The Cure

Une des légendes les plus tenaces à propos d'Indochine : ils seraient les "Cure français".

Crevons tout de suite un abcès. Oui, les deux groupes possèdent des points communs historiques : des débuts new wave, des guitares clean et percutantes avec des effets, un feeling traduisant le retour vers la concision musicale fifties / mid sixties. La parenté est audible sur certains titres :


Cela est trop rarement cité, mais n'occulte pas les personnalités déjà très distinctes des deux formations sur leurs premiers essais. Difficile de ne pas entendre ici une proximité avec les guitares de Dominique Nicolas. Celui-ci n'a pour autant jamais cité The Cure, leur préférant The Police ou Joe Jackson, mais partageant des influences communes dans l'effervescence de la new wave.

Dès 1980, les guitares new wave commençaient à être éclipsées par les nouvelles technologies et un enthousiasme futuriste. Rapidement, ce fut l'explosion clinquante de la new pop, des nouveaux romantiques et de la synth pop.
"La New Pop cherchait à tirer le meilleur de ce qui semblait inévitable : les synthés et les boites à rythmes, les clips, le retour du glamour."
Simon Reynolds, Rip It Up & Start Again, Allia, 2005 

Au pic de popularité des deux groupes dans la seconde partie des années 80, The Cure et Indochine partagent de plus un look de romantico-débraillé, comme de nombreux groupes de l'époque.

Nicolas et Stéphane en 1986
Robert Smith, 1984
 
Cocteau Twins, 1985
Clan of Xymox, 1985
The Jesus & Mary Chain, 1985
Robert Smith, 1987
"Effectivement j'avais les mêmes cheveux que lui, mais c'était la même mouvance, les mêmes influences... L'époque était comme ça..."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004

Et il a raison. En pleine curemania, Nicolas n'a pu échapper à cette mode internationale qui a touché à la fois public et musiciens, de l'alternatif plus ou moins gothique jusqu'aux têtes d'affiches. On découvre d'ailleurs dans Indochine, la véritable histoire un épisode étonnant :
"Après leur concert aux arènes de Fréjus (1986, ndlr), The Cure aurait été abordé dans la rue par des fans d'Indochine prenant Robert Smith pour Nicola Sirkis ! Le Britannique, vexé, promet une vengeance bête et méchante."
Thomas Chaline, Indochine, la véritable histoire, City Edition, 2018

Il y a forcément une ou plusieurs inexactitudes ici, si ce n'est une part de légende urbaine. Robert Smith avait coupé ses cheveux assez court, ce qui réduisait considérablement ses chances, déjà maigres, d'être confondu avec Nicolas Sirchis.

Scan de Top 50, août 1986

 
Nicolas explique différemment le déclenchement de la guerre :

"On a eu une grosse galère avec lui. C'était en 86, on devait lui remettre un disque d'or, c'était son premier Bercy. Mais son management faisait la gueule, parce qu'on lui avait dit qu'en France, le rival de Cure c'était Indochine. Après, c'est devenu un leitmotiv, Indochine copie Cure." 
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010

1986-87 est une période déterminante pour l'idée très tenace, selon laquelle Indochine ne fut et reste qu'un décalque français du groupe de Crawley. Le fait qu'Indochine ait choisi d'enregistrer à Miraval dans le sud de la France, là où The Cure avait enregistré
Kiss me kiss me kiss me sorti en mai 1987, fut abondamment remarqué et commenté. Smith lui-même assène un coup redoutable à Indochine dans l'émission Les Enfants du Rock, et y explique leur choix d'avoir joué en robes, lors de l'émission Champs-Elysées en 1986 :
"In France, we've touched something in the french mentality, probably because we're very distastefully drunk and flippant, a lot of the time. [...] something I think and it's, uhm, to french people... Maybe because the indigenous music and the homegrown entertainement in France is fucking awful. It's no more awful than anywhere else, but it is ...awful."
"Well, that was just to take the piss out of, uhm... Indochine more than anything else. Because we thought they were trying to look like us, so we wondered if they would be tempted to wear dresses, to see them destroy their own career before they'd even start it."

Robert Smith, Les Enfants du Rock, 1987 
The Cure, Champs-Elysées, 1986

Fort heureusement, Indochine ne donna pas raison à Robert Smith sur les robes. Nicolas ne tenta la robe que beaucoup plus tard, sous l'influence de Billy Corgan.

