Il ne sera pas question ici d'attaquer ou torpiller Yves Bongarçon, ami personnel de Nicolas Sirchis (pendant un temps) décédé en 2019 à l'âge de 59 ans. Il était aussi connu sous le pseudonyme Whybee...
Cependant :
"Je rentrai donc au bureau et annonçai à l'équipe qu'on allait mettre Weezer en une.
Le lendemain, mon téléphone sonna, c'était Yves [Bongarçon] qui me demandait de passer le voir au quatrième étage, ce que je fis aussitôt. J'étais officiellement le rédacteur en chef de Rock Sound, lui était devenu celui de Rolling Stone, mais il gardait un oeil sur les affaires. 'Je sais pas si t'as remarqué mais les lecteurs de Rock Sound parlent vachement d'Indochine dans le courrier' me dit-il alors que je m'asseyais en face de lui. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Nous étions au tout début des années 2000 et le groupe de Nicola Sirkis n'avait pas encore effectué le come-back qu'il s'apprêtait à faire. On était déjà revenu à une période de l'Histoire où le mot 'Indochine' évoquait plus la guerre (des années 1950) que le groupe (des années 1980). 'J'ai mangé avec les gens de Columbia à midi. ils nous déroulent le tapis rouge si on part sur la couv' Indochine. On va avoir accès comme on veut à Nicola pour qui il est super important d'avoir cette couverture'. Je ne disais rien mais j'étais un peu amer qu'il parle en disant 'on' au lieu de dire 'tu'.
Mais il ne me laissait pas le choix, il me sommait de trouver que c'était une bonne idée de mettre Indochine en couverture. C'est quand même lui qui m'avait embauché, et chaque mois depuis que j'étais à Freeway, c'est lui qui m'expliquait pourquoi on mettait tel ou tel artiste en couverture, alors qui aurais-je été, à essayer de remettre en question son avis sous prétexte que j'étais rédacteur en chef (depuis un mois), et en plus grâce à lui ? Bref je compris que j'allais devoir appeler Gilles chez Polydor pour lui annoncer que finalement, 'après conversation avec Yves', on allait plutôt mettre Indochine en couverture. Je n'eus pas besoin de lui expliquer que la décision était celle d'Yves, il le comprit tout de suite. Yves avait décidé qu'on mettrait Indochine en couverture. Son déjeuner avait tout simplement eu lieu en même temps que le nôtre et en quelque sorte, les choses décidées pendant le sien avaient plus d'importance que les nôtres."
Thomas VDB, Comedian Rhapsodie, Flammarion, 2021
Il est question ici du fameux Rocksound avec la une "Génération Indochine", et un long article/interview qui n'est pas autre chose qu'une publicité extrêmement grossière : on y voit un Nicolas mimant des poses rock et provoc, une attitude aussi stupide qu'impudente. Yves Bongarçon est à fond sur son pote.
Rocksound, avril 2002
"Qui en effet aujourd'hui aura l'outrecuidance d'affirmer en
pinaillant et sans se ridiculiser que Indo n'est pas rock ?"
Yves Bongarçon, Rocksound, avril 2002
Franchement, de quel côté est l'outrecuidance ?
"Non seulement Paradize est l'un des
meilleurs disques pop de l'année, tous genres confondus, mais il est
aussi l'occasion pour Nicola Sirkis d'affirmer son retour sur le devant
de la scène en adressant un message fort à tous les détracteurs de son
groupe. Un beau bras d'honneur bien rock'n'roll. Bien joué !"
Yves Bongarçon, Rolling Stone, janvier 2003
Yves Bongarçon, Melissa auf der Maur, Nicolas Sirchis, Rocksound, 2002
Les gens qui ont eu la chance ou la malchance de travailler dans la musique savent que c'est comme dans la politique : de nombreux journaleux sont directement amis avec les musiciens et maisons de disques. Voilà comment on fabrique une légitimité et un succès. Voilà pourquoi les goûts et les couleurs, oui ça se discute et oui ça s'explique. Parce que l'opinion ça se travaille, parce que le cool est un produit, et parce que que les goûts ça se fabrique. À moins que vous ne soyez de droite, et à ce moment-là débrouillez-vous avec votre libre arbitre.
Le grand frère de Nicolas, auteur de Starmustang, s'épuisait déjà de telles situations avec ses amis personnels infiltrés dans la musique, et qui lui préparent le terrain :
"Le monde est petit. Partout où passe Nicolas, le terrain est miné."
Christophe Sirchis, Starmustang, 2009
Le très sympathique, cultivé et drôle Thomas VDB, de son vrai nom Thomas Vandenberghe et à qui on ne la fait pas (lui), avait déjà chroniqué le fameux concert (moyen, pas complet et au son volontairement durci) de Nîmes en 2000, en soulignant l'incongruité d'une association entre Indochine et Placebo. Sans se montrer particulièrement acerbe, Indochine ce n'est pas son truc, et ce n'est pas étonnant. Et non, cela ne fait pas de lui un ennemi.
Rappelons aussi que le lectorat de cette époque écoutait Korn, Linkin Park, Limp Bizkit, et qu'une époque où y'en avait que pour le rap et le r'n'b est une invention des deux cerveaux d'Indochine Mk2, assistés ici non pas d'un journaliste mais d'un publicitaire outrancier. Comme en 2021 avec le parpaing.
C'est drôle, de la part de gens qui ont fait "Popstitute" (un jeu de mots avec pop et prostitute) et font encore des doigts d'honneur à tout va, on ne sait pas très bien à qui. Devons-nous encore préciser en 2022 que ce n'est pas parce que c'est rock que c'est mieux, plus sain ou plus sincère ? L'histoire a même assez souvent montré le contraire et Mk2 en est un exemple retentissant.
Nous connaissons le goût d'Mk2 pour les chiffres. C'est d'ailleurs assez curieux venant de quelqu'un qui a de telles difficultés à compter. Nous serions en droit de nous demander si cela n'est pas une sorte d'antisèche pour aider à se repérer dans le temps.
Avec Paradize+10, Indochine s'inscrit totalement dans la rétromanie ambiante, doublée de l'éternelle confusion autour de ce qu'est vraiment Paradize. Un vrai-faux premier album, dont nous célébrons l'anniversaire de l'anniversaire, et dont celles et ceux qui n'ont pas vécu le temps béni fantasment ce que devait être ce temps. Un phénomène courant dans la musique pop.
C'est à se demander s'il ne devient pas de plus en plus courant de sortir des disques en pensant déjà au moment lointain où l'on commémorera leur sortie. L'absence de +10 pour Alice et June avec un potentiel concert, fit notamment de nombreux déçus. Ne restait à comprendre qu'un tel jubilé n'était valable que pour le premier album.
Paradize+10 au Zénith de Paris, 2012 (source : isuro.net)
U2, Echo & The Bunnymen ou The Cure par exemple, permettent depuis les années 2000 d'excellentes rééditions de leurs anciens albums, avec des démos, versions alternatives, chutes de studio et extraits de bootlegs. Le goût d'Mk2 pour le mimétisme aurait pu les mener à vouloir proposer des rééditions d'une qualité analogue. Il y aurait eu tant à faire avec Indochine Mk1 ! Mais ce type de contenu ne semble intéresser ni Nicolas, ni ses fans.
Cependant, Mk2 semble un rare exemple sinon unique, d'une communauté de fans qui demande régulièrement des "+10", et agite le porte-monnaie avec une telle
motivation, même sans promesse de nouveauté ou exclusivité. Rappelons que l'album 13 est sorti six fois.
Cette communauté semble trouver son bonheur dans la consommation
régulière et ininterrompue d'artefacts à acheter, dont l'utilité ne
semble être que l'impression d'être à jour. Vêtements, accessoires, soldes, tournée, réédition d'albums, livres officiels, etc.Indo Mk2 prend soin de ne jamais laisser ses fans sans objet de patience, sans échéance, sans J moins...
Leur serait-il seulement possible de vivre, sans centrer tout leur paysage culturel autour d'une entreprise musicale qui prend toute la place, tant fondée sur la confusion volontaire, le mensonge et le vide ? Nous leur souhaitons que oui.
Mais peut-être serait-il temps d'augmenter le niveau d'exigence d'un cran.
Retour sur un énième malentendu beaucoup trop ancré.
La volonté d'association avec Placebo fut récurrente voire inévitable en interview à partir de 1999. Nicolas procédait comme il l'avait fait en 1996 avec Suede, Blur et Oasis : en livrant des analyses très personnelles sur le public de ses rêves, révélant au grand jour de grossières stratégies de communication. Nicolas s'engouffra dans cette nouvelle brèche avec un aplomb et une outrecuidance d'une rare intensité. Il fallait coûte que coûte que l'association rentre dans la tête des gens :
"On se sent plus proche de groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le paysage francophone."
