Un sixième livre officiel

Ce post précède la sortie du livre. Pour l'article dédié, voir : Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran


Après Indochine (1986), Le Septennat (1988), Insolence Rock (2004), Indochine, le livre (2011) et Kissing my songs (2011). Nous ne connaissons pas d'autre groupe ou artiste qui en ait proposé autant.

(Nous ne prenons pas en compte ici Les petites notes du Meteor Tour)

Symptôme d'une entreprise musicale protéiforme dont la perception est dictée par Nicolas, et qu'il faut sans cesse réactualiser. Et peut-être aussi d'une époque dans laquelle le passé peut être remodelé au besoin, où l'on peut se permettre d'oublier les faits, au profit d'une histoire plus arrangeante.

Voir : Révisionnisme et malentendus


Si une seule chose nous étonne, c'est qu'il reste des gens surpris par ce choix d'une photo du chanteur seul, et à qui il tient à cœur de rappeler cette croyance ancienne : le lunaire "c'est un groupe"... Malheureusement, ceux qui trouvent ce choix tout à fait normal et légitime, ou ne se posent même pas la question, semblent très majoritaires.


L'autrice a débuté une promotion, assez discrète :

 
Un choc très parlant entre générations parlant de plusieurs groupes nommés "Indochine". Entre nostalgie, vagues souvenirs de vieux tubes, et coups de foudre pré-adolescents. Avec Émilie Mazoyer (amie personnelle et VRP officieuse de Nicolas depuis des années) et Laurent Lavige, "spécialiste de musique", qui récite le dossier de presse, agrémenté de plusieurs lieux communs.

En pleine commémoration de mai 1981, et donc en plein retour de hype pour le président socialiste, l'auteur des "Tzars" y est présenté comme un "soutien de la première heure de Monsieur François Mitterrand".

Rembobinons :
"Quand on sort, on voit plein de gens dans la rue. On comprend alors que Mitterrand est passé. Mais je ne m’intéressais pas vraiment à la politique, je ne crois même pas être allé voter. Je n’ai pas vécu la fin du giscardisme comme une période horrible, on était quand même libres de faire de la musique. Ce soir-là, je me suis dit : 'Mince ! J’espère que ça ne va pas être le bordel, maintenant', alors qu’on avait beaucoup d’espoir en notre groupe… - Tu ne croyais pas en Mitterrand ? - Je m’en foutais. Dans ma famille, on voyait les chars soviétiques arriver place de la Concorde [Il rit.]"

Nicolas Sirchis, Paris Match, 2020
"Nos Célébrations", 2020

Et tout l'échange est à l'image de cette ânerie du chroniqueur de France Inter. Un comble pour une émission qui s'appelle "Le vrai du faux", où personne ne se montre capable de la vérification la plus élémentaire. Un apéro entre amis, où un quelconque souci d'exactitude ne ferait que casser l'ambiance.

Quant à Rafaëlle Hirsch-Doran, bien que sans aucun doute sincère, elle est justement intéressante pour Nicolas car elle a le point de vue de sa génération, un esprit critique encore insuffisant, et la candeur nécessaire pour le considérer comme source la plus fiable. Comme chaque nouvelle génération de fans ! Nicolas travaille continuellement à minimiser et discréditer la réalité de l'histoire d'Indochine Mk1, au profit d'hagiographies dont le regard frais éloigne tout recul nécessaire pour étudier cette histoire de façon pertinente.

Le livre n'est pas encore sorti, et nous serions curieux de savoir si Rafaëlle Hirsch-Doran a demandé à Nicolas pourquoi il avait besoin d'un sixième livre officiel. A t-elle lu les précédents, dont Indochine (1986) et Le Septennat (1988) ? Insolence Rock était déjà un livre fait dans un esprit "fan" avec Sébastien Michaud, et sorti en pleine mode du rock dans une maison d'édition spécialisée dans les récits subjectifs. Que donnera la comparaison entre tous ces livres ?

Voir : 2002 - Paradize


L'autrice t-elle repéré de très éventuelles contradictions ou périodes sombres ? Ce n'est qu'une spéculation à ce stade, mais permettez-nous d'en douter à la seule lumière de ses récentes interviews. Nous avons pu remarquer que ses interventions, orales ou écrites, ne mentionnent jamais les gens gênants pour le chanteur d'Indochine. Même son choix de photo sur Instagram à l'occasion de la date anniversaire du groupe est parlant : les deux gentils devant.



Celles et ceux qui ont lu Starmustang doivent se languir de l'avis de la mère de Nicolas sur cette histoire, plausiblement devenu urgent suite aux interventions de son père ces dernières années.


Pour en revenir à l'émission de Canal+, l'échange proposé montre une nouvelle fois que la place qu'occupe aujourd'hui Nicolas n'est possible que grâce à l'ignorance de ses défenseurs. Nous verrons en temps donné si ce sixième livre officiel apporte des éléments intéressants, mais a priori nous devrions être immunisés contre ce principe de mutabilité du passé bien installé.


(Oui, le présent article recycle une partie du commentaire que nous avons posté sous la vidéo)


La menace du rock alternatif

Nous nous concentrons ici sur le phénomène français, et non sur l'acceptation plus large et internationale du terme "alternatif" englobant le grunge, l'indie, etc.

Sur le Birthday Tour, 1992

À la fin des années 80, considérées par une grande partie du public et de la critique comme artificielles et synthétiques, Indochine n'avait pas encore tout à fait terminé de régler son problème d'affiliation à une certaine variété, alors qu'ils avaient toujours été artistiquement autonomes.

Si - comme nous en avons longuement parlé - il cultive depuis longtemps cet amour pour l'affiliation à des groupes anglo-saxons, Nicolas s'est toujours parallèlement attaché à souligner la singularité d'Indochine par rapport à ses contemporains français, même lorsque lui-même n'avait quasiment que des références françaises.
"On sortait de tous ces groupes comme Téléphone ou Trust, qui faisaient du social, qui parlaient du métro, qui parlaient des salaires... Et nous on voulait tout, on voulait faire tout sauf ça quoi. On voulait parler de choses ridicules, d'une fille qui a un traîneau en Laponie, d'une petite chinoise qui lave des draps, enfin c'était ça qui m'intéressait à l'époque."

