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2013 - Black City Parade

Olivier Gérard, Nicolas Sirchis, François Matuszenski, 2013

Avant toute chose : la genèse du présent album a été traitée précédemment sur le blog. Nous vous renvoyons au post en question, dont la lecture pourrait précéder pertinemment celle du présent article qui sera forcément plus court.

Voir : Black City Parade, le film

"Kill Nico" nous avait fait extrêmement peur, au concert jubilé de Paradize en 2012 ! Mais l'album finit par sortir, et montra que son entièreté n'était fort heureusement pas à l'image de cet hymne ridicule. Retour sur cette galette, neuf ans après sa sortie.

En 2013, le pop/rock indochinois se situe entre indie-landfill, velléités de pop stadière et synthpop postmoderne, et tout semble avoir été fait. Nicolas révélait, parfois involontairement, depuis l'époque de Paradize, ne plus avoir beaucoup d'inspiration. En effet, l'évolution de ses textes depuis les années 90 donnent cette impression, et cela est compréhensible après tant d'albums, voire normal. Pour autant, le début des années 2010 est une époque où la cohérence des tendances musicales avec leur temps semble s'étioler. Cela peut participer à expliquer une myriade de revivals, et il est difficile, au delà de ces micro-hypes, de savoir où se placer. Là où par exemple, la triade Dancetaria/Paradize/Alice&June se situait sur une mode très identifiable chez les adolescents, entre grosses guitares, carton du goth et skyblogs.

Les livres sur Indochine s'accordent d'ailleurs comme un seul homme, sur une époque difficile à expliquer sur le plan musical. Et les premières explications de Nicolas ressemblent à celles de l'album précédent, même s'il ne se souvient plus exactement que pour les Meteors non plus, il n'avait pas d'idée.

"Cet album a pris beaucoup de temps parce qu’on ne savait pas où on allait. Sur les trois disques précédents, j’avais dans la tête la vision globale. Là, j’ai ressenti le besoin de casser la routine, de partir un peu en vadrouille."

Nicolas Sirchis, Métro, mai 2013


Cette fois, "on ne sait pas où on va mais on y va" ("on ira" dans le livret). Soit. 

Ébauche pour la pochette de Black City Parade (source : isuro.net)

Il s'agit ici, dans un esprit tout à fait artistique (dans son versant bourgeois), de voyager pour trouver l'inspiration. S'imprégner d'on ne sait quoi, en espérant tomber sur des éléments exotiques qui pourraient inspirer des débuts de textes. Et à la fin, les villes. Soit.

"Alors tu sais qu'au départ le nom de code de l'album c'était Black Pussy (rires)... Et que, euhhh, et que, parce que, tout d'un coup le morceau Black City Parade s'appelait Black Pussy, ça collait bien avec le côté un peu disco night du morceau, [...] et puis le côté euh, et puis arrivent les Pussy Riot, et je me suis dit non merde, pff... Et donc après je me balade, et puis je dis mais oui, les villes, city, voilà... Et puis pussy, city, on était dedans et boum."
Nicolas Sirchis, interviewé par Sébastien Ministru, RTBF, 2013


"Toute mon inspiration est venue de ces voyages. L'architecture d'une ville, les événements, les émotions qu'il y a dans les villes sont assez incroyables. Ça s'est bâti autour de ça."

Nicolas Sirchis, AFP, décembre 2013


En effet, nous êtres humains habitons quelque part et ressentons des émotions.


Les musiques dites "urbaines" concernent, dans leur usage le plus répandu les musiques noires-américaines, le hip-hop en tête, et ici l'emploi du terme semble revenir aux guitares comme aux dernières grandes années de l'indie pop. C'est bien.

Il faut aussi entendre "urbain" comme pour dire "moderne", "dans son époque" voire hype, connecté. Les hipsters dans les non-lieux, aéroports et taxis, en plein jetlag : un truc de petits bourgeois mondialisés. Au contraire d'un altermondialiste qui voyage pour échanger, ici l'on voyage pour consommer. Sans attache, mais toujours avec une prise USB pour charger son téléphone, le voyageur ne laisse rien derrière lui sinon un reçu CB.

Mais les interviews de Nicolas ne montrent qu'une chose : il cherchait à construire un univers visuel. Beaucoup des artworks de Black City Parade étaient d'ailleurs directement issus du compte Instagram de Nicolas. Les passages de Lost in Translation (parfois considéré comme les débuts du cinéma hipster) avec My Bloody Valentine ou Chemical Brothers, c'est bon vous avez ?

Maxi "Black City Parade", 2013

Rappelez-vous aussi que ce sont rarement ceux d'en bas qui sont touchés par un aspect "multisocial" ou "au delà des classes" d'un environnement ou événement donné. Il s'agit donc ici de vols longs courrier, d'aéroports de nuit avec taxi à l'arrivée, de cafés design d'hôtels internationaux et de la lumière des bougies qui se reflète dans les glaçons d'un virgin mojito.
Nicolas souhaite être perçu comme une sorte d'artiste ténébreux et trop sensible, vagabondant d'hôtel de luxe en hôtel de luxe pour fuir la violence du monde.

Voir : Le bourgeois-gaze (Frustration Magazine)


L'album est très produit et le son est étonnant pour Mk2, qui plus est après un La République des Meteors plus marqué home studio. Nicolas semble avoir désiré se rendre dans des lieux mythiques (Hansa Studios) et travailler avec des figures d'autorité (Shane Stoneback). Ne faut-il pas y voir ici une volonté de s'aligner sur les propositions internationales, comme si la musique française devait cesser d'être "en dessous" ? Nous avions déjà souligné sa préférence à s'adapter à une situation dominante plutôt que la combattre, et l'envie d'Mk2 d'aller toujours plus haut est ici très saillante. Rappeler au demeurant que cela n'est pas synonyme de  faire mieux

Un gros son mondialisé donc, ressemblant à sa pochette. Un peu à la manière de l'actuel Paris Saint-Germain, Indochine Mk2 ne veut plus n'être qu'un simple groupe français et souhaite être reconnu à l'international comme une marque implantée, influente et surtout bankable. Avec un gros merchandising, cela va sans dire.

"On signe avec Live Nation, il était temps de passer au dessus des producteurs français."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Point final, sans plus de précisions... À part une confusion délétère déjà traitée sur ce blog, entre une augmentation des moyens économiques et une progression artistique.


Mais, de l'importance de l'avis des deux parties : Salomon Hazot, président de Nous Production, évoque cette rupture, documentée en partie dans Black City Parade, le film avec un Nicolas furibard au téléphone.
"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine (le futur Black City Tour, ndlr). Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. [...] Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas."

