui, la confusion entre Indochine Mk1 et Partenaire Particulier ? Est-ce ce qui motiva l'envie d'un son plus radical, plus punk ? L'envie d'être le plus loin possible d'un groupe de garçons coiffeurs ?

Voir : Depeche Mode, 1990 - Isabelle a les yeux bleus


De nombreux morceaux d'Indochine repris par Mk2 l'ont pourtant été dans des versions très synthétiques - quand ils n'étaient pas expédiés dans des versions acoustiques réduites. Les sons et arrangements de Radio Indochine et d'Indo Live étaient déjà très cruels pour l'image "rock" que Nicolas voulait, jusqu'à la version synthpop de "Troisième Sexe" en 2018. Cependant, au cours du 13 Tour, "À l'assaut" retrouva son arrangement d'origine, uniquement à la guitare électrique.

Au delà d'Indochine, beaucoup de musiques des années 80 souffrent de nombreux malentendus, mais elles n'équivalent pas en France à ce qu'elles furent au UK, d'où une très mauvaise image. Indochine faisait partie des très rares à pouvoir rivaliser avec les propositions pop britanniques, malheureusement restées pour beaucoup d'entre elles marginales en France. D'ailleurs, alors qu'Indochine a souvent été comparé à Depeche Mode ou à The Cure, les quatre parisiens étaient pourtant plus proches des Smiths. En poussant l'analogie, Dominique Nicolas pourrait être considéré comme un équivalent français de Johnny Marr.
 
Le quatuor anglais n'eut toutefois pas un énorme retentissement au pays des 300 fromages, alors qu'il provoqua au Royaume-Uni un gigantesque phénomène de société. Comme Indochine chez nous - toutes proportions gardées, ce fut le groupe d'une génération, d'une époque.

Voir : The Cure, Pourquoi Indochine Mk2 ?

The Smiths
"Brian Molko : C'est [Johnny Marr] qui a inventé le son indie.
Nicolas : Je trouve ce son très pervers. C'est un son qui vient du glam et de Mick Ronson, pour dévier des sons plus clairs à Rickenbacker."

Interview croisée de Brian Molko & Nicolas Sirchis, Rocksound, octobre 2000
Voir : Placebo


Les sons plus clairs à Rickenbacker plaisaient assurément à Dominique Nicolas. Mais comme ni The Smiths ni l'indie ne font partie de l'univers de Nicolas,  il ne peut pas comprendre ce dont parle Molko : un jeu rapide et urgent, avec un son clair mais tranchant. Trop absorbé par son rejet des guitares carillonnantes, il enchaîne sur Mick Ronson, et c'est peut-être ce qu'il entend par pervers : de la distorsion et du maquillage recouvrant une masculinité équivoque. Son manque d'anglophilie laisse un gros doute sur sa capacité de compréhension du phénomène glam autre qu'une fascination adolescente pour les looks et les pochettes, sur laquelle il ne semble jamais être revenu. Nicolas manque pourtant une occasion en or de faire un lien très pertinent entre Dominique et le guitariste des Smiths, dont Brian Molko confesse l'immense influence.
 
Johnny Marr, avec sa Rickenbacker
 
D'où vient la musique de Dominique ? D'influences aussi diverses que digérées comme The Sex Pistols, The Police, Stray Cats, The Clash, Heaven 17, Joe Jackson, The Beat, B 52's, U2, etc. 
"Sting est un des meilleurs compositeurs de ces cinq dernières années. Avec Police, il nous a beaucoup apporté. Indochine lui doit pas mal aussi, et on doit l'en remercier."

