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J-P Pilot, G. Jones, N. Sirchis, P. Délire en 1999 |
Dancetaria jouit d'une réputation inégalée au sein de la discographie d'Indochine. De nombreux adjectifs très valorisants ont été employés à son sujet, par Nicolas, ses musiciens, fans et même non-fans. "Ultra-classe", "féérique", "le Black Celebration d'Indochine", "le meilleur album"... Tous semblent s'accorder pour couronner l'album de 1999 au plus haut de l'histoire du groupe.
"C'est sûr que la mort de Stéphane faut pas se leurrer, a suscité une sorte de capital sympathie, maintenant c'est le plus beau cadeau qu'il ait fait."
Nicolas Sirchis, Exclusif, 1999
"C'était pas facile. Heureusement qu'on avait chacun deux univers différents, qu'on était pas inséparables, ou qu'on était pas... Parce que ça ça aurait été difficile, mais c'est vrai que... C'est pas facile. [...]"Nicolas Sirchis, Exclusif, 1999
Mais dans un monde normal, ce type de mutation s'opère au sein du public, ainsi que des médias et critiques et l'artiste en est exclu. Il le subit très souvent de façon indécente, alors qu'il est encore en période de deuil. L'exemple d'un chanteur infiltrant lui-même les mécanismes de perception de son propre groupe, pour tenter d'en orienter le récit et la direction, nous semble ici absolument inédit.
Voir : Révisionnisme et malentendus
Stéphane et Nicolas Sirchis, 1998 |
De nombreux commentateurs s'accordent également à dire que la disparition de Stéphane fut bénéfique pour Nicolas, et lui permit d'amener enfin le groupe vers les sommets.
"Oui, pour Nicolas la perte de ce frère jumeau est évidemment une souffrance, mais c'est aussi une résurrection. Nicolas a soutenu ce frère malade pendant des années. Maintenant que Stéphane n'est plus de ce monde, Nicolas est seul, oui et c'est bien triste. Mais Nicolas est libre ! Libre d'écrire la légende d'Indochine comme il l'entend."
Stéphane Basset, L'Aventure Indochine, France 4, 2017
"Le départ de Stéphane, évidemment est très douloureux et caetera, mais... ça libère Nicolas du passé. Tout d'un coup il est le seul qui reste, de ce qu'était Indochine, et donc il est le détenteur de ce groupe, de cette marque, et de sa survie."
Virginie Borgeaud, L'Aventure Indochine, France 4, 2017
"Maintenant il est le seul patron, il sait ce qu'il faut faire, et il a de l'impatience donc voilà, il délègue plus !"
Mathieu Alterman, L'Aventure Indochine, France 4, 2017
Les faits ont été documentés et analysés par Christophe Sirchis, et nous vous suggérons une lecture de Starmustang pour mieux comprendre cette époque. Quant à cette façon d'estimer la mort de Stéphane comme bienfaitrice, permettant l'élévation de Nicolas en PDG légitime sachant mieux que quiconque ce qu'il fallait faire, elle nous semble franchement déplacée et choquante. Devons-nous vraiment considérer Paradize comme le résultat de cette liberté retrouvée, ce retour à l'excellence permise par la mort d'un homme ?
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Stéphane et Nicolas, décembre 1998 |
Il est difficile de s'aventurer davantage sur ce contexte forcément bouleversant pour Nicolas, et de commenter a posteriori ses pérégrinations psychologiques à la seule lumière de ses interviews.
'Vous auriez pu avoir envie de passer à autre chose...
J'ai eu envie, et il y a encore des moments où j'ai envie de passer à autre chose, mais il y a aussi des jours où j'ai une force en moi qui a envie de continuer et à être fier de présenter ces morceaux sur scène. Ce n'est pas la pression du show-business qui me pousse. Mais il ne faut pas se leurrer, quand c'est arrivé on était en plein enregistrement, je n'avais pas du tout envie de continuer. Mais quand j'ai réécouté ces morceaux, je me suis dit : ce sont les plus beaux que Stéphane a jamais écrits, il faut qu'ils existent, ne serait-ce que pour la mémoire et pour sa fille. Il faut comprendre aussi que la mort fait partie de la vie.