"Indo
garde cette image forte en France de groupe des 80's, mais dans le
reste de l'Europe on nous classe dans le même créneau que des groupes
comme Placebo."
"J'ai vu quelques annonces l'autre jour : 'Guitariste cherche groupe. Influences Depeche Mode, Placebo, Garbage, Indochine'. Ça m'a touché, c'est la première fois que je voyais ça."
"Qu'aimes-tu dans la musique de Placebo, et voudrais-tu collaborer avec eux ? Oui... Sauf que je suis moins important que David Bowie. ! (Rires) Brian Molko aime bien Indochine et il nous connaît parce qu'il a habité au Luxembourg. J'aime leur musique parce qu'ils prouvent que même si c'est à la mode de dire que le rock est mort, ils peuvent innover quoi qu'il arrive. Sur scène, ils sont d'une perversité à la fois guignole et très forte. Ils sont visuellement très intéressants, avec cette ambiguïté qui m'attire. C'est sûr qu'entre Elvis Costello et Placebo, je choisis Placebo ! (Rires) Pour moi, le rock doit être sensuel. On jouera peut-être ensemble dans des festivals..."
Nicolas martelait tellement son désir d'affiliation avec Placebo qu'il finit par obtenir
un concert en commun en 2000 aux arènes de Nîmes, et même une interview
avec Brian Molko ! Le concert n'était pas complet, et les fans
d'Indochine minoritaires mais bruyants. Les articles de l'époque
mettaient forcément l'accent sur le caractère très incongru de cette association :
"En l'occurence, c'est Indochine (Nicola Sirkis est grand fan de Placebo) qui avait été choisi pour ouvrir le concert. Si pareille affiche, la foule n'a pas vraiment été au rendez-vous (dure concurrence du derby footeux Nîmes/Montpellier le même soir...) et que l'arène semblait loin d'être pleine, le public qui se préparait à réserver un accueil sans précédent au trio de 'Black Market Music', a commencé par faire un joli triomphe au groupe français en première partie, et pour qui la partie n'était a priori pas gagnée d'avance."
"21h30.
Indochine joue et fait chanter les premiers rangs. Bonne surprise, le
public semble également venu pour eux. Nicola Sirkis, en bon caméléon,
est habillé en parfait sosie de Molko."
Basile Farkas, Rock & Folk, juin 2000
Voilà ce qu'on appelle faire les yeux doux à un nouveau public.
Nicolas Sirchis & Brian Molko à Nîmes en 2000
À force de le répéter, Nicolas finit forcément par provoquer cette
hybridation tant désirée, entre des publics pourtant très différents et
qui n'avaient qu'assez peu à partager. Les nouveaux fans d'Indochine, qui
n'avaient pas pu échapper à la mode, virent alors en Placebo des sortes
de cousins, et surtout un soutien crédible de la part d'artistes
non-variété. L'intérêt fut en revanche - très logiquement - moins visible du côté de ceux qui
avaient aimé les premiers albums de Placebo, n'ayant évidemment rien à voir avec
quelconque production indochinoise quelle que soit l'époque.
"Nous,
depuis dix ans, on n'est nulle part, on n'a pas de marketing, beaucoup
ont l'impression de découvrir ce groupe : un peu marginaux, ne faisant
pas l'unanimité, parce qu'il y a une sincérité dans ce qu'on a fait et
dans ce que les gens ont capté. Si j'avais 15 ans aujourd'hui,
j'écouterais Indochine, Placebo et les Smashing Pumpkins".
Interview après interview, Nicolas n'en démordait pas.
"Depuis
dix ans, nous ne sommes plus programmés en radio, les médias nous
considérant peut-être comme finis. Mais notre public peut aimer autant
Placebo qu'Indochine."
"Or nous on s'était
aperçu au contraire il y a déjà quatre ou cinq ans qu'il y avait un tout
nouveau public, pour Indo, qui n'était pas là par nostalgie mais parce
qu'il associe le groupe à Placebo ou aux Smashing Pumpkins."
Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001
"Mais
cette fascination pour l'ambivalence demeure. Tes costumes de scène en
sont un exemple. Ton attirance pour l'univers de Brian Molko en est un
autre... - Oui, c'est vrai, grâce à lui d'ailleurs, je peux me remaquiller sur scène (sourire) !"
Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, février 2001
"Hier vous étiez les Cure à la française, aujourd'hui le Placebo francophone. Que pensent ces groupes anglais d'Indochine? - Brian,
je l'ai vu plusieurs fois. Ayant vécu au Luxembourg, il connaît bien
L'Aventurier. Il a revu le groupe récemment. Quand je vois comment il
est dans les loges et ce qu'il prend, c'est sûr qu'il est beaucoup plus
rock que moi. Placebo est plus noisy, plus Sonic Youth qu'Indochine mais
je sais qu'il nous aime bien. On a fait un concert ensemble et il se
sentait mal à l'aise de jouer après nous. Ce qu'on fait ne le touche
pas directement mais il est très respectueux de notre parcours et de
notre public. Il se rend compte que beaucoup de nos fans aiment aussi
Placebo. Il ne peut pas en dire du mal. C'est un malin, Brian.
Nicolas Sirchis, Télémoustique, janvier 2001
Si Brian Molko est en effet un personnage malin, Nicolas lui est rusé, fourbe voire insidieux. Et puis l'année suivante, il montra qu'il était possible d'aller encore plus loin :
"Le
fait que Placebo connaisse un succès phénoménal et que son public suive
Indochine, m'a réconcilié avec le rock. Tout le monde a en mémoire
notre affiche commune aux arènes de Nîmes en août dernier. J'ai alors découvert que Brian Molko était fan d'Indochine quand il n'était encore qu'un jeune étudiant au Luxembourg.
La longue tournée Dancetaria Tour nous a permis de rencontrer notre
public : il est de plus en plus jeune, il écoute aussi bien Smashing
Pumpkins, Nine Inch Nails, Marilyn Manson qu'Indochine. Ayant les mêmes
affinités avec notre nouveau public, notre son a évolué normalement."
Non. Seule une partie du public de Placebo, la plus jeune, simplement le nouveau public rock de cette époque, suivait également ce nouvel Indochine matraqué en TV et radio. Quant à cette évocation lunaire d'un jeune Molko fan d'Indochine, elle est volontairement exagérée. Le francophone Brian Molko connaissait évidemment Indochine, mais n'a jamais évoqué autre chose qu'un souvenir agréable de "L'Aventurier" à la radio luxembourgeoise.
"J'ai l'impression que la France a toujours été plus branchée par la variété. Je me souviens d'avoir vu s'enchaîner le clip de 'L'Aventurier' d'Indochine - que justement, je ne compare pas du tout à la variété - avec un clip de Dalida ou de C. Jérôme. Ça fait une dichotomie un peu bizarre. Je vois que tu es familier de la grande famille de la variété française ! - J'ai grandi au Luxembourg et j'ai beaucoup regardé la télé française. J'ai été confronté de près à la culture Michel Drucker ou Jacques Martin."
Brian Molko, interview croisée avec Nicolas Sirchis, Rocksound, août 2000
L'épisode des Arènes de Nîmes permet de comprendre les motivations de Nicolas, mais il fut à l'époque aussi dissonant que secondaire. La biographie officielle raconte encore aujourd'hui ce concert commun comme un highlight, et matraque infatigablement une filiation profonde entre les deux groupes. Aujourd'hui encore peut-on lire sur le site :
"Autre
point d'orgue de cette tournée, le 12 août, un concert Indochine /
Placebo est organisé aux Arènes de Nîmes. Une façon pour les deux
groupes, qui s'apprécient mutuellement, de se rapprocher encore un peu
plus."
Indo.fr
L'hagiographique Insolence Rock y va même à fond dans une sociologie de Hard Rock Café :
"Le
public drainé ce soir-là par les deux formations est sensiblement le
même, la génération des quinze-vingt ans (khôl et noir aux lèvres pour
les filles), fatiguée des modes éphémères imposées par l'industrie du
disque, et redécouvrant pêle-mêle les Cure, les Smiths ou Bowie dans la
discothèque du frère ou de la sœur aînée... [...] Au delà de la
différence d'âge, les deux musiciens cultivent à la fois le même respect
pour le passé et le goût de l'innovation sonore... Mais Molko vit en
Angleterre et Nicola en France... Pas évident, dans ces conditions, de
mettre en parallèle le succès et l'exposition médiatique de ces deux
groupes."
Sébastien Michaud, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004
Nicolas, très en confiance dans ce logiciel "Placebo", s'afficha dès le début
du Paradize Tour en 2002, avec une Fender Jaguar flambant neuve. Exactement la même guitare que Brian Molko, et qui faisait partie de l'image scénique de Placebo. Il enchaîna même au cours de la tournée avec une Gibson SG, dans la même couleur que Molko également.
Il n'est pas exagéré de dire que Nicolas s'était déguisé.
