Comme pas mal d'indophiles l'ont remarqué, Wanda Elacollection a récemment posté beaucoup d'archives, merci à elle. Pas de commentaire sur autre chose que le strict contenu des archives vidéo indochinoises.
Ci-dessus les choses intéressantes commencent à 5:27 : un court instrumental (inédit), histoire de faire les derniers réglages en régie avant de démarrer "À l'assaut". Nous sommes le 18 juin 1988 sur l'Esplanade du Château de Vincennes, la "Fête des potes" de SOS Racisme, diffusée en direct sur TF1.
Qu'est-ce que c'était bien Indochine ! Qu'est-ce que ça groovait ! C'est beau, un groupe de rock ! Vous voulez comparer avec le Central Tour d'Mk2 (et son sample honteux de la guitare de Dominique) ?
Nicolas chante étrangement bien "Les Tzars", et plus étonnant encore : montre un certain sens du rythme et de la musicalité devant ses percussions. C'est une période de sa vie où la pratique assidue et l'exigence envers soi-même payaient. Nous sommes très loin du passage précédent pour la même association, Place de la Concorde en 1985.
Voilà une archive qu'il aurait été intéressant de sortir avec la version remasterisée de 7000 Danses il y a quelques années. Refus catégorique ? Honte ? Flemme ? Oubli ? Difficile à dire, mais les bonnes idées évidentes semblent toujours aussi compliquées à avoir pour nos amis. Heureusement que certains fans prennent le temps de partager leurs archives, plutôt que rester assis dessus comme des cerbères. Continuez !
Nous nous concentrons ici sur le phénomène français, et non sur
l'acceptation plus large et internationale du terme "alternatif" englobant le grunge, l'indie, etc.
Sur le Birthday Tour, 1992
À la fin des années 80, considérées par une grande partie du public et de la critique comme artificielles et synthétiques, Indochine n'avait pas encore tout à fait terminé de régler son problème d'affiliation à une certaine variété, alors qu'ils avaient toujours été artistiquement autonomes.
Si - comme nous en avons longuement parlé - il cultive depuis longtemps cet amour pour l'affiliation à des groupes anglo-saxons, Nicolas s'est toujours parallèlement attaché à souligner la singularité d'Indochine par rapport à ses
contemporains français, même lorsque lui-même n'avait quasiment que des références françaises.
"On sortait de tous ces groupes comme Téléphone ou Trust, qui faisaient du social, qui parlaient du métro, qui parlaient des salaires... Et nous on voulait tout, on voulait faire tout sauf ça quoi. On voulait parler de choses ridicules, d'une fille qui a un traîneau en Laponie, d'une petite chinoise qui lave des draps, enfin c'était ça qui m'intéressait à l'époque."
Une petite pique sur Téléphone, et un positionnement non seulement original mais cohérent avec la réalité de la proposition de l'époque. Le Péril Jaune
pourtant tant décrié, réussit superbement cette synthèse entre rock
banlieusard et sonorités asiatiques. Une sorte de photographie du 13e
arrondissement et du sud de la banlieue rouge, dans une bonne odeur de nems chauds.
Le Péril Jaune, 1983
Un exemple souvent utilisé
pour dire un peu tout et son contraire, fut "Dizzidence Politik" :
"Pourquoi les paroles ne sont-elles pas facilement abordables, de prime abord ? - Nicolas : C'est
la griffe Indochine. Quand nous avons débuté, il y avait Trust et
Téléphone qui délivraient un message social très clair. Nous avons
toujours voulu faire plus politique et plus symbolique. "Dizzidence
Politik" était très politique mais ce qui nous branchait surtout,
c'était de faire danser les gens sur un texte d'ambiguïté, à la fois
drôle et fort, plutôt que sur des revendications sociales militantistes."
Comme souvent évoqué, le rock en France ne put qu'assez rarement se prévaloir d'une lecture littéraire, dans un pays de livres et de films, et l'insouciance du début des années 80 fut rapidement balayée par une sorte de retour aux sources punks incarnée par le rock dit alternatif. Le milieu de la décennie vit apparaître parallèlement plusieurs phénomènes qui allaient bientôt être réunis sous cette bannière : entendre par là, une alternative au Top 50, aux majors, à une certaine variété à guitare et même au dit grand public... Un rock plutôt arty et velvetien avec Noir Désir et Kat Onoma, et un versant keupon issu des squats franciliens, et représenté par les intransigeants Bérurier Noir, Garçons Bouchers, ou encore la Mano Negra dans un esprit plus métissé.
"Nous ce qui nous intéresse c'est le rock alternatif, c'est le rock qui vient de la rue, c'est le rock qui vient des squats, c'est le rock qui bouge quoi. [...] J'ai jamais vu les gens de CBS ou de Virgin dans les squats, et puis le rock qui vient de cette mouvance là, il nous semble sincère, et puis il a la pêche quoi, et c'est ce qu'on défend nous. - On veut absolument pas être un produit, ça c'est hyper important."
Bérurier Noir, Ciel mon mardi, septembre 1989
Des groupes dont l'émergence fut surtout permise par un contexte
économique et culturel, plutôt que par de simples préférences musicales. La mode étant toujours faite de vagues, la fin des années 80 - décennie du fric et de l'apparence - fut celle d'un inévitable retour à une
certaine pureté dans le rock.
"Au
tournant des 90's, vous retrouvez une situation bouleversée par la
montée de nouveaux groupes à succès. Est-ce motivant pour vous ? Nicolas : C'est
très motivant. Lorsque nous avons reçu ce télex de l'AFP en 86 qui
annonçait que Best avait sacré Indochine n°1, on a commencé à avoir un
sacré lézard car ça ne nous intéressait pas du tout d'être les premiers.
Puis il y a eu toute cette période où l'on nous a fait comprendre
qu'avec les Mitsouko, Daho ou Niagara nous étions d'affreux commerciaux
corrompus par le showbiz. Il n'y avait que les purs, les durs, les
indépendants qui restaient clean. Résultat des courses, je crois que nous n'avons aucune leçon à recevoir de personne."
"Comment vous, vous vous classez dans, par exemple dans la scène alternative, qu'est-ce que vous en pensez de tout ce qui se passe aujourd'hui ? - Bah écoute, nous on s'est arrêté en 88, pour justement plus entendre parler de ce genre de problème parce que... Nous on avait vraiment l'impression de... On avait quitté tous l'école pour échapper à tout ce genre de classement, de critique, de 'peut mieux faire' etc... Et en fait on se retrouvait avec ce même genre de problème. C'est à dire, être catapulté groupe numéro 1, comme si t'étais premier de ta classe, et puis après y'en a d'autres qui arrivent qui te dépassent et tout, nous ça nous a toujours gonflé ça. Donc euh, par rapport à ça. Après le mouvement alternatif je trouve que c'est une des meilleures choses qui a pu se passer en France, sauf que à mon avis ils se sont pas mal trompés d'adversaire puisque... Bon déjà ils ont tous signé chez des majors, et en fait soit tu recrées un système dans un système, ce qu'ils ont fait, soit tu te sers du système en l'améliorant et en essayant de... D'être libre. Et nous c'est ce qu'on a toujours fait depuis le début, c'est à dire que dans notre maison de disques on a fait de A jusqu'à Z de la musique et tout ça. Donc on se sentait pas trop de ce côté là. Ceci dit c'est vrai que ça a permis de donner la parole à des groupes, dont les maisons de disques ne voulaient pas. Alors que nous on a eu la chance par rapport à eux, de faire un premier concert et que des maisons de disques étaient intéressées tout de suite. Donc de toute façon c'est une alternative intéressante."
"Pendant ce temps-là, on assistait à la montée des alternatifs, Noir Désir, La Mano... Les places devenaient chères."
Nicolas Sirchis à propos de la fin des années 80 in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Noir Désir - en première partie d'Indochine en 1988 - fut notamment superbement accueilli par le public, et Bertrand Cantat vite érigé en auteur rock, dans la lignée des Jacques Higelin et autres Hubert-Félix Thiéfaine. Ce contexte participa largement à réaffûter les contours du rock français, et les aussi populaires qu'audacieux Indochine durent immanquablement se placer sur cet échiquier rétréci et piégeux.
En 1988, Rock & Folk crut bon de chercher à régler la question "Indochine, sont-ils rock ?" en testant la "culture rock" des quatre garçons. Que ce soit l'occasion de le répéter : qu'un groupe ou artiste soit rock ou non n'a jamais été un gage de qualité, et n'a jamais induit une sincérité supérieure aux autres tendances musicales quelles qu'elles soient.
Il fut notamment demandé à Nicolas de donner son point de vue sur la chanson française :
"De pire en pire dans les charts, de mieux en mieux à côté. Tout le mouvement alternatif est intéressant, et Elli Medeiros, Pijon, les Ablettes, les Innocents, Noir Désir... Plus variété, mettons Souchon, Jonasz et Bécaud, toujours."
Nicolas Sirchis, Rock & Folk, mars 1988
Les musiciens du groupe ne semblaient faire qu'assez peu de cas des débats à propos du rock, qui occupaient plutôt le public et les médias, mais quelque chose coinçait.