Salomon Hazot, président de Nous Productions, Sold Out (16:35), mai 2023

 

Black City Parade

Comme à l'habitude du monsieur, en plus d'être visuelles, ses inspirations sont sémantiques : un champ lexical en vrac doublé d'un certain univers inspiré par ses voyages au loin : nuit, noir, city... Nous pourrions nous amuser à en ajouter plein d'autres : Duty-free, luggage, service not included, customs, Burger King, Black Friday ("vendredi noir", vous suivez ?)... D'ailleurs, sachez que même les artistes ténébreux ont besoin d'un petit-déjeuner. Nicolas tomba par exemple sur une boulangerie (plausiblement aux États-Unis), dont le nom donnera plus tard "Europane", un nom de code gardé au final cut.

Des mots qui pètent, mais sans fond. Comme Alice et June et La République des Meteors, il devient question d'un concept - et ça commence vraiment à nous fatiguer. Nicolas se montre tout particulièrement évasif en interview.

"Je suis ennuyé à l'idée de dire qu'il y a un concept autour du disque. Mais s'il doit y en avoir un, le voilà : j'ai toujours été étonné par ce qui se passe aujourd'hui dans les mégalopoles. Il suffit de traverser un trottoir pour passer du riche au pauvre, du bonheur au malheur."

Nicolas Sirchis, Muse & Out, 2013


"Contrairement aux précédents albums du groupe, 'conceptualisés', rien n'était 'calculé', dit-il."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


"Black City Parade semble être un album concept autour des grandes villes, la nuit. Qu'en est-il réellement ?
Si cet album est concept, c'est un peu par hasard, par sa conception, son écriture. On l'a écrit pendant 14 mois durant lesquels j'ai beaucoup bougé. Les textes sont donc inspirés par les sensations ressenties dans différentes villes. Il a été élaboré entre Paris, Berlin, Bruxelles, Tokyo et New York. Les albums précédents étaient conçus et réfléchis avant, mais celui-ci est venu au fur et à mesure. Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes. J'aime beaucoup la nuit, les villes de nuit, mais je n'aime pas la vie de nuit. Je vais rarement en club, mais l'esthétique d'une ville de nuit, avec toutes ses lumières, me projette dans le futur. Il se passe beaucoup plus de choses la nuit, en plus de l'esthétique plus forte. On peut avoir d'une maison à l'autre un drame humain, une naissance, une violence, un bonheur. Le paradoxe multisocial, multisensationnel, multiculturel se joue à quelques encablures de porte. Ça me passionne. D'où la pochette qu'on a faite avec des tours qui scintillent basée sur l'assemblage de trois villes différentes dont Berlin et Tokyo.

Dans le titre Black City Parade, de quelle parade s'agit-il ?
De la parade humaine, c'est à dire que dans une ville il y a autant de paradoxes et de contradictions d'un trottoir à l'autre. C'est lumineux et sombre à la fois."
Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

 

On peut ajouter "paradoxe" à la liste des mots mal compris par notre héros. Une fois de plus, Black City Parade serait un album-concept par accident. Nous ne nous attarderons pas ici sur cette drôlerie précédemment développée dans les articles dédiés. Nous avions déjà compris que dans la bouche de Nicolas, le mot "concept" signifiait plutôt un vague thème, une idée amusante pour une pochette, ou un décorum. Ici c'est un peu tout ça à la fois, et nous avons une fois de plus l'impression que Nicolas bricole un concept au fur et à mesure des questions qu'on lui pose.

Voir : 2005 - Alice et June, 2009 - La République des Météors


Nicolas dans le film évoque avec l'ex-ami Rudy Léonet son désir de "revenir à la new wave". Quid ? Nous pensons avoir saisi que pour Nicolas, la new wave serait une pop intelligente et esthétique. Une tendance musicale mélodieuse, avec des clips et des vêtements. 

"On a toujours essayé de faire des ritournelles mais qui font réfléchir les gens, dans lesquelles les paroles ne sont pas si simples. Comme 'Dizzidence Politik' ou '3e Sexe', par exemple. Cet album est un retour aux sources, au plus profond de la new wave."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013


Est-ce là un nouveau symptôme du malentendu sur la new wave, vue comme une musique essentiellement visuelle et commerciale, et qui durera jusqu'à 13 ? Est-ce lié à cette volonté d'être sombre voire néon, comme dans les années 80, décennie du fric et de l'apparence ? Les fans d'Indochine sont-ils nombreux à bien connaître l'époque de la new wave ? Sur quoi Nicolas souhaite t-il nous faire réfléchir avec sa musique ?

"Il n'y a pas plus injuste qu'une ville, les riches sont confrontés aux pauvres. Ça peut susciter de l'égoïsme, mais c'est aussi peut-être de là que viendra la solution."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


Vous avez quatre heures.

Le parpaing parle d'ailleurs de "sonorités new wave", on ne comprend pas d'où. Nous pouvons spéculer que son autrice a découvert le mot avec la fameuse sortie de Nicolas expliquant le morceau à ses jeunes acolytes féminines, d'anciennes fans ayant passé les portes des afters. Ou bien avec la communication de l'album du chanteur d'Asyl.

"C'est très new wave... pim pin pin pi pin pi pi pin pin."

Nicolas Sirchis dans Black City Parade, le film, 2013


Donc plausiblement, il faut comprendre ici : "on a mis du synthé". Quoi qu'il en soit, Nicolas y va effectivement de ses signifiants littéraires, avec le fameux texte de Mireille Havet (parfois prononcé Miriel Havet) en introduction. Il semble d'ailleurs assez fier de son instrumental à une note, qu'il dit avoir composé. En 2013, Nicolas évoquait sa découverte de l'autrice française :
"J'ai de la chance d'être en contact avec des étudiants et étudiantes de khâgne et hypokhâgne qui me parlent beaucoup de livres et d'écrivains méconnus, et me conseillent des choses. Une fille m'a conseillé de lire Mireille Havet."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

Et dans le parpaing :
"Valérie Rouzeau m'a fait découvrir Mireille Havet, j'ai voulu qu'elle la cite dans l'introduction à l'album, à la Diamond Dogs de Bowie, quand il introduit l'oeuvre dans sa galaxie."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Allez-y doucement donc, avec la fameuse mémoire impressionnante du chanteur d'Indochine.

Voir : David Bowie


En 2012, Mathieu Peudupin (dit Lescop, ex-Asyl, habitué des premières parties d'Mk2) cartonne médiatiquement avec un revival 80's lorgnant vers les Jeunes Gens Mödernes (avec qui le jeune Nicolas traînait) et la cold wave.
 