Ce choix avait bien sûr pour but d'installer une ressemblance entre les deux
groupes, et nous devons observer que cela a très bien fonctionné. Visuellement, l'illusion était redoutable. Mais Molko sortait de sa guitare un son et un jeu tout à fait singuliers, alors que Nicolas était toujours - et resta - débutant et franchement mauvais. Si le public indochinois a volontiers écouté, nous nous permettons de douter qu'il ait franchement entendu grand chose.
Mais à l'époque de l'Elysée-Montmartre, il allait falloir - très logiquement - encore un peu de temps au public d'Indochine pour intégrer cette nouvelle figure à leur représentation de l'univers d'Indochine. Brian Molko fut invité à la première date du Paradize Tour pour un DJ Set, mais la salle se vida aux trois quarts avant son arrivée. Un épisode gênant, soigneusement évité par les versions officielles qui préfèrent souligner encore et toujours que le chanteur de Placebo était là.
Sur un malentendu.
Comme Molko également, Nicolas alternait, au cours de la tournée, les tenues noires et blanches...
...allant même jusqu'à tenter la robe courte.
Nicolas allait vraiment très très loin dans l'imitation :
"Tu disais, 'je suis moins important que David Bowie'. Alors, y aura t-il un projet en commun, un duo ? - Honnêtement je ne sais pas. Moi c'est Bowie qui m'a donné envie de faire de la musique, et de préférer des groupes qui ont une aura sexuelle à d'autres. Brian Molko m'a donné envie de me remaquiller sur scène, chose que j'ai faite de 1981 à 1990. Ce côté sensuel me manquait. C'est vrai que Placebo a un côté beaucoup plus rock que nous, c'est ça qui justement m'intéresse ! J'aimerais qu'on reprenne 'Amoureuse' de Véronique Sanson. Je pense que ce sera un duo intime, dans le sens où on se connaît assez bien pour le faire."
"Nos routes sont parallèles, mais je pense qu'il ne faut pas qu'elles se croisent tout le temps... Tout le monde attend que nous fassions un duo, c'est trop évident ou alors sur "Amoureuse" de Véronique Sanson : "Une nuit, je m'endors avec lui...". La dernière fois qu'il est venu à Paris, nous avons passé la journée et la nuit ensemble ! Je vous vois venir, en tout bien, tout honneur bien sûr !"
"Brian m'a téléphoné juste avant qu'il n'entre en studio et il m'a dit que ça les intéresserait de faire un remix pour Le Grand Secret, je lui ai envoyé mais je ne sais pas où ils en sont !"
En 2005, le désir de Nicolas et de nombreux indofans de l'époque se réalisa enfin : Brian Molko chante sur un album d'Indochine !
Thought donc, qui termine quand-même en sought sur la version anglophone.
"Pink Water" fut jouée sur l'intégralité de l'Alice & June Tour, mais la voix de Molko était remplacée par une ligne de basse six cordes, mixée en avant. Les fans attendaient le duo sur scène, mais ce fantasme ne se produisit jamais : ils durent se contenter de chanter eux-mêmes. Le morceau sortit un peu plus tard en single chanté par Nicolas seul, et l'affaire mourut à petit feu avec le temps.
"Pourquoi ne pas avoir travaillé ensemble auparavant ? - Parce qu'on n'arrêtait pas de nous bassiner avec ça, et qu'il fallait que l'envie vienne de nous."
Nicolas Sirchis, Instantmag2 spécial Indochine, octobre 2006
Cette sortie est incroyable au regard des précédentes, notamment celles d'avril 2000 et janvier 2001 où il disait vouloir collaborer avec Brian Molko et avait même sa petite idée de reprise. Ici, Nicolas prétend qu'il n'a fait qu'accéder à la demande, alors qu'il avait créé cette affiliation de toutes pièces, et infatigablement matraqué le nom de Placebo pendant au moins six ans. Un moyen récurrent de se dédouaner, en projetant ses propres spéculations et calculs sur le public et les médias, et même confier un certain agacement. Décidément, personne ne comprend rien à Indochine !
Mais de la même manière qu'un "Tomboy" ou un "Gloria", "Pink Water" n'avait clairement pas
été écrit comme un duo, puisque seul un couplet était dédié au chanteur
invité. Il faut plutôt y voir un clin d’œil, comme un caméo. Une façon d'expliquer pourquoi "Pink Water" chanté par Nicolas seul est bien plus cohérent, à l'image de cette version apparue fin 2010, plausiblement pensée comme un enterrement définitif de la version album avec Brian Molko.
Malheureusement, depuis le milieu des années 2000, Placebo a peu a peu perdu en crédibilité artistique. Passé le court épisode de "Pink Water", Nicolas n'en parla plus en interview. Toutefois, il n'en avait pas complètement fini, puisqu'une référence furtive apparut dans le clip de "Un ange à ma table", qu'il réalise lui-même :
Suzanne Combeaud et Nicolas Sirchis dans "Un ange à ma table", 2010
Placebo, Without you I'm nothing, 1998
"Dans le clip de 'Un ange à ma table', on voit Suzanne et moi de profil, dans les couleurs d'une pochette de Placebo."
Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Éric Perrin, 2011
Il osa en 2011 dans Kissing my songs une ultime comparaison :
"Je retrouvais en eux quelque chose de l'Indochine des débuts, et du coup, avec Brian on s'est pas mal rapproché. [...] Il y avait un truc qui se passait, je le voyais comme un petit Nicola."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
C'est de la folie de dire un truc pareil, de faire preuve d'un tel narcissisme, d'une telle malhonnêteté et d'un tel manque de respect. Quel est ce "quelque chose" que Nicolas voyait, la présence d'une guitare rouge sur des vêtements noirs ? Les mèches de cheveux ? Du maquillage ? Un côté irrévérencieux ?
Nous pouvons lire cette extravagance comme un aveu grossier, selon lequel Placebo n'a jamais été vu autrement que comme un moyen pour éclairer Indochine de sa lumière, et que Nicolas s'aimait lui-même à travers l'intérêt qu'il portait au très respecté chanteur de Placebo.
Son coup de cœur pour le groupe londonien nous éclaire ainsi superbement sur son fonctionnement en matière de goûts musicaux.
"Pour
moi, Noir Désir, c'est tout sauf sexuel ! À part la gueule du chanteur
qui est intéressante... Enfin je veux dire, il est mignon."
Nicolas Sirchis, Rocksound, juillet 1999
"Pour
moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut
qu'il y ait de l'énergie, du sexe. Noir Désir c'est tout sauf ça, car
Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas. Et
c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant,
j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens.
Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple,
retrouver chez Placebo."
Nicolas Sirchis, Rocksound, janvier 2000
"Il y a quatre ans, quand j'ai vu "Nancy Boy" de Placebo sur MTV, je me suis dit : 'Enfin !'. Un vrai déclic de fan... Absolument, qui a eu lieu sur le côté un peu arty du clip de 'Nancy Boy'".
Interview croisée de Molko & Sirchis dans Rocksound, 2000
Donc dans les faits, il a juste flashé sur le clip et les looks. Il n'y a dès lors pas à s'étonner de ne pas entendre
d'influence musicale au delà d'une certaine distorsion. Plausiblement ce côté "pervers", mot qu'il employait alors assez souvent, alternativement à propos d'un son, ou d'une certaine attitude. Il n'y a pas non plus à s'étonner du fait que Nicolas ne connaisse pas les paroles de Placebo, sauf éventuellement lorsque le titre du morceau est prononcé.
"La première fois que j'ai vu un clip de Placebo, je me suis dit qu'enfin le rock anglais recommençait à être intéressant, dans ce côté un peu bowiesque, un peu sensuel..."
Donc : Nicolas aimait Suede depuis plusieurs années, mais c'est avec un clip de Placebo qu'il estima que le rock anglais était redevenu bowiesque et sensuel. Les connaisseurs de Suede apprécieront l'analyse clownesque du chanteur d'Indochine.
Depuis longtemps, et surtout dans la rubrique hebdomadaire "La playlist d'Indochine" sur les réseaux sociaux, les goûts de Nicolas sont assez clairs : une attitude rock et provocatrice, de l'androgynie, du maquillage et si possible de jeunes filles. Comme si cette musique n'était qu'un moyen d'encanaillement, pour ce Nicolas petit-bourgeois qui ne s'est jamais montré mélomane.
Et en 2020, forcément, inévitablement, il flashe sur Yungblud.
"Placebo c'étaient les
mêmes recettes que David Bowie au tout début, et puis après Marilyn
Manson, et puis là Yungblud c'est les mêmes recettes. Maquillage,
outrance, machin..."
Les mêmes recettes, trahissant une remise au second plan de l'aspect musical - rien que ça - doublée d'une ignorance voire d'un rejet des contextes culturels et langages très différents caractérisant les artistes cités. Nous vous renvoyons au reste du blog en ce qui concerne les recettes utilisées par notre héros.