On découvre en revanche le film élégant de "La Bûddha Affaire" (1987) avec une caméra qui se balance au milieu des musiciens...! Une idée directement empruntée au clip de "In between days" (1985), avec un réalisateur qui ne pouvait pas ignorer ce qu'il faisait.


Au début des années 90, les "Tutututududututu" des Années Bazar peuvent faire sourire. Le temps passant, Nicolas citera plutôt la britpop, alors que The Cure est relégué au rang de groupe de vieux.


Scan de Platine, octobre 1996


"La presse reçoit comment ce nouvel album, j'imagine que...
- Je sais pas moi j'regarde pas...
- Parce que vous avez pris des coups dans la tête.
- .Ah oui oui, sérieusement.
- Genre les Cure français, ou j'sais pas quoi...
- Boh c'est pas... c'est pas méchant les Cure français... À part que j'ai jamais compris pourquoi.
- Bah vous vous appelez Indochine, vous êtes pas les Cure. Les 'Cure' !
- 'Les Cure' ! Puis j'sais pas, on est pas très, très gros nous non plus...
- Beh dis donc.
- Que Robert.
- Ah Robert est un garçon costaud, il se porte bien comme moi.
- Mais le problème en France c'est que les médias ont toujours voulu te donner des images, des étiquettes, à tout ce qui était français quoi. Donc forcément quand tu représentes un courant, enfin soit-disant parce que c'était... Y paraît qu'on était un courant. Hop on était les Cure, ou les Depeche Mode français, ou un truc comme ça quoi. Alors que nous on était que des pauvres indochinois, hop hop (il mime une guitare imaginaire)... Et il se trouve que, comme ça cartonnait, voilà quoi.
- Bon puis la réponse elle est là, c'est que vous êtes encore là quinze ans plus tard et...
- Cure aussi hein, Cure aussi !
- Oui j'allais le d... Oui mais enfin bon c'est pas de la même manière.
- Non non pas de la même manière non."

Stéphane Sirchis interviewé par Christian David, MCM, 1996


Nicolas voit The Cure pour la première fois à Lyon en 1998 (un concert tellement catastrophique qu'il en est devenu légendaire) :
"En 1998, pour la première fois de ma vie, j'ai été voir Cure en concert, aux Nuits de Fourvière. Avec Robert Smith, on était dans le même hôtel, on s'est croisé au bar."
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010


L'affligeant Jeremy Wulc apporte toutefois un complément à cet épisode : 

"Je le reconnais tout de suite et je suis étonné de le voir là : Nicola Sirkis est devant moi, mais le plus surprenant, c'est qu'il est dans le même hôtel que The Cure. Nous discutons ensemble, et j'apprends que c'est la première fois qu'il verra le groupe sur scène ce soir, et il espère ne pas être déçu. [...] Quand je dis à Robert qu'il y a le chanteur d'Indochine dans l'hôtel, il me fait une grimace. Je lui demande s'il connaît ce groupe, il me fait oui de la tête et commence une danse ridicule en chantant, puis il me dit 'Yeah, Indochine !' Je ne sais pas s'il est sérieux, et quand je lui demande, il met un doigt dans sa bouche pour montrer son dégoût comme s'il allait vomir." 
Jeremy Wulc, My Dream Comes True, Camion Blanc, 2009 
 
"Entre Indochine et The Cure, il y a eu une guerre qui n'était pas de notre fait. En 1985, Cure et Indochine avaient le même public. Pour leur premier Bercy, cette année-là, on devait leur remettre leur 1er disque d'or. Mais une journaliste française a dit au manager du groupe qu'on copiait The Cure et lui volait son public. Je connais l'histoire par des gens de leur maison de disques passées ensuite dans la mienne. Les Anglais ont un système très impérialiste. Ils détiennent 90% du marché rock et un groupe français qui fonctionne, ça les défrise. Qu'Indochine ait le même public signifie des ventes en moins. Et tout d'un coup, il a fallu casser Indochine. Moi je n'ai pas du tout le sentiment d'avoir copié The Cure. Je me maquillais avant Robert Smith et notre musique n'a rien à voir. J'ai ma conscience pour moi.