"Le concept de rock français sonne faux, il est beaucoup plus important de parler de rock en France. On se fout pas mal de savoir si nous sommes rock ou pas. [...] Le rock est une appellation rythmique. Nous n'aimons pas les étiquettes."
Indochine in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988
Il est possible que l'arrivée du rock alternatif et la consécration d'un "vrai" rock français avec Noir Désir ait affaibli cette posture poptimiste qui correspondait bien à Indochine : le groupe constituait une synthèse pop très maligne de très nombreuses influences allant de la chanson française traditionnelle au punk le plus tranchant. Stéphane et Dominique étaient notamment de grands auditeurs des Clash et des Sex Pistols, mais la largeur de leurs influences et l'absence de complexe lié à la France empêcha heureusement Indochine Mk1 de ne proposer qu'un simple décalque britannique en VF.
Les Tzars, "une chanson sur l'abus de pouvoir, avec un titre comme un slogan" (Kissing my songs) :
"Je voulais remettre au goût du jour les symboles de mes quinze ans. Avec, en tête, le désir qu'Indochine soit le précurseur d'une sorte de revival gauchiste. Ce n'était pas une mauvaise idée. En tout cas, j'avais eu l’intuition que c'était le moment. D'ailleurs, ce qui s'est passé dans la musique m'a donné raison : les alternatifs sont rentrés dans la brèche..."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Certes. "Les Tzars" est pour nous un morceau renversant avec un texte très habile. Nicolas ne s'est jamais caché de préférer les slogans, visuels et la sonorité des mots au contenu politique réel ou l'agit prop des musiciens alternatifs ici évoqués. Il ne semble pas pour autant pertinent de considérer l'Indochine d'alors comme un précurseur de cette vague alternos qui allait mener à un autre sketch des Inconnus : Negra Bouch' Beat. Les groupes visés par cette autre fulgurance du trio humoriste étaient perçus médiatiquement à l'époque comme issus d'une toute autre lignée.
Malgré tout, le temps passant et la mode évoluant, il semble que le tir ait dû être quelque peu rectifié. Nicolas citait le mouvement alternatif et quelques contemporains
d'Indochine dont Noir Désir, mais il est surtout intéressant de
constater que ses références très franco-françaises étaient toujours
importantes pour lui en 1988. Là où les Cantat et Burger confiaient une américanophilie certaine, qui s'entendait dans leur musique.
Cela peut étonner les fans d'Indochine Mk2, mais 7000 Danses, en son temps, fut perçu comme un album "beaucoup plus rock" que les précédents. Le Septennat
montre que, malgré quelques postures désinvoltes sur la question, la question du "qui est rock et qui ne l'est pas"
collait aux basques du groupe, au point que Marc Thirion consacra un
chapitre entier ("Indorock") dans ce deuxième livre officiel.
"Nous
avons un côté agressif mais le rock n'est pas que cela, il est plus
élaboré, le but étant, de toute façon, sans doute le même : distraire.
Le rock pour lycéens laisse place au teenage-rock ; évolution des
mentalités, la révolte est bien plus subtile ! Les messages sont moins
bruts, moins crus. [...] Être rock c'est avant tout
ne pas faire de concessions. Il ne suffit pas pour cela d'avoir un
perfecto et une seringue. C'est croire en ton groupe et en fait un
combat perpétuel, être en état d'alerte permanent, ne jamais se dire que
c'est arrivé et ne pas se reposer sur ses lauriers."
Le Septennat
Soit. Mais il était plus simple encore de ne pas chercher à se justifier - ce que n'a toujours pas compris le chanteur d'Indochine. Il nous semble en revanche assez pertinent de mettre en parallèle l'arrêt des références "variété" et "chanson française" chez Nicolas avec la montée de ce mouvement alternatif et d'un
nouveau rock français, qui allait coïncider avec la parodie "Isabelle a les yeux bleus".
Cela semble avoir provoqué une grosse remise en question voire un gigantesque complexe chez Nicolas, qui allait dès lors préférer des références uniquement
anglo-saxonnes, forgeant petit à petit la posture "anglophile" que nous lui connaissons aujourd'hui.
Les premières velléités littéraires s'étaient manifestées chez Nicolas avec "Trois Nuits par Semaine" et l'album 7000 Danses, mais c'est surtout au moment du Baiser
que ces influences transparaissent le plus dans son
écriture. Il confiait à l'époque s'être enfermé avec une trentaine de
bouquins, après une rupture. Mais malgré la grande exigence que Nicolas montra avec lui-même, l'album de 1990 ne sembla pas tout à fait
coller aux exigences d'un dit rock littéraire. Le chanteur d'Indochine se montra extrêmement contrarié par Les Inconnus, lui qui avait trimé pour être au niveau.
"Moi, à un moment, j'ai vraiment eu très très peur, parce que je me suis dit 'putain, moi je me fais chier pour vraiment écrire des textes, à chaque album, et ça je ne sais pas si un jour on va vraiment s'en rendre compte.' J'emploie jamais le même mot, le même vocabulaire, d'un album à l'autre. Tu écris dix chansons pour un disque ? Je faisais hyper attention, ça me prenait la tête, de ne pas employer le même thème, choisir le même mot. Chaque chanson, c'est carrément un film, comme si je faisais dix scénarios. Et les mecs, pour une partie de la France, Indochine c'était 'Isabelle a les yeux bleus'..."
L'arrivée du rock alternatif, et l'apparente admiration de Nicolas pour Rodolphe Burger, réactiva aussi la question éludée par "Les Tzars" : fallait-il parler frontalement de politique ou simplement y faire allusion de loin ? Cela recoupe cette question récurrente dans la littérature et sa transposition dans le rock : les textes doivent-ils avoir un sens concret, ou se montrer plus symboliques avec les sonorités et couleurs, provoquant chez l'auditeur des émotions indicibles plutôt qu'une simple adhésion à un énoncé ?
"Y'avait
cette musique que [Stéphane] avait faite et qu'après j'ai écrite, qui
s'appelait 'Managua'... Sur le Nicaragua. Et puis lui après il analyse,
'ouais c'est bien, c'est par rapport à la révolution nicaraguayenne',
pff... Moi je m'en fous un peu, mais dans l'inconscient, peut-être que
ça lui fait plaisir."
Nicolas Sirchis à propos de "Alertez Managua", Comme deux frères, 1996
Cela
rejoint la problématique de "Dizzidence Politik" auparavant évoquée
: Nicolas a très souvent confondu le fait d'aborder un sujet, et celui
d'en utiliser le seul champ lexical. Mais employer des mots d'un certain
champ lexical ne signifie pas que l'on
écrit sur
le sujet en question ! Quoi qu'il en soit, Indochine
est connu pour l'aspect percutant de ses textes et son goût pour une
certaine imagerie propagandiste, que l'on retrouvera jusque dans le clip
de "Nos
Célébrations" en 2020.
Même
"Troisième Sexe", aujourd'hui considéré comme un titre engagé et
précurseur, perd toute
fonction idéologique lorsque l'on réécoute le Nicolas de
l'époque, centré sur les vêtements, les cheveux, et rejetant en bloc
toute lecture politique et même sexuelle : Indochine, c'est la jeunesse, l'esprit
d'aventure et rien d'autre, soyons nous-même et foutons-nous du
reste...! Mais passé 7000 danses, la crédibilité rock sembla de nouveau aller de pair avec un certain background et la pertinence d'un propos. Une difficulté majeure pour notre héros...
Au tout début des années 90, cette nouvelle tendance fut source d'emprunts ! L'apparition du très récurrent "Sayyy !" sembla suivre de très près l'apparition de cet interjection dans "Mala Vida" de la Mano Negra - reconnue d'ailleurs par Nicolas dans un blind test chez Ardisson.
Nicolas semblait essayer de réduire le fossé entre les alternatifs et lui...
"Quand
j'ai entendu le premier LP des Bérus, je me suis dit 'on n'a plus rien à
dire'. Quand tu lis 'Hors-la-loi' et 'L'Empereur Tomato Ketchup', on
retrouve les mêmes références, même si c'était de manière plus imagée
chez nous."
Quelles mêmes références ? Le fait que ce soit un film japonais ? En tout cas, "L'Empereur Tomato Ketchup" est sur le troisième album de Bérurier Noir, Abracadaboum, et non le premier.
C'est aussi à cette époque qu'apparut ce qui allait être considéré comme une sorte de logo tacite du groupe : l'étoile rouge, un fort signifiant gauchiste.
Le Birthday Album, 1991
Il est aussi possible de lire la volonté de Nicolas d'être guitariste et chanteur après avoir vu Noir Désir et Kat Onoma, les deux têtes d'affiche du "rock littéraire". Esthétiquement, sa guitare était la même que celles que Burger et Cantat arboraient, d'un certain esthétisme blues-rock, orienté vers cette légitimité historique, artistique et même genrée qui faisait partie du rockisme. Celui-là même contre lequel se positionnait Stéphane.