En 2021, Nicolas s'engouffre dans un tunnel sur le plateau de Yann Barthès :
"Y.B. : Nicolas pourquoi vous avez jamais fait d'album en anglais ? -
N.S. : Bah parce que je parle anglais comme un français quoi. Si si.
Nan mais on travaille en Angleterre. En Angleterre c'est incroyable
parce que... Elle [Chris, ndlr] passe tout le temps. Euhhh, avant,
pendant, après, enfin j'ai toujours entendu. Mais euh, non, parce que,
en fait, moi j'aimais bien les versions originales... - Y.B. : Parce que vous avez été vachement inspirés par l'Angleterre justement. -
N.S. : Oui, ouiouioui absolument, mais euh... On a des limites, euh,
dans l'accent anglais, et donc euh, à un moment donné il aurait mieux
valu rester chez nous... Mais non, en fait, les morceaux qu'on reprend
comme ça, on aime bien, mais, euh. Comment dire. Euh, c'était plus
euh... En fait, le rock c'est beaucoup plus compliqué, euh... Dans,
dans, dans sa musique à elle c'est les nouvelles générations, c'est 3.0,
ça va beaucoup plus vite, euh... - Y.B. : Y'a du rock français, du rock britannique, c'est pas le même... -
N.S. : Ouais. Mais par contre on est respecté. Vachement. Euh, les
Anglais ils nous respectent vachement euh, parce que la carrière, parce
que et caetera, et puis y'a eu les Placebo qui sont venus, enfin y'a
plein de choses qui sont venues euh, vers nous, parce que ouah,
qu'est-ce que c'est que ce groupe là, comment ça marche..."
Dans les faits : Les Placebo ne sont pas venus, Nicolas est allé lui-même chercher leur chanteur pour s'en faire un ami. Comme au lycée, ça faisait bien de se montrer avec le gars le plus populaire dans la cour de récré.
Il est toujours fascinant d'écouter un musicien parler de ses influences, goûts et histoire personnelle en parallèle avec la musique. En revanche, il n'existe pas à notre connaissance d'autre exemple d'un chanteur dépensant autant d'énergie à parler des autres groupes à la mode pour essayer de s'y faire associer. Les interviews et citations sont claires : Nicolas n'a jamais su parler de Placebo et de ce que musique et paroles pouvaient représenter pour lui au delà d'un intérêt pour un aspect provocateur et un coup marketing.
Le lien entre les deux groupes ne semble basé que sur un certain goût pour la transgression, l'androgynie et les vêtements noirs. Une pareille affiliation ne semble possible qu'au pays de Johnny, où le rock est avant tout pensé comme un look et une attitude. Mais Placebo mérite bien mieux que cela.
Aujourd'hui
encore, il est naturel pour une grande partie du public arrivé au début
des années 2000, plausiblement très influencé par une campagne
marketing redoutable, de mettre les deux groupes dans le même panier. Et
aujourd'hui encore, nous ne comprenons pas pourquoi, puisque cette illusion permise par un mauvais tour de magie disparaît en appuyant sur "Play".
Fallait-il parler de Wax avec la même application et les mêmes égards qui ont guidé notre travail sur Paradize ? Si l'album de 1996 n'a que très peu à voir avec le premier album d'Indochine Mk2 (Paradize, vous suivez ?), il partage avec ce dernier une remarquable complexité, un opportunisme plus ou moins adroit, et un goût prononcé pour les contradictions.
Aux débuts de nos travaux, c'est de cette époque bâtarde dont nous nous étions inspirés pour le visuel du présent blog. Nous sommes, comme Nicolas, fascinés par les malentendus. Précisons-le de suite : bien qu'il ait été question d'Indochine 2 et du premier album d'un nouveau groupe, Wax n'est pas pour nous le premier album de ce que nous appelons Indochine Mk2 : le
collectif de cette époque autour des jumeaux Sirchis n'a rien à voir
avec le duo Nicolas/Olivier et les musiciens qui les entourent.
Mais Wax est forcément fondateur de quelque chose, en tant que premier album de l'Indochine post-Dominique. Nous tâchons d'étudier ce quelque chose depuis la création de ce blog, toujours est-il qu'en 1996, nous avons affaire à un véhicule au point mort, sans direction, quitté par son conducteur. C'est le premier album d'Indochine avec Nicolas pas exactement comme directeur artistique mais plutôt président. Les références changent.
"Au bout d'un certain temps, une démocratie dans un groupe, ça ne fonctionne pas. Parce que lorsque tu as quatre univers différents, ou plus, qui ne s'interpénètrent pas, ça devient difficile. Surtout si en plus les envies ne sont plus les mêmes."
Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002
Chacun sait que si Indochine Mk1 était un groupe, ce n'était pas pour autant une démocratie : la perte de la direction d'Indochine a fait prendre conscience à Nicolas qu'il en fallait une.
"L'acte 2, comme tu l'appelles, s'est ouvert avec la compile Unita et le nouveau titre 'Kissing my song' qui est plus proche de ton album solo que des standards d'Indochine. - On me l'a dit ! Peut-être faut-il en conclure que désormais, Indochine, c'est moi. Avec une liberté totale de mouvements."
Nicolas utilise ici les mots d'une autre personne pour accréditer son propre calcul, d'autant que Dans la lune et Wax n'ont franchement rien en commun ! Rappelons aussi que l'album perso de Nicolas composé de reprises a été entièrement joué, réalisé et arrangé par Les Valentins. Dès lors, en admettant que Wax y ressemble, que faut-il vraiment en conclure ?
"Cette période je la justifie un peu par le nom d'acte 2, c'est vraiment le septième album d'Indochine, dans le terme, mais c'est aussi le... le premier album d'un nouveau groupe quoi. C'est vraiment ça. Donc avec l'acquis par contre, professionnel, qu'on a eu ces quinze dernières années."
Nicolas avait à ses côtés un excellent guitariste en la personne de Stéphane, mais souhaitait rester à la tête d'un groupe à deux guitaristes.
Stéphane voyait pourtant encore à cette époque la possibilité de devenir le
compositeur principal d'Indochine, mais Nicolas ne l'entendait pas de cette
oreille.
"Stéphane n'a jamais voulu être leader ? Nicolas : Je pense que si. Mais il est mieux dans ce qu'il fait. On a toujours envie d'être plus important. Moi, j'ai choisi inconsciemment d'être chanteur parce que je ne savais rien faire d'autre, et lui son truc c'était la guitare. Il ne sait pas 'écrire', donc c'est moi qui écris tous les textes. Ça s'est fait comme ça."
Deux guitaristes, comme chez Mk1 ou les très populaires Oasis par exemple : un guitariste et directeur artistique, assisté d'un autre gratteux exécutant.
"En 1996, quelles sont vos influences ? Je suis ravi du renouveau de la pop anglaise avec des groupes comme Oasis. Le seul groupe que j'ai toujours suivi, c'est U2 parce qu'ils ont su évoluer."
Nicolas Sirchis, Platine n°34, octobre 1996
C'est vrai, et il est possible que Nicolas ait pris U2 en exemple pour que chaque album d'Indochine soit très différent. Mais en ce qui concerne Oasis, au delà de la très racontée guerre avec Blur, ils firent se retrouver beaucoup de groupes anglais de cette époque autour d'une certaine détestation commune pour le groupe mancunien.
"Nicolas : [...] À l'époque, j'aimais le côté un peu "sales gosses" de Oasis. Mais, avec Placebo, j'ai découvert quelque chose de nouveau. [...] Brian Molko : Alors qu'Oasis, en revanche, je ne suis pas du tout client... "
Nicolas Sirchis, interview croisée avec Brian Molko, Rocksound, 2000
Le très officiel Insolence Rock brosse un portrait généraliste de la musique britannique du milieu des années 90 à grands coups de name dropping.
Indochine y est présenté comme un groupe pointu, et l'opportunisme du
chanteur comme un coup de génie : lui aurait enfin su où amener Indochine et comment,
ce que Dominique n'aurait pas su - ou pas pu - faire.
"On
a l'impression que le... le chat étant parti, les souris sont euh, ont
fait tout ce qui leur a plu, avec cette maturité... professionnelle
qu'on a pu conserver quoi."
"Du
coup, le départ de Dominique qui, pour moi, aurait été une catastrophe
cinq ans auparavant, était dans ce contexte presque bénéfique. C'était
genre : 'On va pouvoir aller là où moi j'ai envie d'aller !' Et révéler tout le potentiel de ce groupe qui me semblait encore énorme."
Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002
Le mot qui allait prévaloir sur tous les autres pour définir cette période du groupe français fut donc, et reste encore à ce jour : britpop. Ce fut aussi le début pour Nicolas d'une fascination pour Brett Anderson et les très bowiesques Suede qui allait le suivre très longtemps.