Dominique Nicolas, Stars Magazine, octobre 1986

"J'ai des influences mais je ne copie jamais rien ! Indochine n'est pas un sous-autre chose. Je crois que nous avons créé un style Indochine qui est tout de suite reconnaissable.
Dominique Nicolas in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988
 
Et Dominique a raison, d'où une difficulté encore énorme pour une grande partie du public - Nicolas inclus - à identifier ses influences. The Police, cela semble faire ricaner le chanteur d'Indochine, comme lors de cette conférence à la Fnac de Lyon en 2009. Chaque musicien était invité à parler de ses idoles, et monsieur avait son petit commentaire sur tout :
"Shoes : The Police.
- Nicolas : Ah ouais...
- Très fan de The Police. Grâce à eux j'ai pu continuer...
- Continuer... [rire]
- Continuer, et développer mon sens de la musique."
The Police

The Police n'était-il pas assez provocateur ou assez sexuel pour Nicolas ? Quoi qu'il en soit, la parenté sonore avec la musique de Dominique s'entend encore aujourd'hui. Mais pour ici non, c'était simplement une manière de faire passer François Soulier pour un ringard.


Très actif dans les années 80, Nicolas semble n'avoir pas plus de clairvoyance sur ce que furent les musiques de cette époque, à commencer par celle sur laquelle il posa sa voix. Comme beaucoup de choses sont arrivées par accident, et que lui semble avoir couché ses textes sur le papier dans l'inconscience, il ne comprend plus ce à quoi il a participé, et devient même incapable de capitaliser sur ce qu'il a pu faire de bien. C'est pourquoi, trop occupé à le discréditer, il se trompe autant lorsqu'il évoque son ancien groupe, alors qu'il devrait être fier d'en avoir fait partie.
"Si vous ne pouvez pas expliquer quelque chose simplement, c’est que vous ne l’avez pas bien compris."
Albert Einstein

Il existe de nombreuses situations où Nicolas ressemble à un lycéen débarqué à un examen oral sans avoir révisé, essayant alors de flouter l'examinateur avec du baratin. En ce sens, oui, Nicolas est resté très adolescent, mais dans ses aspects les plus irritants. Nous sommes très loin de la représentation romantique d'un Peter Pan ou d'un Dorian Gray. Y'a t-il seulement un sujet, un domaine que Nicolas maîtrise, à soixante ans passés ? 
 

Par exemple une question simple : c'est quoi Indochine ?

Dans les faits : un groupe new wave formé en 1980, branché BD, exotisme et rock, ayant diversifié ses influences au cours d'une quinzaine d'années et six albums avec Dominique Nicolas, directeur artistique de l'époque. Celui-ci étant parti en 1994, le projet se recentre sur les jumeaux Sirchis puis, suite à la mort de Stéphane, sur Nicolas seul. Celui-ci embaucha plusieurs musiciens professionnels pour faire survivre la marque "Indochine", restant alerte jusque dans les années 2010 sur les différentes modes qui entourent la pop et le rock.

Pour le très bavard chanteur, les choses sont différentes. Si nous avons déjà souligné ses approximations et erreurs sur son ancien groupe, il faut aussi comprendre le calcul dans ses interventions. Et par conséquent le changement de son discours selon la situation ou le besoin. Dans chaque communication officielle, la promotion et le matraquage étudié de mots-clés annulent et remplacent la précédente publicité. Pourtant, l'indophile qui n'aurait pas jeté la précédente bible y constatera probablement de nombreuses incohérences dans les descriptions et explications du chanteur-leader.

Si le nouvel album à vendre...
  • met les synthés en avant : alors Indochine a toujours été synthétique / pop
  • met les guitares en avant : alors Indochine a toujours été électrique / rock
  • a un esthétisme sombre : alors Indochine a toujours été romantique / dark

"Il ne s'agit pas d'un nouvel univers. Celui-ci a toujours été 'dark'."


Nicolas en 2004 à propos du nouveau visuel d'indo.fr.

Voir : 1999 - Dancetaria, Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran

Indochine serait donc un peu de tout. En fait, la richesse d'Indochine Mk1 arrange beaucoup Nicolas depuis sa carrière solo et lui permet d'y piocher l'exemple lui permettant d'assurer sa promotion du moment avec le discours approprié, calqué sur la mode. À ce jour, c'est dans les guitares censées annuler l'image synthétique d'Indochine Mk1 qu'il a mis le plus d'énergie.