C'est Stéphane qui est mort, il faut passer au-delà, cela aurait été plus dur encore de tout arrêter. Pour le moment, l'objectif est de défendre l'album pendant cette tournée qui se terminera à la fin de l'année 2000. Après, on verra. En principe, j'ai re-signé pour trois albums sous le nom d'Indochine."Nicolas Sirchis, Lyon Matin, novembre 1999
Nous ne remettons aucunement en question la décision de Nicolas de continuer la musique, que nous estimons parfaitement audible et tout à son honneur. Soulignons simplement que cette disparition constitua le début de la communication autour de l'âme du groupe... qui était alors devenu bien autre chose, voire le contraire de ce qu'il avait été.
Voir : Pourquoi Indochine Mk2 ?, Révisionnisme et malentendus
"Le gardien de l'âme du groupe" semble pourtant être une invention journalistique, à laquelle Nicolas commença d'abord par répondre négativement, avant d'y prendre goût :
En tant que dernier membre du groupe, tu te sens l'âme d'un gardien?
Non, pas vraiment, car au fil du temps Indo a toujours évolué avec des nouveaux membres. Pour moi, Dancetaria marque surtout ma dernière collaboration avec mon frère et c'est pour cette raison que je tiens autant à cet album.
Nicolas Sirchis, XL, août 1999"A chaque fois que le groupe monte sur scène, même si il n'y a plus les mêmes membres, il se passe quelque chose de magique. [...] Personne n'est irremplaçable mais chez nous, l'âme est restée."
Nicolas Sirchis, La Dépêche, novembre 1999
"Je suis le gardien de l'âme d'Indochine. Je suis tout seul mais Indochine a toujours la force d'un groupe."
Au regard de ces citations et de nos souvenirs de l'époque, il semble que nous étions déjà informés sur comment apprécier le disque avant même de l'avoir entendu. Retour donc à l'album, sorti le 24 août 1999, sur lequel nous entendons les dernières guitares de Stéphane, chose qui sera beaucoup utilisée comme un argument de vente. C'est très ironique, sachant que la dite guitare était systématiquement shuntée lors des concerts et émissions TV.
Voir : 1997 - Indo Live titre par titre
Les fans se sont-ils demandés quelles étaient ces guitares ? Indochine Records ne précise même pas quels sont les titres en question. On reconnaît bien la Mustang sur "Stef 2", l'acoustique qui frise sur "She Night", la petite guitare mélodieuse sur "Le Message". Il semble en revanche ne pas rester grand chose de lui sur "Manifesto" ni "Atomic Sky".
"On privilégiait les mélodies imparables et puis il fallait les habiller. Il y a donc eu des professionnels comme Phil Délire ou Gareth Jones, puis des amateurs comme Stéphane et moi. On a considéré cet album comme le deuxième d'Indochine. Wax était vraiment le premier de Stéphane et de moi."
Nicolas Sirchis, Le Soir, septembre 1999
C'est un point très positif de garder un lien fort avec le présent, et penser un nouvel album avec la détermination d'un premier essai. À condition que cette attitude soit celle d'un artiste sachant faire table rase, et non d'un communicant réécrivant son histoire au gré de ses besoins.
Comme dit auparavant, Nicolas ne semblait toujours pas apprécier le savoir-faire de son frère à sa juste valeur, et était toujours bloqué dans une binarité amateur/professionnel.
Voir : 1996 - Wax, Révisionnisme et malentendus
Wax était déjà tiraillé entre des directions différentes et potentiellement contradictoires. Comme son prédécesseur, Dancetaria cherche une synthèse entre des goûts affirmés et les tendances de l'époque, comprises ou non. Vous attendez tous le même mot : gothique.
"Sur certains titres, on a parfois presque l'impression d'écouter de l'indus...
N.S. : quand on est rentré Stéphane et moi en composition avec Jean-Pierre Pilot, ça a vraiment été un travail de groupe comme ça. L'idée au départ était de privilégier les mélodies. On voulait des mélodies hypnotiques, sombres ou non. Le but était d'obtenir des mélodies qui restent gravées dans les esprits.