La première fois que j'ai vu Cure sur scène, c'était en 1998. Je les ai trouvés ivres morts dans les coulisses et la hache de guerre a été enterrée. 'Oui c'est une vieille histoire', disait Smith.
"

Nicolas Sirchis, Télémoustique, janvier 2001

Sur MCM en 1999, lors d'une émission spéciale Indochine, Nicolas dira qu'il a vu The Cure et qu'ils ont de belles guitares... En effet, Robert Smith arborait depuis quelques années une Gretsch rutilante :

The Cure à Lyon en 1998

Ce qui explique l'arrivée d'une Gretsch rouge dans l'arsenal de notre héros. Il s'agit ici de l'époque où The Cure est le plus régulièrement présent dans l'esprit de Nicolas et dans ses interviews. Pilot relate d'ailleurs ses desiderata au moment de réaliser Dancetaria en 1999 :
"Nicola voulait faire un album hypnotique, à la Cure, moi je rêvais de quelque chose de plus extrême."
Jean-Pierre Pilot in Le roman-vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Voir : 1999 - Dancetaria


"Hypnotique" était alors un des mots les plus utilisés par le chanteur, souvent mis en relation avec les mots-clé "gothique", "new wave" et "The Cure". Nicolas était d'ailleurs présent aux deux concerts du Dream Tour au Zénith de Paris en 2000.
"Aimes-tu le dernier album des Cure (Bloodflowers, ndlr) et les as-tu vus cette année ?
Je les ai vus deux fois au Zénith, j'aime énormément Maybe Sunday (sic), mais j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, par contre les concerts étaient magnifiques !!!"
Nicolas Sirchis sur le chat d'indo.fr, 2000

Maybe Someday donc, le premier single de l'album en question. Nous avions aussi fait remarquer dans un article précédent une parenté assez forte entre un t-shirt de cette époque, et un logo bien connu.


Nicolas reste obnubilé par les groupes à qui Indochine pourrait être assimilé, ainsi en 2001 il déplorait une analogie désavantageuse :
"L'image du groupe a été un moment complètement aseptisée, une partie de la presse rock nous a associés plus à Duran Duran qu'à Cure. C'est le public qui a fait la différence, comme toujours."
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001


C'est en 2002 qu'Indochine (Mk2, donc) arrive à composer un morceau à la Cure. "Dark", made in Oli de Sat, rend un hommage appuyé à un groupe qui devait alors arriver à sa fin, tout comme Indochine, souvenez-vous. Les habitués du groupe de Crawley reconnaîtront la dédicace en fin de morceau.

Quelle influence Marylin Manson a t il sur tes compositions ? Le groupe va t il continuer dans ce sens là ? 
Je ne pense pas à Marilyn Manson ou à Nine Inch Nails quand je compose...
Ce sont devenus des influences qui transpirent dans mes réalisations.. et c'est pourquoi Nicola était intéressé de travailler avec moi. Je ne pense pas que Paradize ressemble à du Marilyn Manson !!
C'est comme faire le rapprochement entre Cure et Indochine !!
A croire que les gens n'ont jamais écouté Cure pour se rendre compte de l'ineptie !
Olivier Gérard par mail pour Touche pas à mon groupe, juillet 2003
 
Sur le même album, les "Tudutu tutudutu tutu" font leur retour dans Popstitute. Mais quelques années plus tard, en plein Alice & June Tour, Olivier relativise son allégeance :
Que penses-tu de l’œuvre des Cure ? 
"Tout l'inverse d'Indochine. Ils sont restés Cure sans évoluer, sans s'entourer d'autres personnes... Smith est bien seul et les derniers albums sont pauvres et ennuyeux. Je regrette la période Kiss me ou The Top, des albums qui avaient un regard extérieur... Désormais, Cure c'est de la pop à guitare sèche, ça m'ennuie. J'ai vu Cure au Paléo Festival il y a quelques temps... J'ai assisté à leur mort... Tous les arrangements étaient les mêmes que Cure Show (un concert magnifique)... sauf que c'était plus de 10 ans après... dommage..."
Olivier Gérard, indo-paradize, juillet 2006

Si vous aimez la musique, vous devez savoir que ce sont rarement les fans qui disent les choses les plus intelligentes. Si vous êtes curiste, vous avez dû tomber de votre siège. Olivier parle ici du concert de The Cure au Paléo Festival en 2002, très différent de Show (1993). une soirée partagée avec... Indochine Mk2, qui est passé juste avant !