Mk2 au Grand Rex en 2011

Indochine Mk2 fait aujourd'hui ses albums en meetings, et joue en concert sur une timeline, brossant le cuir des pires clichés sur les musiques électroniques : "il suffit d'appuyer sur un bouton". Nicolas a même un métronome et des décomptes dans ses oreillettes. C'est extrêmement paradoxal.


Comment Nicolas cherche t-il à atteindre le crédit qui lui a tant fait défaut ? Pas en développant ses aptitudes musicales ou textuelles, mais par des choix marketing sur les arrangements calqués sur la mode, doublés de références artistiques et institutionnelles, éblouissant la jeunesse d'esprit de son nouveau public. Et, plus grave, certaines figures influentes de l'audiovisuel, estimant que oui, il est valorisant de fréquenter et défendre ce groupe-là. 



Le rock et la pop ne faisant pas partie de la culture française, il y a forcément une certaine éducation inévitable voire indispensable, pour appréhender son contenu et sa signification culturelle
lorsqu'on n'est pas soi-même anglo-saxon. Malheureusement en France, cette exigence est trop souvent confondue avec un certain snobisme, que Nicolas a pourtant pourfendu comme responsable de son manque de crédibilité, alors qu'il a lui-même profondément assimilé ce comportement.

Voir : Étienne Daho


Plus véritablement qu'une certaine érudition, la logique qui dessine les contours d'Indochine Mk2 semble être plutôt celle de la compensation :

Ce sont ces compensations qui sont perçues par le public - et affirmées par Nicolas - comme l'essentiel du contenu d'Indochine Mk2.


N'oubliez pas que, conformément au phénomène de l'idole, le système de pensée de Nicolas se réfléchit très largement chez ses fidèles. Les plus vierges musicalement parlant découvrent parfois groupes et artistes uniquement au sein des interviews ("Qu'est-ce que vous écoutez en ce moment ?") et réseaux sociaux. Le discours d'Indochine Mk2 devient donc le cadre de pensée au sein duquel se développe leur représentation du paysage musical, avec pour chacun la sensation naissante de devenir, comme Nicolas, un soi-disant initié
Cela est très perceptible au sein du fandom, où différentes formes de hiérarchies basées sur une sorte de "capital indochinois" sont observables.

Cette mise à jour de l'auditorat du nouveau millénaire permit à l'intéressé de présenter Indochine comme étant devenu un groupe d'érudits, et non plus un boys band pour adolescents. Pour autant, cette contraction de malentendus rend la dissonance encore plus stridente entre Mk1 et Mk2. Un grand nombre de fans actuels ne portent, au mieux, qu'un intérêt poli à Mk1 car "c'est quand-même Indo", dans la croyance que le groupe aurait logiquement suivi une évolution naturelle et qualitative. Il se serait tout simplement bonifié avec le temps, alors que l'histoire du nom Indochine et des musiques associées est bien plus complexe. En acceptant les réflexions désobligeantes de Nicolas sur le vieil Indochine, ses fans le prennent à leur tour pour un groupe naïf de jeunesse, ce qui leur permet de tolérer les différences énormes avec leur groupe préféré. 
"La France a une perception différente du rock de celle des pays anglo-saxons. [...] Il est assez ironique, d'ailleurs, de constater que le rock, pilier de la culture populaire britannique ou américaine, joue en France un rôle inverse : musique d'initiés, il crée une hiérarchie  entre ses amateurs revendiquant à travers lui une certaine éducation culturelle, et le grand public, parfois assimilé avec mépris à la 'France profonde', dont les seuls divertissements seraient Intervilles ou les disques de Johnny."
 
