2013 - Black City Parade

Olivier Gérard, Nicolas Sirchis, François Matuszenski, 2013

Avant toute chose : la genèse du présent album a été traitée précédemment sur le blog. Nous vous renvoyons au post en question, dont la lecture pourrait précéder pertinemment celle du présent article qui sera forcément plus court.

Voir : Black City Parade, le film

"Kill Nico" nous avait fait extrêmement peur, au concert jubilé de Paradize en 2012 ! Mais l'album finit par sortir, et montra que son entièreté n'était fort heureusement pas à l'image de cet hymne ridicule. Retour sur cette galette, neuf ans après sa sortie.

En 2013, le pop/rock indochinois se situe entre indie-landfill, velléités de pop stadière et synthpop postmoderne, et tout semble avoir été fait. Nicolas révélait, parfois involontairement, depuis l'époque de Paradize, ne plus avoir beaucoup d'inspiration. En effet, l'évolution de ses textes depuis les années 90 donnent cette impression, et cela est compréhensible après tant d'albums, voire normal. Pour autant, le début des années 2010 est une époque où la cohérence des tendances musicales avec leur temps semble s'étioler. Cela peut participer à expliquer une myriade de revivals, et il est difficile, au delà de ces micro-hypes, de savoir où se placer. Là où par exemple, la triade Dancetaria/Paradize/Alice&June se situait sur une mode très identifiable chez les adolescents, entre grosses guitares, carton du goth et skyblogs.

Les livres sur Indochine s'accordent d'ailleurs comme un seul homme, sur une époque difficile à expliquer sur le plan musical. Et les premières explications de Nicolas ressemblent à celles de l'album précédent, même s'il ne se souvient plus exactement que pour les Meteors non plus, il n'avait pas d'idée.

"Cet album a pris beaucoup de temps parce qu’on ne savait pas où on allait. Sur les trois disques précédents, j’avais dans la tête la vision globale. Là, j’ai ressenti le besoin de casser la routine, de partir un peu en vadrouille."

Nicolas Sirchis, Métro, mai 2013


Cette fois, "on ne sait pas où on va mais on y va" ("on ira" dans le livret). Soit. 

Ébauche pour la pochette de Black City Parade (source : isuro.net)

Il s'agit ici, dans un esprit tout à fait artistique (dans son versant bourgeois), de voyager pour trouver l'inspiration. S'imprégner d'on ne sait quoi, en espérant tomber sur des éléments exotiques qui pourraient inspirer des débuts de textes. Et à la fin, les villes. Soit.

"Alors tu sais qu'au départ le nom de code de l'album c'était Black Pussy (rires)... Et que, euhhh, et que, parce que, tout d'un coup le morceau Black City Parade s'appelait Black Pussy, ça collait bien avec le côté un peu disco night du morceau, [...] et puis le côté euh, et puis arrivent les Pussy Riot, et je me suis dit non merde, pff... Et donc après je me balade, et puis je dis mais oui, les villes, city, voilà... Et puis pussy, city, on était dedans et boum."
Nicolas Sirchis, interviewé par Sébastien Ministru, RTBF, 2013


"Toute mon inspiration est venue de ces voyages. L'architecture d'une ville, les événements, les émotions qu'il y a dans les villes sont assez incroyables. Ça s'est bâti autour de ça."

Nicolas Sirchis, AFP, décembre 2013


En effet, nous êtres humains habitons quelque part et ressentons des émotions.


Les musiques dites "urbaines" concernent, dans leur usage le plus répandu les musiques noires-américaines, le hip-hop en tête, et ici l'emploi du terme semble revenir aux guitares comme aux dernières grandes années de l'indie pop. C'est bien.

Il faut aussi entendre "urbain" comme pour dire "moderne", "dans son époque" voire hype, connecté. Les hipsters dans les non-lieux, aéroports et taxis, en plein jetlag : un truc de petits bourgeois mondialisés. Au contraire d'un altermondialiste qui voyage pour échanger, ici l'on voyage pour consommer. Sans attache, mais toujours avec une prise USB pour charger son téléphone, le voyageur ne laisse rien derrière lui sinon un reçu CB.

Mais les interviews de Nicolas ne montrent qu'une chose : il cherchait à construire un univers VISUEL. Beaucoup des artworks de Black City Parade étaient d'ailleurs directement issus du compte Instagram de Nicolas. Les passages de Lost in Translation (parfois considéré comme les débuts du cinéma hipster) avec My Bloody Valentine ou Chemical Brothers, c'est bon vous avez ?