Brett Anderson
Nicolas décrit cette période précédent Wax, avec le ras-le-bol puis le départ de
Dominique Nicolas, et son accession au trône de directeur artistique
d'Indochine, comme suit :
"Savoure le rouge aurait pu être un méga-tube, mais aucune radio ne
le passe, l'album [Un Jour Dans Notre Vie, 1993, ndlr] est un flop total mais on voit qu'il y a des fans, un
public qui commence à me plaire, qui aime Suede, Blur. C'était le début
du grunge."
Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Éric Perrin, 2011
Il y aurait donc un public qui ne lui plaît pas ! Pouvons-nous savoir lequel ?
Une époque difficile où Nicolas essayait plutôt d'imiter Dave Gahan et Bono, tous deux chanteurs de groupes marqués eighties et qui avaient éventré le début des années 90 avec respectivement les bombes Violator (1990) et Achtung Baby (1991).
Si le grunge avait été globalement désagréable pour un Nicolas plus pop que rock, il ne semble considérer le phénomène britpop que comme une évolution plus audible avec des personnalités plus androgynes.
"Les
groupes britanniques comportent en général un ou deux jolis garçons -
pâles, minces, de très beaux cheveux ; certains mettent même de
l'eye-liner. Cette androgynie séduit les jeunes femmes aimant que leurs
fantasmes pop soient sensibles et délicats - efféminés, à l'opposé des
beaux gosses musculeux."
Simon Reynolds : "Un nouveau regard sur la britpop", Salon, décembre 2007
"Le
rock, pour moi, doit être avant tout sexuel. Prince, Bowie, Patti
Smith, ça transpire le sexe. Le rock, c'est la morale, le sexe et le
social. Alors oui, je fais ça, mais sans tomber dans l'obsession non
plus. C'est vrai que ça passe inaperçu, mais je ne peux pas écouter les
albums à la place des critiques..."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
Le Nicolas agacé par les boys bands avait perçu cette androgynie. Mais notre héros incompris était loin de voir dans la tendance britpop cette réponse justement typically british, ironique et excentrique, à ce grungetrop codifié, et qui était devenu hégémonique sur les radios. Il s'agirait donc principalement de saturer les guitares et d'adopter une attitude plus sensuelle, androgyne et irrévérencieuse.
Mais si le cahier des charges est corrompu dès le départ, que Nicolas est incapable de commenter subtilement les champs musicaux qui l'entourent, et qu'il est inapte à la malice et au second degré... Comment bâtir un propos musical affiliable à la britpop, malgré une telle absence d'anglophilie ?
Première possibilité : Y aller carrément, et appeler Bernard Butler, le guitariste de Suede.
"Fortement influencé par la nouvelle vague pop anglaise, Nicola part à Londres et y séjourne pendant plusieurs semaines, à la recherche d'un nouveau guitariste. Le chanteur multiplie les rencontres, traîne du côté du label Rough Trade, puis finit par contacter Bernard Butler. Le guitariste prodige de Suede vient de lâcher ses collègues à l'issue de l'enregistrement de Dog Man Star..."
Sébastien Michaud, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004
Au lieu du flatteur "fortement influencé", il aurait été plus adéquat d'écrire "fortement attiré" en parlant d'un Nicolas complètement dépassé par les tendances musicales de cette époque. Quant au label Rough Trade, si sa mention évoque certes l'indépendance et l'expérimentation, il faut tout de même savoir qu'il a fait faillite en 1991, avant de n'être relancé qu'en 2000.
Bernard Butler
"Un mec très jeune, super calme, super gentil. Il me dit 'j'ai envie d'écrire pour toi, mais pas pour Indochine.' On travaille un peu ensemble sur quelques trucs, mais son manager finit par me dire qu'il est un peu dans la position de Johnny Marr quand il a quitté les Smiths : il ne sait pas où il veut aller... Il a fini par faire une carrière solo, et je trouve que ce qu'il a fait par la suite était extraordinaire. Ça n'a pas marché, mais ses musiques sont vraiment, vraiment bien."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
La version de Butler, voire celle de son manager, serait très intéressante, et plausiblement un peu différente de celle de Nicolas... Le guitariste anglais se concentra jusqu'en novembre 1995 sur sa collaboration avec le chanteur David McAlmont.
"On s'est vus plusieurs fois à Londres. Il avait écouté nos disques, son album favori est le "3", et il voulait tenter quelque chose avec moi. Mais il est définitivement trop compliqué. Même le duo McAlmont/Butler dans lequel il s'est beaucoup investi est un échec. Il ne sait pas ce qu'il veut, change tout le temps d'avis. De mon côté, j'avais eu ma dose d'états d'âme et de prises de tête. Il a intérêt à fonder rapidement son propre groupe. Mais nous sommes toujours en contact et il n'est pas exclu qu'il joue sur le prochain album d'Indochine."
Deuxième possibilité : Trouver un autre guitariste à Gibson et aux cheveux longs, mais qui parle la langue. Ce sera Alexandre Azaria, présenté par Daniel Chenevez de Niagara.
Alexandre Azaria avec Le Cri de la Mouche
Un malaise se révèle pourtant assez rapidement avec le nouveau guitariste :
"Je voyais très bien qu'avec lui il y allait avoir des problèmes de
pouvoir, et j'ai donc décidé d'une double production, Azaria d'un côté,
Pilot de l'autre."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
Une décision catastrophique de la part d'un directeur artistique débutant, qui ne pouvait que desservir l'album en détruisant toute possibilité d'homogénéité.
Wax avec Azaria
Wax avec Pilot
Unisexe
Révolution
Je n'embrasse pas
Drugstar
Coma, Coma, Coma
Echo-Ruby*
Kissing My Song
Les Silences de Juliette*
L'Amoureuse
Satellite*
Peter Pan*
Mire-Live*
Ce soir, le ciel*
* : Compositions de Stéphane.
Rappelons que le très apprécié "Kissing my Song" est une composition d'Alexandre Azaria, et initialement le morceau bonus de la compilation Unita (1995). Le guitariste est aujourd'hui quasiment occulté de l'histoire officielle d'Indochine racontée par Nicolas. C'est aussi le seul titre où l'influence de Suede s'entend vraiment ; on peut même voir Azaria singer les mouvements de Bernard Butler dans le clip du morceau en question.
L'amour des fans pour "KMS" semble donner raison à Nicolas qui estime que personne n'est irremplaçable et que chaque musicien est là pour se mettre au service d'Indochine - entendre, de lui. Ils ne seraient tous qu'un moyen, pour faire vivre l'univers existant dans la tête de Nicolas.
Les fans du Black City Tour se souvenaient-ils en entendant "Kissing My Song" que le compositeur du morceau n'était pas sur scène ?
Le passage d'Alexandre Azaria sur le navire a essentiellement été raconté par Nicolas dans des termes très dépréciatifs :
"Il
a commencé par dire que c'était lui qui allait tout produire, et qu'il
allait le faire uniquement selon son goût. Je lui ai dit que ça n'allait
pas, qu'il s'agissait d'Indochine et non pas de lui, et qu'on allait le
produire ensemble..."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004
"Nous, dès qu'on est rentrés en studio avec Azaria, on savait déjà qu'il allait repartir. Je ne voulais pas de quelqu'un qui se sente investi d'une 'mission'... Si tant est qu'il y ait eu une mission, c'était à nous de l'accomplir, et pas à lui. En plus, il était très hautain, et le fait qu'il ait cosigné des titres a occasionné par la suite pas mal de problèmes d'argent, il avait utilisé des samples... Enfin c'était un vrai sac de nœuds."
Nicolas Sirchis in Le Roman-Vrai d'Indochine, J-C Perrier, Bartillat, 2005
Nicolas ne semble pas avoir apprécié qu'Azaria n'ait pas su se faire discret, il aurait apparemment fallu laisser les jumeaux travailler. Pouvons-nous tout de même rappeler ici que Nicolas Sirchis l'a appelé pour remplacer Dominique, et donc jouer ce rôle de révélateur d'un potentiel dit encore énorme ? Et surtout, et c'est une autre contradiction : nous savons parfaitement que c'est Nicolas qui a imposé les cosignatures, notamment à Stéphane dont il estimait les compétences insuffisantes. Pourtant, l'évidente et gracieuse aide de Jean-Pierre Pilot sur "Drugstar" ne fut pas mentionnée dans les crédits. Toujours est-il qu'il semble confondre une cosignature avec l'utilisation d'un sample, problématique qui lui était encore étrangère vue son ignorance en matière de musique électronique.
Stéphane Sirchis, 1996
Souvenez-vous lorsque nous écrivions que Nicolas était une entrave pour Indochine, et que sans lui pour freiner les velléités de chacun, la musique du groupe aurait été infiniment plus audacieuse et originale. Wax approche pourtant une proposition aussi casse-gueule que courageuse, mais vous l'avez, l'image du frein à main ?