Après, les références proches du gothique sont venues très tôt. Mais ce que je souhaitais, c'est obtenir un mélange pop, glam et gothique. La pop pour le côté mélodique, le glam pour le côté sensuel, sexuel et le gothique pour le côté sombre, hypnotique. Pour moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut qu'il y ait de l'énergie, du sexe.
Noir Désir c'est tout sauf ça, car Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas. Et c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant, j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens. Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple, retrouver chez Placebo."Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000
Voir : Placebo
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Nicolas Sirchis, 1999 |
"Dancetaria est un mot féerique. C'est de la pop qui fait danser les gens, un rock assez sensuel, pervers aussi bien dans les guitares que dans les textes. Et gothique à cause de son aspect hypnotique qui ouvre sur une richesse harmonique."
Nicolas Sirchis, L'Humanité, septembre 1999
"Votre dernier album "Dancetaria", sorti mercredi dernier, marque-t-il un tournant pour Indochine?
- Ce dernier album est une renaissance artistique et émotionnelle. Les textes de "Dancetaria" sont plus féériques et plus bouleversants que nos précédentes chansons. Nous avons voulu allier la pop, notre base, la sensualité du glam et le côté hypnotique du gothique."Nicolas Sirchis interviewé par Anne-Dauphine Julliand, août 1999
"Nous croisons le rock, musique à danser, l'inspiration gothique du XIXe siècle et le glam pour les textes provocants. Indochine, c'est de l'agit-prop mêlée au complexe de Peter Pan', analyse Nicola Sirkis, 40 ans. Il se définit en 'ado éternel, ou attardé, c'est comme vous voulez".Gilles Médioni, Ancien de l'Indo, L'Express, décembre 1999
"Dancetaria est un album dont Nicola Sirkis dit qu'il est "celui qu'il aime le plus et qu'il déteste le plus". Dans des sonorités à la fois très actuelles (des parfums trip hop, de l'électronique moderne) et très fidèles (le synthétique sautillant), Indochine pratique une sorte de noirceur joyeuse, de morbidité heureuse.
'Je ne suis pas un pessimiste foncier, mais ce n'est pas moi non plus qui fais rire à table', dit le chanteur. Quelque chose de léger effleure la mort, la solitude, l'ambiguïté, la gratuité du malheur. Parfois, même, l'atmosphère est incommodante ("Venus"), mais avec une candeur et une santé confondantes.
'Je suis attiré par ce qui est un peu choquant, pervers, par intérêt pour les vies qui ne sont pas normales. Je vis une vie normale pour pouvoir écrire des choses anormales. Si je vivais une vie anormale, je n'écrirais peut-être pas des choses très intéressantes. Je suis plutôt dans une esthétique gothique, noire, face à une société où on aime l'argent, la beauté, les jeunes. C'est l'histoire d'avoir un flirt avec la mort, pour être plus serein le jour où elle vous prend.""
Et ce via des esthétismes, ou des vêtements hors de prix. En d'autres termes, un domaine sous-culturel spectaculaire, avec des signifiants visuels dictant d'abord l'apparence en amont d'un contenu personnel plus flou. Nous avons tous entendu le célèbre "être gothique c'est un état d'esprit", occultant toute explication concrète au profit d'une attitude plus passionnée et mystique.
Parfait pour le Nicolas version moribond, qui se retrouva dans cette mode comme un poisson dans l'eau. Et la promesse d'un public naïf et influençable, quel que soit son âge. Possiblement, ceux-là mêmes qui allaient se mettre à dire plus tard que "Indochine ça ne s'explique pas, ça se vit"...
"À l'époque, on nageait en plein rap, street wear, baggy machin et j'en passe. Alors les mecs qui avaient le courage de s'habiller en robe noire, moi, je trouvais ça fort. Ils sortaient du stéréotype en vogue, ils sortaient du lot. Je reconnaissais dans cette attitude notre propre volonté de sortir du lot nous aussi, de ne pas faire comme les autres."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Baggy machin, street wear, comme l'année précédente, donc ?