 Boris Jardel y aurait prononcé les mots suivants :
"Il n'y a pas eu de rencontre, on s'est juste écarté pour laisser passer le gros Robert. Fuck The Cure.''

La Tribune de Genève, 2002

Qu'Olivier s'ennuie c'est une chose, mais considérer les albums tardifs de The Cure (ndlr : nous sommes en 2006...) comme pauvres dénonce une écoute en dilettante ou des problèmes d'audition . Si chaque album reste critiquable, il faut être de mauvaise foi pour prétendre que le groupe a cessé d'évoluer, surtout que ce qu'il dit en substance c'est qu'il n'a pas aimé leur évolution.

En 2001, The Cure avait sorti un Greatest hits contenant des versions acoustiques de leurs plus gros tubes. Est-ce ce qui perturba ce fan de gros son ? Et qu'avait-il pu penser de Nuits Intimes dont il réalise la pochette ? Ou est-ce "Taking off" qui lui déplut à ce point ?

Nous vous laissons juges sur la pertinence de considérer The Cure d'alors comme de la pop à guitare sèche, eux qui en 2005 avaient fait une tournée de festivals en tout électrique. Mais si Olivier Gérard est resté le même, comment doit-il considérer l'Indochine d'aujourd'hui ? Que penserait-il, s'il était resté de ce côté de la barrière ? 


Si le très cohérent Bloodflowers (2000) peut donner l'impression d'un album solo, The Cure (2004) montre des compositions plus partagées et aventureuses. Le regard extérieur de Ross Robinson y est déterminant, et la patte de chaque musicien est audible dans la composition et le jeu. Par ailleurs The Top (1984), qu'il cite en exemple d'un Smith entouré, est souvent considéré comme un album solo, où il a presque tout composé et joué lui-même.
"There are a couple of songs that I contributed to and am credited for, but for the most part it was Robert's album."
Laurence Tolhurst, Cured, Quercus, 2016

C'est assez ironique, Olivier étant au service d'une entreprise musicale dont le final cut est détenu par un seul homme. Si ses aptitudes musicales et sa proximité avec Nicolas lui donnent un espace d'expression privilégié, les désaccords sont toujours arbitrés par ce dernier. Nous vous renvoyons au reste du blog si vous souhaitez des exemples quant aux choix d'un Nicolas bien seul qui ne tolère plus aucune résistance. Nous ne nous attarderons pas sur les derniers Indochine Mk2, à savoir des instrumentations aléatoires qui auraient pu être jouées par n'importe qui, les morceaux joués de la même manière qu'il y a plus de dix ans et tous ces moments où nous avons cru avoir assisté à la mort d'Indochine.

Il est toutefois plus diplomatique (pour ne pas dire calculateur) face aux lecteurs d'Elegy, un magazine plus "pointu" et goth-friendly :

scan d'Elegy, février 2008

Ce même Olivier Gérard s'est carrément payé une UltraCure en 2013, la guitare signature de Robert Smith depuis 2004. Ce choix est compréhensible de la part d'un fan de longue date, comme Boris Jardel avait pu craquer pour la signature Gallagher (les références, toujours les références). Mais amener cette guitare sur scène pour accompagner Nicolas Sirchis fut tout de même étrange, lui qui a longtemps souffert du rapprochement des deux groupes.



Au cours du Paradize Tour, Indochine Mk2 avait justement tenté une reprise de "Just like heaven" (Non plus "de la pop à guitare sèche" pour notre spécialiste, mais "LA pop song sucrée de tous les temps"), accompagné de Mickaël Furnon. Sans surprise, Nicolas est approximatif, part au mauvais moment, chante en yaourt et connaît assurément mal ce morceau pourtant mythique. Il donne ici l'impression de restituer au micro, devant des milliers de personnes, son souvenir brumeux d'un morceau entendu jadis à la radio.

"As-tu l'impression d'avoir trouvé une formation stable pour Indochine, ou est-ce que c'est impossible ?
Je l'espère, malheureusement la vie m'a montré que c'est difficile. Ceci dit, elle me satisfait à 90%. Je pense qu'on est au point où était Robert Smith en 86 avec The Head on the Door, où je joue avec un groupe avec qui tout se passe bien, et j'aimerais que ça dure longtemps. C'est une formation qui peut générer une évolution artistique."