Nicolas Sirchis, Un flirt sans fin, 2006

Une petite pique sur Téléphone, et un positionnement non seulement original mais cohérent avec la réalité de la proposition de l'époque. Le Péril Jaune pourtant tant décrié, réussit superbement cette synthèse entre rock banlieusard et sonorités asiatiques. Une sorte de photographie du 13e arrondissement et du sud de la banlieue rouge, dans une bonne odeur de nems chauds.

Le Péril Jaune, 1983

Un exemple souvent utilisé pour dire un peu tout et son contraire, fut "Dizzidence Politik" :
"Pourquoi les paroles ne sont-elles pas facilement abordables, de prime abord ?
- Nicolas : C'est la griffe Indochine. Quand nous avons débuté, il y avait Trust et Téléphone qui délivraient un message social très clair. Nous avons toujours voulu faire plus politique et plus symbolique. "Dizzidence Politik" était très politique mais ce qui nous branchait surtout, c'était de faire danser les gens sur un texte d'ambiguïté, à la fois drôle et fort, plutôt que sur des revendications sociales militantistes."

Nicolas Sirchis, Rock Style, février 1994
Et puis :
"Pour moi, c'était une sorte de morceau à la Clash, un truc un peu revendicatif à la London Calling." 
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Voir : 1981 - Dizzidence Politik


Comme souvent évoqué, le rock en France ne put qu'assez rarement se prévaloir d'une lecture littéraire, dans un pays de livres et de films, et l'insouciance du début des années 80 fut rapidement balayée par une sorte de retour aux sources punks incarnée par le rock dit alternatif. Le milieu de la décennie vit apparaître parallèlement plusieurs phénomènes qui allaient bientôt être réunis sous cette bannière : entendre par là, une alternative au Top 50, aux majors, à une certaine variété à guitare et même au dit grand public... Un rock plutôt arty et velvetien avec Noir Désir et Kat Onoma, et un versant keupon issu des squats franciliens, et représenté par les intransigeants Bérurier Noir, Garçons Bouchers, ou encore la Mano Negra dans un esprit plus métissé.
"Nous ce qui nous intéresse c'est le rock alternatif, c'est le rock qui vient de la rue, c'est le rock qui vient des squats, c'est le rock qui bouge quoi. [...] J'ai jamais vu les gens de CBS ou de Virgin dans les squats, et puis le rock qui vient de cette mouvance là, il nous semble sincère, et puis il a la pêche quoi, et c'est ce qu'on défend nous. - On veut absolument pas être un produit, ça c'est hyper important."

Bérurier Noir, Ciel mon mardi, septembre 1989

Des groupes dont l'émergence fut surtout permise par un contexte économique et culturel, plutôt que par de simples préférences musicales. La mode étant toujours faite de vagues, la fin des années 80 - décennie du fric et de l'apparence - fut celle d'un inévitable retour à une certaine pureté dans le rock.
"Au tournant des 90's, vous retrouvez une situation bouleversée par la montée de nouveaux groupes à succès. Est-ce motivant pour vous ?
Nicolas : C'est très motivant. Lorsque nous avons reçu ce télex de l'AFP en 86 qui annonçait que Best avait sacré Indochine n°1, on a commencé à avoir un sacré lézard car ça ne nous intéressait pas du tout d'être les premiers. Puis il y a eu toute cette période où l'on nous a fait comprendre qu'avec les Mitsouko, Daho ou Niagara nous étions d'affreux commerciaux corrompus par le showbiz. Il n'y avait que les purs, les durs, les indépendants qui restaient clean. Résultat des courses, je crois que nous n'avons aucune leçon à recevoir de personne."

Nicolas Sirchis, 1990

"Comment vous, vous vous classez dans, par exemple dans la scène alternative, qu'est-ce que vous en pensez de tout ce qui se passe aujourd'hui ?
- Bah écoute, nous on s'est arrêté en 88, pour justement plus entendre parler de ce genre de problème parce que... Nous on avait vraiment l'impression de... On avait quitté tous l'école pour échapper à tout ce genre de classement, de critique, de 'peut mieux faire' etc... Et en fait on se retrouvait avec ce même genre de problème. C'est à dire, être catapulté groupe numéro 1, comme si t'étais premier de ta classe, et puis après y'en a d'autres qui arrivent qui te dépassent et tout, nous ça nous a toujours gonflé ça. Donc euh, par rapport à ça. Après le mouvement alternatif je trouve que c'est une des meilleures choses qui a pu se passer en France, sauf que à mon avis ils se sont pas mal trompés d'adversaire puisque... Bon déjà ils ont tous signé chez des majors, et en fait soit tu recrées un système dans un système, ce qu'ils ont fait, soit tu te sers du système en l'améliorant et en essayant de... D'être libre. Et nous c'est ce qu'on a toujours fait depuis le début, c'est à dire que dans notre maison de disques on a fait de A jusqu'à Z de la musique et tout ça. Donc on se sentait pas trop de ce côté là. Ceci dit c'est vrai que ça a permis de donner la parole à des groupes, dont les maisons de disques ne voulaient pas. Alors que nous on a eu la chance par rapport à eux, de faire un premier concert et que des maisons de disques étaient intéressées tout de suite. Donc de toute façon c'est une alternative intéressante."

Nicolas Sirchis, Blah blah, 1990

"Pendant ce temps-là, on assistait à la montée des alternatifs, Noir Désir, La Mano... Les places devenaient chères."

Nicolas Sirchis à propos de la fin des années 80 in Kissing my songs,
Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Noir Désir - en première partie d'Indochine en 1988 - fut notamment superbement accueilli par le public, et Bertrand Cantat vite érigé en auteur rock, dans la lignée des Jacques Higelin et autres Hubert-Félix Thiéfaine. Ce contexte participa largement à réaffûter les contours du rock français, et les aussi populaires qu'audacieux Indochine durent immanquablement se placer sur cet échiquier rétréci et piégeux.



En 1988, Rock & Folk crut bon de chercher à régler la question "Indochine, sont-ils rock ?" en testant la "culture rock" des quatre garçons. Que ce soit l'occasion de le répéter : qu'un groupe ou artiste soit rock ou non n'a jamais été un gage de qualité, et n'a jamais induit une sincérité supérieure aux autres tendances musicales quelles qu'elles soient.
 
Il fut notamment demandé à Nicolas de donner son point de vue sur la chanson française :
"De pire en pire dans les charts, de mieux en mieux à côté. Tout le mouvement alternatif est intéressant, et Elli Medeiros, Pijon, les Ablettes, les Innocents, Noir Désir... Plus variété, mettons Souchon, Jonasz et Bécaud, toujours."
 