Voir : 1998 - "Seasons in the sun"
En 1998, Nicolas était encore loin de ses robes noires. Mais nous retrouvons ici une possible projection de cet état d'esprit : faire comme ceux qui ne font pas comme les autres, parce que moi non plus je ne suis pas comme les autres. Nous pouvons aussi évoquer l'aversion quasi-généralisée du public goth de l'époque pour le rap, et autres musiques non-blanches.
Mais évidemment, selon Nicolas, Indochine aurait toujours été ça.
"Là, effectivement il y avait une renaissance du gothique. Mais je ne me suis pas senti opportuniste, je n'ai pas cherché à me raccrocher au wagon d'une tendance, c'est plutôt qu'Indochine a toujours été ça."Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Voir : Révisionnisme et malentendus, avec le changement de discours selon la situation ou le besoin. Doit-on le préciser, non, Indochine n'a pas toujours été dans cette mouvance gothique, et ce n'est pas un problème. Mais Nicolas avait parfaitement compris le créneau qui s'ouvrait devant lui. Comme à son habitude, il faisait mine de n'être qu'un observateur alors qu'il était en plein entrisme :
"On a vu les fans de Marilyn Manson sur la tournée..."
Nicolas Sirchis, Elegy, 2001
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Nicolas Sirchis, 2000 |
Un terreau forcément fertile pour le petit nouveau : Olivier Gérard, systématiquement présenté à travers ses goûts musicaux comme un étendard de nouvelles références plus dures et exigeantes. L'occasion de placer les mots "Nine Inch Nails" dans beaucoup d'interviews de l'époque, et réajuster l'image du groupe pour la rendre attractive auprès d'une cible jeune et sensible à cette attitude alors à la mode, énervée et provocatrice.
Voir : 2002 - Paradize
"Oui, il nous avait envoyé des remixes de morceaux d'Indochine qu'il avait faits sur son ordinateur. Il était très fan de Nine Inch Nails aussi... "
Nicolas Sirchis, Le Soir, septembre 1999
"Puis, une fois qu'on a eu retenu une vingtaine de morceaux, on a pris contact avec un jeune fan qui, depuis longtemps déjà, nous envoyait des remixes excellents de nos anciens morceaux. Or comme on voulait vraiment travailler sur les ambiances pour le nouvel album, on lui a envoyé une cassette de nos démos en lui disant de faire ce qu'il voulait pour l'embellir.
On a été pleinement satisfaits du résultat. Le côté indus du disque vient de là, car le jeune homme en question était aussi un fan de Nine Inch Nails. On n'est pas tombé, pour autant, dans le piège high tech."Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000
Comme à son habitude, Nicolas spéculait sur les affinités musicales de ceux qui aiment Indochine, qu'elles soient réelles ou fantasmées, pour modeler l'image de la marque. Ici, les goûts d'Olivier Gérard, ou plutôt leur représentation selon Nicolas, allaient constituer le cœur de la communication autour de l'obscur et énervé Paradize.
Voir : 1996 - Wax, 2002 - Paradize
Le titre de votre nouvel album, "Dancetaria", rappelle le nom d'un label de disques français...
- Oui, c'était un label spécialisé dans le gothique, qui était l'une de nos références. 'Dancetaria', c'est aussi à cause du mot dance, souvent très hypnotique, très atmosphérique. En même temps, c'est du Indochine.On a toujours fait de la pop, de la new wave. Au début, on utilisait des boîtes à rythmes, et on était mal vus. Alors qu'aujourd'hui, la new wave est la principale source de la techno."
Nicolas Sirchis, Le Midi Libre, 1999
Voir : Révisionnisme et malentendus
Le mot a plu à Nicolas, mais il dut se justifier quant à ce qu'il représentait... un terrain forcément dangereux pour notre héros. Nous pouvons même spéculer que "Dancetaria" vienne d'une faute d'orthographe lorsqu'il a noté le mot dans un de ses carnets.
Vue l'association récurrente entre les deux mots, il semble qu'il faille comprendre sa représentation d'une musique dite gothique comme hypnotique. Par exemple, le versant solennel de The Cure, avec des nappes de synthé orchestrales ? Ou encore leurs basses massives et cycliques ?
