1992 - Dans la lune

Nicolas Sirchis avec Indochine, Foire aux Vins de Colmar, 1992

En 1992, Nicolas Sirchis a sorti un album sous son nom : Dans la lune. Nous ne ferons pas d'analyse sur le contenu musical du disque, et laissons cela à Valérie Coroller :
"Au début, Dans la lune se met doucement sur orbite : voix doucereuse à dégoûter les accros à l'aspartame, accent british faisant honneur à la méthode Assimil. Puis, au quatrième titre, c'est la catastrophe, le crash sans rémission : voix gnangnante, la version d'"Anne cherchait l'amour" sombre dans le ridicule suprême, fait naître la haine. Conclusion vulgaire mais sincère : mieux vaut se mettre cette rondelle dans le cul que dans les oreilles."

Valérie Coroller, Rock & Folk, 1992

Comme pour une très grande partie de la critique, le problème continue de se trouver chez Nicolas, et non dans la musique. Insolence Rock souligne "l'objectivité" d'Arnaud Viviant dans le même Rock & Folk :
"Si ces reprises ne sont jamais révolutionnaires, elles ne sont jamais saccagées."

Peu importe ce que l'on pense du résultat, l'absence de virulence n'est pas synonyme d'objectivité. L'intéressé l'a toujours souligné en marquant une rare cohérence dans le temps : il s'agit d'un album "perso" et non un album solo ! Une collection de reprises pour le plaisir. Et pourquoi pas.

Les albums de reprises ne sont pas si courants que ça dans la musique pop, mais on peut citer de façon non-exhaustive Pin Up's de David Bowie sorti en 1973, que Nicolas s'évertue encore aujourd'hui à prononcer Peanuts, Music of quality and distinction de B.E.F., le Counterfeit E.P. de Martin Gore, sorti en 1989 ou plus récemment California Son de Morrissey en 2019, tous des succès critiques.


L'idée semble avoir plu à Nicolas, qui nous gratifie en 1992 d'un album de reprises entièrement arrangé par le groupe Les Valentins.
"Ta partenaire dans cette aventure est Édith Fambuena. En faisant équipe avec elle, tu n'as pas eu peur d'arriver avec un album trop clairement inscrit dans la lignée Daho?
- Bien sûr, j'y ai pensé. J'adore travailler avec des filles. J'ai toujours aimé les filles avec une dégaine rock'n'roll, la guitare, la mèche de cheveu qui tombe... Bon, Edith, elle a sa tête, sa façon de jouer, ses tics, ses manies... sa personnalité, quoi.
Et ça, je ne pouvais pas le changer. On a coproduit l'album ensemble et le résultat est en accord complet avec ce que j'avais dans la tête. Finalement, on est assez loin de l'univers de Daho. Et puis, elle sort un nouvel album des Valentins en janvier qui sera encore différent de tout ça.


Si tu avais enregistré un single solo avec une reprise, laquelle aurais-tu gardé en priorité?
- Sans aucun doute Brand new life de Young Marble Giant. C'est une reprise que j'avais envie de faire depuis longtemps. Avec Édith, on avait commencé à y travailler il y a trois ans. Et puis, on avait un peu laisser tomber l'idée.
Pendant l'enregistrement de "Paris Ailleurs", elle était à New York avec Daho et elle me téléphonait tout le temps... "Alors on le fait cet album de reprise?" Pour finir, c'est elle qui m'a un peu poussé à le concrétiser.
"

Nicolas Sirchis, Télémoustique, 1992

Nicolas ne tient aucun instrument de musique dans l'album, sauf dans le clip de "Alice dans la lune", adaptation du "Brand new life" de Young Marble Giants. Chose amusante, les accords qu'il mime avec ses doigts ne correspondent à aucun accord existant. Nous savons que c'est à cette époque-là que Nicolas a commencé à vouloir jouer de la guitare, mais ne pouvait-il pas se dispenser de faire semblant d'en jouer face caméra ?
 
Pour autant, Nicolas estime que "ses" versions - celles des Valentins en réalité - sont très personnelles. Soit.
 


Il semble également que le chanteur d'Indochine, débarrassé des pressions de Dominique et Stéphane sur le sujet, se soit donné tout le loisir de s'entourer de très très jeunes filles. Nous aurions pu imaginer que les Valentins apparaissent avec lui mais Nicolas a préféré l'aspect solo. Faut-il aussi comprendre, au regard de la citation ci-dessus, que le physique d’Édith Fambuena ne lui convenait pas tout à fait ?


Un mot sur le choix d'une reprise de "Entrez dans le rêve" de Gérard Manset, source d'un long malentendu.