Nicolas Sirchis, J'kiff tro, avril 2004

Chose très amusante, Nicolas parle de The Cure Mk2 !
"This was Mark 2 of The Cure. This version was more expansive and less stripped down than the previous iteration, the Pornography Cure, as it were. I think that in order to break away from what we had been, it was necessary for us, and Robert in particular, to do something quite different."

Lol Tolhurst à propos du Cure post-1982, Cured, Quercus, 2016

Il évoque également sa rencontre avec Perry Bamonte au Paléo Festival, proposant une petite pirouette pour crédibiliser sa place de dirigeant d'Indochine, qui serait comparable avec celle de Smith dans The Cure.

Si l'on peut effectivement rapprocher les deux pour exercer une qualité de leader ou d'icône, le vrai rôle de Nicolas Sirchis au sein d'Indochine n'est pas comparable à celui de Robert Smith. Comme dit par ailleurs, Nicolas fut - et reste - le principal problème et défaut d'un groupe permis et mené par d'autres musiciens que lui, bien qu'il s'en soit proclamé président. The Cure est le projet quasi-solo de Robert Smith, dont les paroles, compositions et jeu de guitare singulier en font le pilier central incontestable, et ce depuis les débuts du groupe. Un certain nombre de musiciens se sont succédé autour de lui, chacun apportant une patte reconnaissable et audible sur les albums.

The Cure, "Where the birds always sing", Hambourg, 2002
"Fin 2003, j'aurai plus de 43 ans. Après un tel parcours, ce sera peut-être le moment de dire stop. Je ne peux rien garantir. Je n'ai pas cette coquetterie à la Robert Smith qui annonce la fin de Cure à chaque fois."

Nicolas Sirchis, Télémoustique, mars 2003

Est-ce que Nicolas plaisante, ou faut-il ressortir toutes ses citations sur la fin d'Indochine depuis les années 90, et depuis de plus en plus récurrentes ?
"Une chanson ne peut pas être que juste des notes, un texte et un disque, il faut aussi un clip, un entourage... Oui, j'ai toujours été intéressé par ça. C'est peut-être la raison pour laquelle il y a plus de profondeur dans Indochine. Sans être présomptueux, Robert Smith est comme ça ; dans chaque groupe, il y a un mec comme ça.
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, mai 2003

Nous avons suffisamment évoqué la trop grande propension de Nicolas à pointer les ressemblances - réelles, supposées ou inventées - avec d'autres groupes autoritaires, ou évoquer des correspondances avec un certain rock en général pour crédibiliser ses interventions, plutôt que de montrer de l'exigence avec lui-même, ses textes et sa musique.


En 2005, Un homme dans la bouche rappelle directement A man inside my mouth. Une similitude remarquée par certains curistes à l'époque, mais nous avons du mal à croire que Nicolas connaisse cette face B, lui qui ne cite jamais autre chose que des singles à succès. 
"Le titre est joliment scandaleux. Et on se dit que la pop sucrée des débuts est bien loin.
C'est vrai, d'ailleurs, pour la première fois Oli a fait une remarque parce qu'il trouvait le titre trop choquant. Eh bien moi, je trouvais ça vachement bien !"

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

La musique de l'Indochine des débuts n'est pas simplement de la pop sucrée (ici employée dans un sens dédaigneux), elle est au contraire bien plus originale et audacieuse que tous les Alice & June du monde, et bien plus riche en vocabulaire musical et verbal.

Voir : Révisionnisme et malentendus


Pour en revenir à 2005, Olivier, lui, avait certainement vu la parenté avec le titre de The Cure, et on imagine mal ce mansonien convaincu être choqué par un tel titre. De fait, il est très plausible que ce soit ça la remarque qu'il a osé faire à Nicolas, qui n'en a pas tenu compte. Soit dit en passant, le titre n'a comme toujours aucun rapport avec le texte, alors que Smith sait ce qu'il écrit, lui. 