"Nicola voulait faire un album hypnotique, à la Cure, moi je rêvais de quelque chose de plus extrême."
Jean-Pierre Pilot in Le roman-vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Possiblement, une manière inconsciente de renouer avec cette attitude de nouveaux-romantiques, celle-là même qui avait provoqué une affiliation subie avec le groupe de Crawley.
Et pourtant en 1999, The Cure était considéré comme "un groupe de vieux qui tourne toujours". À l'époque pourtant, cet Indochine recrédibilisé par le noir arriva à happer quelques curistes auparavant très réticents au groupe français.
Voir : The Cure
Il est aussi possible de lire dans le Xymox ci-dessous un chaînon entre Indo et Cure, et une projection de ce que Nicolas et Pilot souhaitaient faire à la fin du siècle dernier.
Plus sombre donc, plausiblement plus axé vers des émotions brutes, adolescentes voire post-adolescentes et nostalgiques. Cela peut expliquer l'arrivée de corbeaux obsédés par le périssable et les mondes perdus, et adultes cafardeux se sentant marginaux à l'approche de l'an 2000, dans cette époque de plus en plus incompréhensible.
Depuis 2009, il semble toutefois que ces derniers soient redescendus dans leurs caves. L'étrangement mature La République des Meteors fut pourtant comparé à Dancetaria par le chanteur himself, mais ne présentait pas d'imagerie goth ou emo identifiable, si ce n'était un goût prononcé pour le noir et blanc, souvent utilisé pour rendre une image froide, austère ou historique.
Voir : 2009 - La République des Météors
Reprenons point par point la logique de Nicolas Sirchis :
- Pop : la base, la mélodie, la danse
- Glam : sensualité, sexualité, perversité, maquillage
- Gothique : romantique, hypnotique, féérique, climatique, orchestral, new wave
"Nous voulions un peu 'boucler la boucle' : nous servir de synthés plutôt vintages, de boîtes à rythmes, et les mélanger avec des guitares. Je le définirais pour rigoler (? ndlr) 'entre pop, glam et gothique' ! C'est un album très "années 80" au niveau de la composition, mais avec l'acquis que l'on a depuis quinze ans et les nouvelles technologies.
Si l'on doit faire des rapprochements, sans être présomptueux, "Dancetaria" est un peu un mélange de Garbage, Radiohead, pour le côté 'pop progressive' de certains morceaux, et Suede.
Avec des guitares glam comme les premiers Bowie : un peu sales, mais dont les notes ont un côté séduisant. Le tout avec une identité propre, car je crois qu'en France on est les seuls à faire ce genre de musique."Nicolas Sirchis, interview de Gareth Jones & Indochine, PlayRecord, août 1999
Voir : Nicolas et la guitare
Les crédits de Dancetaria sont pourtant très étranges : "Réalisé par JP Pilot et Indochine".
Jean-Pierre Pilot formait avec Nicolas le duo créateur d'Indochine, comme Dominique hier ou Olivier aujourd'hui. Il n'était pas qu'un simple claviériste interchangeable, et il est important de souligner ici à quel point les documentaires, livres et discours officiels post-2001 minimisent voire suppriment son rôle. Pilot est pourtant celui grâce à qui Indochine a survécu dans les années 90, en cela c'est grâce à lui qu'Indochine existe toujours en tant que tel et que Nicolas ne chante pas dans Stars 80.
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Nicolas Sirchis et Jean-Pierre Pilot, 1999 |
"Le 27 février 1999, Stéphane Sirchis disparaît brutalement, alors que l'enregistrement de l'album Dancetaria venait à peine de commencer.
Nicolas décide malgré tout de poursuivre l'aventure pour le public et pour son frère. Il termine l'enregistrement de Dancetaria, avec l'aide d'un nouveau venu Oli de Sat, un musicien fan du groupe, qui le bluffa avec ses arrangements."Un flirt sans fin, 2006
"La composition nous a pris entre six et huit mois, à Stéphane, Jean-Pierre Pilot et moi.
Nous avions mis la barre assez haute : nous enregistrions autant que nous voulions mais il fallait des mélodies imparables qui, même sur deux notes, restent dans la tête dès la première écoute.