Maxi "Black City Parade", 2013

Rappelez-vous aussi que ce sont rarement ceux d'en bas qui sont touchés par un aspect "multisocial" ou "au delà des classes" d'un environnement ou événement donné. Il s'agit donc ici de vols longs courrier, d'aéroports de nuit avec taxi à l'arrivée, de cafés design d'hôtels internationaux et de la lumière des bougies qui se reflète dans les glaçons d'un virgin mojito.
Nicolas souhaite être perçu comme une sorte d'artiste ténébreux et trop sensible, vagabondant d'hôtel de luxe en hôtel de luxe pour fuir la violence du monde.

Voir : Le bourgeois-gaze (Frustration Magazine)


L'album est très produit et le son est étonnant pour Mk2, qui plus est après un La République des Meteors plus marqué home studio. Nicolas semble avoir désiré se rendre dans des lieux mythiques (Hansa Studios) et travailler avec des figures d'autorité (Shane Stoneback). Ne faut-il pas y voir ici une volonté de s'aligner sur les propositions internationales, comme si la musique française devait cesser d'être "en dessous" ? Nous avions déjà souligné sa préférence à s'adapter à une situation dominante plutôt que la combattre, et l'envie d'Mk2 d'aller toujours plus haut est ici très saillante. Rappeler au demeurant que cela n'est pas synonyme de  faire mieux

Un gros son mondialisé donc, ressemblant à sa pochette. Un peu à la manière de l'actuel Paris Saint-Germain, Indochine Mk2 ne veut plus n'être qu'un simple groupe français et souhaite être reconnu à l'international comme une marque implantée, influente et surtout bankable. Avec un gros merchandising, cela va sans dire.

"On signe avec Live Nation, il était temps de passer au dessus des producteurs français."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Point final, sans plus de précisions... À part une confusion délétère déjà traitée sur ce blog, entre une augmentation des moyens économiques et une progression artistique.


Mais, de l'importance de l'avis des deux parties : Salomon Hazot, président de Nous Production, évoque cette rupture, documentée en partie dans Black City Parade, le film avec un Nicolas furibard au téléphone.
"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine (le futur Black City Tour, ndlr). Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. [...] Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas."

Salomon Hazot, président de Nous Productions, Sold Out (16:35), mai 2023

 

Black City Parade

Comme à l'habitude du monsieur, en plus d'être visuelles, ses inspirations sont sémantiques : un champ lexical en vrac doublé d'un certain univers inspiré par ses voyages au loin : nuit, noir, city... Nous pourrions nous amuser à en ajouter plein d'autres : Duty-free, luggage, service not included, customs, Burger King, Black Friday ("vendredi noir", vous suivez ?)... D'ailleurs, sachez que même les artistes ténébreux ont besoin d'un petit-déjeuner. Nicolas tomba par exemple sur une boulangerie (plausiblement aux États-Unis), dont le nom donnera plus tard "Europane", un nom de code gardé au final cut.

Des mots qui pètent, mais sans fond. Comme Alice et June et La République des Meteors, il devient question d'un concept - et ça commence vraiment à nous fatiguer. Nicolas se montre tout particulièrement évasif en interview.

"Je suis ennuyé à l'idée de dire qu'il y a un concept autour du disque. Mais s'il doit y en avoir un, le voilà : j'ai toujours été étonné par ce qui se passe aujourd'hui dans les mégalopoles. Il suffit de traverser un trottoir pour passer du riche au pauvre, du bonheur au malheur."

Nicolas Sirchis, Muse & Out, 2013


"Contrairement aux précédents albums du groupe, 'conceptualisés', rien n'était 'calculé', dit-il."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


"Black City Parade semble être un album concept autour des grandes villes, la nuit. Qu'en est-il réellement ?
Si cet album est concept, c'est un peu par hasard, par sa conception, son écriture. On l'a écrit pendant 14 mois durant lesquels j'ai beaucoup bougé. Les textes sont donc inspirés par les sensations ressenties dans différentes villes. Il a été élaboré entre Paris, Berlin, Bruxelles, Tokyo et New York. Les albums précédents étaient conçus et réfléchis avant, mais celui-ci est venu au fur et à mesure. Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes. J'aime beaucoup la nuit, les villes de nuit, mais je n'aime pas la vie de nuit. Je vais rarement en club, mais l'esthétique d'une ville de nuit, avec toutes ses lumières, me projette dans le futur. Il se passe beaucoup plus de choses la nuit, en plus de l'esthétique plus forte. On peut avoir d'une maison à l'autre un drame humain, une naissance, une violence, un bonheur. Le paradoxe multisocial, multisensationnel, multiculturel se joue à quelques encablures de porte. Ça me passionne. D'où la pochette qu'on a faite avec des tours qui scintillent basée sur l'assemblage de trois villes différentes dont Berlin et Tokyo.

