1990 - Isabelle a les yeux bleus

Revenons sur un événement officiellement désigné comme coupable de la baisse de popularité d'Indochine dans les années 90. Une parodie diffusée dans La Télé des Inconnus le 19 mars 1990.


Les sketches des Inconnus n'ont jamais visé qu'une personne, mais ont toujours englobé des tendances culturelles ou courants musicaux plus larges que les simples individus. Ici c'est cette french wave, mi-variété mi-synthpop qui est ciblée, et le potentiel comique de ses codes est poussé jusqu'au ridicule. C'est la définition d'une parodie.


Évidemment, pour nourrir l'écriture du pastiche, les trois auteurs ont regardé vers les deux têtes d'affiche de ce sous-genre de la pop : Partenaire Particulier (pour la musique, les paroles, la danse et la biographie) et Indochine (pour le look et l'attitude en interview).

Pour les irréductibles qui pensent que seul Indochine fut visé, voici l'autre groupe impliqué :


"Vous êtes vous senti directement visés par la parodie des Inconnus intitulée "Isabelle a les yeux bleus" ? Quelle a été votre réaction lorsque vous l'avez découverte ? 
J'ai d'abord entendu parler de ce sketch par des amis qui prétendaient que les Inconnus nous imitaient ! Je n'y croyais pas vraiment, à vrai dire. Quand je les ai vus chanter "Isabelle a les yeux bleus", j'ai tout de suite pensé qu'il ne s'agissait pas de Partenaire Particulier, mais d'Indochine. Les cheveux, la façon de danser... je ne me reconnaissais pas là-dedans. La deuxième partie du sketch, en revanche, c'est-à-dire la fausse interview, m'a laissé plus perplexe. Ça nous ressemblait vraiment. Le côté étudiant assez gamin et piètre musicien tapait dans le mille !

Quelques mois plus tard, j'ai vu une émission dans laquelle l'animateur demandait aux inconnus qui ils avaient effectivement voulu imiter. Leur réponse fut sans appel ! C'était Partenaire Particulier, mais ils n'avaient pas trouvé de perruques de « minets » — je cite... — ce qui expliquait que ça ressemblait plutôt à Indochine. Le reste du commentaire était d'ailleurs assez dur envers nous... mais peu importe, je suis assez fier d'avoir été parodié par eux.

Il y a quelques années, mon ex-partenaire, Pierre, a rencontré Didier Bourdon dans un hôtel et lui a posé la question. Sa réponse fût quelque peu différente : le sketch visait à la fois PP et Indochine !"
Eric Fettweis, 2010, eighties.fr

"Je me souviens d'un concert à Lille où un journaliste lèche-cul nous a massacrés, et c'était plutôt un bon concert. Ça m'a fait plus mal que les Inconnus, qui eux sont plutôt drôles."
Dominique Nicolas, Rock & folk, décembre 1991

"Au départ, tu connais l'histoire : il y a eu ce grand malentendu, les Inconnus imitant Partenaire Particulier, et les gens - ils avaient raison - ont pensé à Indochine. Au début j'avais jamais vu le truc, et on faisait que m'en parler, et lorsque je l'ai vu je me suis dit 'Attends, c'est nous, ils ont vu juste'. Moi, à un moment, j'ai vraiment eu très, très peur, parce que je me suis dit 'Putain, moi je me fais chier pour vraiment écrire des textes, à chaque album, et ça, je sais pas si un jour on va s'en rendre compte'. J'emploie jamais le même mot, le même vocabulaire, d'un album à l'autre. Tu écris dix chansons pour un disque ? Je faisais hyper-attention, ça me prenait la tête, de ne pas employer le même thème, choisir le même mot. Chaque chanson, c'est carrément un film, comme si je faisais dix scénarios. Et les mecs, pour une partie de la France, Indochine c'était 'Isabelle a les yeux bleus'... Moi j'ai jamais écrit une chanson comme ça, et quand j'écoute 'Les Yeux Noirs', je suis fier d'avoir pondu cette chanson.  C'est pas de la poésie, parce qu'il faut pas voler plus haut que son cul, mais je suis fier de ce texte-là. Et pour toute la France, c'était 'Isabelle a les yeux bleus' ! Je me suis dit 'Hou là là, je me casse de ce pays-là, parce que si ça se termine comme ça, c'est quand même la honte'. Maintenant, on est allé jouer cette chanson-là chez Sébastien, on a enterré la chanson, et Indochine est redevenu ce qu'il était. [...] Alors quand tu fais une chanson comme 'More', qui te fait prendre les glandes, ça m'avait plutôt emmerdé. Une erreur qu'on a faite, au moment où on vendait huit cent mille albums, on était présent partout, d'où saturation. Et puis c'est vrai qu'on était pas les rois des interviews, c'était un peu pitoyable, on préparait rien."
Nicolas Sirchis, Rock & folk, décembre 1991

À ce jour, Nicolas n'est toujours pas le roi des interviews, comme en témoigne le reste du blog. L'interview en entier est amusante car il est très remonté et se défend vigoureusement, tout en admettant que les Inconnus ont vu juste (!). Et voici donc le moment où Indochine est allé enterrer la parodie des Inconnus chez Patrick Sébastien, le 4 mai 1991 :


A trop vouloir se sortir de cette image synthétique/new wave pour coller aux années 90 naissantes, Indochine se rapproche d'un autre sketch, celui des Negra Bouch' Beat, sur ce rock alternatif à la recherche de crédibilité et d'authenticité (14 juin 1991).