"En fait il avait écrit une chanson qui s'appelait 'Entrez dans le rêve' en 1983 (84, ndlr), en parlant... Enfin, pour lui c'était l'histoire d'Indochine. Je crois qu'il avait vu Indochine à la télévision, il avait vu 'L'Aventurier', il avait écrit après cette chanson qui s'appelait 'Entrez dans le rêve'. Euhhh... Le sachant quelques années après, euhhh, j'ai repris moi sur un album solo que j'ai fait en 90 (sic), un album uniquement de reprises, euh, j'ai repris cette chanson. Parce que... il écrit une chanson pour nous, je voulais lui rendre hommage parce que j'aime bien ce qu'il fait. Et donc j'ai repris 'Entrez dans le rêve' mais d'une façon plus jazz. Après on s'est croisé dans une émission de radio, et euh... Au moment de la sortie de Dancetaria, un ami commun nous a dit 'Mais putain il aurait vraiment aimé vous écrire une chanson'. Bon sur Dancetaria ça avait pas été possible donc c'était vraiment le moment."

Nicolas Sirchis, Pop rock station avec Zégut, RTL2, 2002

Ce que Nicolas se garde bien de préciser, c'est que Manset avait fortement relativisé cette histoire dans l'émission de radio en question :
"Gérard Manset : Quand j'ai... les premières phrases me sont venues, j'ai dû vouloir canaliser le titre dans une dynamique précise, alors je pensais à la caisse claire, comment je pourrais dire, succincte et basique, et donc j'ai dû citer comme référence Indochine à l'époque... voilà, c'est ça que je veux dire.
Nicolas Sirchis - C'est ça ouais, cette ligne claire de caisse claire...
GM - Voilà voilà, exactement. En même temps, cette ligne comme il dit, de la caisse claire, je l'ai toujours eue bien sûr... à l'origine c'était 'Twist', bon.
NS - Binaire... Mais c'est vrai parce que nous on a commencé dans notre chambre, chez nous, avec une boîte à rythmes, et bon y'avait trois positions, la position Rock/Twist, la position Bossa Nova et machin...
GM - Exactement oui...
NS - Et donc boum sur la position rock donc c'était 'tchatcha tin, tchatcha tin'...
GM - Mais que plus aucun batteur n'était capable de jouer, c'est paradoxal !
NS - Et on a eu du mal à retrouver effectivement des batteurs, parce qu'ils étaient partis dans une lignée des années 70 où ça tapait sur tous les fûts !
GM - Et puis, et puis un batteur se trouvait tout à fait dévalorisé qu'on l'appelle pour venir faire une séance, pour faire le pied la caisse point final... Donc c'était no future, sauf avec l'émergence de la caisse claire.
NS - Exactement ouais."

Nicolas Sirchis et Gérard Manset, Europe 1, 1992

Que peut-il bien s'être passé dans la tête de Nicolas pour que cette erreur survive à sa correction par Gérard Manset lui-même ? Quel étrange dysfonctionnement cognitif l'amène à préférer un malentendu à la réalité, au point de relayer cette méprise auprès de son public en tant que version officielle des faits ?


La réaction de Martin Gore dans le Rock&Folk d'avril 1993, une interview menée par Jérôme Soligny, ne manquait pas de sel non plus.

"Hé, c'est quoi ce groupe français là, In... Indo, j'sais pas trop quoi, tu les connais ? [...] C'est quoi ce délire ? L'autre, il a fait un album solo, comme moi ! Attends, c'est pas tout, il paraît qu'il a fait la même reprise des Sparks que moi ! C'est dingue, les Sparks ont écrit des dizaines de super chansons, faut qu'il reprenne la même... Merde ! Indo-quoi tu dis ?"

Interview de Martin Gore par Jérôme Soligny, Rock & Folk, 1993

En effet, Martin Gore soulève en 1993 un point crucial : la culture musicale de Nicolas ne suit pas.




"J'étais super déçu quand j'ai appris, deux ans auparavant, que Martin Gore avait ce projet. À l'époque, il sortait avec Odile Arias, une Française que je connaissais, et c'est elle qui m'en a parlé pour la première fois. Cette idée d'album solo était dans ma tête depuis quatre ou cinq ans. Gore a repris 'Never turn your back on mother earth" des Sparks, qui figurait sur ma liste, mais j'ai décidé de la sortir malgré tout."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, 2004

 
Nous ne savons pas si l'idée a été piquée ou s'il y a eu coïncidence. En tout cas Nicolas a, comme souvent, eu besoin de se justifier de la situation, dans un cadre officiel.