"Lescop déboule donc de son nulle part pour rappeler à notre bon souvenir la new wave classieuse du tout début des années 80"

Libération, septembre 2012


La précision "du tout début" est amusante : Est-ce le phénoménal 3 qu'il ne faut pas inclure ?

"Révélation française de la rentrée, Lescop pose un pied dans la pop hexagonale – option Daniel Darc – et l’autre dans le rock raide de Manchester – modèle Joy Division"

JD Beauvallet, Les Inrocks, octobre 2012


L'occasion de rappeler à nos amis mélomanes que ce n'est pas parce qu'on entend la basse qu'il faut se sentir obligé de citer des références institutionnelles comme Joy Division ou The Cure. D'ailleurs, la précision "option Daniel Darc" ressemble à une volonté d'éviter tout malentendu ! On ne parle pas de l'option Indochine ! Comme Télérama, qui se garde bien de les citer.

"Petit frère jumeau de Daho et de Taxi Girl, Lescop sort son premier album solo, synthétique et organique."

Télérama, octobre 2012

Matthieu Lescop de son coté, prit également soin de rendre discrète son affiliation - pourtant très connue - avec Indochine Mk2. Il préféra souligner une proximité avec le bien plus célébré Étienne Daho. Son premier album solo peut pourtant aussi être vu comme l'aboutissement de ce qu'avait tenté à l'époque la catastrophique et consternante armée des Divisions de la pop.

Voir : Étienne Daho


Bien qu'en étant exclu, Mk2 dut trouver sa place dans cette nouvelle hype.
"C'est drôle de voir des maisons de disques qui crachaient sur nous, être fébriles sur La Femme, qui ont des synthés, dansent comme nous quand on était jeunes. Les années 80, qui étaient décriées, sont un peu réhabilitées, parce qu'il y avait quand même de sacrés bons groupes dans les années 80. Et je ne me situe pas dans l'histoire."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013
"Personne ne s'attendait à ce que des groupes français reprennent ce qu'il y avait de pire pour la presse rock des années 80 - les synthés, les boîtes à rythmes. C'est cette presse, qui a mis à la poubelle cette décennie (Indochine avec) en disant que c'était terrible pour le rock, qui encense ces jeunes groupes."

Nicolas Sirchis, Carrefour Savoirs, 2013

Et Nicolas a raison. Les bifurcations dans la mode ainsi que son renouvellement dans les revivals, et les retournements de veste et calculs que cela peut impliquer ont largement de quoi agacer. 

Il faut juste lui rappeler qu'il a passé l'ensemble de sa carrière à courir derrière la mode, quitte à user de stratagèmes grossiers pour se faire affilier à telle ou telle hype. Cela rend son aigreur assez discutable : elle n'est pas tant celle de quelqu'un qui a subi l'injustice que quelqu'un qui a foiré ses plans :


Quoi qu'il en soit en 2013, les interviews sont plus rares, et il est assez plausible de penser qu'au début des années 2010, le projet n'a plus d'autre référence que lui-même. Cependant, le très visuel Nicolas Sirchis semblait toujours souhaiter que son groupe ressemble un peu à Suede.

Suede par Kate Garner, 2013

Voir : 1999 - Dancetaria


...ainsi qu'à The Horrors, alors au sommet de la hype en France avec Skying.


Nicolas allait même un peu loin dans la proximité physique avec Faris Badwan, chanteur de The Horrors... (voir annexes) Ce n'est pas un mal d'avoir des références picturales, bien au contraire. Mais quand ça se voit trop, cela devient gênant. Un hommage assumé ne poserait aucun problème (dans une certaine limite) comme par exemple la série pour le Stade de France de 2010 qui référençait de façon amusante la photo Andy Warhol and the members of Factory de Richard Avedon.

Visuellement et sonorement, cette parade de la ville noire - admettons - expose une volonté un peu plus prononcée que chez Alice & June - avec son décorum - de créer une ambiance : des propositions jamais usées précédemment sont ici invoquées :

"Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, 2013

Certes, cela peut fonctionner pour pour quelques morceaux, mais l'album dans son entièreté ne correspond pas à l'ambiance froide et solennelle des "Memoria" et autres "Europane", ni à la lourdeur électrique d'un "Black City Parade" ou encore "Wuppertal".

En revanche, nous osons espérer que Nicolas n'avait pas l'impression d'inventer ici l'eau chaude. Les thématiques de ville de nuit ont été vues et revues, de tous les côtés, par le jazz, le post-punk, le dubstep, le hip-hop, les bandes originales de films et évidemment la musique classique. Le Nicolas infiniment plus cinéphile que lecteur ou musicien s'exprime ici pleinement, et les lumières de la ville se reflètent sur le sol mouillé.

Ce que nous savons aussi, c'est que "nuit" est un des mots les plus utilisés par Nicolas avec "vie" ou encore "moi".


Black City Parade
serait donc un vrai album de studio, très arrangé. Et c'est vrai : "Memoria" en témoigne et fut impressionnant à sa sortie... et ne fonctionna jamais en live, ce qui est normal puisque le morceau n'était pas fait pour ça.

Voir : 2009 - La République des Meteors


Dans une certaine frange du rock alternatif, le terme ambiance a longtemps rencontré une forte popularité. Comme une caution arty, quelque chose qui devrait être plus qu'une collection de chansons, et davantage sonner comme une expérience sonore que comme une simple musique énergique. Dans tous les cas, l'attitude artistique est bien présente. Mais une telle pose saurait-elle suffire ?


Les anciennes influences indie et shoegaze de Dominique Nicolas et même d'Olivier Gérard paraissent bien loin même si un "Traffic Girl" peut encore en témoigner.

"Une chanson qui ne pouvait être écrite que pour Indochine, avec un thème qui leur va comme un gant."

Matthieu Peudupin sur "Traffic Girl"


Parce qu'il y a de l'Asie et de la fille ?


Le morceau est écrit par Lescop et co-crédité avec Nicolas... Il semble assez évident que ce dernier n'a fait que rajouter un "J'aurais voulu te voir encore une fois... Mais comme dans ce pays-là, tu n'te relèvera pas... Ne reste pas." au texte de Matthieu.

Une chanson pleine de qualités sur le plan musical, qui fit d'ailleurs l'objet d'une dissension entre Nicolas et Olivier, montrée (!) dans Black City Parade, le film. Malheureusement, sa version single (avec un clip consternant) consista en un remix de Nicolas, qui en annihila toute l'originalité rythmique au profit d'un gros poum tchak, et en aseptisa la mélodie à l'extrême. La version concédée par Olivier - cela semblait déjà lui coûter - était encore trop compliquée. D'ailleurs, dans la lignée des Meteors, le Nicolas compositeur et directeur artistique s'envole. Quitte à imposer des instrumentations d'une rare vacuité comme "Théa Sonata", quasi-une reprise de la musique d'attente de la CAF.