Nous l'avons dit dans l'article dédié à ce sujet : il est regrettable que Nicolas ait renié la bande dessinée au profit d'une posture de lettré, puisqu'il jeta avec l'eau du bain son lien le plus fort avec une culture alternative, celle-là même qu'il allait revendiquer de nouveau à partir de Dancetaria (et qui allait sévèrement lui manquer). Il choisit plutôt de capitaliser sur une image d'esthète à l'anglaise, à l'instar d'un David Bowie ou d'un Robert Smith. Et la bande dessinée serait exclue de ce champ culturel perçu comme plus légitime, fait d'auteurs rock et d'art total. En d'autres termes, exclure la contre-culture pour embrasser un mode de vie petit bourgeois et institutionnel. Et aujourd'hui, cette activité n'étant absolument pas naturelle chez lui, il est toujours aux fraises lorsqu'on lui demande de parler de ses lectures.
"Punishment Park, aux grands espaces mélancoliques venteux et à la nostalgie consumée. L'apport de l'harmonica a sans doute été inspiré par l'utilisation de cet instrument au sein de Noir Désir, dont la chanson 'Aux sombres héros de l’amer' a cartonné un an plus tôt."
Sébastien Bataille,Indochine de A à Z, 2003
Sébastien Bataille rapproche ici les deux chansons et leurs clips, et nous aurions bien du mal à le contredire. Il est même possible, de notre propre lecture, que Nicolas ait tablé sur une certaine ressemblance avec Bertrand Cantat, ainsi que la présence d'un harmonica à ses lèvres sur la pochette bucolique du single "Punishment Park" pour créer une parenté voire confusion : la chanson de marins avec l'harmonica...
Punishment Park, 1990
"La musique tient le coup, même si le mouvement alternatif s'est planté. J'aime bien Noir Désir, Kat Onoma, Louise Féron. Moi, dès qu'un mec est triste, genre il fait beau allons au cimetière, j'adore, c'est ma tasse de thé à moi. Le mec de Noir Désir, c'est comme ça, il parle d'une rivière, et dans la rivière il y a toujours du sang qui coule. Maintenant il ne faut pas non plus se prendre pour Rimbaud, on fait du rock, tout ça reste très scolaire, qu'ils lisent Mallarmé et ils comprendront."
Nicolas Sirchis, Rock & Folk, décembre 1991
Nicolas évoque ici "Charlie", qui ne parle pas d'une "rivière" à proprement parler :
Allez Charlie Tiens-toi droit C'que c'est beau Quand elle coule La rivière de sang chaud
Noir Désir, "Charlie", Du Ciment sous les Plaines, 1991
Comme souvent avec Nicolas, un texte mal compris et un blocage sur un mot isolé.
D'ailleurs, avait-il compris Mallarmé...? Une discussion qu'il aurait sûrement pu avoir avec Bertrand Cantat, grand lecteur du poète français. Quoi qu'il en soit, cette poussée d'exigence envers les chanteurs paroliers posait problème à Nicolas, plutôt partisan d'une écriture simple et directe : apparemment le rock devrait être ça.
À cette époque, il montrait toutefois des oreilles plus éveillées qu'aujourd'hui, et semblait intéressé par les qualités de Rodolphe Burger :
"Bah eux ils ont des références aussi très intéressantes, parce que c'est à la fois des références, entre guillemets du Velvet et caetera (ndr : ?), musicalement c'est quelque chose de costaud... Et puis euh... Et je trouve que dans les textes effectivement, j'avais lu une interview de ce chanteur, qui était prof de philo je crois ? Qui disait que le problème du rock français, ces dernières années et c'est vrai, c'était un peu l'infantilisme, c'est à dire le nez euh... le nez de clown et caetera, et toute la dérision, tandis que là, bon, y'a une poésie qui se dégage, un peu symboliste, que j'aime bien."
Il parle ici bien des Bérus, avec le nez de clown. Plusieurs voix s'étaient soulevées contre cette proposition pensée par ses protagonistes comme un retour à l'authenticité et la sincérité, et privilégié un côté satirique et boulevardier qui ne convenait pas à toutes les mentalités.
"Vous voyez vous n'y connaissez rien en musique, vous êtes d'une nullité incroyable, et vous croyez qu'avec votre mouvement subversif rock vous allez... [...] Je ne pense pas qu'avec leur révolution rock ils donneront à manger aux Polonais ou donneront la liberté aux étudiants chinois..."
Le génial et très autodidacte François Hadji Lazaro doit avoir apprécié. Quant aux musiciens très avancés de Noir Désir, ils se situaient sur la crête, entre le versant arty et le versant contestataire du rock alternatif - et cela peut participer à expliquer leur succès, bien supérieur aux autres groupes de cette tendance. Mais après avoir d'abord apprécié le groupe bordelais - en première partie d'Indochine sur le Tour 88, Nicolas s'en éloigna jusqu'à les rejeter.
En 1993, un an après "Tostaky (le continent)", nous eûmes droit avec "Bienvenue chez les nus" à un décalque un peu grossier de ce que Nicolas avait
observé chez les alternos : un refrain en espagnol. Censé être un hommage au Pérou, cinq
ans après le Coliseo Amauta de Lima, souvenir intensément pénible pour
lui.
Chose bien connue, Stéphane Sirchis, que ce soient ses choix vestimentaires ou ses activités politiques en dehors d'Indochine, servit à Nicolas de caution rock voire destroy, trash ou autres mots exotiques qu'il affectionne.
"Y'a eu des slogans très euh... très gauchistes, et peut-être que Nicolas s'en est inspiré un petit peu quoi, il m'a suivi, mais c'est... C'était plus des clins d’œil qu'autre chose quoi, on s'est jamais servi d'Indochine pour se donner un côté militant, le côté militant on l'a vécu... Enfin moi je l'ai vécu, en dehors d'Indochine."
Stéphane Sirchis, Comme deux frères, 1996
Stéphane Sirchis, 1994
Comme dit par ailleurs, Nicolas s'était noyé dans cette époque trop complexe. Ses ennemis passèrent de la variété française au rock français, en passant par les boys band et même le rap. Mais ses concurrents directs semblèrent rester en premier lieu les bordelais de Noir Désir.
"On
s'est dit qu'on allait demander l'asile politique en Belgique parce que
la France, c'était pourri, noyée sous le rap. Les groupes de rock
étaient balayés. C'était Noir Désir et personne d'autre."
Nicolas Sirchis à propos de Wax in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Hors-Série Rocksound n°9, juillet 1999 (avec Manu Chao en couverture)
Nous ne pouvons pas ne pas parler de l'interview croisée entre François Guillemot (alias Fanfan) de Bérurier Noir et Nicolas Sirchis en 1999 dans Rocksound, dans laquelle Nicolas essaye encore de réduire l'écart, notamment en passant par son analyse toute personnelle du public. Comme il le faisait alors avec Placebo :
"N : Je sais qu'il y a beaucoup de fans d'Indo qui étaient allés voir les Bérus..."
Et en tablant sur des origines banlieusardes et le militantisme de Stéphane.
"N : Mon frère était à la Ligue Communiste... F : Ben nous au contraire on était contre toute forme d'embrigadement."
Raté.
Nicolas et Stéphane, 1997
"Le groupe qui a un peu synthétisé les deux courants que vous représentez, c'est Noir Désir, non ? N : Moi, je ne suis pas d'accord. - F : Moi, je trouve ça assez pertinent. - N : Pour moi, Noir Désir c'est tout sauf sexuel ! À part la gueule du chanteur, enfin je veux dire, il est mignon."
Donc, le rock alternatif n'était pas assez sexuel. Dont acte.
Détail amusant, Fanfan est aujourd'hui ingénieur de recherche au CNRS, et spécialiste de l'histoire de la péninsule indochinoise.
À la fin de ces pénibles années 90, Nicolas lut dans l'arrivée de Placebo le retour d'un certain rock sexuel et pervers,
qui lui avait manqué pendant quasiment toute la décennie, et duquel
Indochine serait le seul représentant dans la francophonie. C'est vrai,
Nicolas se maquille... Une certaine manière de se réintégrer dans la
mode, et rejeter plus ouvertement ces groupes alternatifs trop balourds à
son goût. Ci-dessous, c'est bien contre cette tendance qu'il se dresse, sans éviter quelques contradictions :
"Pour moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut qu'il y ait de l'énergie, du sexe. Noir Désir c'est tout sauf ça, car Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas.
Et c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant,
j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens.
Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple,
retrouver chez Placebo."
Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000
"Il
y en a deux dont je vais m'occuper, ce sont Daisybox et Madinkà qui
sonnent très pop orientée wave-gothique (sic). Ils font partie de cette
relève qui a assimilé sans complexe les années 80-90. Ils aiment aussi
bien A-ha que Joy Division et font du rock moderne comme Placebo. Mais
surtout, qu'on arrête de matraquer Noir Désir !"
Nicolas Sirchis à propos de ses premières parties, Tribu Move, avril 2000
"Le nouveau label d'indo s'appelle Double T. Indochine rejoint tous les
groupes qui ont décidé de travailler avec des indés
comme suede, cure, oasis, blur, placebo etc."