Le
très sympathique Alexandre Azaria parle pourtant positivement de
son expérience avec Indochine dans le documentaire L'Aventure
Indochine en 2017 :
"C'était ma première aventure en tant que compositeur... Et j'ai eu pas mal de chance ouais, de tomber sur quelqu'un comme Nicolas, qui fait partie des gens qui donnent la chance, en tout cas qui font confiance, à des gens même si euh... ils ont pas fait grand chose avant quoi. Et ça s'est super bien passé. En fait on s'est retrouvé, comme un peu deux gamins, dans une chambre à faire de la musique quoi. Et moi j'en garde un super souvenir quoi."
Alexandre Azaria, L'Aventure Indochine, France 4, 2017
Malice d'Azaria, se sachant systématiquement bafoué dans les livres officiels où il est présenté comme un arriviste pédant, entré sans s'essuyer les pieds ? Jamais nous n'avions entendu pareille confession sur cette époque peu documentée, où Nicolas pensait avoir trouvé le remplaçant de Dominique idéal.
(Aparté : Le guitariste anglophile de ses rêves sera plutôt Boris Jardel, qui en 1996 tournait encore avec Vanessa Paradis.
En attendant ce dernier, ce sera Xavier Géronimi - collaborateur de
Bashung avec J-P Pilot, mais surtout d’Étienne Daho - qui assurera le Wax Tour et le Live Tour. Avec un son "rock" caricaturé et une implication ne dépassant jamais l'exécution professionnelle.)
Les jumeaux d'Indochine sont donc encadrés par :
Alexandre Azaria, vers les différentes tendances de la musique britannique du milieu des années 90, le côté "cool".
Jean-Pierre Pilot, vers une chanson classieuse "à la française", le côté "cultivé".
Jean-Pierre Pilot, arrivé en 1994, est l'homme grâce à qui Indochine a pu traverser cette décennie. En plus d'avoir lui-même opéré une vraie évolution sonore au sein du groupe (des claviers en mousse de Radio Indochine aux synthétiseurs puissants de Dancetaria, jusqu'aux pianos enchanteurs de Nuits Intimes), il eut aussi la patience et le dévouement nécessaires pour arriver à faire progresser notre héros d'une façon très significative.
Jean-Pierre Pilot
"Comme deux frères" montre l'implication de Pilot, qui n'hésite pas à faire preuve de bienveillance et de la plus grande abnégation pour aider Nicolas à atteindre les meilleurs résultats possibles quitte à le faire souffrir. Chose incroyable pour Indochine, et qui n'était jamais arrivée jusqu'ici : en 1996, les voix sont parmi les points forts de l'album.
En plus d'y montrer quelques textes plus que corrects, Nicolas Sirchis chante remarquablement juste sur l'album de 1996. Son timbre de fausset irritant qui lui est pourtant si naturel est ici quasiment absent, et il se montre compétent au point de réaliser lui-même de nombreux chœurs. L'introduction du disque avec "Unisexe" en est un exemple flagrant, et fut très étonnant à la sortie du disque. Plusieurs autres titres de l'album témoignent de ce progrès : "Coma Coma Coma", "Satellite", "L'Amoureuse"...
Si le Nicolas de Wax jusqu'à Paradize vous semble si différent de celui d'aujourd'hui, c'est grâce à Jean-Pierre Pilot. Il est le pilier sur lequel le Nicolas pugnace de cette époque a pu s'appuyer. Quand bien même il en est absent, Paradize n'aurait pas eu la même tête sans l'apport de Pilot. Son départ, la différence flagrante de mentalité avec l'obéissant Olivier Gérard, ainsi que l'excès de confiance provoqué par le succès pharaonique de 2002 peuvent participer à expliquer la disparition des quelques aptitudes musicales de Nicolas, durement gagnées au sein des années 90.
En
1996, nous avons donc deux musiciens qui essayent de
traduire les désirs potentiellement contradictoires des jumeaux Sirchis. Nicolas essaye de
comprendre les directions étranges prises par la musique dans ces années
désinvoltes. Stéphane lui, enregistre beaucoup et propose des démos
entre énergie rock, électronique et tradition indochinoise. Des
propositions originales qui ne font qu'assez peu le bonheur de Nicolas,
qui semble regretter les compositions clé-en-main de Dominique, et subir
cette proximité contrainte avec son frère jumeau.
"Stéphane,
il faut s'adapter à la composition, avec Dominique j'ai mis 4-5 ans à
m'adapter à la composition, parce que lui il amenait vraiment les
accords, les morceaux... Je mettais la mélodie-voix mais c'était
concret. Stéphane c'est quand-même... Des bandes entières de trois riffs
par-ci, quatre riffs par-là, donc il faut vraiment piocher dans cette
histoire, et bâtir la chanson ensemble. Donc c'est plus un travail
plus... De longue haleine."
"Le fait d'être frères, c'est une force ? Non,
pas particulièrement. Stéphane, c'est plus un membre du groupe que mon
frère. On se voit davantage pour la musique que pour des réunions
familiales."
Nicolas Sirchis, Platine n°34, 1996
Nicolas et Stéphane Sirchis, 1996
"Comment on travaille quand on est frères ? Nicolas (ironique) : Difficilement. C'est très difficile. Stéphane : T'es dégueulasse toi ! (rire) N : Si le groupe devait s'arrêter ce serait vraiment à cause de ça... Non non, mais c'est très difficile. S
: On travaille comme on a travaillé avec Dominique, quand Dominique
était là, qui composait la plupart des morceaux... C'est à dire qu'on
travaille chacun chez soi, et puis on se retrouve, et puis on s'échange
ce qu'on a fait, Nicolas rajoute ses textes, mélodie voix, et puis
voilà."
Interview de Stéphane et Nicolas Sirchis, 1996
"Pour
Wax, on était censé être deux, mais en même temps, il ne fallait pas
compter sur Steph pour prendre des décisions, il attendait que je les
prenne. Lui ne voulait pas, ce n'était pas dans son caractère... Donc,
j'ai assumé."
Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002
Les séances photos de l'époque mettent en revanche l'accent sur les jumeaux Sirchis. C'est Indochine !
Stéphane et Nicolas Sirchis, 1997
Wax est aussi l'album où apparaissent les premières tentatives du Nicolas compositeur, avec "Drugstar", "Révolution" et "Je n'embrasse pas". Une mentalité de "simplicité dans l'efficacité", qui n'était pas encore tout à fait la fainéantise suffisante des albums actuels. Nous voyions surtout apparaître ce qui allait devenir une constante :
l'utilisation très prioritaire des compositions de Nicolas dans les
choix d'édition.
"Drugstar", refonte - possiblement par cryptomnésie - de la reprise de "Money" par The Flying Lizards, fut le seul morceau de l'album à ne pas subir la co-composition, et constitua même le premier single.
Insolence Rock nous dit toutefois que si "Les Silences de Juliette" était évidente (pourquoi pas, ndlr), ce fut la maison de disques qui imposa "Drugstar". Difficile à vérifier. Quoi qu'il en soit, Nicolas aime ses chansons :
"Il y a pas mal de titres que j'apprécie, comme 'Drugstar' ou 'Révolution' que j'adore, des titres méconnus qui mériteraient pourtant d'être découverts."
"Révolution" jouée à Taratata, avec Tina Hersan, la fameuse choriste, celle-là même qui horrifia le jeune Olivier Gérard au concert du Casino de Paris.
Parce que oui, il y a une choriste sur Wax. Pourquoi ? Parce que Primal Scream. Ce groupe écossais, responsable en 1994 de Give Out But Don't Give Up tapa dans l'oreille de Nicolas, qui y entendit une résurgence de ses souvenirs des Rolling Stones avec un vernis de modernité. Et surtout d'intéressantes idées d'arrangements, facilement identifiables au milieu d'une époque musicale foutraque : ajouter des chœurs et des cuivres ! L'occasion de placer des clins d’œil :
"Je sais que c'est un truc qui n'a pas trop fait plaisir aux fans. Mais à l'époque j'écoutais Primal Scream, un groupe qui utilisait des gospels mélangés à une techno rock, et j'aimais beaucoup. C'est aussi une sorte de clin d'œil aux Beatles, principale référence de la britpop... Donc moi j'assume complètement !"
Nicolas Sirchis, Elegy, février 2002
"Un titre inspiré par les Stones... - Ruby Tuesday, bien sûr."
Kissing my songs, Nicolas Sirchis & Agnès Michaud à propos de "Echo-Ruby", 2011
Nicolas entend-il autre chose dans la musique qu'il écoute que des signifiants à calquer ? Le nom du groupe Echobelly, que Nicolas citait aussi à l'époque, dut aussi avoir son importance dans ce petit jeu de mots. La musique en revanche, non.