Cependant, sur sa pré-intro, Nicolas essaie de reproduire les guitares de The XX dont le premier album lui avait beaucoup plu. Quitte à se perdre dans le rythme. Si, chantez 1, 2, 3, 4... vous entendrez que Nicolas se mélange les pinceaux.

Malgré le malentendu sur la new wave, Black City Parade n'est pas un album à synthés. Les grosses couilles du titre éponyme le montrent de façon assez explicite. Ici, Mk2 se positionne sur la fin de l'indie landfill, et les premiers regards vers Editors et Coldplay avec "Little Dolls" et "Le Dernier Jour" se synthétisent ici sur une pop stadière à rapprocher des singles anglais les plus évidents de cette tendance, avec leurs guitares les plus droites et tendues, voir "Nous Demain". Notez que "stadier" ne doit pas être entendu comme un jugement négatif.

Coldplay, X&Y, 2005

Nous pouvons même spéculer sur le fait que les visuels du Black City Tour sont assez inspirés par Coldplay, et cela sera poussé à son paroxysme sur le 13 Tour.
"Les derniers espaces de liberté restent les concerts. Pour moi, les deux meilleurs groupes de stades sont Coldplay et U2. Le reste, c’est un peu du foutage de gueule"

Nicolas Sirchis, L'Echo, septembre 2017

Pourquoi pas. Mais c'est curieux de la part de quelqu'un qui veut se faire passer pour un assoiffé d'underground ...selon face à qui il se trouve. Une sorte d'en même temps qui, comme beaucoup l'auront compris depuis 2017, révèle une absence partielle sinon totale de clarté.

Les influences de Black City Parade seraient donc plausiblement à chercher vers un mélange de X&Y (Coldplay, 2005) et In this light and on this evening (Editors, 2009) pour son versant anglophile, et l'album de Lescop pour son versant frenchy. Pour le reste, il est bien entendu vain de chercher à tout identifier.


C'est d'ailleurs l'année suivante qu'Indochine Mk2 débarque sur Tidal (à prononcer Tideul'), et qu'Mk2 propose deux titres à New York, dont une reprise plan-plan de "Psycho Killer" devant une salle en cours de remplissage. Nicolas, très concentré, ne s'en tira pas trop mal sur un "Alice et June" carré, sur lequel il semble jouer sa vie.

Tideul' de son côté, semble avoir signé Indochine suite à une volonté de spécialiser leur proposition selon un auditorat par pays. Chacun y voit donc un possible nouveau marché : Tideul' veut se localiser, Indochine s'internationaliser.

Nicolas et Jay-Z à New York, 2015

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Réponse : Indochine ne vend quasiment que dans la francophonie, et c'est normal. Mais y a t-il vraiment des fans d'Indochine qui écoutent leur musique sur Tideul' ?

Nicolas y retente pourtant le coup de l'attitude indé, déjà tenté à l'époque de Dancetaria et dont nous avons déjà discuté. Un comble ici pourtant, en rejoignant l'entreprise de Jay-Z, et en prétendant apporter un "contre-pouvoir" et une "résistance" face aux majors... Grâce à qui il reçoit pourtant des sommes d'argent conséquentes.

C'est drôle, parce qu'Yves Botallico nous apprend dans le parpaing que la Chevrolet Caprice Landau du clip de "Memoria" a posé problème :

"Le problème, c'est que Nicolas déteste l'Amérique et les Américains, donc une voiture américaine... Mais finalement, on l'a prise car c'était la plus belle !"

Yves Botallico in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Okay.

Voir : 1999 - Dancetaria

C'est sur Black City Parade que nous trouvons le morceau dont Nicolas est visiblement le plus fier. Un "morceau fort", selon ses propres mots. Avec la sensation qu'il est devenu officiellement fort car Nicolas l'a décrété, plutôt que grâce aux qualités dudit morceau. Qualités qui n'étaient pas gagnées d'avance pour un énième morceau en -boy.

"Je suis plutôt très très fier de ce morceau qui fait que tous les jours, encore aujourd'hui comme '3ème sexe', des gamins vont à l'école en se disant 'Ça m'a aidé à y aller la tête haute et ne pas être moqué'. La jeunesse peut être très cruelle entre elle (sic)".

Nicolas Sirchis

Nous ne connaissons pas la source de cette information, comme quoi les choses iraient mieux depuis "College Boy". Ce que l'on sait en revanche, c'est que Nicolas a souvent tendance à faire des corrélations abusives, en d'autres termes, dire que s'il y a des grenouilles après la pluie c'est parce qu'il a plu des grenouilles. On sait également que les paroles du morceau ne parlent absolument pas de harcèlement scolaire, et que c'est Xavier Dolan qui a décidé de réaliser un clip sur ce sujet, alors qu'il avait été sensibilisé par les problématiques sur les armes à feu aux États-Unis. Si "College Boy" a eu un tel retentissement (et que Nicolas intervient dans des tables rondes sur le harcèlement scolaire ...pour parler de lui), c'est grâce au clip, pas à la chanson. "College Boy", c'est une chanson nicolienne classique sur la découverte de la sexualité et l'initiation, potentiellement au sein d'une relation problématique (avec insistance sur le droit de faire ça...).

Nicolas avait, comme à son habitude, laissé carte blanche pour qu'un réalisateur talentueux fasse un beau clip pour Indochine. Quoi qu'il en soit, le morceau fut évidemment joué à chaque date d'une tournée impressionnante sur le plan technique, et ce jusqu'à l'apothéose du Stade de France :

Un moment surréaliste qui devrait rappeler à quiconque ayant lu Orwell la fameuse minute de la haine

L'intéressée, certes connue pour ses positions traditionalistes et ses sorties homophobes, n'avait pourtant plus une très grande influence en tant que personnalité politique. Mais comme chacun ne le sait pas : les mots entendus ne sont pas ceux de la femme politique chrétienne. Ils furent enregistrés au cours d'une manifestation, et prononcés par une participante anonyme. Mk2 trouva donc intelligent de créer un malentendu sur la personne, un comportement d'une grande malhonnêteté que ne se serait même pas permis un youtubeur d'extrême-droite.