Nicolas Sirchis, imaginet.fr/indochine (ancien site officiel), 1999
Cette posture indé
à l'anglaise (bien qu'il ne cite ici que des groupes distribués par des
majors) lui correspondit largement mieux que le discours des rockophiles parisiens. Cela lui permit de transformer la relative discrétion médiatique de Wax en une attitude d'indépendance, celle d'un agitateur dont la présence emmerderait une certaine intelligentsia comme les Inrocks. Toutefois, une posture alternative semble avoir mille manières de se
traduire chez le caméléon Nicolas Sirchis. Entre l'alternos du Birthday
Tour, le rocker en pantalon de cuir d'Un jour dans notre vie, le vilain petit canard anglophile de Wax, le moribond de Dancetaria, le gothique de Paradize ou encore le dandy d'Alice et June...
"Je suis du genre à passer mes vacances à Saint-Tropez, là je reviens de Belle-Ile, avant j'étais au Brésil, mais je ne fais pas comme Manu Chao qui claironne partout qu'il visite les favelas."
Dancetaria et surtout Paradize constituent sans aucun doute la revanche de Nicolas sur les Tostaky (1992) et surtout 666.667 Club (1996), qui auraient participé à éclipser "Indo" mais surtout à consacrer "Noir Dez" comme plus grand groupe français d'alors. Wax se
montra malheureusement accidentellement révélateur de l'égarement
complet du chanteur dans les différentes tendances des chaotiques années
90. Là où la bande à Cantat creusait aisément son sillon dans un monde post-grunge grâce à de solides influences transatlantiques (l'électricité du Gun Club et de Fugazi, la chanson de Brel et Ferré).
En été 2001, les deux gros tubes français orientés guitare furent"Le vent nous portera" de Noir Désir et "Me gustas tu" de Manu Chao, ancien chanteur de la Mano qui joue aussi sur le single des bordelais.
Et en 2002, comme chacun sait, ce fut l'été de la lune.
Nous avons écrit dans l'article sur ce sujet, que Paradize constituait l'album grunge dont Nicolas rêvait déjà à l'époque d'Un jour dans notre vie. Chose amusante et assez logique, l'époque de Paradize peut pourtant être résumée avec les mots de ce rock alternatif qui avait tant posé problème à Nicolas, et qu'il employa sans retenue : rock et sincérité. Il propose ainsi sur l'album de 2002, avec l'aide d'Olivier Gérard (et ses goûts tant racontés) son alternatif à lui. Pour lui, celui des 80's et 90's n'aurait été qu'une vaste fumisterie, fait de comportements opportunistes et calculés :
"Indochine s'est toujours tenu à l'écart des discours plus politisés, plus revendicatifs... Oui, dès le départ. On sortait du punk, de trucs engagés comme Trust ou Téléphone. On a voulu parler d'autres choses : de la sexualité, de la religion,... Puis je n'arriverais pas à dormir tranquillement en sachant que je gagne de l'argent en dénonçant un système auquel je participe.
À cet égard, tu es très dur avec un groupe comme Noir Désir. Je ne mets pas en doute leur sincérité, ni leur talent. Mais je trouve le discours maladroit, ou démagogique. Cracher sur Messier (Ndlr: patron de Vivendi-Universal qui distribue Noir Désir), c'est facile, comme être pote de Bové c'est génial. S'ils se sentent mal chez Universal, qu'ils s'en aillent. Ils en ont les moyens. Je suis aussi dans ce système, mais je l'assume. Même si cette industrie devient de plus en plus dure.
On a l'impression que, même après autant de temps et de succès, tu es toujours en guerre. Non pas en guerre, parce que ce n'est toujours que de la musique. Mais parfois j'ai un peu la haine. Quand tu vois des mecs comme l'ancien batteur de la Mano Negra fabriquer des trucs comme `Popstars´... Ce type-là il y a quelques années nous disait qu'Indochine était de la merde et que c'était un groupe commercial. On a aucune leçon à recevoir. Ni à donner."
Cette réplique d'un certain rock britannique, ambigu, androgyne et visuellement puissant, s'opposait donc frontalement à ces alternos hexagonaux auxquels Nicolas ne voulait en aucun cas être affilié. Paradize peut s'entendre non seulement comme une revanche sur tous ces buveurs de bière qui n'avaient même pas l'élégance de se pomponner avant de monter sur scène, mais aussi contre ceux qui n'avaient pas su se montrer cohérents avec les idées qu'ils prétendaient défendre.
Les prises de position de Nicolas contre des mercenaires comme Santiago Casariego étaient parfaitement audibles, et participèrent à le faire passer, en comparaison, pour un musicien intègre et distingué. Ce besoin de sincérité chez le public peut aussi participer à expliquer le succès de Paradize, et rejoint certaines analyses faites par Nicolas et plusieurs auteurs et journalistes à la même époque.
Lui n'a jamais franchement eu à parler de politique, puisque ses
postures vaguement sociétales et morales dans les années Mitterrand, et le fait de soutenir Touche pas à mon pote face au FN de Jean-Marie
suffirent amplement à donner l'impression qu'il était de gauche.
Malheureusement pour lui, le fait de rester éloigné des questions
politiques ne protège ni de la contradiction ni des pièges. Voir : 2002 - Paradize et le reste du blog.
Nicolas Sirchis, 2002
Nous avons beaucoup parlé sur le blog des groupes internationaux auxquels Nicolas essaie infatigablement de se faire affilier pour souligner la singularité de son groupe dans le paysage français.
"Indochine, nous étions sur les rives de la scène de Bercy, avec une scène bien sûr endiablée, enflammée, qui renvoie aussi, en résonance, au cœur des années 80, puisque vous avez incarné l'une des formations les plus emblématiques de cette période, alors justement, le fait que vos noms soient apposés à des groupes de légende tels que Téléphone, on pense bien sûr aux Rita Mitsouko ou encore à Mano Negra... est-ce qu'on pense à la postérité, est-ce qu'on se dit euh... - On pense à rien de tout ça euh... Tout ce que je sais c'est qu'apparemment le succès d'Indochine aujourd'hui n'a rien à voir avec... la nostalgie des années 80 ou des choses comme ça, je pense que... ce groupe répond à une demande, en tout cas en francophonie euh... qui fait qu'on est un des rares groupes à faire ce genre de musique, c'est à dire, nous on a rien inventé... Moi j'ai habité la Belgique, j'ai adoré tout de suite le rock anglo-saxon et euh... et euh... Et on fait qu'adapter ce genre de chose."
Que n'avait pas dit Amobé Mévégué ! Nicolas est ici vexé comme un pou d'être ramené à son ancien groupe, et que l'on ose faire le parallèle avec d'autres groupes français dont la Mano. Il est cependant dans le vrai en disant que le succès d'Indochine n'avait que peu à voir avec la nostalgie des années 80, puisque le jeune public rock de l'époque les avait pris pour un nouveau groupe et durent apprendre par la suite que oui, c'était eux qui avaient chanté Bob Morane...
Et oui, nous aussi avons tiqué sur la dernière phrase de Nicolas, d'une honnêteté désarmante.
"Noir
Désir n'a rien de sexuel. Il se trouve que leur album plaît maintenant
au président de l'Assemblée nationale, quoi... (Jean-Louis Debré, ndlr)
Attention : je ne remets absolument pas en cause la musique ! Ce que
j'ai moins aimé, c'est leur discours aux Victoires de la musique,
qui était très consensuel, très politiquement correct : attaquer
Jean-Marie Messier, c'est un peu peu facile, et en plus, c'est le
directeur de leur boîte, je trouve ça très moyen... Aston Villa, c'était
quand-même un peu plus rock'n roll. (...) Plutôt Saez que Noir Désir,
et je ne vais pas me faire d'amis."
Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les guides MusicBook, 2003
"Je
suis gêné que Manu Chao soit le pape de l'antimondialisation
aujourd'hui alors qu'il fait 100 millions de francs de chiffre
d'affaires."
Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les guides MusicBook, 2003
En juillet 2003, le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat disqualifiait définitivement Noir Désir.
Les années 2000 se dessinèrent donc autour d'un quasi-plébiscite public et une très grande consensualité médiatique pour le pop-rock dépolitisé, esthétique et très séduisant proposé par le nouveau groupe de Nicolas Sirchis, qui portait le même nom que le précédent.
En 2005, Nicolas chanta avec Didier Wampas (notamment connu pour avoir épinglé Manu Chao deux ans plus tôt), et fit les yeux doux à ce milieu alternatif vieillissant. Cet exercice de style sembla amuser tout le monde, et nous nous en réjouissons.
En 2017, "Un été français" prétendument sur la montée du Front National. Nous aurions pu être tentés de voir dans cette essai une résurgence du "Porcherie" des Bérus et de son slogan "la jeunesse emmerde le Front National", ou même du "Un Jour en France" de Noir Dez, pour la Génération Z qui n'a pas connu Jean-Marie... Mais dans les faits, il n'est question que d'un vague malaise, porté par un jeu de mots timide, au sein d'un morceau au pouvoir fédérateur très limité. Le signifiant gauchiste du mégaphone est présent dans le clip, même si nous nous questionnons toujours sur ce que revendique concrètement ce morceau, si ce n'est que le FN c'est mal et que l'orgasme c'est bien.
"Un été français", 2017
"Ce qui est intéressant dans le rock, c'est de taper un peu du poing sur la table."
Nicolas répond ici parfaitement à cette question : "dans l'rock", il faudrait privilégier l'attitude au discours. En d'autres termes, privilégier le mégaphone à ce que l'on crie dedans.