Voir : La menace du rock alternatif


Indochine Mk2 est en revanche proche par plusieurs aspects de Tranxen 200, sur une variété intello et romantique, embourbée dans l’élitisme et l'égotisme au point d'en devenir absconse et en solo (28 octobre 1991).
"Finalement, les seuls qui n'ont jamais adhéré à l'humour des Inconnus, ce sont les membres du groupe Indochine, non?
Bernard Campan : J'ai entendu le chanteur du groupe, Nicola Sirkis, dire un jour dans une interview poignante à la télévision, et sans aucune acrimonie contre nous, que lorsque notre chanson Isabelle a les yeux bleus est arrivée, ils étaient au creux de la vague et que ce fut un coup fatal pour eux. Personnellement, je trouve leur succès actuel formidable! 
Didier Bourdon : Je me souviens d'un producteur me disant à l'époque qu'Indochine c'était fini. J'avais pris le pari que non! C'est un très bon groupe. 
Pascal Légitimus : Chez Patrick Sébastien, ils ont eu un jour les c... de se parodier eux-mêmes en nous imitant. Cela me ferait plaisir de les rencontrer."
Figaro TV, décembre 2013

"Parce qu'on a un peu parodié Partenaire Particulier et Indochine. Et lui, il nous en veut encore un petit peu. Je pense. (...) c'est lui qui disait que leur carrière avait périclité à cause de nous. Bizarrement quand elle monte c'est pas grâce à nous. C'est bizarre. Sans commentaire. (...) En fait, son frère, qui est décédé, nous aimait beaucoup et lui nous aimait moins. Donc c'est bizarre, mais bon. Mais nous on s'en fout, on aime bien, j'ai aucun grief (...) Là où ils ont été sympas c'est qu'ils ont fait la parodie de leur propre sketch... en faisant un sketch de nous chez Sébastien. Donc c'est sympa (...) Je pense plutôt qu'on leur a fait de la pub."
Pascal Légitimus, Télé-Loisirs, 2018

On trouve pourtant un Nicola Sirkis bien plus fidèle à l'original, dans le sketch Lunettes noires (19 octobre 1990), parodie de l'émission d'Ardisson Lunettes noires pour nuits blanches, à laquelle Nicolas avait participé en 1989. Il reprend même l'expression "c'est complètement armoire" que Nicolas avait sortie en 1990 dans Frequenstar.

Pascal Légitimus dans Lunettes Noires, 19 octobre 1990
"Ardisson, c'est quand-même un sacré enfoiré, et ça tu peux le noter, il m'a supplié pendant un an de faire son émission, parce qu'il avait reçu cinq mille lettres pour qu'on y passe. [...] Moi, cette émission me fait gerber, la trash-tv, le glauque, j'en ai marre. [...] Donc j'y vais, et deux mois après, il me passe dans l'émission en prenant les pires moments. [...] Ardisson, c'est un enfoiré. Parce qu'il ment."
Nicolas Sirchis, Rock & folk, décembre 1991

C'est ce même Thierry Ardisson (chez qui il repassera en 2000), qui propose à Nicolas en 2004 de réécouter "Isabelle a les yeux bleus", ce qu'il refuse sans dissimuler son agacement. Aujourd'hui encore, il reste bien ancré dans les versions officielles que ce sont les Inconnus, et uniquement eux, qui ont plombé le groupe au début des années 90. Pourtant, ni Patrick Bruel ni Florent Pagny n'ont fait du redoutable Florent Brunel le responsable de leur baisse de régime au milieu des années 90.


Indochine : la BD, Gaet's et Sébastien Bataille, Fetjaine, 2012

Nicolas ne parle jamais de l'évolution des tendances et l'alternance des modes. Et dès lors qu'il en cite - grunge, britpop, rock alternatif, industriel - c'est pour en attirer le public (voir le reste du blog).

Certains vieux ennemis continuent, en revanche, d'utiliser le succès pérenne de la chanson des Inconnus pour se moquer bêtement de Nicolas. 
"Pendant très longtemps, bien sûr, Indochine c'était tout de suite 'Isabelle a les yeux bleus', bla bla bla... Aujourd'hui, il n'y a plus qu'Obispo pour nous cracher ça à la gueule. Qu'il aille se faire foutre !" 
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004

Vous reconnaîtrez que nos critiques à nous sont plus constructives.


Voir aussi sur le blog :

La menace du rock alternatif

1990 - Le Baiser

1993 - "C'était le début du grunge..."

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