Cette humiliation franchement gratuite n'alla pas au delà d'un certain symbole : se positionner contre les méchants, les vieux cons, etc. Dégommer une ambulance au bazooka, en ayant l'impression d'abattre un chasseur en plein vol. Comme avec Donald Trump plus tard (pourtant accusé par Nicolas de mensonge et de manipulation...), s'en prendre à des ennemis faciles et peu clivants, sans analyse, ni positions plus franches contre le libéralisme, le capitalisme et le patronat. Ce moment incroyable et irrationnel nous fait froid dans le dos, et n'évoque pas autre chose qu'une foule fasciste au comportement profondément électrisé par un leader. Nous voulons bien croire ici à un effet de foule. Mais nous savons aussi qu'Indochine n'est pas un groupe de gauche.

Christine Boutin eut d'ailleurs une réaction bienveillante, et franchement plus mature :

"Et moi qui suis une fan d'Indochine !!! Dommage, je reste fan ! C'est mon côté catho."

Christine Boutin, Twitter, juin 2014

Voir : Troisième Sexe


En sortie d'usine, un disque qui ne ressemble certes pas à grand chose d'autre : Mk2 reste dans un créneau à lui et c'est tout à fait louable, d'autant que le disque renferme quelques morceaux réussis et de belles trouvailles dans les arrangements.

Mais cette sensation d'interchangeabilité fait aussi suite à l'essoufflement de l'urgence et de toute volonté moderniste qui dépasse de très loin Indochine. Cet album est le résultat d'un cahier des charges, et pensé avant tout comme support à un spectacle qui aurait tout aussi bien pu être présenté comme coloré et champêtre que sombre et urbain.

"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"

Paul Marie Pernet, interview de Nicolas Sirchis, Pompidou Metz, 2013


Eh oui, puisqu'on parle de Nicolas, un mec totalement visuel que la vie a parachuté dans la musique. Ce futurisme est donc assez superficiel, et le documentaire Black City Parade, le film le montre avec sa dose de révélations accidentelles : cette musique est produite essentiellement sur un écran en assemblant des blocs, et le collectif de musiciens sert à interpréter l'assemblage fini.

Voir : Black City Parade, le film


Après tout pourquoi pas. Mais quitte à déplacer des cubes, ne serait-il pas souhaitable d'assumer la musique électronique et l'aspect industriel à fond plutôt que jouer aux rockers ? Peut-être 13 règlera t-il cette contradiction ?

Spoilernon.

Annexes : 

Des doigts d'honneur, mais à qui ?

Nicolas en mode "Badwan"

Un clip encore plus Black City Parade que Black City Parade qui fait facilement bugger même les fans les plus hardcore lorsque vous leur demandez sur lequel des deux albums se trouve le morceau. Une nouvelle indication de la profonde interchangeabilité des textes, musiques et thèmes chez Mk2.

Placebo

Retour sur un énième malentendu beaucoup trop ancré.

La volonté d'association avec Placebo fut récurrente voire inévitable en interview à partir de 1999. Nicolas procédait comme il l'avait fait en 1996 avec Suede, Blur et Oasis : en livrant des analyses très personnelles sur le public de ses rêves, révélant au grand jour de grossières stratégies de communication. Nicolas s'engouffra dans cette nouvelle brèche avec un aplomb et une outrecuidance d'une rare intensité. Il fallait coûte que coûte que l'association rentre dans la tête des gens :

"On se sent plus proche de groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le paysage francophone."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, avril 1999


"Indo garde cette image forte en France de groupe des 80's, mais dans le reste de l'Europe on nous classe dans le même créneau que des groupes comme Placebo."

Nicolas Sirchis, XL, 1999

 

"J'ai vu quelques annonces l'autre jour : 'Guitariste cherche groupe. Influences Depeche Mode, Placebo, Garbage, Indochine'. Ça m'a touché, c'est la première fois que je voyais ça."

Nicolas Sirchis, Rocksound, juillet 1999

"Qu'aimes-tu dans la musique de Placebo, et voudrais-tu collaborer avec eux ?
Oui... Sauf que je suis moins important que David Bowie. ! (Rires) Brian Molko aime bien Indochine et il nous connaît parce qu'il a habité au Luxembourg. J'aime leur musique parce qu'ils prouvent que même si c'est à la mode de dire que le rock est mort, ils peuvent innover quoi qu'il arrive. Sur scène, ils sont d'une perversité à la fois guignole et très forte. Ils sont visuellement très intéressants, avec cette ambiguïté qui m'attire. C'est sûr qu'entre Elvis Costello et Placebo, je choisis Placebo ! (Rires) Pour moi, le rock doit être sensuel. On jouera peut-être ensemble dans des festivals..."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, avril 2000
 
Il évoque ici le duo de Placebo et David Bowie sur "Without you I'm nothing".

Voir : David Bowie


Nicolas martelait tellement son désir d'affiliation avec Placebo qu'il finit par obtenir un concert en commun en 2000 aux arènes de Nîmes, et même une interview avec Brian Molko ! Le concert n'était pas complet, et les fans d'Indochine minoritaires mais bruyants. Les articles de l'époque mettaient forcément l'accent sur le caractère très incongru de cette association :
"En l'occurence, c'est Indochine (Nicola Sirkis est grand fan de Placebo) qui avait été choisi pour ouvrir le concert. Si pareille affiche, la foule n'a pas vraiment été au rendez-vous (dure concurrence du derby footeux Nîmes/Montpellier le même soir...) et que l'arène semblait loin d'être pleine, le public qui se préparait à réserver un accueil sans précédent au trio de 'Black Market Music', a commencé par faire un joli triomphe au groupe français en première partie, et pour qui la partie n'était a priori pas gagnée d'avance."

Thomas Vendenberghe, Rock Sound, octobre 2000
"21h30. Indochine joue et fait chanter les premiers rangs. Bonne surprise, le public semble également venu pour eux. Nicola Sirkis, en bon caméléon, est habillé en parfait sosie de Molko."

Basile Farkas, Rock & Folk, juin 2000

Voilà ce qu'on appelle faire les yeux doux à un nouveau public.

Nicolas Sirchis & Brian Molko à Nîmes en 2000
À force de le répéter, Nicolas finit forcément par provoquer cette hybridation tant désirée, entre des publics pourtant très différents et qui n'avaient qu'assez peu à partager. Les nouveaux fans d'Indochine, qui n'avaient pas pu échapper à la mode, virent alors en Placebo des sortes de cousins, et surtout un soutien crédible de la part d'artistes non-variété. L'intérêt fut en revanche - très logiquement - moins visible du côté de ceux qui avaient aimé les premiers albums de Placebo, n'ayant évidemment rien à voir avec quelconque production indochinoise quelle que soit l'époque.