Dans le titre Black City Parade, de quelle parade s'agit-il ?
De la parade humaine, c'est à dire que dans une ville il y a autant de paradoxes et de contradictions d'un trottoir à l'autre. C'est lumineux et sombre à la fois."
Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

 

On peut ajouter "paradoxe" à la liste des mots mal compris par notre héros. Une fois de plus, Black City Parade serait un album-concept par accident. Nous ne nous attarderons pas ici sur cette drôlerie précédemment développée dans les articles dédiés. Nous avions déjà compris que dans la bouche de Nicolas, le mot "concept" signifiait plutôt un vague thème, une idée amusante pour une pochette, ou un décorum. Ici c'est un peu tout ça à la fois, et nous avons une fois de plus l'impression que Nicolas bricole un concept au fur et à mesure des questions qu'on lui pose.

Voir : 2005 - Alice et June, 2009 - La République des Météors


Nicolas dans le film évoque avec l'ex-ami Rudy Léonet son désir de "revenir à la new wave". Quid ? Nous pensons avoir saisi que pour Nicolas, la new wave serait une pop intelligente et esthétique. Une tendance musicale mélodieuse, avec des clips et des vêtements. 

"On a toujours essayé de faire des ritournelles mais qui font réfléchir les gens, dans lesquelles les paroles ne sont pas si simples. Comme 'Dizzidence Politik' ou '3e Sexe', par exemple. Cet album est un retour aux sources, au plus profond de la new wave."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013


Est-ce là un nouveau symptôme du malentendu sur la new wave, vue comme une musique essentiellement visuelle et commerciale, et qui durera jusqu'à 13 ? Est-ce lié à cette volonté d'être sombre voire néon, comme dans les années 80, décennie du fric et de l'apparence ? Les fans d'Indochine sont-ils nombreux à bien connaître l'époque de la new wave ? Sur quoi Nicolas souhaite t-il nous faire réfléchir avec sa musique ?

"Il n'y a pas plus injuste qu'une ville, les riches sont confrontés aux pauvres. Ça peut susciter de l'égoïsme, mais c'est aussi peut-être de là que viendra la solution."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


Vous avez quatre heures.

Le parpaing parle d'ailleurs de "sonorités new wave", on ne comprend pas d'où. Nous pouvons spéculer que son autrice a découvert le mot avec la fameuse sortie de Nicolas expliquant le morceau à ses jeunes acolytes féminines, d'anciennes fans ayant passé les portes des afters. Ou bien avec la communication de l'album du chanteur d'Asyl.

"C'est très new wave... pim pin pin pi pin pi pi pin pin."

Nicolas Sirchis dans Black City Parade, le film, 2013


Donc plausiblement, il faut comprendre ici : "on a mis du synthé". Quoi qu'il en soit, Nicolas y va effectivement de ses signifiants littéraires, avec le fameux texte de Mireille Havet (parfois prononcé Miriel Havet) en introduction. Il semble d'ailleurs assez fier de son instrumental à une note, qu'il dit avoir composé. En 2013, Nicolas évoquait sa découverte de l'autrice française :
"J'ai de la chance d'être en contact avec des étudiants et étudiantes de khâgne et hypokhâgne qui me parlent beaucoup de livres et d'écrivains méconnus, et me conseillent des choses. Une fille m'a conseillé de lire Mireille Havet."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

Et dans le parpaing :
"Valérie Rouzeau m'a fait découvrir Mireille Havet, j'ai voulu qu'elle la cite dans l'introduction à l'album, à la Diamond Dogs de Bowie, quand il introduit l'oeuvre dans sa galaxie."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Allez-y doucement donc, avec la fameuse mémoire impressionnante du chanteur d'Indochine.

Voir : David Bowie


En 2012, Mathieu Peudupin (dit Lescop, ex-Asyl, habitué des premières parties d'Mk2) cartonne médiatiquement avec un revival 80's lorgnant vers les Jeunes Gens Mödernes (avec qui le jeune Nicolas traînait) et la cold wave.
 

"Lescop déboule donc de son nulle part pour rappeler à notre bon souvenir la new wave classieuse du tout début des années 80"

Libération, septembre 2012


La précision "du tout début" est amusante : Est-ce le phénoménal 3 qu'il ne faut pas inclure ?