 Julien Demets, Rock & Politique, l'impossible cohabitation, Autour du Livre, 2011
 
Chez Nicolas, sa recherche effrénée de crédibilité trahit aussi une mentalité très petit bourgeois 
  • Les enfants et les beaufs liraient des bandes dessinées, regarderaient la télévision et écouteraient de la musique commerciale.
  • Les esthètes liraient des romans, iraient voir des expos et écouteraient du vrai rock, David Bowie, Patti Smith, Lou Reed.
Voir : La menace du rock alternatif, Marguerite Duras et la bande dessinée, avec les "vrais livres"


Indochine Mk2 au moment de Paradize était bien un tout nouveau groupe, qui n'avait même que très peu à voir avec le collectif de Wax. Mais avec le prétexte de l'histoire, de la carrière, une attitude de survivant revanchard et grâce à la marque Indochine, les adolescents de 2002 purent écouter un tout jeune groupe avec l'impression d'écouter un vieux groupe culte. 

Indochine Mk2, 2002
 Voir : 2002 - Paradize


Une nouvelle fanbase se constitua, et au fur et à mesure que Nicolas reprenait confiance en lui, sa parole devenait de plus en plus empreinte de maturité et de charisme.

En fait, ces fans-là ne sont pas fans d'Indochine mais de Nicolas.

Ils n'ont que faire de la musique et de son histoire : leur affection est principalement portée sur l'image et les récits de la star, accréditant par-là tout son travail de réécriture à son avantage. Son autorité est telle que c'est lui qui cadre l'écoute ou la description des albums. Les vieilles compositions, même meilleures, seraient des erreurs de jeunesse à côté d'un Mk2 plus professionnel et qualitatif. L'hydre Indochine serait fondamentalement le même groupe, raturé et rectifié, mais cohérent, parce qu'officiellement c'est comme ça.

Nous pensons également que l'influence de Nicolas est catastrophique pour son public actuel. En effet, son projet marketing présenté comme l'alpha et l'oméga de la musique, en tout cas française, induit une inévitable altération du paysage musical afin d'occulter toute contradiction. La construction des goûts musicaux étant dialectique, elle se fait à la fois par adhésion de ce qui est perçu comme plaisant, qualitatif ou valorisant, et par rejet de ce qui est désagréable, médiocre ou honteux. Ici, les formations valorisées  n'ont d’intérêt que parce qu'elles sont des références pour Nicolas.

Évidemment, cela est intrinsèque au statut de fan. Mais pour diverses raisons, les groupes cités comme argument de crédibilité/autorité ont rarement trouvé un écho dans le public d'Indochine Mk2, au delà des très grosses modes comme Placebo ou Marilyn Manson. Cela est compréhensible puisque les références de Nicolas ne sont pas celles d'un mélomane ou d'un passeur, mais celles d'un communicant. Les artistes évoqués ne servent qu'à créer un décor pour Indochine Mk2 le temps d'un album, et transformer les interventions du chanteur en arguments d'autorité.



Pourtant, Indochine Mk1 avait tout pour inviter chacun à élargir sa curiosité, et son paysage culturel, dans l'effervescence des années 80. Mk2 au contraire, derrière une posture de groupe sérieux et cultivé, semble ne viser que les plus vierges musicalement, voire les maintenir dans une certaine candeur adolescente afin d'entretenir la disponibilité de leurs oreilles. Nicolas use, avec un niveau de conscience difficilement mesurable, d'un certain effet Barnum afin que chacun puisse se reconnaître dans ses paroles et estimer Indochine comme le groupe parfait. Dès lors qu'on croit avoir trouvé le Saint Graal, pourquoi aller plus loin ?

Les fans d'Indochine Mk2 sont connus pour être très bruyants, et pour leur attitude lobbyiste et dogmatique sur Internet. Pourtant peu sont capables d'éveiller un intérêt auprès de ceux qui auraient suivi d'autres directions musicales, à l'instar de Nicolas qui n'a jamais su se rendre intéressant auprès d'un public non-fan. 
"Mais même quand on n'en parle pas, quand ce n’est pas l’événement du moment, les gens sont attirés par Indochine et vont chercher la musique, par eux-mêmes. Les fans du groupe font un lobbying très puissant, ils font écouter nos chansons à d’autres qui leur répondent : ah, on ne savait pas que c’était comme ça !"