Voir : 1999 - Dancetaria


Imaginez-vous de telles phrases dans la bouche d'un autre artiste ?
"Oui on se connaît bien, on parle de maquillage."

Nicolas Sirchis à propos de Brian Molko, 2000

"Nous, depuis dix ans, on n'est nulle part, on n'a pas de marketing, beaucoup ont l'impression de découvrir ce groupe : un peu marginaux, ne faisant pas l'unanimité, parce qu'il y a une sincérité dans ce qu'on a fait et dans ce que les gens ont capté. Si j'avais 15 ans aujourd'hui, j'écouterais Indochine, Placebo et les Smashing Pumpkins".

Nicolas Sirchis, l'Alsace, janvier 2001

"Notre public est celui de Placebo et Radiohead !
Nicolas Sirchis, Tribu Move, janvier 2001 

 
Interview après interview, Nicolas n'en démordait pas.

"Depuis dix ans, nous ne sommes plus programmés en radio, les médias nous considérant peut-être comme finis. Mais notre public peut aimer autant Placebo qu'Indochine."

Nicolas Sirchis, France Soir, janvier 2001


"Or nous on s'était aperçu au contraire il y a déjà quatre ou cinq ans qu'il y avait un tout nouveau public, pour Indo, qui n'était pas là par nostalgie mais parce qu'il associe le groupe à Placebo ou aux Smashing Pumpkins."

Nicolas Sirchis, Rocksound, février 2001

 

"Mais cette fascination pour l'ambivalence demeure. Tes costumes de scène en sont un exemple. Ton attirance pour l'univers de Brian Molko en est un autre...
- Oui, c'est vrai, grâce à lui d'ailleurs, je peux me remaquiller sur scène (sourire) !"

Nicolas Sirchis interviewé par Yves Bongarçon, Rocksound, février 2001

 

"Hier vous étiez les Cure à la française, aujourd'hui le Placebo francophone. Que pensent ces groupes anglais d'Indochine?
- Brian, je l'ai vu plusieurs fois. Ayant vécu au Luxembourg, il connaît bien L'Aventurier. Il a revu le groupe récemment. Quand je vois comment il est dans les loges et ce qu'il prend, c'est sûr qu'il est beaucoup plus rock que moi. Placebo est plus noisy, plus Sonic Youth qu'Indochine mais je sais qu'il nous aime bien. On a fait un concert ensemble et il se sentait mal à l'aise de jouer après nous. Ce qu'on fait ne le touche pas directement mais il est très respectueux de notre parcours et de notre public. Il se rend compte que beaucoup de nos fans aiment aussi Placebo. Il ne peut pas en dire du mal. C'est un malin, Brian.

Nicolas Sirchis, Télémoustique, janvier 2001

Si Brian Molko est en effet un personnage malin, Nicolas lui est rusé, fourbe voire insidieux. Et puis l'année suivante, il montra qu'il était possible d'aller encore plus loin :
"Le fait que Placebo connaisse un succès phénoménal et que son public suive Indochine, m'a réconcilié avec le rock. Tout le monde a en mémoire notre affiche commune aux arènes de Nîmes en août dernier. J'ai alors découvert que Brian Molko était fan d'Indochine quand il n'était encore qu'un jeune étudiant au Luxembourg. La longue tournée Dancetaria Tour nous a permis de rencontrer notre public : il est de plus en plus jeune, il écoute aussi bien Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails, Marilyn Manson qu'Indochine. Ayant les mêmes affinités avec notre nouveau public, notre son a évolué normalement."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, avril 2002

Non. Seule une partie du public de Placebo, la plus jeune, simplement le nouveau public rock de cette époque, suivait également ce nouvel Indochine matraqué en TV et radio. Quant à cette évocation lunaire d'un jeune Molko fan d'Indochine, elle est volontairement exagérée. Le francophone Brian Molko connaissait évidemment Indochine, mais n'a jamais évoqué autre chose qu'un souvenir agréable de "L'Aventurier" à la radio luxembourgeoise.
"J'ai l'impression que la France a toujours été plus branchée par la variété. Je me souviens d'avoir vu s'enchaîner le clip de 'L'Aventurier' d'Indochine - que justement, je ne compare pas du tout à la variété - avec un clip de Dalida ou de C. Jérôme. Ça fait une dichotomie un peu bizarre.
Je vois que tu es familier de la grande famille de la variété française !
- J'ai grandi au Luxembourg et j'ai beaucoup regardé la télé française. J'ai été confronté de près à la culture Michel Drucker ou Jacques Martin."

Brian Molko, interview croisée avec Nicolas Sirchis, Rocksound, août 2000


 
L'épisode des Arènes de Nîmes permet de comprendre les motivations de Nicolas, mais il fut à l'époque aussi dissonant que secondaire. La biographie officielle raconte encore aujourd'hui ce concert commun comme un highlight, et matraque infatigablement une filiation profonde entre les deux groupes. Aujourd'hui encore peut-on lire sur le site :
"Autre point d'orgue de cette tournée, le 12 août, un concert Indochine / Placebo est organisé aux Arènes de Nîmes. Une façon pour les deux groupes, qui s'apprécient mutuellement, de se rapprocher encore un peu plus."

Indo.fr

L'hagiographique Insolence Rock y va même à fond dans une sociologie de Hard Rock Café :
"Le public drainé ce soir-là par les deux formations est sensiblement le même, la génération des quinze-vingt ans (khôl et noir aux lèvres pour les filles), fatiguée des modes éphémères imposées par l'industrie du disque, et redécouvrant pêle-mêle les Cure, les Smiths ou Bowie dans la discothèque du frère ou de la sœur aînée... [...] Au delà de la différence d'âge, les deux musiciens cultivent à la fois le même respect pour le passé et le goût de l'innovation sonore... Mais Molko vit en Angleterre et Nicola en France... Pas évident, dans ces conditions, de mettre en parallèle le succès et l'exposition médiatique de ces deux groupes."  

Sébastien Michaud, Insolence Rock, Camion Blanc, 2004

Nicolas, très en confiance dans ce logiciel "Placebo", s'afficha dès le début du Paradize Tour en 2002, avec une Fender Jaguar flambant neuve. Exactement la même guitare que Brian Molko, et qui faisait partie de l'image scénique de Placebo. Il enchaîna même au cours de la tournée avec une Gibson SG, dans la même couleur que Molko également.

Voir : 2002 - Paradize

Elysée-Montmartre, 2002

Il n'est pas exagéré de dire que Nicolas s'était déguisé.