Nicolas Sirchis, Rock & Folk, mars 1988
 
Les musiciens du groupe ne semblaient faire qu'assez peu de cas des débats à propos du rock, qui occupaient plutôt le public et les médias, mais quelque chose coinçait.
"Le concept de rock français sonne faux, il est beaucoup plus important de parler de rock en France. On se fout pas mal de savoir si nous sommes rock ou pas. [...] Le rock est une appellation rythmique. Nous n'aimons pas les étiquettes."

Indochine in Le Septennat, Marc Thirion, Carrère/Kian, 1988

Il est possible que l'arrivée du rock alternatif et la consécration d'un "vrai" rock français avec Noir Désir ait affaibli cette posture poptimiste qui correspondait bien à Indochine : le groupe constituait une synthèse pop très maligne de très nombreuses influences allant de la chanson française traditionnelle au punk le plus tranchant. Stéphane et Dominique étaient notamment de grands auditeurs des Clash et des Sex Pistols, mais la largeur de leurs influences et l'absence de complexe lié à la France empêcha heureusement Indochine Mk1 de ne proposer qu'un simple décalque britannique en VF.

Les Tzars, "une chanson sur l'abus de pouvoir, avec un titre comme un slogan" (Kissing my songs) :
"Je voulais remettre au goût du jour les symboles de mes quinze ans. Avec, en tête, le désir qu'Indochine soit le précurseur d'une sorte de revival gauchiste. Ce n'était pas une mauvaise idée. En tout cas, j'avais eu l’intuition que c'était le moment. D'ailleurs, ce qui s'est passé dans la musique m'a donné raison : les alternatifs sont rentrés dans la brèche..."

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
 

Certes. "Les Tzars" est pour nous un morceau renversant avec un texte très habile. Nicolas ne s'est jamais caché de préférer les slogans, visuels et la sonorité des mots au contenu politique réel ou l'agit prop des musiciens alternatifs ici évoqués. Il ne semble pas pour autant pertinent de considérer l'Indochine d'alors comme un précurseur de cette vague alternos qui allait mener à un autre sketch des Inconnus : Negra Bouch' Beat. Les groupes visés par cette autre fulgurance du trio humoriste étaient perçus médiatiquement à l'époque comme issus d'une toute autre lignée.


Malgré tout, le temps passant et la mode évoluant, il semble que le tir ait dû être quelque peu rectifié. Nicolas citait le mouvement alternatif et quelques contemporains d'Indochine dont Noir Désir, mais il est surtout intéressant de constater que ses références très franco-françaises étaient toujours importantes pour lui en 1988. Là où les Cantat et Burger confiaient une américanophilie certaine, qui s'entendait dans leur musique.

Cela peut étonner les fans d'Indochine Mk2, mais 7000 Danses, en son temps, fut perçu comme un album "beaucoup plus rock" que les précédents. Le Septennat montre que, malgré quelques postures désinvoltes sur la question, la question du "qui est rock et qui ne l'est pas" collait aux basques du groupe, au point que Marc Thirion consacra un chapitre entier ("Indorock") dans ce deuxième livre officiel.
"Nous avons un côté agressif mais le rock n'est pas que cela, il est plus élaboré, le but étant, de toute façon, sans doute le même : distraire. Le rock pour lycéens laisse place au teenage-rock ; évolution des mentalités, la révolte est bien plus subtile ! Les messages sont moins bruts, moins crus. [...] Être rock c'est avant tout ne pas faire de concessions. Il ne suffit pas pour cela d'avoir un perfecto et une seringue. C'est croire en ton groupe et en fait un combat perpétuel, être en état d'alerte permanent, ne jamais se dire que c'est arrivé et ne pas se reposer sur ses lauriers."

Le Septennat

Soit. Mais il était plus simple encore de ne pas chercher à se justifier - ce que n'a toujours pas compris le chanteur d'Indochine. Il nous semble en revanche assez pertinent de mettre en parallèle l'arrêt des références "variété" et "chanson française" chez Nicolas avec la montée de ce mouvement alternatif et d'un nouveau rock français, qui allait coïncider avec la parodie "Isabelle a les yeux bleus". Cela semble avoir provoqué une grosse remise en question voire un gigantesque complexe chez Nicolas, qui allait dès lors préférer des références uniquement anglo-saxonnes, forgeant petit à petit la posture "anglophile" que nous lui connaissons aujourd'hui.


Les premières velléités littéraires s'étaient manifestées chez Nicolas avec "Trois Nuits par Semaine" et l'album 7000 Danses, mais c'est surtout au moment du Baiser que ces influences transparaissent le plus dans son écriture. Il confiait à l'époque s'être enfermé avec une trentaine de bouquins, après une rupture. Mais malgré la grande exigence que Nicolas montra avec lui-même, l'album de 1990 ne sembla pas tout à fait coller aux exigences d'un dit rock littéraire. Le chanteur d'Indochine se montra extrêmement contrarié par Les Inconnus, lui qui avait trimé pour être au niveau.
"Moi, à un moment, j'ai vraiment eu très très peur, parce que je me suis dit 'putain, moi je me fais chier pour vraiment écrire des textes, à chaque album, et ça je ne sais pas si un jour on va vraiment s'en rendre compte.' J'emploie jamais le même mot, le même vocabulaire, d'un album à l'autre. Tu écris dix chansons pour un disque ? Je faisais hyper attention, ça me prenait la tête, de ne pas employer le même thème, choisir le même mot. Chaque chanson, c'est carrément un film, comme si je faisais dix scénarios. Et les mecs, pour une partie de la France, Indochine c'était 'Isabelle a les yeux bleus'..."

Nicolas Sirchis, Rock & Folk, décembre 1991

Indochine, 1990
Voir : 1990 - Isabelle a les yeux bleus, 1990 - Le Baiser


L'arrivée du rock alternatif, et l'apparente admiration de Nicolas pour Rodolphe Burger, réactiva aussi la question éludée par "Les Tzars" : fallait-il parler frontalement de politique ou simplement y faire allusion de loin ? Cela recoupe cette question récurrente dans la littérature et sa transposition dans le rock : les textes doivent-ils avoir un sens concret, ou se montrer plus symboliques avec les sonorités et couleurs, provoquant chez l'auditeur des émotions indicibles plutôt qu'une simple adhésion à un énoncé ?
"Y'avait cette musique que [Stéphane] avait faite et qu'après j'ai écrite, qui s'appelait 'Managua'... Sur le Nicaragua. Et puis lui après il analyse, 'ouais c'est bien, c'est par rapport à la révolution nicaraguayenne', pff... Moi je m'en fous un peu, mais dans l'inconscient, peut-être que ça lui fait plaisir."