Nicolas Sirchis, RFI Musique, avril 2002

Comme souvent, ce sont ses rêveries et spéculations qui font office de factualité.

Indochine Mk2, 2020
 
Qu'Indochine aujourd'hui soit le même groupe que dans les années 80, dont Nicolas garderait l'âme, et qu'il aurait simplement évolué, est une extraordinaire foutaise. 

Ce sont ces malentendus précédemment développés qui propagent autant d'absurdités sur les deux groupes nommés Indochine. L'inculture de Nicolas, la promotion, le soutien des médias et des fans diffusent trop de contrevérités sur les protagonistes qui ont permis Indochine Mk1. Et cela devient pour nous aussi inadmissible qu'injuste. 
 
Le fait que Nicolas soit si peu à l'aise avec l'image de son ancien groupe explique son besoin de réécrire sa carrière, mais ne peut en aucun cas le justifier. Au vu de l'histoire de ses groupes, nous nous questionnons doublement sur ce besoin étrange de révisionnisme, effectué avec tant d'énergie et de culot, le tout dans une telle consensualité publique et journalistique.


Les discographies des groupes dont il a fait partie - ou dirigé - présentent suffisamment de qualités et une évolution assez remarquable pour ne pas avoir à tordre les faits. Pourtant Nicolas est bien trop coincé dans son rôle de communicant pour se soucier d'honnêteté intellectuelle et de pertinence musicale. Conséquemment, et c'est assez regrettable, il n'a toujours pas compris qu'il a fait partie d'un des plus brillants groupes pop français.
 
Dans le cas d'Indochine, écouter les disques ne semble pas  être suffisant pour identifier convenablement ce qu'il faut y entendre. Il est aberrant qu'un tel travail de recherche documentaire soit nécessaire pour annoter le roman indochinois officiel avec un tant soit peu d'exactitude.

Nicolas en discussion avec Émilie Mazoyer, Europe 1, 2020

Adolescent dans les années 70, Nicolas semble avoir été marqué au fer rouge par les aspects les plus superficiels de cette époque, qui vit l'idéal révolutionnaire du rock des années 60 se fondre dans sa récupération capitaliste. Soit le début d'une perception de la musique rock comme produit culturel, une importance capitale donnée aux vêtements et au spectacle, et la transformation des auditeurs en consommateurs de hypes. Sa manière de parler des vêtements et des pochettes de David Bowie est profondément éloquente quant à la priorité non dissimulée conférée au visuel. Et même si Nicolas fait sienne la dimension punk d'Indochine Mk1, elle ne lui sert finalement qu'à cautionner une très profonde incompétence, même comme directeur artistique. À la différence d'un David Bowie ou d'un John Lydon qui ont toujours su commenter pertinemment leur époque et diriger leurs musiciens, les interventions de Nicolas ne font bien souvent que révéler une incompréhension notoire des phénomènes culturels cités.

Voir : David Bowie, 1996 - Wax


La simplicité artisanale que le punk et la new wave défendaient était surtout une façon de mettre en valeur un discours, une prise de position générationnelle. Nicolas, lui, trahit un manque de contenu flagrant, notamment lorsqu'il réalise devoir se servir de l'actualité de ces quarante dernières années pour implanter un peu de matière dans le discours indochinois, manifestement assez insignifiant. Au mieux quelques postures morales, fondées sur un discours aussi convenu qu'instable.

"On a traversé ces quarante dernières années comme des observateurs, on a vu des choses bien, des choses moins bien."