Nous avions pourtant lu Olivier Gérard épingler U2 en 2016 sur Facebook, comme quoi "C'est bon on le sait que Trump il est méchant...",
alors que ce dernier n'était pas encore élu et que Bono avertissait le
public américain d'une possible issue à cette élection qui allait
devenir réalité. D'ailleurs Nicolas ne manqua pas non plus l'occasion, après l'élection, de s'en prendre à ce nouvel ennemi évident et peu clivant en France, avec le consternant "Trump le monde".
Nicolas Sirchis a t-il subi à ce point la culture de son pays d'origine, au point de devoir sans cesse souligner sa spécificité ? A t-il souffert de ne pouvoir échapper à la proximité de musiciens issus de ce rock alternatif français qui lui posa tant problème, comme François Matuczenski (ex-Chihuahua) ou François Soulier (ex-Elephant System) ? Reproche t-il au rock français de manquer de sens esthétique, ou d'hygiène ?
François Matuczenski, Hanoï, juin 2006
Les paroles de Nicolas au naturel ressemblent plutôt à des analyses de droite :
"C'est comme les Français, tu sais, qui veulent toujours que ça change et puis quand ça change ça va pas !"
Parce que la contestation ça le gonfle, Nicolas. Sauf s'il est possible d'en extraire un esthétisme muet, ou être protégé par la distance culturelle et géographique. Comme dans le cas des grèves étudiantes au Québec en 2012 :
"Chris Marker avait écrit un film qui s'appelait Le fond de l'air est
rouge, qui était l'histoire de toutes les... de toute la gauche. De
tout l'historique révolutionnaire de la gauche depuis la Commune de
Paris... Je trouvais que c'était un beau titre. Il est mort l'été
dernier, et quand j'ai commencé à écrire cette chanson j'avais vraiment
en image les images de... J'avais plein d'amis ici qui m'appelaient en
me disant 'Mais tu sais ce qui se passe à Montréal, tu sais ce qui se
passe à Québec sur le mouvement étudiant'... Alors j'ai pas voulu
rentrer dans le détail pour, ou pas, si, oui la cause était juste, après
est-ce qu'elle s'est emportée sur d'autres dossiers, sans doute j'en
sais rien. Ce qui est sûr c'est qu'il y avait tout d'un coup une sorte
de... de mouvement, qui était proche de ce que nous on pouvait ressentir
aussi. Un mouvement euh... assez euh... assez fort. Avec une prise en
main, des prises de parole... Alors que généralement en Amérique du
Nord, on a plutôt l'impression que les gens vont sur un concert de rock,
sur un concert de rythm'n'blues, mangent des Mac Donald's, vont voir le
hockey, enfin j'veux dire y'a un peu moins de conscience politique. Y'a
des très bons groupes de rock, mais on a l'impression que... à part sur
l'écologie ou sur autre chose... Donc tout d'un coup il y a eu une levée
de... un mouvement de jeunes qui était assez intéressant pour nous."
Un Nicolas en roue libre qui ne mesure ni l'extrême vacuité de son
intervention, ni les insultes à tout un continent, l'Amérique du Nord, lancées à une journaliste
québécoise. Cela n'a jamais été un secret : Nicolas n'est pas à l'aise du tout avec la politique, et à la
réflexion ce sont surtout les images d'étudiantes déshabillées qu'il a
dû trouver assez fortes.
"Le fond de l'air est rouge" donc, titre emprunté au film du même nom, une chanson où il est
effectivement question de marches en bande, de drapeaux et de rouge... Et transformée sur scène en un moment fédérateur, tous poing levé contre les méchants. Mais quels méchants exactement ? Qui dans le public indochinois, était capable d'expliquer le déclenchement de ces manifestations au Québec ? De quoi parle ce morceau, et que devions-nous revendiquer ?
En 2019, Mathieu Rabaté participait à la tournée de reformation des Négresses Vertes.
À ce jour, la grande époque de l'alternos n'est racontée dans les versions officielles que via le prisme de la pop anglaise et du rock américain, alors qu'Indochine se situait dans un contexte culturel très franco-français. La revanche prise à l'époque de Paradize ne ciblait d'ailleurs strictement que des Français.
Il est vrai que l'adjectif alternatif ne veut plus dire grand chose. Il n'est plus trop aisé d'identifier à quoi l'alternative rock et l'indie pop, cartonnant mondialement, constituent une alternative ou une indépendance. En ce nouveau millénaire, les étiquettes musicales ne racontent plus une histoire et des contextes. Probablement du fait de la consommation numérique et de la disponibilité de toutes les musiques sur un même plan, mais également de la philosophie relativiste contemporaine qui prétend que tout se vaut et est interchangeable. Pourtant, malgré la négation des concepts permettant de décrire le réel avec ses contradictions et oppositions, ce dernier continue d'exister, et les fractures sociales, politiques et culturelles observées en 1990 n'ont pas disparu.
Pour Nicolas, comme pour une certaine classe sociale aux habitudes culturelles bien identifiables, l'art devrait être dépolitisé pour être vraiment de l'art. Un monde où l'important serait de produire un esthétisme ou simplement des œuvres, même vides. Où l'accomplissement passerait par le ressenti ou l'instinct, plutôt que par la raison ou la réflexion. Et encore moins l'analyse politique. En ce sens, "engagé" est souvent perçu comme un gros mot lorsqu'il apparaît dans le champ artistique et musical.
Cela a toujours fait partie du manifeste indochinois : s'évader du
quotidien, rester loin de la politique,
privilégier le rêve, l'évasion et le mythe du héros. Nicolas l'a répété : il ne veut "pas faire de social", mais parfois il s'y aventure, et cela devient extrêmement révélateur de son idéologie.
Nicolas confirma cette mentalité bourgeoise, en estimant récemment sur Europe 1 à propos de la colère des intermittents du spectacle - un emploi très précaire - sur la gestion du Covid-19, que "taper sur le pouvoir" n'était "pas constructif", et que lui ne se souciait pas "de son métier" et de son "petit problème personnel". Un discours produit par un homme à l'abri du besoin financier, non concerné par les problématiques de domination et d'asservissement. Curieux, de la part de quelqu'un qui avait évoqué les générations sacrifiées à l'époque des Météors (2009)...
Après avoir donné une appréciation très "foulard rouge" sur le mouvement des Gilets Jaunes, nous serions tout de même tentés de savoir, à l'approche d'un nouvel album, si ce mouvement l'a autant inspiré que les étudiants et surtout étudiantes québécoises au corps peint en rouge.
Récemment, François Bégaudeau évoquait avec ironie ce point de vue dans C à Vous : "Je pense que dans la répulsion que ressent la bourgeoisie actuellement par rapport aux Gilets Jaunes, il y a quand même beaucoup l'idée que : ils sont mauvais goût. C'est vrai qu'ils ont un peu des sales gueules, ils sont pas bien sapés quoi." Et se montre encore plus acerbe dans Histoire de ta bêtise (2019) :
"Tu es un bourgeois. Un bourgeois de gauche si tu y tiens. Sous les espèces de la structure, la nuance est négligeable. Tu peux être conjoncturellement de gauche, tu demeures structurellement bourgeois. Dans bourgeois de gauche, le nom prime sur son complément. Ta sollicitude à l'égard des classes populaires sera toujours seconde par rapport à ce foncier de méfiance. Dans bourgeois de gauche, gauche est une variable d'ajustement, une veste que tu endosses ou retournes selon les nécessités du moment, selon qu'on se trouve en février ou en juin 1848, selon le degré de dangerosité de la foule. Tu es de gauche si le prolo sait se tenir. Alors tu loues sa faculté d'endurer le sort - sa passivité. Tu appelles dignité sa résignation."
François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise, p. 35, Pauvert, 2019
Il y est aussi question d'ennemis évidents et peu clivants, à côté desquels il est très facile de se faire passer pour moral et/ou intègre. En d'autres termes, savoir se mettre en colère tout en restant compatible avec une interview chez Salamé ou Delahousse.
"Trump le monde", Paris, novembre 2018
Nous comprenons aisément pourquoi les thèmes de Nicolas sont toujours "un peu ça" ont toujours "un côté", "genre un petit peu et caetera", mais ne sont jamais concrets. Cet homme n'a rien à dire, ni à défendre à part lui-même. Finalement, ce que nous pourrions conclure à propos de cette histoire, c'est que tous n'ont pas les mêmes ennemis ni les mêmes intérêts. Les alternos ont essayé de faire quelque chose à l'époque, avec les outils, la culture et les moyens qui étaient les leurs. Il est tout à fait normal que ce mouvement alternatif n'ait pas trouvé son public au sein de toutes les classes sociales. Mais nous restons d'accord avec Nicolas sur le fond : le bien, c'est quand même mieux que le mal.
"Qu'est devenue la 'génération morale' que vous représentiez à l'époque des concerts de SOS racisme ?
- Avec Rita Mitsouko, Étienne Daho, Jean-Jacques Goldman et Indochine,
ce fut l'arrivée d'une génération qui jouait sans tricher ses chansons
et partageait les mêmes préoccupations mondialistes. (? ndlr)
Et maintenant ? - Bruel s'en charge bien. Il passe à 7/7, il a de la 'tchatche'. Médiatiquement, il a pris notre place en récoltant le fruit de ce que nous avons laissé."