Nicolas Sirchis à propos de "Alertez Managua", Comme deux frères, 1996
 
Cela rejoint la problématique de "Dizzidence Politik" auparavant évoquée : Nicolas a très souvent confondu le fait d'aborder un sujet, et celui d'en utiliser le seul champ lexical. Mais employer des mots d'un certain champ lexical ne signifie pas que l'on écrit sur le sujet en question ! Quoi qu'il en soit, Indochine est connu pour l'aspect percutant de ses textes et son goût pour une certaine imagerie propagandiste, que l'on retrouvera jusque dans le clip de "Nos Célébrations" en 2020. 
 
Même "Troisième Sexe", aujourd'hui considéré comme un titre engagé et précurseur, perd toute fonction idéologique lorsque l'on réécoute le Nicolas de l'époque, centré sur les vêtements, les cheveux, et rejetant en bloc toute lecture politique et même sexuelle : Indochine, c'est la jeunesse, l'esprit d'aventure et rien d'autre, soyons nous-même et foutons-nous du reste...! Mais passé 7000 danses, la crédibilité rock sembla de nouveau aller de pair avec un certain background et la pertinence d'un propos. Une difficulté majeure pour notre héros...
 


Au tout début des années 90, cette nouvelle tendance fut source d'emprunts ! L'apparition du très récurrent "Sayyy !" sembla suivre de très près l'apparition de cet interjection dans "Mala Vida" de la Mano Negra - reconnue d'ailleurs par Nicolas dans un blind test chez Ardisson.


Nicolas semblait essayer de réduire le fossé entre les alternatifs et lui...
"Quand j'ai entendu le premier LP des Bérus, je me suis dit 'on n'a plus rien à dire'. Quand tu lis 'Hors-la-loi' et 'L'Empereur Tomato Ketchup', on retrouve les mêmes références, même si c'était de manière plus imagée chez nous."

Nicolas Sirchis, 1990

Quelles mêmes références ? Le fait que ce soit un film japonais ? En tout cas, "L'Empereur Tomato Ketchup" est sur le troisième album de Bérurier Noir, Abracadaboum, et non le premier.


C'est aussi à cette époque qu'apparut ce qui allait être considéré comme une sorte de logo tacite du groupe : l'étoile rouge, un fort signifiant gauchiste.

Le Birthday Album, 1991
Il est aussi possible de lire la volonté de Nicolas d'être guitariste et chanteur après avoir vu Noir Désir et Kat Onoma, les deux têtes d'affiche du "rock littéraire". Esthétiquement, sa guitare était la même que celles que Burger et Cantat arboraient, d'un certain esthétisme blues-rock, orienté vers cette légitimité historique, artistique et même genrée qui faisait partie du rockisme. Celui-là même contre lequel se positionnait Stéphane.


Nous l'avons dit dans l'article dédié à ce sujet : il est regrettable que Nicolas ait renié la bande dessinée au profit d'une posture de lettré, puisqu'il jeta avec l'eau du bain son lien le plus fort avec une culture alternative, celle-là même qu'il allait revendiquer de nouveau à partir de Dancetaria (et qui allait sévèrement lui manquer). Il choisit plutôt de capitaliser sur une image d'esthète à l'anglaise, à l'instar d'un David Bowie ou d'un Robert Smith. Et la bande dessinée serait exclue de ce champ culturel perçu comme plus légitime, fait d'auteurs rock et d'art total. En d'autres termes, exclure la contre-culture pour embrasser un mode de vie petit bourgeois et institutionnel. Et aujourd'hui, cette activité n'étant absolument pas naturelle chez lui, il est toujours aux fraises lorsqu'on lui demande de parler de ses lectures.

"Punishment Park, aux grands espaces mélancoliques venteux et à la nostalgie consumée. L'apport de l'harmonica a sans doute été inspiré par l'utilisation de cet instrument au sein de Noir Désir, dont la chanson 'Aux sombres héros de l’amer' a cartonné un an plus tôt."

Sébastien Bataille, Indochine de A à Z, 2003

Sébastien Bataille rapproche ici les deux chansons et leurs clips, et nous aurions bien du mal à le contredire. Il est même possible, de notre propre lecture, que Nicolas ait tablé sur une certaine ressemblance avec Bertrand Cantat, ainsi que la présence d'un harmonica à ses lèvres sur la pochette bucolique du single "Punishment Park" pour créer une parenté voire confusion : la chanson de marins avec l'harmonica...

Punishment Park, 1990
"La musique tient le coup, même si le mouvement alternatif s'est planté. J'aime bien Noir Désir, Kat Onoma, Louise Féron. Moi, dès qu'un mec est triste, genre il fait beau allons au cimetière, j'adore, c'est ma tasse de thé à moi. Le mec de Noir Désir, c'est comme ça, il parle d'une rivière, et dans la rivière il y a toujours du sang qui coule. Maintenant il ne faut pas non plus se prendre pour Rimbaud, on fait du rock, tout ça reste très scolaire, qu'ils lisent Mallarmé et ils comprendront."

Nicolas Sirchis, Rock & Folk, décembre 1991

Nicolas évoque ici "Charlie", qui ne parle pas d'une "rivière" à proprement parler :
Allez Charlie
Tiens-toi droit
C'que c'est beau
Quand elle coule
La rivière de sang chaud
 

Noir Désir, "Charlie", Du Ciment sous les Plaines, 1991

Comme souvent avec Nicolas, un texte mal compris et un blocage sur un mot isolé. 

D'ailleurs, avait-il compris Mallarmé...? Une discussion qu'il aurait sûrement pu avoir avec Bertrand Cantat, grand lecteur du poète français. Quoi qu'il en soit, cette poussée d'exigence envers les chanteurs paroliers posait problème à Nicolas, plutôt partisan d'une écriture simple et directe : apparemment le rock devrait être ça.
 