Sébastien Michaud écrit à propos d'"Unisexe" qu'il sonne comme une version française de "Rocks" de Primal Scream. Si la référence n'est là que pour crédibiliser un morceau qui ne se suffirait pas à lui-même, il est vrai cependant que l'influence d'Andrew Innes peut s'entendre dans le jeu d'Alexandre Azaria. On pourrait aussi rapprocher "Jailbird" des guitares rocailleuses de "Coma Coma Coma". Un exemple toutefois de la crétinerie du name dropping dans le Camion Blanc : la simple présence de guitare acoustique sur "Echo-Ruby" suffit à l'auteur pour sortir une comparaison avec l'Unplugged de Nirvana.
Question
paroles, un champ lexical de la religion commence à pointer le bout de
son nez. Nicolas semble avoir apprécié entendre Martin Gore élaborer des
parallèles entre sexe et religion, et place les mots "baptiser" et
"confesser" au sein d'histoires de première fois féminine. Vous savez,
celle qui fait un peu mal, dont on garde un mauvais souvenir, alors que
monsieur a pris son pied.
Les histoires de sexe adolescent voire
d'inceste sont toujours là, plus directes que jamais, et gênent
profondément les très patients Jean-Pierre Pilot et Stéphane Sirchis,
jeunes pères de petites filles.
Et pour combler les failles de cette maison de paille : le mythe du public salvateur, qui nous a été raconté un nombre de fois absolument délirant.
Nicolas aurait vu arriver un public merveilleux, dont il aurait su sonder le goût parfait. Il aurait souhaité lui répondre, lui rendre hommage par la musique, et par là-même propulser Indochine dans une nouvelle dimension artistique. Toutes les cloisons entre l'énergie mystique déployée sur scène et l'émotion poignante du public s'en seraient vues brisées. Comme un manifeste du groupe un peu magique qu'allait devenir Mk2... Si important pour tant de gens, et pourtant si aisément démystifiable.
"Nos fans aiment autant les Smashing Pumpkins que Björk."
Nicolas Sirchis, Platine n°34, octobre 1996
Seule fois où Björk (alors au sommet critique avec Post) fut citée.
C'est le début d'un processus de communication centré sur l'auditorat. Le public d'Indochine n'est donc plus seulement le contenant, il en devient aussi un contenu crédibilisant, un moyen pour un name dropping et faire croire à une hybridation avec d'autres publics plus "branchés". Cette communication centrée sur le public, les séances photo et le rattachement forcé à des hypes deviendra, par la suite, une constante. Nicolas était sacrément gonflé.
"Votre public est-il toujours le même? - Non, il y a déjà une nouvelle génération de fans, des jeunes de 15 à 20 ans qui nous ont découverts par notre dernière compilation. Ils sont férus de Suede ou de Blur, et pour eux Indochine est le groupe français qui s'apparente à cette vague pop anglaise, Noir Désir étant plus rock et les Innocents plus proches de la variété."
Comme nous sommes chez Indochine, la pochette occupe une place centrale :
Nicolas emploie d'ailleurs le mot "concept" à son sujet, ce qui nous en apprend encore davantage sur sa définition du mot employé dans le champ musical. Le concept ? Avec le bandeau, on ne sait pas tout de suite ce que ces deux jeunes gens font. Puis on découvre qu'ils s'épilent les jambes. Fin.
Si une idée amusante pour une pochette signifie un concept, alors revoyons ensemble la copie d'Alice et June (2005).
Pourquoi avoir choisi "Wax" comme titre de votre nouvel album"? - Wax, qui veut dire cire en anglais, et qui est aussi le nom du fartage pour le surf, est une expression que j'emploie souvent au lieu de dire "waq". (ndlr : waq, verlan de quoi, est une expression très utilisée chez les jeunes actuellement.)"
En 1997, afin de souligner encore un peu plus cette cooptation tant désirée
avec la britpop, le clip de "Satellite" sera directement calqué sur "Song 2" de
Blur, sorti quelques mois précédemment.
Blur en avril 1997
Indochine en juin 1997
Simon Reynolds estimait en 1995 que la guerre de la britpop entre Oasis et Blur constituait l'aspect le moins enthousiasmant de la musique britannique de cette époque :
Si l'on excepte la britpop et sa fixation dogmatique sur les sixties, la scène anglaise génère la musique la plus vivante et futuriste au monde. Que ce soient les expérimentations postrock de Laika et de Techno Animal, le trip-hop atmosphérique et sinistre ou la frénésie cyberpunk de la jungle, tous ces développements sont nés des innovations rythmiques du hip-hop et de la techno. En comparaison, les rythmes de Blur et d'Oasis souffrent d'un déficit flagrant de puissance."
Simon Reynolds, "Blur vs Oasis", New York Times, 22 octobre 1995
Le journaliste britannique écrivait d'ailleurs dans un autre article que si guerre il devait y avoir, elle se situerait plutôt entre Blur et Pulp.
Il est assez amusant de constater que Nicolas fixait un phénomène très médiatisé mais au demeurant peu important, qu'il luttait à comprendre et à analyser, alors que les avancées d'outre-Manche avaient directement influencé le beaucoup plus anglophile Étienne Daho. En effet, deux semaines après Wax sortait l'immense Eden, digestion française impressionnante des tendances électroniques citées plus haut.
Etienne Daho, Eden, 1996
"C’était une époque complètement dingue. À Londres, nous étions au centre d’un bouillonnement artistique et musical. On absorbait tout ce qui nous arrivait. C’est sans doute pour cette raison qu’Eden est un album assez unique, car il mélange des influences tellement variées que sa cohérence demeure, encore aujourd’hui, un mystère pour moi. [...] On redécouvrait aussi l’easy-listening et des disques qui m’étaient déjà très familiers depuis l’enfance."
"J. Persitz : Il me semble qu'un peu à la manière de Depeche Mode, Indochine a opéré une mue en douceur avec l'album Un Jour Dans Notre Vie, puis l'a pleinement achevée avec Wax, qui sonne comme un premier album, bien qu'on n'y sente pas l'appréhension souvent propre à un premier album. On est passé de mélodies dansantes à d'autres, pas plus noires, mais plus rock. On est clairement plus proche de l'Iggy Pop de American Caesar que d'Etienne Daho ! N. Sirchis : Très très loin d’Étienne Daho, ça c'est sûr ! On se sent plus proche de groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le paysage francophone."
Comme quoi, même Étienne Daho était trop anglais pour Nicolas, bien plus à l'aise dans son appréciation très française du groupe Placebo, qu'il découvrit pourtant après Wax, avec le clip de "Nancy Boy" (janvier 1997) sur MTV. Sachez apprécier la différence fondamentale entre l'absorbtion et la digestion de tendances musicales passionnantes, et la simple recalque de signifiants hype pour rattraper l'air du temps.
"L'Amoureuse", conçu par Alexandre Azaria, est un des rares morceaux qui peut s'approcher - strictement musicalement - des paysages dans lesquels voyageait Étienne Daho. Le titre ne rencontra pourtant pas, et toujours aujourd'hui, un grand écho chez les fans d'Indochine. Sorte d'ovni pour le groupe, il donne un aperçu des volontés d'Azaria pour aider l'ambulance Indochine à rouler de nouveau et explorer de nouveaux territoires.
"On s'est dit qu'on allait demander l'asile politique en
Belgique parce que la France, c'était pourri, noyée sous le rap. Les
groupes de rock étaient balayés. C'était Noir Désir et personne
d'autre."
Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
En effet, quelques jours après Wax sortait 666.667 Club
du groupe bordelais, dont les tubes "Un jour en France" et "Un homme
pressé" tournaient en radio depuis l'été. L'album fut un carton
critique et surtout commercial dans la lignée du très salué Tostaky (1992), et est encore à ce jour cité en très bonne place dans les Discothèques idéales du rock français, comme celle des très conservateurs Rolling Stone où il occupe la 12e place. Indochine y figure d'ailleurs avec Paradize, à la 98e place.
"Les
médias en ont eu ras-le-bol de nous. Les radios et les télés qui nous
avaient soutenus au début ont dû être saturées et se sont dit 'c'est un
groupe qui ne marche plus !' Mais le renouveau pop va peut-être
renverser la vapeur ! Car la pop en France, c'est tout de même venu avec
Indochine. Rappelons qu'à nos débuts, on nous reprochait d'utiliser des
synthétiseurs, alors qu'aujourd'hui, tout le monde les ressort et c'est
devenu très 'hip' !"
"On a ressorti nos vieux synthés monophoniques qui donnent des vrais sons synthétiques et qui marquent actuellement le renouveau de la pop britannique. Blur avait les mêmes à l'Olympia. Pourtant, à nos débuts, qu'est-ce qu'on nous avait cassé sur ce son..."
"On
nous avait tellement assassinés parce qu'on utilisait des synthés
machin et caetera, maintenant ça devient... c'est le dernier chic, c'est
de réutiliser des Minimoog, enfin tous les synthés, les vrais
synthétiseurs c'est ceux qui font des bruits bizarres, des bruits de
laboratoire [...], et donc justement les sons bbzzzz ça nous intéresse
depuis le début, parce qu'on utilisait ça."