Voir : 2002 - Paradize

Nous vous laissons juges entre une version où Martin Gore fait tout tout seul, et une autre où Nicolas délègue tout au point de n'avoir aucun autre crédit musical que celui de la voix. Curieux pour un album solo - même pour un album perso ! - et encore assez différent d'aujourd'hui où il impose d'enregistrer le plus d'instruments possible pour être celui qui a le plus de crédits. Et ce quand bien même il n'est toujours pas musicien, après quarante ans dans la musique professionnelle.

Cependant, Dans La Lune constitue un modèle troublant de ce qui constituera le reste de la carrière de Nicolas, même caché derrière le nom d'un groupe :
  • Des musiciens salariés qui tiennent la baraque, mais c'est un Nicolas gauche et novice en tout qui fait office de directeur artistique.

    Voir : Black City Parade, Le Film

  • Un name dropping de références pour souligner une cooptation UK & US : ici la liste de groupes repris. Indochine Mk2 a aussi produit beaucoup de reprises, principalement des essentiels de Discothèque idéale du rock : "Smalltown Boy", "Just Like Heaven", "Teenage Kicks", "Rebel Rebel", "You Spin Me Round", "Personal Jesus", "Lips Like Sugar", "I Wanna Be Adored", "Heroes".

    Voir : Influences et références


Peut-être avions nous tort dans Révisionnisme et malentendus : Indochine Mk2 serait une carrière perso, et non une carrière solo.


Voir aussi sur le blog : Depeche Mode

Annexes :



Avant de repartir en tournée avec son groupe, il voulait le faire... et il l'a fait :
Quelques jours avant Noël, Nicola est entré en studio et a réalisé son album "perso". Le 31 décembre, une vingtaine d'amis, qui ne faisaient rien cette nuit-là, se retrouvèrent tous pour former une chorale improvisée sur deux des titres. Pour cet enregistrement "entre amis", Nicola a également fait appel au batteur de Lloyd Cole et au bassiste de Madness qui ont eu la gentillesse de se libérer pour les quelques jours de prise "live". Et 3 des textes ont été écrits par Nicola, venant se substituer aux textes anglais originaux...

Nicola s'explique...
Pourquoi un album de reprises ?
La musique que j'écoute depuis des années me touche personnellement et j'avais envie de la faire partager.

Le choix des titres ?
Le choix était cornélien. Il manque Dylan, Bowie, Neil Young, les Beatles... Par contre, volontairement, j'ai décidé d'interpréter des titres peu connus en France. Bien évidemment, mes versions sont très personnelles. Nous y avons mis tout notre coeur et je ne crois pas les avoir "salies".
 
Deux mots sur chaque titre :

Waterfront / David Sylvian
Etant fan de Japan et de Sakamoto, il est pour moi un des musiciens les plus créatifs de ces dernières années.

Mad World / Tears For Fears
Un de mes titres de chevet.

Two Faces / Bruce Springsteen
Un de ses titres les moins connus mais qui m'avait le plus touché.

Anne cherchait l'amour / Elli & Jacno
Les premiers français "nouvelle vague". Mixité réussie. J'aime les filles qui font du rock, d'où mon attirance vers Edith, la guitariste qui a fait toutes les guitares de l'album.

Jusqu'au trou du monde / Patti Smith "Jackson Song"
Fan inconditionnel, j'ai vu tous ses concerts, lu tout ce qu'elle a écrit, et pensé tout ce qu'elle a pensé. J'ai volontairement choisi un de ses derniers titres écrits sur lequel j'ai extrapolé une version française.

Never Turn Your Back On Mother Earth / Sparks
Grand amateur des groupes "glam", ça a été mon premier concert rock à l'Olympia en 1974, j'avais 13 ans. (Quinze ans ! ndlr, de plus c'est faux puisque son premier concert c'est Chicago)
 
What Is Life / George Harrison
Exemple typique, ce titre méconnu en France a été le plus fort de Radio Caroline au début des années 70.

Alice dans la lune / Young Marble Giants
Mon groupe culte : cela a commencé en 1979 où les rares personnes qui possédaient l'album s'empressaient de le faire écouter à d'autres. (Album sorti en 1980 ! ndlr)

Play With Fire / Les Stones
Une des meilleures faces B des Stones. (Présente également sur plusieurs compilations, ndlr)
Entrez dans Le Rêve / Gérard Manset
On m'a dit un jour que Gérard Manset avait écrit cette chanson en pensant à Indochine. (Non. ndlr)

Le Seigneur Des Toits / Tom Tom Club
Disque de chevet au début des années 80 et je me suis amusé à coller une autre histoire dessus. On l'a enregistrée la nuit du 31 décembre avec les "Choeurs" et j'ai fait chanter ma fiancée.

Pourquoi l'album s'appelle-t-il "Dans la lune" ?
C'est ce qu'on me reproche le plus souvent...

Indo.fr

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