Puis une deuxième couche a été passée par un jeune fan du groupe, qui a bruité les morceaux, leur a donné des climats, des sons un peu étranges. "Nicolas Sirchis, RFI, 1999
"On a gardé quelques trucs tels quels, mais on a aussi samplé beaucoup de choses que l'on a recalé pour synchroniser ses machines avec les miennes, parce qu'il avait joué tellement spontanément chez lui que ça ne pouvait pas se refaire. L'avantage du laboratoire, c'est que l'on pouvait vraiment passer du temps à chercher dans les samples, et en équipe restreinte. On a pu garder ainsi beaucoup de choses, mêmes des guitares que Stéphane avait faites en répétition qui se retrouvent définitives sur l'album."
Jean-Pierre Pilot, Playrecord, août 1999
Il faut vraiment imaginer Pilot découvrant les propositions d'Olivier Gérard sur CD-R, les rééchantillonnant telles quelles (avec les sampleurs de l'époque, donc avec des disquettes) pour les intégrer aux arrangements, avec les difficiles problématiques de tempo et de calage que cela implique. Et un boulot très avancé sur les batteries et boîtes à rythmes par dessus. Un gros travail de studio, très professionnel, à la différence du plus amateur Paradize.
Dancetaria reste toutefois mystérieux lorsqu'on se demande qui joue quoi, et c'est une sorte de miracle qu'il ait cette cohérence et cette pertinence.
Il semble pourtant que le nom de Jean-Pierre Pilot soit devenu tabou :
"Les maquettes étaient faites, on signe, on rentre en studio et Stéphane meurt. Je me suis retrouvé tout seul avec Oli et deux, trois musiciens..."Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
"Ensuite le compositeur de l'époque s'en est allé vers d'autres aventures..."Olivier Gérard, RFM, juin 2020
L'apport d'Olivier Gérard est audible et notable, mais il est scandaleux
que Jean-Pierre Pilot soit à ce point occulté de l'histoire, et ce avec un tel mépris et une telle ingratitude.
Et en effet, en 2001 Jean-Pierre Pilot joua sur La Zizanie de Zazie, et retrouva même Matthieu Rabaté sur l'album suivant Rodéo (2004), dont il est compositeur et réalisateur. Les deux musiciens, surtout Pilot, sont superbement mis en valeur sur le film du Rodéo Tour (2005).
"C'est un vrai créateur qui a été bien utile à Nicolas après mon départ. Il a surtout fait du bon boulot sur Dancetaria, mais comme je ne connais pas les maquettes de base, je ne peux pas vraiment juger ce qu'il a apporté. Aujourd'hui, Nicolas en veut à Zazie parce que Jean-Pierre Pilot ne pouvait plus le supporter et est parti travailler avec elle. Nicolas préfère dire qu'il l'a viré sous prétexte qu'il fait de la varièt'."Dominique Nicolas, Platine, 2004
"Je suis parti de mon plein gré, sans aigreur. Parce que ça faisait huit ans que j'étais avec Indochine, et que j'avais l'impression de tourner en rond. Il y avait aussi les textes des chansons, que je trouvais trop "ado" et qui, après la naissance de ma fille, me gênaient. [...] Mais je savais que le succès allait arriver, que ce groupe était une bombe, et qu'il suffisait d'un single avec un bon texte pour qu'il fasse un carton absolu. C'est arrivé avec l'album Paradize, que je trouve superbe, et je m'en réjouis."Jean-Pierre Pilot in Le Roman-Vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
Pilot se montre ici très diplomate à propos d'une scission plus complexe qu'il n'y paraît, ayant débouché sur un procès et, comme très souvent avec Nicolas, une rupture humaine définitive. Le film "Les Divisions de la Joie" le montre systématiquement comme un demeuré, et l'argument des trop grandes prétentions personnelles fut, comme avec Alexandre Azaria, usité contre lui par Nicolas.