"Révélation française de la rentrée, Lescop pose un pied dans la pop hexagonale – option Daniel Darc – et l’autre dans le rock raide de Manchester – modèle Joy Division"

JD Beauvallet, Les Inrocks, octobre 2012


L'occasion de rappeler à nos amis mélomanes que ce n'est pas parce qu'on entend la basse qu'il faut se sentir obligé de citer des références institutionnelles comme Joy Division ou The Cure. D'ailleurs, la précision "option Daniel Darc" ressemble à une volonté d'éviter tout malentendu ! On ne parle pas de l'option Indochine ! Comme Télérama, qui se garde bien de les citer.

"Petit frère jumeau de Daho et de Taxi Girl, Lescop sort son premier album solo, synthétique et organique."

Télérama, octobre 2012

Matthieu Lescop de son coté, prit également soin de rendre discrète son affiliation - pourtant très connue - avec Indochine Mk2. Il préféra souligner une proximité avec le bien plus célébré Étienne Daho. Son premier album solo peut pourtant aussi être vu comme l'aboutissement de ce qu'avait tenté à l'époque la catastrophique et consternante armée des Divisions de la pop.

Voir : Étienne Daho


Bien qu'en étant exclu, Mk2 dut trouver sa place dans cette nouvelle hype.
"C'est drôle de voir des maisons de disques qui crachaient sur nous, être fébriles sur La Femme, qui ont des synthés, dansent comme nous quand on était jeunes. Les années 80, qui étaient décriées, sont un peu réhabilitées, parce qu'il y avait quand même de sacrés bons groupes dans les années 80. Et je ne me situe pas dans l'histoire."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013
"Personne ne s'attendait à ce que des groupes français reprennent ce qu'il y avait de pire pour la presse rock des années 80 - les synthés, les boîtes à rythmes. C'est cette presse, qui a mis à la poubelle cette décennie (Indochine avec) en disant que c'était terrible pour le rock, qui encense ces jeunes groupes."

Nicolas Sirchis, Carrefour Savoirs, 2013

Et Nicolas a raison. Les bifurcations dans la mode ainsi que son renouvellement dans les revivals, et les retournements de veste et calculs que cela peut impliquer ont largement de quoi agacer. 

Il faut juste lui rappeler qu'il a passé l'ensemble de sa carrière à courir derrière la mode, quitte à user de stratagèmes grossiers pour se faire affilier à telle ou telle hype. Cela rend son aigreur assez discutable : elle n'est pas tant celle de quelqu'un qui a subi l'injustice que quelqu'un qui a foiré ses plans :


Quoi qu'il en soit en 2013, les interviews sont plus rares, et il est assez plausible de penser qu'au début des années 2010, le projet n'a plus d'autre référence que lui-même. Cependant, le très visuel Nicolas Sirchis semblait toujours souhaiter que son groupe ressemble un peu à Suede.

Suede par Kate Garner, 2013

Voir : 1999 - Dancetaria


...ainsi qu'à The Horrors, alors au sommet de la hype en France avec Skying.


Nicolas allait même un peu loin dans la proximité physique avec Faris Badwan, chanteur de The Horrors... (voir annexes) Ce n'est pas un mal d'avoir des références picturales, bien au contraire. Mais quand ça se voit trop, cela devient gênant. Un hommage assumé ne poserait aucun problème (dans une certaine limite) comme par exemple la série pour le Stade de France de 2010 qui référençait de façon amusante la photo Andy Warhol and the members of Factory de Richard Avedon.

Visuellement et sonorement, cette parade de la ville noire - admettons - expose une volonté un peu plus prononcée que chez Alice & June - avec son décorum - de créer une ambiance : des propositions jamais usées précédemment sont ici invoquées :

"Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, 2013

Certes, cela peut fonctionner pour pour quelques morceaux, mais l'album dans son entièreté ne correspond pas à l'ambiance froide et solennelle des "Memoria" et autres "Europane", ni à la lourdeur électrique d'un "Black City Parade" ou encore "Wuppertal".

En revanche, nous osons espérer que Nicolas n'avait pas l'impression d'inventer ici l'eau chaude. Les thématiques de ville de nuit ont été vues et revues, de tous les côtés, par le jazz, le post-punk, le dubstep, le hip-hop, les bandes originales de films et évidemment la musique classique. Le Nicolas infiniment plus cinéphile que lecteur ou musicien s'exprime ici pleinement, et les lumières de la ville se reflètent sur le sol mouillé.