Nicolas Sirchis, France Bleu, juin 2020

Pourtant, Indochine est toujours seul dans son créneau : cela aurait dû continuer d'être salué, mais depuis Mk2 cela est devenu très problématique. Le savoir-faire des musiciens ayant pris part au projet, y compris ceux encore présents, doit être souligné, mais Nicolas est aussi omniprésent qu'indéfendable. S'accaparant toute la lumière, ayant peu à peu évacué toute possibilité de contradiction, il remise dans l'ombre ou ridiculise les musiciens qui ont joué pour lui. Leur musique et leur travail s'en voient alors ignorés par tout un public, qui tourne systématiquement le dos à Indochine du fait de la présence de Nicolas. Et nous ne pouvons pas lui en vouloir. À ce jour au sein d'Mk2, les musiciens qui l'entourent ne servent qu'à déguiser sa carrière solo en groupe, et à mettre en forme ses plans. Indochine a été aspiré par Nicolas, sa légitimité récupérée et son histoire réécrite pour ne garder que lui.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine, Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran


Même s'il en a pris le nom et la direction, et même s'il en donne l'impression, Nicolas n'a jamais su assumer Indochine, son originalité et l'excellence de la première formation. La seule qualité que l'on puisse lui reconnaître est celle d'un manager. Nous ne nions pas l'importance d'un tel rôle pour un groupe, mais le cas d'Indochine Mk2 se révèle d'une rare impudence, et ressemble énormément à la métamorphose des partis politiques en entreprises. Il n'est fondamentalement plus question ni de musique (ou alors comme produit à vendre) ni d'un quelconque propos, mais plutôt de la gestion d'un collectif de personnes autour d'un projet musical rémunérateur, adapté à son époque comme une start-up
"Oui oui mais je vais les amener faire de l'accrobranche là, juste un peu avant... Du saut à l'élastique, tout le truc... Pour ressouder le groupe, tu sais."

Nicolas Sirchis interviewé par Émilie Mazoyer, Europe 1, septembre 2020

La formation est donc une entreprise à but lucatif, et ce sans aucune forme d'ironie, de critique ou méta-commentaire sur le consumérisme, les charts ou la consommation de musique. Pour Nicolas, tel que le prône l'actuel néolibéralisme dominant, il faut s'adapter au monde, tel qu'il est.


Mais il n'existe pas de lien strict entre une méthode ou attitude dite professionnelle et la qualité d'une proposition artistique. N'oublions pas que les stéréotypes du grand patron créateur de richesse et de l'artiste dans sa tour d'ivoire sont extrêmement valorisés et récompensés en France, indépendamment de la réalité de ce qu'il produisent au quotidien.

La distance naturelle de la France avec une culture rock et même pop, doublée à la candeur de son public, le sert dans ses révisions du passé. Mais ici l'orateur est ignorant, et ne professe que grâce à un pouvoir de séduction. Comment ses élèves pourraient-ils alors être autre chose qu'une audience stérile et pâmée ?
 
Les fans de Mk2, réduits à des consommateurs extasiés, méritent mieux que ça. Malheureusement, il nous faut bien observer que Nicolas, non content d'être la raison pour laquelle tant de gens détestent Indochine (Mk1 & Mk2 confondus), est un frein par rapport à ce qu'Mk2 aurait pu être. Nous ne pouvons nous empêcher de tenter d'imaginer sa musique, qui sans Nicolas pour freiner les velléités de chacun, serait indubitablement plus riche, audacieuse et originale. Au lieu de ça, la vacuité d'Mk2 ne fait que souligner la superficialité d'un leader bien trop influent, qui attire et conforte autour de lui l'inculture et la léthargie intellectuelle. Involontairement, il souligne aussi l'inconséquence d'une société, d'un système et d'une époque. 

Fin 2020, l'intérieur du boîtier de Singles Collection 1981 - 2001 présente une photo de Nicolas seul, avec trois fauteuils vides.

 
Nicolas a plusieurs fois répété que c'était le public qui avait su faire la différence. Mais après quarante ans de musique, d'interviews et de communication, le saura t-il encore ?



À lire également :

Hagiographie d'Indochine sur le site du X Festival (plausiblement écrite par Nicolas)
 
"Indochine, l'unique survivant" (Patrick Eudeline, Rock & Folk)