"Moi je lui ai dit, 'on n'est pas là pour faire ta carrière solo, on est là pour Indochine.' [...] Il n'était pas du tout dans notre univers."Nicolas Sirchis in Le Roman-Vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
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Jean-Pierre Pilot, 1999 |
N'est-ce pas positif d'être ambitieux pour son groupe, ou bien faut-il comprendre cela comme une peur chez Nicolas de perdre la mainmise sur Indochine, gagnée avec le départ de Dominique ? Nous serions très intéressés de savoir si Olivier Gérard a déjà expérimenté un recadrage quant à ses ambitions artistiques. Nous ne pouvons croire qu'en son for intérieur il valide tous les morceaux de Black City Parade et 13.
Trop occupé à se présenter comme le gardien de l'âme du groupe, Nicolas ne sembla jamais se rendre compte qu'il était plutôt un cerbère, et que jamais ses goûts personnels ne devraient être contrariés, quitte à tirer la musique d'Indochine vers le bas.
Voir : Influences et références
"Le nouveau label d'indo s'appelle Double T. Indochine rejoint tous les groupes qui ont décidé de travailler avec des indés comme suede, cure, oasis, blur, placebo etc."Nicolas Sirchis, imaginet.fr/indochine (ancien site officiel)
Un exemple parmi tant d'autres de name dropping à pas cher, et de tentative de recrédibilisation par procuration. Nicolas, constamment en recherche de légitimité, était alors comme une grande partie des auditeurs de musique de l'époque, empêtré dans un logiciel indépendant/major, une sorte de projection marketing de la guerre underground/mainstream qui faisait encore rage.
Et d'un coup, nous étions censés assimiler cet Indochine-là comme un groupe indé, une sorte d'équivalence française à tous ceux cités en vrac - pourtant distribués en France par des majors. Même le fait d'écrire le nom des groupes en lettres minuscules était une mode indie arrivée avec la démocratisation du multimédia.
De nouvelles signatures visuelles apparurent également, comme par exemple la typographie de Suede. Celle-ci est disponible sur Dafont, et vous pouvez vous aussi faire votre propre album calibré brit-pop.
"Indo garde cette image forte en France de groupe des 80's, mais dans le reste de l'Europe on nous classe dans le même créneau que des groupes comme Placebo."
Nicolas Sirchis, XL, 1999
"On casse toutes les idées reçues. Même les Inrockuptibles sont perdus : ils reçoivent des lettres de fans qui adorent Placebo et nous !"
Nicolas Sirchis, VSD, août 1999
"Oui on se connaît bien, on parle de maquillage."
"21h30. Indochine joue et fait chanter les premiers rangs. Bonne surprise, le public semble également venu pour eux. Nicola Sirkis, en bon caméléon, est habillé en parfait sosie de Molko."Basile Farkas, Rock & Folk, juin 2000
Nicolas persistait pourtant à abattre ses cartes référentielles. Un autre groupe très à la mode mais américain cette fois, l'intéressait : The Smashing Pumpkins, qui était aussi rentré dans un logiciel gothique. Et ce, surtout à partir de Adore (1998), puisqu'il reprendra la robe de prêtre...
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Billy Corgan pour Adore, 1998 |
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Nicolas Sirchis pour Nuits Intimes, 2000 |
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The Smashing Pumpkins, Adore, 1998 |
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"Rose Song" live en 2002 |
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The Cure, visuel du Dream Tour, 2000 |
"Je les ai vus 2 fois au Zénith, j'aime énormément Maybe Sunday (sic), mais j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, par contre les concerts étaient magnifiques !!!"
Nicolas à propos de Bloodflowers sur le chat d'indo.fr en août 2000
Voir : The Cure
Voir aussi :
"Tribus Gothiques" d'Olivier Delacroix, Planète + No Limit, 2009
"Idéologiquement goth" sur Dark Matter Lab
Annexes :
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Décembre 1998 |
Studio Davout, 2000 |
Danceteria (et non Dancetaria), c'était aussi une minuscule boutique de disques parisienne, rue du Cardinal-Lemoine dans le 5ème (fréquentée d'ailleurs par Guy-Man et Thomas, les futurs Daft, et Laurent Brancowitz futur Phoenix). C'est peu dire que cette boutique suintait les labels indépendants : elle les distribuait, en plus d'éditer aussi des disques.
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