Les Minimoogs, bbzzzz et autres bruits de laboratoire très hip, c'est bien la déferlante de l'easy listening au milieu des années 90. Un intérêt nouveau se manifesta à cette époque pour les années 50 et 60, avec des rééditions et même des nouveaux groupes (Combustible Edison, The Mike Flowers Pops, The Gentle People).
Simon Reynolds voyait dans ce revival une réaction contre le rock alternatif omniprésent dans le mainstream de
l'époque.
"The music's quirky arrangements and zany sound effects, its aura of opulence and optimism, are providing light relief for latter-day hipsters who have tired of the heaviness -- musical and emotional -- of today's alternative rock."
"If one thing unites the devotees of easy listening, it's the sensibility that could be described as passionate irony. It is a rebellion against the alternative mainstream and its ethos of authenticity. For hipsters, artists like Trent Reznor of Nine Inch Nails and Eddie Vedder of Pearl Jam strive so hard to be honest that they come across as histrionic and corny."
C'est justement après ce mainstream "rock alternatif" que Nicolas allait continuer à courir pendant encore un certain temps.
Compilation The Easy Project, 20 Loungecore Favourites, 1995
"Depuis quelques mois, les nuits londoniennes puisque c'est encore là que ça se passe s'habillent de couleurs pastel et bruissent de musiques d'ascenseur. Chez Madame Jojo, au Smashing ou au City Cheese, nouveaux temples de la cocktail culture, des jeunes gens posent en costumes fifties, chemise parme ou robe rose, sirotent des daïquiri en fumant des menthol, comme si leur vie défilait sur fond de générique de 'Chapeau melon et bottes de cuir'. [...] Des bandes originales de films et de feuilletons, des mélodies influencées aussi bien par le rock, le jazz, la pop, la bossa nova, la musique symphonique, l'exotisme synthétique ou la science-fiction. De la muzak et des vrais chefs-d'oeuvre."
Stéphane Davet, Le Monde, avril 1996
Avez-vous déjà entendu Nicolas évoquer cette tendance ? Non ? C'est bien dommage, parce que le versant Azaria de Wax lui doit beaucoup. Avec les samples du riff de "Surf Rider" des Lively Ones pour l'intro de "Unisexe", du thème du Trou noirsur "Coma Coma Coma" et bien sûr 007 sur "L'Amoureuse". Ou encore la mise en forme des "Silences de Juliette".
Une hype très post-moderne qui peut être comparée aux plus récentes vaporwave et synthwave, celle-là même qui aida au début des années 2010 à un nouveau retour des synthétiseurs sur le devant de la scène et des vitrines de magasins de musique, et permit 13 (2017).
Il apparaît clairement que Monsieur Loyal ne comprend pas du tout l'activité des artistes qu'il est censé diriger.
"Pour moi, il marque le début d'une trilogie qui devrait s'achever avec le prochain album. Wax est l'album qui a le plus été influencé par la pop anglaise : nos influences principales étaient Blur, Oasis, Shed Seven ou encore Echobelly. Il n'a pas trop marché en France, mais c'est un album qui est presque devenu culte aujourd'hui."
Nicolas Sirchis, Elegy, février 2002
"Culte", un mot qui sera également employé par Nicolas lui-même à propos du Péril Jaune (1983). Il écrit son histoire, définit lui-même comment il faut considérer tel ou tel album - ce que nous avions déjà évoqué précédement. Sur Indochine Records, c'est plutôt Dancetaria qui est vendu ainsi.
Le mot "culte" est généralement employé par les fans et chroniqueurs pour évoquer un morceau, album ou film issu de la culture populaire - en opposition à la culture dite légitime : J-S Bach n'est pas "culte", un roman n'est pas "culte", on parle plutôt de culture générale ou de culture classique. Le mot est le plus souvent employé pour parler d'un élément méconnu ou sorti dans l'indifférence, puis revalorisé par un certain public constituant souvent une communauté de connaisseurs. L'aspect ironique peut également exister : un nanar peut devenir culte... Parce que si ridicule, et pourtant bâti si sérieusement et avec une telle candeur que ça en devient drôle voire cool.
Wax peut-il être vu comme une sorte de nanar musical ?
Indochine est un groupe extrêmement populaire - et qui a beaucoup été maltraité en ce sens. Mais qui pense à Indochine lorsqu'on évoque les années 90 ? Qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ? Les adeptes de cette tendance britpop savent parfaitement que Wax en est extrêmement éloigné. Et tant mieux, car Indochine reste un groupe extrêmement français qui ne supporte qu'assez mal la copie, c'est ce que nous tâchons de montrer au fil de ces pages.
L'officiel Insolence Rock nous souffle qu'"Indochine ne rentre décidément dans aucune case pré-établie et ne doit une nouvelle fois sa survie qu'à la loyauté de ses fans, et à l'oreille attentive de quelques journalistes."
C'est vrai, il est difficile d'inscrire Wax dans une case, à ceci près que Nicolas a tout fait pour se faire affilier à la britpop, et ce faisant il n'a fait que révéler son incompréhension du phénomène. Mieux, cette immense foutaise est encore relayée de nos jours par Nicolas et un certain nombre de journalistes fainéants, alors que les qualités de Wax se situent bien ailleurs. Possiblement, ces mêmes oreilles attentives qui auraient préfiguré la dite revalorisation de l'album par des initiés et son élévation en album culte... que Nicolas est seul à défendre. Nous n'avons jamais entendu ou lu un seul fan estimer cet album comme culte.
"Malgré un calibrage brit-pop efficace et une qualité indéniable, la sortie de l’album Wax passe inaperçue dans les médias."
Indobio, Indo.fr
Nous trouvons très amusant - et un peu consternant - que Nicolas admette officiellement ce calibrage (!), et se fasse son propre choniqueur a posteriori en estimant son propre album d'une qualité indéniable. Tandis qu'à l'époque, nous l'avions entendu fustiger les boys bands, en estimant cette musique "calibrée"...
Calibrage artistique et loyauté des fans envers une musique officiellement qualitative : n'y avait-il pas un problème de fond dans ce nouvel Indochine ? Vers quoi cela allait-il nous amener ? De plus, même après tout ce name dropping, il semble que très peu de fans d'Indochine se soient réellement intéressés à Suede et Blur : le sceau d'une "britpop" imaginée dans les clous de Wax semble suffire.
Passé Paradize, nous ne vîmes plus d'affiliation avec cette tendance britpop,
si ce n'est une reprise de "I Wanna Be Adored" des Stone Roses (une influence majeure pour le mouvement) en 2014
au Shepherd's Bush Empire, devant un public majoritairement francophone.
Ce choix d'une référence à un groupe mancunien sur une scène de Londres
en dit long sur la compréhension par Nicolas du phénomène britpop encore à ce
jour, au delà d'une certaine époque, puis des vêtements, attitudes et distorsions : pourquoi ne pas
avoir saisi l'occasion évidente de reprendre les très londoniens et
tant cités Suede et Blur ?
Que ce soit pour le pire ou pour le moins pire, Wax reste un album unique dans la discographie d'Indochine, et la richesse de ses arrangements n'a jamais été représentée sur
scène. Le Wax Tour (18 dates sur dix mois), à l'image d'Indo Live (1997), fut pitoyable par rapport aux versions très travaillées de
l'album, ses arrangements ensoleillés et son atmosphère légèrement moite.
L'album sera reconsidéré à partir de 1999 comme premier volet d'une trilogie. Wax nous permet de comprendre que c'en est effectivement une, mais une trilogie de tentatives de premier album d'un nouveau groupe, qui ne peut donc par définition qu'aboutir à des résultats paradoxaux. Les trois albums ont ceci en commun : une
hésitation entre des directions différentes et potentiellement
contradictoires.
Un premier album étant naturellement un mètre étalon pour toute discographie, les
collectifs de Wax et Dancetaria ne permettaient pas des bases suffisamment solides
pour un tel ancrage. Seul Paradize transforme l'essai avec succès et constitue le vrai premier album d'Indochine Mk2, auquel tous les disques suivants seront inévitablement comparés. Wax devient à la rigueur toléré par de nombreux fans d'Mk2 en tant que préquelle à Paradize. Mais les trois albums restent tiraillés, entre une maturité électro-rock et une juvénilité pop, pour renouveler le public, et renier définitivement Mk1.
Et la foutaise continue encore de nos jours :
En
France, il n’y avait plus que les boys bands… Alors qu’en Angleterre
Blur, Oasis, Suede redéfinissaient la pop anglaise. Notre disque Wax
était marqué par ces sons-là, mais on n’intéressait plus personne.
Devant chez moi, en revanche, il y avait toujours des gamins de 15 à 20
ans qui m’attendaient, qui adoraient Oasis et qui me disaient aimer
aussi Indochine, une nouvelle génération nous appréciait.