Dans les années qui ont suivi, Robert Smith s'est montré plus diplomatique :
"Je les connais depuis très longtemps. Je me souviens de leurs premiers singles au début des années 80. Je ne les aimais pas, je devais certainement me sentir en concurrence avec eux. Quand on débute dans un groupe, c'est une lutte de faire entendre sa musique, et c'est par conséquent assez difficile d'aimer d'autres groupes qui font un peu la même chose que soi parce qu'on les perçoit comme des concurrents et non comme des amis. Plus tard, j'ai fait leur connaissance. Je n'ai jamais été un fan d'Indochine, mais le fait qu'ils continuent à faire ce qu'ils font est très bien, j'admire n'importe qui capable de faire cela."   
Robert Smith, Rock & folk, février 2005

Mais Nicolas est toujours agacé par le rapprochement :
Passer d’une influence Robert Smith à Marilyn Manson c’est un peu opportuniste...
"Alors déjà, on n'a jamais été influencé musicalement par Robert Smith... Quand on écoute Troisième Sexe et Boys don’t cry, ça n’a rien à voir. La ressemblance entre Indochine et The Cure vient du fait qu’on a démarré en même temps, qu’on a eu le même public et les mêmes influences. Mais tu ne peux pas nous comparer, c’est une insulte pour les fans de The Cure, même si ça n’en est pas une pour les fans d’Indochine, parce qu’ils sont un peu plus tolérants." 
Nicolas Sirchis, Guitar Part, 2006  
 
Comment ça s'appelait à l'époque, dans les années 80, c'était quoi, c'était la new wave ? 
C'était... au départ la new wave, absolument, après ça a un peu tilté sur le gothisme (sic)... Mais bon, sans être, on était pas un groupe gothique, les gens, parce qu'on s'habillait en noir, le rock, de toute façon, c'est noir.
Y'avait The Cure et vous...
Nan, alors, ça c'est très français ! Parce que au... Quand on cartonnait au Québec on était les U2 français. Et en Suède on était les Depeche Mode français. [...] Et, et, et en France on était les Cure français. C'est vrai qu'il y avait... Moi je m'étais même maquillé euh... En fait la première fois que je me suis maquillé, parce que c'était ça qui a aussi fait le, le... Pas le paradoxe, mais la filiation entre nous et les Cure c'est... Moi je me suis maquillé en 84... 82, pour le premier concert... Au Rose Bonbon, c'était du khôl et du rouge à lèvres. Et euh, et après, chacun a des univers parallèles, c'est ça qui est intéressant. Là ça y est, la guerre est enterrée depuis longtemps avec Robert Smith."

Nicolas Sirchis interviewé par Nikos Aliagas, Europe 1, 2017

Quand Nicolas explique le rapprochement des deux groupes pour une question de look, c'est souvent aussi pour souligner que :
"J'étais même coiffé et maquillé comme ça avant Robert Smith." 
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010


Nous sommes intéressés par la musique et le propos, et les histoires de look ne nous intéressent qu'assez peu. Mais une fois pour toutes, c'est faux. Les photos du Rose Bonbon - où Indochine a joué plusieurs fois en 81 et 82 - attestent qu'aucun membre du groupe n'est maquillé. Nicolas est plus honnête à ce sujet dans Insolence Rock :
"Nous, sur scène, on avait une attitude très rebelle, avec un look un peu 'pirate', des longs foulards, etc."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004

Voir : Adam and the Ants (Wikipédia)

"Quand Cure est arrivé en France, tout le monde a dit qu'ils avaient tout inventé, mais personne n'a rien inventé du tout. Moi je me maquillais parce que j'aimais bien David Bowie."

Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les Guides MusicBook, 2003

Il est amusant d'entendre dans la conversation avec Nikos Aliagas que Nicolas hésite sur la bonne année, qui est 1983. Smith s'est maquillé dès 1981, sur l'influence - assumée - de Siouxsie Sioux pour qui il avait joué de la guitare. Mais au sortir des années 70, du glam et du rock progressif, le maquillage et les cheveux hirsutes était devenus très communs pour un groupe de rock, presque obligatoires. Même Johnny Hallyday s'est maquillé avant Nicolas, sans parler de Patrick Juvet ou encore Au Bonheur des Dames.

Voir : David Bowie1999 - Dancetaria


Il serait pourtant si simple de dire que, musicalement et textuellement, au delà d'un certain look, les deux groupes n'ont que très peu en commun. La comparaison de Nicolas entre "Boys don't cry" et "Troisième sexe" n'est pas pertinente, puisque les morceaux datent respectivement de 1979 et 1985, soit une éternité pour la musique de cette époque. Malheureusement son domaine de prédilection reste l'apparence, et cela est regrettable pour quelqu'un qui se prétend musicien.