À cette époque, il montrait toutefois des oreilles plus éveillées qu'aujourd'hui, et semblait intéressé par les qualités de Rodolphe Burger :
"Bah eux ils ont des références aussi très intéressantes, parce que c'est à la fois des références, entre guillemets du Velvet et caetera (ndr : ?), musicalement c'est quelque chose de costaud...  Et puis euh... Et je trouve que dans les textes effectivement, j'avais lu une interview de ce chanteur, qui était prof de philo je crois ? Qui disait que le problème du rock français, ces dernières années et c'est vrai, c'était un peu l'infantilisme, c'est à dire le nez euh... le nez de clown et caetera, et toute la dérision, tandis que là, bon, y'a une poésie qui se dégage, un peu symboliste, que j'aime bien."

Nicolas Sirchis à propos de Kat Onoma, Pour un clip avec toi, 1990

Il parle ici bien des Bérus, avec le nez de clown. Plusieurs voix s'étaient soulevées contre cette proposition pensée par ses protagonistes comme un retour à l'authenticité et la sincérité, et privilégié un côté satirique et boulevardier qui ne convenait pas à toutes les mentalités.
"Vous voyez vous n'y connaissez rien en musique, vous êtes d'une nullité incroyable, et vous croyez qu'avec votre mouvement subversif rock vous allez... [...] Je ne pense pas qu'avec leur révolution rock ils donneront à manger aux Polonais ou donneront la liberté aux étudiants chinois..."

Gérard Zwang, Ciel mon mardi, 1990

"Je sais pas si j'ai entendu les Musclés, la Bande à Basile ou Soldat Louis, excusez-moi..."

Gérard Louvin, Ciel mon mardi, 1990

Le génial et très autodidacte François Hadji Lazaro doit avoir apprécié. Quant aux musiciens très avancés de Noir Désir, ils se situaient sur la crête, entre le versant arty et le versant contestataire du rock alternatif - et cela peut participer à expliquer leur succès, bien supérieur aux autres groupes de cette tendance. Mais après avoir d'abord apprécié le groupe bordelais - en première partie d'Indochine sur le Tour 88, Nicolas s'en éloigna jusqu'à les rejeter.


En 1993, un an après "Tostaky (le continent)",  nous eûmes droit avec "Bienvenue chez les nus" à un décalque un peu grossier de ce que Nicolas avait observé chez les alternos : un refrain en espagnol. Censé être un hommage au Pérou, cinq ans après le Coliseo Amauta de Lima, souvenir intensément pénible pour lui.


Chose bien connue, Stéphane Sirchis, que ce soient ses choix vestimentaires ou ses activités politiques en dehors d'Indochine, servit à Nicolas de caution rock voire destroy, trash ou autres mots exotiques qu'il affectionne.
"Y'a eu des slogans très euh... très gauchistes, et peut-être que Nicolas s'en est inspiré un petit peu quoi, il m'a suivi, mais c'est... C'était plus des clins d’œil qu'autre chose quoi, on s'est jamais servi d'Indochine pour se donner un côté militant, le côté militant on l'a vécu... Enfin moi je l'ai vécu, en dehors d'Indochine."

Stéphane Sirchis, Comme deux frères, 1996

Stéphane Sirchis, 1994

Comme dit par ailleurs, Nicolas s'était noyé dans cette époque trop complexe. Ses ennemis passèrent de la variété française au rock français, en passant par les boys band et même le rap. Mais ses concurrents directs semblèrent rester en premier lieu les bordelais de Noir Désir.
"On s'est dit qu'on allait demander l'asile politique en Belgique parce que la France, c'était pourri, noyée sous le rap. Les groupes de rock étaient balayés. C'était Noir Désir et personne d'autre."

Nicolas Sirchis à propos de Wax in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

Voir : 1996 - Wax

Hors-Série Rocksound n°9, juillet 1999 (avec Manu Chao en couverture)
Nous ne pouvons pas ne pas parler de l'interview croisée entre François Guillemot (alias Fanfan) de Bérurier Noir et Nicolas Sirchis en 1999 dans Rocksound, dans laquelle Nicolas essaye encore de réduire l'écart, notamment en passant par son analyse toute personnelle du public. Comme il le faisait alors avec Placebo :
"N : Je sais qu'il y a beaucoup de fans d'Indo qui étaient allés voir les Bérus..."

Et en tablant sur des origines banlieusardes et le militantisme de Stéphane.
"N : Mon frère était à la Ligue Communiste...
F : Ben nous au contraire on était contre toute forme d'embrigadement.
"

Raté.

Nicolas et Stéphane, 1997
"Le groupe qui a un peu synthétisé les deux courants que vous représentez, c'est Noir Désir, non ?
N : Moi, je ne suis pas d'accord.
- F : Moi, je trouve ça assez pertinent.
- N : Pour moi, Noir Désir c'est tout sauf sexuel ! À part la gueule du chanteur, enfin je veux dire, il est mignon.
"

Donc, le rock alternatif n'était pas assez sexuel. Dont acte.

Voir : Placebo

 Détail amusant, Fanfan est aujourd'hui ingénieur de recherche au CNRS, et spécialiste de l'histoire de la péninsule indochinoise.


À la fin de ces pénibles années 90, Nicolas lut dans l'arrivée de Placebo le retour d'un certain rock sexuel et pervers, qui lui avait manqué pendant quasiment toute la décennie, et duquel Indochine serait le seul représentant dans la francophonie. C'est vrai, Nicolas se maquille... Une certaine manière de se réintégrer dans la mode, et rejeter plus ouvertement ces groupes alternatifs trop balourds à son goût. Ci-dessous, c'est bien contre cette tendance qu'il se dresse, sans éviter quelques contradictions :
"Pour moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut qu'il y ait de l'énergie, du sexe. Noir Désir c'est tout sauf ça, car Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas. Et c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant, j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens. Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple, retrouver chez Placebo."

Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, 2000

 

"Il y en a deux dont je vais m'occuper, ce sont Daisybox et Madinkà qui sonnent très pop orientée wave-gothique (sic). Ils font partie de cette relève qui a assimilé sans complexe les années 80-90. Ils aiment aussi bien A-ha que Joy Division et font du rock moderne comme Placebo. Mais surtout, qu'on arrête de matraquer Noir Désir !"

Nicolas Sirchis à propos de ses premières parties, Tribu Move, avril 2000

"Le nouveau label d'indo s'appelle Double T. Indochine rejoint tous les groupes qui ont décidé de travailler avec des indés comme suede, cure, oasis, blur, placebo etc."