Dominique et Stéphane interviewés par Charlie Levasson, avant leur concert au Palais des Sports de Dijon en février 1988.
Zéro bullshit sur douze minutes d'entretien. Nous ne devrions pas avoir besoin de préciser à quel point cela détonne avec les interviews d'aujourd'hui.
Une des légendes les plus tenaces à propos d'Indochine : ils seraient les "Cure français".
Crevons tout de suite un abcès. Oui, les deux groupes possèdent des points communs historiques : des débuts new wave, des guitares clean et percutantes avec des effets, un feeling traduisant le retour vers la concision musicale fifties / mid sixties. La parenté est audible sur certains titres :
Cela est trop rarement cité, mais n'occulte pas les personnalités déjà très distinctes des deux formations sur leurs premiers essais. Difficile de ne pas entendre ici une proximité avec les guitares de Dominique Nicolas. Celui-ci n'a pour autant jamais cité The Cure, leur préférant The Police ou Joe Jackson, mais partageant des influences communes dans l'effervescence de la new wave.
Dès 1980, les guitares new wave commençaient à être éclipsées par les nouvelles technologies et un enthousiasme futuriste. Rapidement, ce fut l'explosion clinquante de la new pop, des nouveaux romantiques et de la synth pop.
"La New Pop cherchait à tirer le meilleur de ce qui semblait inévitable : les synthés et les boites à rythmes, les clips, le retour du glamour."
Au pic de popularité des deux groupes dans la seconde partie des années 80, The Cure et Indochine partagent de plus un look de romantico-débraillé, comme de très nombreux groupes de l'époque.
Nicolas et Stéphane en 1986
Robert Smith, 1984
Cocteau Twins, 1985
Clan of Xymox, 1985
The Jesus & Mary Chain, 1985
Robert Smith, 1987
"Effectivement j'avais les mêmes cheveux que lui, mais c'était la
même mouvance, les mêmes influences... L'époque était comme ça..."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
Et il a raison. En pleine curemania, Nicolas n'a pu échapper à cette mode internationale qui a touché à la fois public et musiciens, de l'alternatif plus ou moins gothique jusqu'aux têtes d'affiches. On découvre d'ailleurs dans Indochine, la véritable histoire un épisode étonnant :
"Après leur concert aux arènes de Fréjus (1986, ndlr), The Cure aurait été abordé dans la rue par des fans d'Indochine prenant Robert Smith pour Nicola Sirkis ! Le Britannique, vexé, promet une vengeance bête et méchante."
Thomas Chaline, Indochine, la véritable histoire, City Edition, 2018
Il y a forcément une ou plusieurs inexactitudes ici, si ce n'est une part de légende urbaine. Robert Smith avait coupé ses cheveux assez court, ce qui réduisait considérablement ses chances, déjà maigres, d'être confondu avec Nicolas Sirchis.
Nicolas explique différemment le déclenchement de la guerre :
"On a eu une grosse galère avec lui. C'était en 86, on devait lui remettre un disque d'or, c'était son premier Bercy. Mais son management faisait la gueule, parce qu'on lui avait dit qu'en France, le rival de Cure c'était Indochine. Après, c'est devenu un leitmotiv, Indochine copie Cure."
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010
1986-87 est une période déterminante pour l'idée très tenace, selon laquelle Indochine ne fut et reste qu'un décalque français du groupe de Crawley. Le fait qu'Indochine ait choisi d'enregistrer à Miraval dans le sud de la France, là où The Cure avait enregistré Kiss me kiss me kiss me sorti en mai 1987, fut abondamment remarqué et commenté. Smith lui-même assène un coup redoutable à Indochine dans l'émission Les Enfants du Rock, et y explique leur choix d'avoir joué en robes, lors de l'émission Champs-Elysées en 1986 :
"In France, we've touched something in the french mentality, probably because we're very distastefully drunk and flippant, a lot of the time. [...] something I think and it's, uhm, to french people... Maybe because the indigenous music and the homegrown entertainement in France is fucking awful. It's no more awful than anywhere else, but it is ...awful."
"Well, that was just to take the piss out of, uhm... Indochine more than anything else. Because we thought they were trying to look like us, so we wondered if they would be tempted to wear dresses, to see them destroy their own career before they'd even start it."
Fort heureusement, Indochine ne donna pas raison à Robert Smith sur les robes. Nicolas ne tenta la robe que beaucoup plus tard, sous l'influence de Billy Corgan.
On découvre en revanche le film élégant de "La Bûddha Affaire" (1987) avec une caméra qui se balance au milieu des musiciens...! Une idée directement empruntée au clip de "In between days" (1985), avec un réalisateur qui ne pouvait pas ignorer ce qu'il faisait.
Au début des années 90, les "Tutututududututu" des Années Bazar peuvent faire sourire. Le temps passant, Nicolas citera plutôt la britpop, alors que The Cure est relégué au rang de groupe de vieux.
Scan de Platine, octobre 1996
"La presse reçoit comment ce nouvel album, j'imagine que... - Je sais pas moi j'regarde pas... - Parce que vous avez pris des coups dans la tête. - .Ah oui oui, sérieusement. - Genre les Cure français, ou j'sais pas quoi... - Boh c'est pas... c'est pas méchant les Cure français... À part que j'ai jamais compris pourquoi. - Bah vous vous appelez Indochine, vous êtes pas les Cure. Les 'Cure' ! - 'Les Cure' ! Puis j'sais pas, on est pas très, très gros nous non plus... - Beh dis donc. - Que Robert. - Ah Robert est un garçon costaud, il se porte bien comme moi. - Mais le problème en France c'est que les médias ont toujours voulu te donner des images, des étiquettes, à tout ce qui était français quoi. Donc forcément quand tu représentes un courant, enfin soit-disant parce que c'était... Y paraît qu'on était un courant. Hop on était les Cure, ou les Depeche Mode français, ou un truc comme ça quoi. Alors que nous on était que des pauvres indochinois, hop hop (il mime une guitare imaginaire)... Et il se trouve que, comme ça cartonnait, voilà quoi. - Bon puis la réponse elle est là, c'est que vous êtes encore là quinze ans plus tard et... - Cure aussi hein, Cure aussi ! - Oui j'allais le d... Oui mais enfin bon c'est pas de la même manière. - Non non pas de la même manière non."
Stéphane Sirchis interviewé par Christian David, MCM, 1996
Nicolas voit The Cure pour la première fois à Lyon en 1998. Un concert tellement catastrophique qu'il en est devenu légendaire !
"En 1998, pour la première fois de ma vie, j'ai été voir Cure en concert, aux Nuits de Fourvière. Avec Robert Smith, on était dans le même hôtel, on s'est croisé au bar."
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010
L'affligeant Jeremy Wulc apporte un complément à cet épisode :
"Je le reconnais tout de suite et je suis étonné de le voir là : Nicola Sirkis est devant moi, mais le plus surprenant, c'est qu'il est dans le même hôtel que The Cure. Nous discutons ensemble, et j'apprends que c'est la première fois qu'il verra le groupe sur scène ce soir, et il espère ne pas être déçu. [...] Quand je dis à Robert qu'il y a le chanteur d'Indochine dans l'hôtel, il me fait une grimace. Je lui demande s'il connaît ce groupe, il me fait oui de la tête et commence une danse ridicule en chantant, puis il me dit 'Yeah, Indochine !' Je ne sais pas s'il est sérieux, et quand je lui demande, il met un doigt dans sa bouche pour montrer son dégoût comme s'il allait vomir."
Jeremy Wulc, My Dream Comes True, Camion Blanc, 2009
"Entre Indochine et The Cure, il y a eu une guerre qui n'était pas de notre fait. En 1985, Cure et Indochine avaient le même public. Pour leur premier Bercy, cette année-là, on devait leur remettre leur 1er disque d'or. Mais une journaliste française a dit au manager du groupe qu'on copiait The Cure et lui volait son public. Je connais l'histoire par des gens de leur maison de disques passées ensuite dans la mienne. Les Anglais ont un système très impérialiste. Ils détiennent 90% du marché rock et un groupe français qui fonctionne, ça les défrise. Qu'Indochine ait le même public signifie des ventes en moins. Et tout d'un coup, il a fallu casser Indochine. Moi je n'ai pas du tout le sentiment d'avoir copié The Cure. Je me maquillais avant Robert Smith et notre musique n'a rien à voir. J'ai ma conscience pour moi.
La première fois que j'ai vu Cure sur scène, c'était en 1998. Je les ai trouvés ivres morts dans les coulisses et la hache de guerre a été enterrée. 'Oui c'est une vieille histoire', disait Smith."
Sur MCM en 1999, lors d'une émission spéciale Indochine, Nicolas dira qu'il a vu The Cure et qu'ils ont de belles guitares... En effet, Robert Smith arborait une Gretsch rutilante :
Robert Smith, Arènes de Fourvière, Lyon, 1998
Ce qui explique l'arrivée d'une Gretsch rouge dans l'arsenal de notre héros. Il s'agit ici de l'époque où The Cure est le plus régulièrement présent dans l'esprit de Nicolas et dans ses interviews. Pilot relate d'ailleurs ses desiderata au moment de réaliser Dancetaria en 1999 :
"Nicola voulait faire un album hypnotique, à la Cure, moi je rêvais de quelque chose de plus extrême."