Ce choix avait bien sûr pour but d'installer une ressemblance entre les deux groupes, et nous devons observer que cela a très bien fonctionné. Visuellement, l'illusion était redoutable. Mais Molko sortait de sa guitare un son et un jeu tout à fait singuliers, alors que Nicolas était toujours - et resta - débutant et franchement mauvais. Si le public indochinois a volontiers écouté, nous nous permettons de douter qu'il ait franchement entendu grand chose.


Voir : Nicolas et la guitare


Mais à l'époque de l'Elysée-Montmartre, il allait falloir - très logiquement - encore un peu de temps au public d'Indochine pour intégrer cette nouvelle figure à leur représentation de l'univers d'Indochine. Brian Molko fut invité à la première date du Paradize Tour pour un DJ Set, mais la salle se vida aux trois quarts avant son arrivée. Un épisode gênant, soigneusement évité par les versions officielles qui préfèrent souligner encore et toujours que le chanteur de Placebo était là.

Sur un malentendu.


Comme Molko également, Nicolas alternait, au cours de la tournée, les tenues noires et blanches...





...allant même jusqu'à tenter la robe courte.


Nicolas allait vraiment très très loin dans l'imitation :

Brian Molko en 1999 / Nicolas Sirchis en 2002

"Tu disais, 'je suis moins important que David Bowie'. Alors, y aura t-il un projet en commun, un duo ?
- Honnêtement je ne sais pas. Moi c'est Bowie qui m'a donné envie de faire de la musique, et de préférer des groupes qui ont une aura sexuelle à d'autres. Brian Molko m'a donné envie de me remaquiller sur scène, chose que j'ai faite de 1981 à 1990. Ce côté sensuel me manquait. C'est vrai que Placebo a un côté beaucoup plus rock que nous, c'est ça qui justement m'intéresse ! J'aimerais qu'on reprenne 'Amoureuse' de Véronique Sanson. Je pense que ce sera un duo intime, dans le sens où on se connaît assez bien pour le faire."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, janvier 2001

 

"Nos routes sont parallèles, mais je pense qu'il ne faut pas qu'elles se croisent tout le temps... Tout le monde attend que nous fassions un duo, c'est trop évident ou alors sur "Amoureuse" de Véronique Sanson : "Une nuit, je m'endors avec lui...". La dernière fois qu'il est venu à Paris, nous avons passé la journée et la nuit ensemble ! Je vous vois venir, en tout bien, tout honneur bien sûr !"

Nicolas Sirchis, Tribu Move, avril 2002

 

"Brian m'a téléphoné juste avant qu'il n'entre en studio et il m'a dit que ça les intéresserait de faire un remix pour Le Grand Secret, je lui ai envoyé mais je ne sais pas où ils en sont !"

Nicolas Sirchis, Rock Mag, novembre 2002

Nous attendons toujours ce remix.

En 2005, le désir de Nicolas et de nombreux indofans de l'époque se réalisa enfin : Brian Molko chante sur un album d'Indochine !


Thought donc, qui termine quand-même en sought sur la version anglophone.


"Pink Water" fut jouée sur l'intégralité de l'Alice & June Tour, mais la voix de Molko était remplacée par une ligne de basse six cordes, mixée en avant. Les fans attendaient le duo sur scène, mais ce fantasme ne se produisit jamais : ils durent se contenter de chanter eux-mêmes. Le morceau sortit un peu plus tard en single chanté par Nicolas seul, et l'affaire mourut à petit feu avec le temps.
"Pourquoi ne pas avoir travaillé ensemble auparavant ?
- Parce qu'on n'arrêtait pas de nous bassiner avec ça, et qu'il fallait que l'envie vienne de nous."

Nicolas Sirchis, Instantmag2 spécial Indochine, octobre 2006

Cette sortie est incroyable au regard des précédentes, notamment celles d'avril 2000 et janvier 2001 où il disait vouloir collaborer avec Brian Molko et avait même sa petite idée de reprise. Ici, Nicolas prétend qu'il n'a fait qu'accéder à la demande, alors qu'il avait créé cette affiliation de toutes pièces, et infatigablement matraqué le nom de Placebo pendant au moins six ans. Un moyen récurrent de se dédouaner, en projetant ses propres spéculations et calculs sur le public et les médias, et même confier un certain agacement. Décidément, personne ne comprend rien à Indochine !

Mais de la même manière qu'un "Tomboy" ou un "Gloria", "Pink Water" n'avait clairement pas été écrit comme un duo, puisque seul un couplet était dédié au chanteur invité. Il faut plutôt y voir un clin d’œil, comme un caméo. Une façon d'expliquer pourquoi "Pink Water" chanté par Nicolas seul est bien plus cohérent, à l'image de cette version apparue fin 2010, plausiblement pensée comme un enterrement définitif de la version album avec Brian Molko.

Voir : 2005 - Alice et June
 

Malheureusement, depuis le milieu des années 2000, Placebo a peu a peu perdu en crédibilité artistique. Passé le court épisode de "Pink Water", Nicolas n'en parla plus en interview. Toutefois, il n'en avait pas complètement fini, puisqu'une référence furtive apparut dans le clip de "Un ange à ma table", qu'il réalise lui-même :

Suzanne Combeaud et Nicolas Sirchis dans "Un ange à ma table", 2010

Placebo, Without you I'm nothing, 1998
"Dans le clip de 'Un ange à ma table', on voit Suzanne et moi de profil, dans les couleurs d'une pochette de Placebo."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Éric Perrin, 2011

Il osa en 2011 dans Kissing my songs une ultime comparaison :
"Je retrouvais en eux quelque chose de l'Indochine des débuts, et du coup, avec Brian on s'est pas mal rapproché. [...] Il y avait un truc qui se passait, je le voyais comme un petit Nicola."

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

C'est de la folie de dire un truc pareil, de faire preuve d'un tel narcissisme, d'une telle malhonnêteté et d'un tel manque de respect. Quel est ce "quelque chose" que Nicolas voyait, la présence d'une guitare rouge sur des vêtements noirs ? Les mèches de cheveux ? Du maquillage ? Un côté irrévérencieux ?

Nous pouvons lire cette extravagance comme un aveu grossier, selon lequel Placebo n'a jamais été vu autrement que comme un moyen pour éclairer Indochine de sa lumière, et que Nicolas s'aimait lui-même à travers l'intérêt qu'il portait au très respecté chanteur de Placebo.


Son coup de cœur pour le groupe londonien nous éclaire ainsi superbement sur son fonctionnement en matière de goûts musicaux.
"Pour moi, Noir Désir, c'est tout sauf sexuel ! À part la gueule du chanteur qui est intéressante... Enfin je veux dire, il est mignon."