Nicolas Sirchis, imaginet.fr/indochine (ancien site officiel), 1999

Cette posture indé à l'anglaise (bien qu'il ne cite ici que des groupes distribués par des majors) lui correspondit largement mieux que le discours des rockophiles parisiens. Cela lui permit de transformer la relative discrétion médiatique de Wax en une attitude d'indépendance, celle d'un agitateur dont la présence emmerderait une certaine intelligentsia comme les Inrocks. Toutefois, une posture alternative semble avoir mille manières de se traduire chez le caméléon Nicolas Sirchis. Entre l'alternos du Birthday Tour, le rocker en pantalon de cuir d'Un jour dans notre vie, le vilain petit canard anglophile de Wax, le moribond de Dancetaria, le gothique de Paradize ou encore le dandy d'Alice et June...
Dancetaria et surtout Paradize constituent sans aucun doute la revanche de Nicolas sur les Tostaky (1992) et surtout 666.667 Club (1996), qui auraient participé à éclipser "Indo" mais surtout à consacrer "Noir Dez" comme plus grand groupe français d'alors. Wax se montra malheureusement accidentellement révélateur de l'égarement complet du chanteur dans les différentes tendances des chaotiques années 90. Là où la bande à Cantat creusait aisément son sillon dans un monde post-grunge grâce à de solides influences transatlantiques (l'électricité du Gun Club et de Fugazi, la chanson de Brel et Ferré).


En été 2001, les deux gros tubes français orientés guitare furent "Le vent nous portera" de Noir Désir et "Me gustas tu" de Manu Chao, ancien chanteur de la Mano qui joue aussi sur le single des bordelais.


Et en 2002, comme chacun sait, ce fut l'été de la lune.

Nous avons écrit dans l'article sur ce sujet, que Paradize constituait l'album grunge dont Nicolas rêvait déjà à l'époque d'Un jour dans notre vie. Chose amusante et assez logique, l'époque de Paradize peut pourtant être résumée avec les mots de ce rock alternatif qui avait tant posé problème à Nicolas, et qu'il employa sans retenue : rock et sincérité. Il propose ainsi sur l'album de 2002, avec l'aide d'Olivier Gérard (et ses goûts tant racontés) son alternatif à lui. Pour lui, celui des 80's et 90's n'aurait été qu'une vaste fumisterie, fait de comportements opportunistes et calculés :
"Indochine s'est toujours tenu à l'écart des discours plus politisés, plus revendicatifs...
Oui, dès le départ. On sortait du punk, de trucs engagés comme Trust ou Téléphone. On a voulu parler d'autres choses : de la sexualité, de la religion,... Puis je n'arriverais pas à dormir tranquillement en sachant que je gagne de l'argent en dénonçant un système auquel je participe.

À cet égard, tu es très dur avec un groupe comme Noir Désir.
Je ne mets pas en doute leur sincérité, ni leur talent. Mais je trouve le discours maladroit, ou démagogique. Cracher sur Messier (Ndlr: patron de Vivendi-Universal qui distribue Noir Désir), c'est facile, comme être pote de Bové c'est génial. S'ils se sentent mal chez Universal, qu'ils s'en aillent. Ils en ont les moyens. Je suis aussi dans ce système, mais je l'assume. Même si cette industrie devient de plus en plus dure.

On a l'impression que, même après autant de temps et de succès, tu es toujours en guerre.
Non pas en guerre, parce que ce n'est toujours que de la musique. Mais parfois j'ai un peu la haine. Quand tu vois des mecs comme l'ancien batteur de la Mano Negra fabriquer des trucs comme `Popstars´... Ce type-là il y a quelques années nous disait qu'Indochine était de la merde et que c'était un groupe commercial. On a aucune leçon à recevoir. Ni à donner."

Nicolas Sirchis, lalibre.be, mars 2002

Cette réplique d'un certain rock britannique, ambigu, androgyne et visuellement puissant, s'opposait donc frontalement à ces alternos hexagonaux auxquels Nicolas ne voulait en aucun cas être affilié. Paradize peut s'entendre non seulement comme une revanche sur tous ces buveurs de bière qui n'avaient même pas l'élégance de se pomponner avant de monter sur scène, mais aussi contre ceux qui n'avaient pas su se montrer cohérents avec les idées qu'ils prétendaient défendre.

Les prises de position de Nicolas contre des mercenaires comme Santiago Casariego étaient parfaitement audibles, et participèrent à le faire passer, en comparaison, pour un musicien intègre et distingué. Ce besoin de sincérité chez le public peut aussi participer à expliquer le succès de Paradize, et rejoint certaines analyses faites par Nicolas et plusieurs auteurs et journalistes à la même époque. 

Lui n'a jamais franchement eu à parler de politique, puisque ses postures vaguement sociétales et morales dans les années Mitterrand, et le fait de soutenir Touche pas à mon pote face au FN de Jean-Marie suffirent amplement à donner l'impression qu'il était de gauche. Malheureusement pour lui, le fait de rester éloigné des questions politiques ne protège ni de la contradiction ni des pièges.

Voir : 2002 - Paradize et le reste du blog.

Nicolas Sirchis, 2002

Nous avons beaucoup parlé sur le blog des groupes internationaux auxquels Nicolas essaie infatigablement de se faire affilier pour souligner la singularité de son groupe dans le paysage français.

"Indochine, nous étions sur les rives de la scène de Bercy, avec une scène bien sûr endiablée, enflammée, qui renvoie aussi, en résonance, au cœur des années 80, puisque vous avez incarné l'une des formations les plus emblématiques de cette période, alors justement, le fait que vos noms soient apposés à des groupes de légende tels que Téléphone, on pense bien sûr aux Rita Mitsouko ou encore à Mano Negra... est-ce qu'on pense à la postérité, est-ce qu'on se dit euh...
- On pense à rien de tout ça euh... Tout ce que je sais c'est qu'apparemment le succès d'Indochine aujourd'hui n'a rien à voir avec... la nostalgie des années 80 ou des choses comme ça, je pense que... ce groupe répond à une demande, en tout cas en francophonie euh... qui fait qu'on est un des rares groupes à faire ce genre de musique, c'est à dire, nous on a rien inventé... Moi j'ai habité la Belgique, j'ai adoré tout de suite le rock anglo-saxon et euh... et euh... Et on fait qu'adapter ce genre de chose."