Robert Smith & Siouxsie Sioux, 1983

Mötley Crüe, 1985

De nos jours, l'album 13 montre une tentative de participer à l'engouement rétro et synthwave basé sur une nostalgie romantique des années 80, et de capitaliser sur une image de pionnier d'une certaine pop à la française qui inclurait par exemple Lescop, La Femme ou encore Grand Blanc, des gens très proches de leurs références parmi lesquelles The Cure. Mais Nicolas n'a fondamentalement pas compris ce qui fit l'originalité et la musique même de son ex-groupe.

Voir : Révisionnisme et malentendus, Étienne Daho


La comparaison Indochine / The Cure n'est pas appropriée, et devient franchement stupide quand il s'agit d'Indochine Mk2. De plus, leur synchronicité de carrière est relative : Nicolas chantait encore "file moi ton fric, gosse de riche" dans les Espions, lorsque le groupe de Robert Smith avait déjà fait son trou depuis un moment parmi les musiques de l'après-punk.


Nicolas semble plus qu'irrité par la comparaison récurrente avec The Cure, mais n'est-ce que pour les raisons évoquées plus haut ? Ou simplement parce qu'il n'a fait que subir un rapprochement qu'il aurait préféré gérer lui-même ? Comme toutes les communications basées sur la ressemblance et la référence qu'il fera, par la suite en solo, pour être perçu comme le Brett Anderson français, puis le Brian Molko français, le Dave Gahan français ou encore le Marilyn Manson français.

Peut-être qu'il serait temps, pour lui comme pour le public et les médias, de cesser d'évaluer la crédibilité des groupes français par analogie avec d'illustres anglo-saxons. La pertinence et la qualité ne se diffusent pas par rayonnement ou captation de codes visuels.


Voir aussi sur le blog :
 
"On a envie de nouvelles choses, de nouvelles histoires. On pourrait se contenter de faire des concerts comme beaucoup de groupes des années 1980. Quand les fans viennent voir Depeche Mode, Cure, ils se foutent des nouveaux morceaux. Nous, c'est le contraire. On est le seul groupe de cette époque qui régénère son public."

Nicolas Sirchis, Le Parisien, septembre 2017


Swm Pod, mars 2009
 
Stars Magazine spécial Indochine, 1986

1 commentaire:

  1. Bonsoir,
    Je suis heureux de voir mon groupe anglais préféré (avec les Banshees et les Smiths) traité ici. Pour la petite histoire, «Close To Me» et «3ème Sexe» ont été les deux premiers disques que j'ai achetés en 1985 à 8 ans. Il faut croire que ces deux groupes allaient m'accompagner un temps certain.
    A vrai dire, et ceci au moins depuis mes années collège, je n'ai jamais compris le rapprochement entre CURE et INDOCHINE. Musicalement, sur quatre décennies, je ne vois que «Jumping Someone Else's Train» qui pourrait évoquer le son de guitare de Dominique, l'introduction de «A Forest» qui pourrait se rapprocher de celle de «3ème Sexe» et encore, les morceaux des Anglais sont plus âgés de 4-5 ans et en dernier lieu la guitare gonflée à l'hélium de «Dark» qui évoquera celle de Smith, voire NEW ORDER.
    Pour le reste, je n'ai toujours vu au mieux que paresse, voire mépris du milieu curiste envers INDOCHINE et ses fans.
    Souvent, on me disait plus jeune comment peux-tu aimer en même temps CURE et cette me...d'INDOCHINE. J'avais beau expliquer que ceci pour moi n'a jamais été antinomique. Objectivement, quel rapport entre Faith ou 7000 Danses, entre Pornography et le Péril Jaune ?
    Les deux autocrates leaders se sont souvent fendus de références littéraires entre autres, mais c'est un fait, chez l'Anglais, c'est fluide, naturel, aucunement plaqué façon scolaire. Puis, il suffit de se pencher sur n'importe quelle interview depuis quatre décennies pour constater que même «autoritaire», Smith a beaucoup d'humour, de recul sur sa carrière. On a l'impression parfois que Sirkis révérait d'une carrière similaire à celle du banlieusard Londonien, mais bon... Le seul rapprochement qui tient pour moi n'est en définitive que purement capillaire, vraiment et peut-être un peu d'envie de Sirkis, mais c'est tout.
    Bien cordialement,
    Richard SUBERBIELLE

    RépondreSupprimer

Bien que la modération soit activée, nous vous faisons confiance pour rester civils et courtois dans vos commentaires et éventuels échanges.