Nicolas Sirchis, Rocksound, juillet 1999

 

"Pour moi, la pop, c'est quelque chose qui fait danser les gens, il faut qu'il y ait de l'énergie, du sexe. Noir Désir c'est tout sauf ça, car Noir Désir, c'est très sérieux. Bertrand Cantat ne se maquille pas. Et c'est vrai qu'on nous a représenté comme ça. Sur scène, maintenant, j'apparais en robe noire et ça produit un effet très fort sur les gens. Moi, j'aime ce côté pervers, ambigu que l'on peut, par exemple, retrouver chez Placebo."

Nicolas Sirchis, Rocksound, janvier 2000

 

"Il y a quatre ans, quand j'ai vu "Nancy Boy" de Placebo sur MTV, je me suis dit : 'Enfin !'.
Un vrai déclic de fan...
Absolument, qui a eu lieu sur le côté un peu arty du clip de 'Nancy Boy'".

Interview croisée de Molko & Sirchis dans Rocksound, 2000


Donc dans les faits, il a juste flashé sur le clip et les looks. Il n'y a dès lors pas à s'étonner de ne pas entendre d'influence musicale au delà d'une certaine distorsion. Plausiblement ce côté "pervers", mot qu'il employait alors assez souvent, alternativement à propos d'un son, ou d'une certaine attitude. Il n'y a pas non plus à s'étonner du fait que Nicolas ne connaisse pas les paroles de Placebo, sauf éventuellement lorsque le titre du morceau est prononcé.


Exception faite pour "Mars Landing Party" où là, oui, Nicolas connaît les paroles et ça lui parle. Même si comme à son habitude, il se trompe.
"Moi j'voulais chanter, embrasse-moi mets-moi un doigt dans ton cul... (sic)"

Nicolas Sirchis, MCM, 2004


"Moi c'est Bowie qui m'a donné envie de faire de la musique et de préférer des groupes qui ont une aura sexuelle à d'autres."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, 2000

 

"La première fois que j'ai vu un clip de Placebo, je me suis dit qu'enfin le rock anglais recommençait à être intéressant, dans ce côté un peu bowiesque, un peu sensuel..."

Nicolas Sirchis, Rock Mag, novembre 2002

Donc : Nicolas aimait Suede depuis plusieurs années, mais c'est avec un clip de Placebo qu'il estima que le rock anglais était redevenu bowiesque et sensuel. Les connaisseurs de Suede apprécieront l'analyse clownesque du chanteur d'Indochine.


Depuis longtemps, et surtout dans la rubrique hebdomadaire "La playlist d'Indochine" sur les réseaux sociaux, les goûts de Nicolas sont assez clairs : une attitude rock et provocatrice, de l'androgynie, du maquillage et si possible de jeunes filles. Comme si cette musique n'était qu'un moyen d'encanaillement, pour ce Nicolas petit-bourgeois qui ne s'est jamais montré mélomane.

Et en 2020, forcément, inévitablement, il flashe sur Yungblud.
"Placebo c'étaient les mêmes recettes que David Bowie au tout début, et puis après Marilyn Manson, et puis là Yungblud c'est les mêmes recettes. Maquillage, outrance, machin..." 
Nicolas Sirchis, Konbini, décembre 2020

Les mêmes recettes, trahissant une remise au second plan de l'aspect musical - rien que ça - doublée d'une ignorance voire d'un rejet des contextes culturels et langages très différents caractérisant les artistes cités. Nous vous renvoyons au reste du blog en ce qui concerne les recettes utilisées par notre héros.


En 2021, Nicolas s'engouffre dans un tunnel sur le plateau de Yann Barthès :
"Y.B. : Nicolas pourquoi vous avez jamais fait d'album en anglais ?
- N.S. : Bah parce que je parle anglais comme un français quoi. Si si. Nan mais on travaille en Angleterre. En Angleterre c'est incroyable parce que... Elle [Chris, ndlr] passe tout le temps. Euhhh, avant, pendant, après, enfin j'ai toujours entendu. Mais euh, non, parce que, en fait, moi j'aimais bien les versions originales...
- Y.B. : Parce que vous avez été vachement inspirés par l'Angleterre justement.
- N.S. : Oui, ouiouioui absolument, mais euh... On a des limites, euh, dans l'accent anglais, et donc euh, à un moment donné il aurait mieux valu rester chez nous... Mais non, en fait, les morceaux qu'on reprend comme ça, on aime bien, mais, euh. Comment dire. Euh, c'était plus euh... En fait, le rock c'est beaucoup plus compliqué, euh... Dans, dans, dans sa musique à elle c'est les nouvelles générations, c'est 3.0, ça va beaucoup plus vite, euh...
- Y.B. : Y'a du rock français, du rock britannique, c'est pas le même...
- N.S. : Ouais. Mais par contre on est respecté. Vachement. Euh, les Anglais ils nous respectent vachement euh, parce que la carrière, parce que et caetera, et puis y'a eu les Placebo qui sont venus, enfin y'a plein de choses qui sont venues euh, vers nous, parce que ouah, qu'est-ce que c'est que ce groupe là, comment ça marche..."

Dans les faits : Les Placebo ne sont pas venus, Nicolas est allé lui-même chercher leur chanteur pour s'en faire un ami. Comme au lycée, ça faisait bien de se montrer avec le gars le plus populaire dans la cour de récré.



Il est toujours fascinant d'écouter un musicien parler de ses influences, goûts et histoire personnelle en parallèle avec la musique. En revanche, il n'existe pas à notre connaissance d'autre exemple d'un chanteur dépensant autant d'énergie à parler des autres groupes à la mode pour essayer de s'y faire associer. Les interviews et citations sont claires : Nicolas n'a jamais su parler de Placebo et de ce que musique et paroles pouvaient représenter pour lui au delà d'un intérêt pour un aspect provocateur et un coup marketing.

Le lien entre les deux groupes ne semble basé que sur un certain goût pour la transgression, l'androgynie et les vêtements noirs. Une pareille affiliation ne semble possible qu'au pays de Johnny, où le rock est avant tout pensé comme un look et une attitude. Mais Placebo mérite bien mieux que cela.

Aujourd'hui encore, il est naturel pour une grande partie du public arrivé au début des années 2000, plausiblement très influencé par une campagne marketing redoutable, de mettre les deux groupes dans le même panier. Et aujourd'hui encore, nous ne comprenons pas pourquoi, puisque cette illusion permise par un mauvais tour de magie disparaît en appuyant sur "Play".


Voir aussi sur le blog :

1999 - Dancetaria

2002 - Paradize

2005 - Alice et June