Nicolas Sirchis, TV5, 2003


Que n'avait pas dit Amobé Mévégué ! Nicolas est ici vexé comme un pou d'être ramené à son ancien groupe, et que l'on ose faire le parallèle avec d'autres groupes français dont la Mano. Il est cependant dans le vrai en disant que le succès d'Indochine n'avait que peu à voir avec la nostalgie des années 80, puisque le jeune public rock de l'époque les avait pris pour un nouveau groupe et durent apprendre par la suite que oui, c'était eux qui avaient chanté Bob Morane...

Et oui, nous aussi avons tiqué sur la dernière phrase de Nicolas, d'une honnêteté désarmante.

Voir : Révisionnisme et malentendus

"Noir Désir n'a rien de sexuel. Il se trouve que leur album plaît maintenant au président de l'Assemblée nationale, quoi... (Jean-Louis Debré, ndlr) Attention : je ne remets absolument pas en cause la musique ! Ce que j'ai moins aimé, c'est leur discours aux Victoires de la musique, qui était très consensuel, très politiquement correct : attaquer Jean-Marie Messier, c'est un peu peu facile, et en plus, c'est le directeur de leur boîte, je trouve ça très moyen... Aston Villa, c'était quand-même un peu plus rock'n roll. (...) Plutôt Saez que Noir Désir, et je ne vais pas me faire d'amis."

Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les guides MusicBook, 2003

 

"Je suis gêné que Manu Chao soit le pape de l'antimondialisation aujourd'hui alors qu'il fait 100 millions de francs de chiffre d'affaires."

Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les guides MusicBook, 2003


En juillet 2003, le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat disqualifiait définitivement Noir Désir.

Les années 2000 se dessinèrent donc autour d'un quasi-plébiscite public et une très grande consensualité médiatique pour le pop-rock dépolitisé, esthétique et très séduisant proposé par le nouveau groupe de Nicolas Sirchis, qui portait le même nom que le précédent.


En 2005, Nicolas chanta avec Didier Wampas (notamment connu pour avoir épinglé Manu Chao deux ans plus tôt), et fit les yeux doux à ce milieu alternatif vieillissant. Cet exercice de style sembla amuser tout le monde, et nous nous en réjouissons.

Voir : 2005 - Alice & June


En 2017, "Un été français" prétendument sur la montée du Front National. Nous aurions pu être tentés de voir dans cette essai une résurgence du "Porcherie" des Bérus et de son slogan "la jeunesse emmerde le Front National", ou même du "Un Jour en France" de Noir Dez, pour la Génération Z qui n'a pas connu Jean-Marie... Mais dans les faits, il n'est question que d'un vague malaise, porté par un jeu de mots timide, au sein d'un morceau au pouvoir fédérateur très limité. Le signifiant gauchiste du mégaphone est présent dans le clip, même si nous nous questionnons toujours sur ce que revendique concrètement ce morceau, si ce n'est que le FN c'est mal et que l'orgasme c'est bien.

"Un été français", 2017
"Ce qui est intéressant dans le rock, c'est de taper un peu du poing sur la table."

Nicolas Sirchis, France Info, décembre 2017

Nicolas répond ici parfaitement à cette question : "dans l'rock", il faudrait privilégier l'attitude au discours. En d'autres termes, privilégier le mégaphone à ce que l'on crie dedans.

Nous avions pourtant lu Olivier Gérard épingler U2 en 2016 sur Facebook, comme quoi "C'est bon on le sait que Trump il est méchant...", alors que ce dernier n'était pas encore élu et que Bono avertissait le public américain d'une possible issue à cette élection qui allait devenir réalité. D'ailleurs Nicolas ne manqua pas non plus l'occasion, après l'élection, de s'en prendre à ce nouvel ennemi évident et peu clivant en France, avec le consternant "Trump le monde".
 

Nicolas Sirchis a t-il subi à ce point la culture de son pays d'origine, au point de devoir sans cesse souligner sa spécificité ? A t-il souffert de ne pouvoir échapper à la proximité de musiciens issus de ce rock alternatif français qui lui posa tant problème, comme François Matuczenski (ex-Chihuahua) ou François Soulier (ex-Elephant System) ? Reproche t-il au rock français de manquer de sens esthétique, ou d'hygiène ? 

François Matuczenski, Hanoï, juin 2006

Les paroles de Nicolas au naturel ressemblent plutôt à des analyses de droite :
"C'est comme les Français, tu sais, qui veulent toujours que ça change et puis quand ça change ça va pas !"

Nicolas Sirchis, Le Républicain Lorrain, octobre 2013

Parce que la contestation ça le gonfle, Nicolas. Sauf s'il est possible d'en extraire un esthétisme muet, ou être protégé par la distance culturelle et géographique. Comme dans le cas des grèves étudiantes au Québec en 2012 :
"Chris Marker avait écrit un film qui s'appelait Le fond de l'air est rouge, qui était l'histoire de toutes les... de toute la gauche. De tout l'historique révolutionnaire de la gauche depuis la Commune de Paris... Je trouvais que c'était un beau titre. Il est mort l'été dernier, et quand j'ai commencé à écrire cette chanson j'avais vraiment en image les images de... J'avais plein d'amis ici qui m'appelaient en me disant 'Mais tu sais ce qui se passe à Montréal, tu sais ce qui se passe à Québec sur le mouvement étudiant'... Alors j'ai pas voulu rentrer dans le détail pour, ou pas, si, oui la cause était juste, après est-ce qu'elle s'est emportée sur d'autres dossiers, sans doute j'en sais rien. Ce qui est sûr c'est qu'il y avait tout d'un coup une sorte de... de mouvement, qui était proche de ce que nous on pouvait ressentir aussi. Un mouvement euh... assez euh... assez fort. Avec une prise en main, des prises de parole... Alors que généralement en Amérique du Nord, on a plutôt l'impression que les gens vont sur un concert de rock, sur un concert de rythm'n'blues, mangent des Mac Donald's, vont voir le hockey, enfin j'veux dire y'a un peu moins de conscience politique. Y'a des très bons groupes de rock, mais on a l'impression que... à part sur l'écologie ou sur autre chose... Donc tout d'un coup il y a eu une levée de... un mouvement de jeunes qui était assez intéressant pour nous." 
Nicolas Sirchis, interview pour sorstu.ca, 2009
Voir : Carré rouge (Wikipédia)


Un Nicolas en roue libre qui ne mesure ni l'extrême vacuité de son intervention, ni les insultes à la culture nord-américaine lancées à une journaliste québécoise. Cela n'a jamais été un secret : Nicolas n'est pas à l'aise du tout avec la politique, et à la réflexion ce sont surtout les images d'étudiantes déshabillées qu'il a dû trouver assez fortes.