Jean-Pierre Pilot in Le roman-vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005
"Hypnotique" était alors un des mots les plus utilisés par le chanteur, souvent mis en relation avec les mots-clé "gothique", "new wave" et "The Cure". Nicolas était d'ailleurs présent aux deux concerts du Dream Tour au Zénith de Paris en 2000.
"Aimes-tu le dernier album des Cure (Bloodflowers, ndlr) et les as-tu vus cette année ?
Je les ai vus deux fois au Zénith, j'aime énormément Maybe Sunday (sic), mais j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, par contre les concerts étaient magnifiques !!!"
Maybe Someday donc, le premier single de l'album en question. Nous avions aussi fait remarquer dans un article précédent une parenté assez forte entre un t-shirt de cette époque, et un logo bien connu.
Nicolas reste obnubilé par les groupes à qui Indochine pourrait être assimilé, ainsi en 2001 il déplorait une analogie désavantageuse :
"L'image du groupe a été un moment complètement aseptisée, une partie de la presse rock nous a associés plus à Duran Duran qu'à Cure. C'est le public qui a fait la différence, comme toujours."
C'est en 2002 qu'Indochine (Mk2, donc) arrive à composer un morceau à la Cure. "Dark", made in Oli de Sat, rend un hommage appuyé à un groupe qui devait alors arriver à sa fin, tout comme Indochine, souvenez-vous. Les habitués du groupe de Crawley reconnaîtront la dédicace en fin de morceau.
Quelle influence Marylin Manson a t il sur tes compositions ? Le groupe va t il continuer dans ce sens là ?
Je ne pense pas à Marilyn Manson ou à Nine Inch Nails quand je compose... Ce sont devenus des influences qui transpirent dans mes réalisations.. et c'est pourquoi Nicola était intéressé de travailler avec moi. Je ne pense pas que Paradize ressemble à du Marilyn Manson !! C'est comme faire le rapprochement entre Cure et Indochine !! A croire que les gens n'ont jamais écouté Cure pour se rendre compte de l'ineptie !
Sur le même album, les "Tudutu tutudutu tutu" font leur retour dans Popstitute. Mais quelques années plus tard, en plein Alice & June Tour, Olivier relativise son allégeance :
Que penses-tu de l’œuvre des Cure ?
"Tout l'inverse d'Indochine. Ils sont restés Cure sans évoluer, sans s'entourer d'autres personnes... Smith est bien seul et les derniers albums sont pauvres et ennuyeux. Je regrette la période Kiss me ou The Top, des albums qui avaient un regard extérieur... Désormais, Cure c'est de la pop à guitare sèche, ça m'ennuie.
J'ai vu Cure au Paléo Festival il y a quelques temps...
J'ai assisté à leur mort... Tous les arrangements étaient les mêmes que Cure Show (un concert magnifique)... sauf que c'était plus de 10 ans après...
dommage..."
Si vous aimez la musique, vous devez savoir que ce sont rarement les fans qui disent les choses les plus intelligentes. Si vous êtes curiste, vous avez dû tomber de votre siège. Olivier parle ici du concert de The Cure au Paléo Festival en 2002, très différent de Show(1993). une soirée partagée avec... Indochine Mk2, qui est passé juste avant !
Boris Jardel y aurait prononcé les mots suivants :
"Il n'y a pas eu de rencontre, on s'est juste écarté pour laisser passer le gros Robert. Fuck The Cure.''
La Tribune de Genève, 2002
Qu'Olivier s'ennuie c'est une chose, mais considérer les albums tardifs de The Cure (ndlr : nous sommes encore en 2006...) comme pauvres dénonce une écoute en dilettante ou des problèmes d'audition . Si chaque album reste critiquable, il faut être de mauvaise foi pour prétendre que le groupe a cessé d'évoluer, surtout que ce qu'il dit en substance c'est qu'il n'a pas aimé leur évolution.
The Cure, 2006
En 2001, The Cure avait sorti un Greatest hits contenant des versions acoustiques de leurs plus gros tubes. Est-ce ce qui perturba ce fan de gros son ? Et qu'avait-il pu penser de Nuits Intimes dont il réalise la pochette ? Ou est-ce "Taking off" qui lui déplut à ce point ?
Nous vous laissons juges sur la pertinence de considérer The Cured'alors comme de la pop à guitare sèche, eux qui venaient de faire une grande tournée de festivals en tout électrique, documentée sur le DVD Festival 2005. Mais si Olivier Gérard est resté le même, comment doit-il considérer l'Indochine d'aujourd'hui ? Que penserait-il, s'il était resté de ce côté de la barrière ?
Si le très homogène Bloodflowers (2000) peut donner l'impression d'un album solo, The Cure (2004) montre des compositions plus partagées et aventureuses. Le regard extérieur de Ross Robinson y est déterminant, et la patte de chaque musicien est audible dans la composition et le jeu. Par ailleurs The Top (1984), qu'il cite en exemple d'un Smith entouré, est souvent considéré comme un album solo, où ce dernier a presque tout composé et joué lui-même.
"There are a couple of songs that I contributed to and am credited for, but for the most part it was Robert's album."
Laurence Tolhurst, Cured, Quercus, 2016
C'est assez ironique, Olivier étant au service d'une entreprise musicale dont le final cut est détenu par un seul homme. Si ses aptitudes musicales et sa proximité avec Nicolas lui donnent un espace d'expression privilégié, les désaccords sont toujours arbitrés par ce dernier. Nous vous renvoyons au reste du blog si vous souhaitez des exemples quant aux choix d'un Nicolas bien seul qui ne tolère plus aucune résistance. Nous ne nous attarderons pas sur les derniers Indochine Mk2, à savoir des instrumentations aléatoires qui auraient pu être jouées par n'importe qui, les morceaux joués de la même manière qu'il y a plus de dix ans et tous ces moments où nous avons cru avoir assisté à la mort d'Indochine.
Il est toutefois plus diplomatique (pour ne pas dire calculateur) face aux lecteurs d'Elegy, un magazine plus "pointu" et goth-friendly :
scan d'Elegy, février 2008
En 2013, comme un retournement de veste ou une petite crise de vieux fan, Olivier s'est carrément payé une UltraCure (la guitare signature de Robert Smith depuis 2004). Ce choix est compréhensible de la part d'un fan de longue date, comme Boris Jardel avait pu craquer pour une signature Noel Gallagher (les références, toujours les références). Mais amener cette guitare sur scène pour accompagner Nicolas Sirchis était tout de même étrange, lui qui a longtemps souffert du rapprochement des deux groupes. Il est même étonnant qu'il l'ait autorisé, et nous serions curieux de savoir si cela a fait l'objet d'une discussion.
Au cours du Paradize Tour, Indochine Mk2 avait justement tenté une reprise de "Just like heaven" (Non plus "de la pop à guitare sèche" pour notre spécialiste, mais "LA pop song sucrée de tous les temps"), accompagné de Mickaël Furnon. Sans surprise, Nicolas est approximatif, part au mauvais moment, chante en yaourt et connaît assurément mal ce morceau pourtant mythique. Il donne ici l'impression de restituer au micro, devant des milliers de personnes, son souvenir brumeux d'un morceau entendu jadis à la radio.
"As-tu l'impression d'avoir trouvé une formation stable pour Indochine, ou est-ce que c'est impossible ? Je l'espère, malheureusement la vie m'a montré que c'est difficile. Ceci dit, elle me satisfait à 90%. Je pense qu'on est au point où était Robert Smith en 86 avec The Head on the Door, où je joue avec un groupe avec qui tout se passe bien, et j'aimerais que ça dure longtemps. C'est une formation qui peut générer une évolution artistique."
Nicolas Sirchis, J'kiff tro, avril 2004
"Tout se passe bien", entendre "je décide et ils la ferment". Et chose très amusante : Nicolas parle de The Cure Mk2 !
The Cure, "Shake dog shake", Nyon, 1985
"This was Mark 2 of The Cure. This version was more expansive and less stripped down than the previous iteration, the Pornography Cure, as it were. I think that in order to break away from what we had been, it was necessary for us, and Robert in particular, to do something quite different."
Lol Tolhurst à propos du Cure post-1982, Cured, Quercus, 2016
Nicolas évoque également sa rencontre avec Perry Bamonte au Paléo Festival, proposant une petite pirouette pour crédibiliser sa place de dirigeant d'Indochine, qui serait comparable avec celle de Smith dans The Cure.
Si l'on peut effectivement rapprocher les deux pour exercer une qualité de leader ou d'icône, le vrai rôle de Nicolas Sirchis au sein d'Indochine n'est pas comparable à celui de Robert Smith. Comme dit par ailleurs, Nicolas fut - et reste - le principal problème et défaut d'un groupe permis et mené par d'autres musiciens que lui, bien qu'il s'en soit proclamé président. The Cure est le projet quasi-solo de Robert Smith, dont les paroles, compositions et jeu de guitare singulier en font le pilier central incontestable, et ce depuis les débuts du groupe. Un certain nombre de musiciens se sont succédé autour de lui, chacun apportant une patte reconnaissable et audible sur les albums.