"Le fond de l'air est rouge" donc, titre emprunté au film du même nom, une chanson où il est effectivement question de marches en bande, de drapeaux et de rouge. Et transformée sur scène en un moment fédérateur, tous poing levé contre les méchants.

Mais quels méchants exactement ?


En 2019, Mathieu Rabaté participait à la tournée de reformation des Négresses Vertes. 


À ce jour, la grande époque de l'alternos n'est racontée dans les versions officielles que via le prisme de la pop anglaise et du rock américain, alors qu'Indochine se situait dans un contexte culturel très franco-français. La revanche prise à l'époque de Paradize ne ciblait d'ailleurs strictement que des Français.

Il est vrai que l'adjectif alternatif ne veut plus dire grand chose. Il n'est plus trop aisé d'identifier à quoi l'alternative rock et l'indie pop, cartonnant mondialement, constituent une alternative ou une indépendance. En ce nouveau millénaire, les étiquettes musicales ne racontent plus une histoire et des contextes. Probablement du fait de la consommation numérique et de la disponibilité de toutes les musiques sur un même plan, mais également de la philosophie relativiste contemporaine qui prétend que tout se vaut et est interchangeable. Pourtant, malgré la négation des concepts permettant de décrire le réel avec ses contradictions et oppositions, ce dernier continue d'exister, et les fractures sociales, politiques et culturelles observées en 1990 n'ont pas disparu.

Pour Nicolas, comme pour une certaine classe sociale aux habitudes culturelles bien identifiables, l'art devrait être dépolitisé pour être vraiment de l'art. Un monde où l'important serait de produire un esthétisme ou simplement des œuvres, même vides. Où l'accomplissement passerait par le ressenti ou l'instinct, plutôt que par la raison ou la réflexion. Et encore moins l'analyse politique. En ce sens, "engagé" est souvent perçu comme un gros mot lorsqu'il apparaît dans le champ artistique et musical.

Cela a toujours fait partie du manifeste indochinois : s'évader du quotidien, rester loin de la politique, privilégier le rêve, l'évasion et le mythe du héros. Nicolas l'a répété : il ne veut "pas faire de social", mais parfois il s'y aventure, et cela devient extrêmement révélateur de son idéologie.

Voir : Art contemporain


Nicolas confirma cette mentalité bourgeoise, en estimant récemment sur Europe 1 à propos de la colère des intermittents du spectacle - un emploi très précaire - sur la gestion du Covid-19, que "taper sur le pouvoir" n'était "pas constructif", et que lui  ne se souciait pas "de son métier" et de son "petit problème personnel". Un discours produit par un homme à l'abri du besoin financier, non concerné par les problématiques de domination et d'asservissement. Curieux, de la part de quelqu'un qui avait évoqué les générations sacrifiées à l'époque des Météors (2009)...

Après avoir donné une appréciation très "foulard rouge" sur le mouvement des Gilets Jaunes, nous serions tout de même tentés de savoir, à l'approche d'un nouvel album, si ce mouvement l'a autant inspiré que les étudiants et surtout étudiantes québécoises au corps peint en rouge.


Récemment, François Bégaudeau évoquait avec ironie ce point de vue dans C à Vous : "Je pense que dans la répulsion que ressent la bourgeoisie actuellement par rapport aux Gilets Jaunes, il y a quand même beaucoup l'idée que : ils sont mauvais goût. C'est vrai qu'ils ont un peu des sales gueules, ils sont pas bien sapés quoi." Et se montre encore plus acerbe dans Histoire de ta bêtise (2019) :
"Tu es un bourgeois. Un bourgeois de gauche si tu y tiens. Sous les espèces de la structure, la nuance est négligeable. Tu peux être conjoncturellement de gauche, tu demeures structurellement bourgeois. Dans bourgeois de gauche, le nom prime sur son complément. Ta sollicitude à l'égard des classes populaires sera toujours seconde par rapport à ce foncier de méfiance. Dans bourgeois de gauche, gauche est une variable d'ajustement, une veste que tu endosses ou retournes selon les nécessités du moment, selon qu'on se trouve en février ou en juin 1848, selon le degré de dangerosité de la foule.
Tu es de gauche si le prolo sait se tenir. Alors tu loues sa faculté d'endurer le sort - sa passivité. Tu appelles dignité sa résignation.
"

François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise, p. 35, Pauvert, 2019

Il y est aussi question d'ennemis évidents et peu clivants, à côté desquels il est très facile de se faire passer pour moral et/ou intègre. En d'autres termes, savoir se mettre en colère tout en restant compatible avec une interview chez Salamé ou Delahousse.

"Trump le monde", Paris, novembre 2018

Nous comprenons aisément pourquoi les thèmes de Nicolas sont toujours "un peu ça" ont toujours "un côté", "genre un petit peu et caetera", mais ne sont jamais concrets. Cet homme n'a rien à dire, ni à défendre à part lui-même. Finalement, ce que nous pourrions conclure à propos de cette histoire, c'est que tous n'ont pas les mêmes ennemis ni les mêmes intérêts. Les alternos ont essayé de faire quelque chose à l'époque, avec les outils, la culture et les moyens qui étaient les leurs. Il est tout à fait normal que ce mouvement alternatif n'ait pas trouvé son public au sein de toutes les classes sociales. Mais nous restons d'accord avec Nicolas sur le fond : le bien, c'est quand même mieux que le mal.


Annexes :
Logo de KMS Disques, le label de Nicolas






"Qu'est devenue la 'génération morale' que vous représentiez à l'époque des concerts de SOS racisme ? - Avec Rita Mitsouko, Étienne Daho, Jean-Jacques Goldman et Indochine, ce fut l'arrivée d'une génération qui jouait sans tricher ses chansons et partageait les mêmes préoccupations mondialistes. (? ndlr) Et maintenant ? - Bruel s'en charge bien. Il passe à 7/7, il a de la 'tchatche'. Médiatiquement, il a pris notre place en récoltant le fruit de ce que nous avons laissé."

Nicolas Sirchis, "Indochine l'album de famille", Loïc Sellin, 1994