The Cure, "Where the birds always sing", Hambourg, 2002
"Fin 2003, j'aurai plus de 43 ans. Après un tel parcours, ce sera peut-être le moment de dire stop. Je ne peux rien garantir. Je n'ai pas cette coquetterie à la Robert Smith qui annonce la fin de Cure à chaque fois."
Est-ce que Nicolas plaisante, ou faut-il ressortir toutes ses citations sur la fin d'Indochine depuis les années 90, et depuis de plus en plus récurrentes ?
"Une chanson ne peut pas être que juste des notes, un
texte et un disque, il faut aussi un clip, un entourage... Oui, j'ai
toujours été intéressé par ça. C'est peut-être la raison pour laquelle
il y a plus de profondeur dans Indochine. Sans être présomptueux, Robert
Smith est comme ça ; dans chaque groupe, il y a un mec comme ça."
Nous avons suffisamment évoqué la trop grande propension de Nicolas à pointer les ressemblances - réelles, supposées ou inventées - avec d'autres groupes autoritaires, ou évoquer des correspondances avec un certain rock en général pour crédibiliser ses interventions, plutôt que de montrer de l'exigence avec lui-même, ses textes et sa musique.
En 2005, Un homme dans la bouche rappelle directement A man inside my mouth. Une similitude remarquée par certains curistes à l'époque, mais nous avons du mal à croire que Nicolas connaisse cette face B, lui qui ne cite jamais autre chose que des singles à succès.
"Le titre est joliment scandaleux. Et on se dit que la pop sucrée des débuts est bien loin. C'est vrai, d'ailleurs, pour la première fois Oli a fait une remarque parce qu'il trouvait le titre trop choquant. Eh bien moi, je trouvais ça vachement bien !"
Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
La musique de l'Indochine des débuts n'est pas simplement de la pop sucrée (ici employée dans un sens dédaigneux), elle est au contraire bien plus originale et audacieuse que tous les Alice & June du monde, et bien plus riche en vocabulaire musical et verbal.
Pour en revenir à 2005, Olivier, lui, avait certainement vu la parenté avec le titre de The Cure, et on imagine mal ce mansonien convaincu être choqué par un tel titre. De fait, il est très plausible que ce soit ça la remarque qu'il a osé faire à Nicolas, qui n'en a pas tenu compte. Soit dit en passant, le titre n'a comme toujours aucun rapport avec le texte, alors que Smith sait ce qu'il écrit, lui.
Dans les années qui ont suivi, Robert Smith s'est montré plus diplomatique :
"Je les connais depuis très longtemps. Je me souviens de leurs premiers
singles au début des années 80. Je ne les aimais pas, je devais
certainement me sentir en concurrence avec eux. Quand on débute dans un
groupe, c'est une lutte de faire entendre sa musique, et c'est par
conséquent assez difficile d'aimer d'autres groupes qui font un peu la
même chose que soi parce qu'on les perçoit comme des concurrents et non
comme des amis. Plus tard, j'ai fait leur connaissance. Je n'ai jamais
été un fan d'Indochine, mais le fait qu'ils continuent à faire ce qu'ils
font est très bien, j'admire n'importe qui capable de faire cela."
Robert Smith, Rock & folk, février 2005
Mais Nicolas est toujours agacé par le rapprochement :
Passer d’une influence Robert Smith à Marilyn Manson c’est un peu opportuniste...
"Alors déjà, on n'a jamais été influencé musicalement par Robert Smith... Quand on écoute Troisième Sexe et Boys don’t cry,
ça n’a rien à voir. La ressemblance entre Indochine et The Cure vient
du fait qu’on a démarré en même temps, qu’on a eu le même public et les
mêmes influences. Mais tu ne peux pas nous comparer, c’est une insulte
pour les fans de The Cure, même si ça n’en est pas une pour les fans
d’Indochine, parce qu’ils sont un peu plus tolérants."
Comment ça s'appelait à l'époque, dans les années 80, c'était quoi, c'était la new wave ?
C'était... au départ la new wave, absolument, après ça a un peu tilté sur le gothisme (sic)... Mais bon, sans être, on était pas un groupe gothique, les gens, parce qu'on s'habillait en noir, le rock, de toute façon, c'est noir.
Y'avait The Cure et vous... Nan, alors, ça c'est très français ! Parce que au... Quand on cartonnait au Québec on était les U2 français. Et en Suède on était les Depeche Mode français. [...] Et, et, et en France on était les Cure français. C'est vrai qu'il y avait... Moi je m'étais même maquillé euh... En fait la première fois que je me suis maquillé, parce que c'était ça qui a aussi fait le, le... Pas le paradoxe, mais la filiation entre nous et les Cure c'est... Moi je me suis maquillé en 84... 82, pour le premier concert... Au Rose Bonbon, c'était du khôl et du rouge à lèvres. Et euh, et après, chacun a des univers parallèles, c'est ça qui est intéressant. Là ça y est, la guerre est enterrée depuis longtemps avec Robert Smith."
Nicolas Sirchis interviewé par Nikos Aliagas, Europe 1, 2017
Quand Nicolas explique le rapprochement des deux groupes pour une question de look, c'est souvent aussi pour souligner que :
"J'étais même coiffé et maquillé comme ça avant Robert Smith."
Nicolas Sirchis, Rolling Stone, hors-série spécial Indochine, 2010
Nous sommes intéressés par la musique et le propos, et les histoires de look ne nous intéressent qu'assez peu. Mais une fois pour toutes, c'est faux. Les photos du Rose Bonbon - où Indochine a joué plusieurs fois en 81 et 82 - attestent qu'aucun membre du groupe n'est maquillé. Nicolas est plus honnête à ce sujet dans Insolence Rock :
"Nous, sur scène, on avait une attitude très rebelle, avec un look un peu 'pirate', des longs foulards, etc."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
"Quand
Cure est arrivé en France, tout le monde a dit qu'ils avaient tout
inventé, mais personne n'a rien inventé du tout. Moi je me maquillais
parce que j'aimais bien David Bowie."
Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les Guides MusicBook, 2003
Il est amusant d'entendre dans la conversation avec Nikos Aliagas que Nicolas hésite sur la bonne année, qui est 1983. Smith s'est maquillé dès 1981, sur l'influence - assumée - de Siouxsie Sioux pour qui il avait joué de la guitare. Mais au sortir des années 70, du glam et du rock progressif, le maquillage et les cheveux hirsutes était devenus très communs pour un groupe de rock, presque obligatoires. Même Johnny Hallyday s'est maquillé avant Nicolas, sans parler de Patrick Juvet ou encore Au Bonheur des Dames.
Il serait pourtant si simple de dire que, musicalement et textuellement, au delà d'un certain look, les deux groupes n'ont que très peu en commun. La comparaison de Nicolas entre "Boys don't cry" et "Troisième sexe" n'est pas pertinente, puisque les morceaux datent respectivement de 1979 et 1985. À cette époque de la musique, il n'est pas exagéré de dire que plusieurs générations séparent ces deux morceaux. Malheureusement son domaine de prédilection reste l'apparence, et cela est regrettable pour quelqu'un qui se prétend musicien.
Robert Smith & Siouxsie Sioux, 1983
Mötley Crüe, 1985
De nos jours, l'album 13 montre une tentative de participer à l'engouement rétro et synthwave basé sur une nostalgie romantique des années 80, et de capitaliser sur une image de pionnier d'une certaine pop à la française qui inclurait par exemple Lescop, La Femme ou encore Grand Blanc, des gens très proches de leurs références. Mais Nicolas n'a fondamentalement pas compris ce qui fit l'originalité et la musique même de son ex-groupe.
La comparaison Indochine / The Cure n'est pas appropriée, et devient franchement stupide quand il s'agit d'Indochine Mk2. De plus, leur synchronicité de carrière est relative : Nicolas chantait encore "file moi ton fric, gosse de riche" dans les Espions, lorsque le groupe de Robert Smith avait déjà fait son trou depuis un moment parmi les musiques de l'après-punk.
Nicolas semble plus qu'irrité par la comparaison récurrente avec The Cure, mais n'est-ce que pour les raisons évoquées plus haut ? Ou simplement parce qu'il n'a fait que subir un rapprochement qu'il aurait préféré gérer lui-même ? Comme toutes les communications basées sur la ressemblance et la référence qu'il fera, par la suite en solo, pour être perçu comme le Brett Anderson français, puis le Brian Molko français, le Dave Gahan français ou encore le Marilyn Manson français.
Peut-être qu'il serait temps, pour lui comme pour le public et les médias, de cesser d'évaluer la crédibilité des groupes français par analogie avec d'illustres anglo-saxons. La pertinence et la qualité ne se diffusent pas par rayonnement ou captation de codes visuels.
"On a envie de nouvelles choses, de nouvelles histoires. On pourrait se
contenter de faire des concerts comme beaucoup de groupes des années
1980. Quand les fans viennent voir Depeche Mode, Cure, ils se foutent des
nouveaux morceaux. Nous, c'est le contraire. On est le seul groupe de
cette époque qui régénère son public."