Ce que nous savons aussi, c'est que "nuit" est un des mots les plus utilisés par Nicolas avec "vie" ou encore "moi".


Black City Parade
serait donc un vrai album de studio, très arrangé. Et c'est vrai : "Memoria" en témoigne et fut impressionnant à sa sortie... et ne fonctionna jamais en live, ce qui est normal puisque le morceau n'était pas fait pour ça.

Voir : 2009 - La République des Meteors


Dans une certaine frange du rock alternatif, le terme ambiance a longtemps rencontré une forte popularité. Comme une caution arty, quelque chose qui devrait être plus qu'une collection de chansons, et davantage sonner comme une expérience sonore que comme une simple musique énergique. Dans tous les cas, l'attitude artistique est bien présente. Mais une telle pose saurait-elle suffire ?


Les anciennes influences indie et shoegaze de Dominique Nicolas et même d'Olivier Gérard paraissent bien loin même si un "Traffic Girl" peut encore en témoigner.

"Une chanson qui ne pouvait être écrite que pour Indochine, avec un thème qui leur va comme un gant."

Matthieu Peudupin sur "Traffic Girl"


Parce qu'il y a de l'Asie et de la fille ?


Le morceau est écrit par Lescop et co-crédité avec Nicolas... Il semble assez évident que ce dernier n'a fait que rajouter un "J'aurais voulu te voir encore une fois... Mais comme dans ce pays-là, tu n'te relèvera pas... Ne reste pas." au texte de Matthieu.

Une chanson pleine de qualités sur le plan musical, qui fit d'ailleurs l'objet d'une dissension entre Nicolas et Olivier, montrée (!) dans Black City Parade, le film. Malheureusement, sa version single (avec un clip consternant) consista en un remix de Nicolas, qui en annihila toute l'originalité rythmique au profit d'un gros poum tchak, et en aseptisa la mélodie à l'extrême. La version concédée par Olivier - cela semblait déjà lui coûter - était encore trop compliquée. D'ailleurs, dans la lignée des Meteors, le Nicolas compositeur et directeur artistique s'envole. Quitte à imposer des instrumentations d'une rare vacuité comme "Théa Sonata", quasi-une reprise de la musique d'attente de la CAF.

Cependant, sur sa pré-intro, Nicolas essaie de reproduire les guitares de The XX dont le premier album lui avait beaucoup plu. Quitte à se perdre dans le rythme. Si, chantez 1, 2, 3, 4... vous entendrez que Nicolas se mélange les pinceaux.

Malgré le malentendu sur la new wave, Black City Parade n'est pas un album à synthés. Les grosses couilles du titre éponyme le montrent de façon assez explicite. Ici, Mk2 se positionne sur la fin de l'indie landfill, et les premiers regards vers Editors et Coldplay avec "Little Dolls" et "Le Dernier Jour" se synthétisent ici sur une pop stadière à rapprocher des singles anglais les plus évidents de cette tendance, avec leurs guitares les plus droites et tendues, voir "Nous Demain". Notez que "stadier" ne doit pas être entendu comme un jugement négatif.

Coldplay, X&Y, 2005

Nous pouvons même spéculer sur le fait que les visuels du Black City Tour sont assez inspirés par Coldplay, et cela sera poussé à son paroxysme sur le 13 Tour.
"Les derniers espaces de liberté restent les concerts. Pour moi, les deux meilleurs groupes de stades sont Coldplay et U2. Le reste, c’est un peu du foutage de gueule"

Nicolas Sirchis, L'Echo, septembre 2017

Pourquoi pas. Mais c'est curieux de la part de quelqu'un qui veut se faire passer pour un assoiffé d'underground ...selon face à qui il se trouve. Une sorte d'en même temps qui, comme beaucoup l'auront compris depuis 2017, révèle une absence partielle sinon totale de clarté.

Les influences de Black City Parade seraient donc plausiblement à chercher vers un mélange de X&Y (Coldplay, 2005) et In this light and on this evening (Editors, 2009) pour son versant anglophile, et l'album de Lescop pour son versant frenchy. Pour le reste, il est bien entendu vain de chercher à tout identifier.


C'est d'ailleurs l'année suivante qu'Indochine Mk2 débarque sur Tidal (à prononcer Tideul'), et qu'Mk2 propose deux titres à New York, dont une reprise plan-plan de "Psycho Killer" devant une salle en cours de remplissage. Nicolas, très concentré, ne s'en tira pas trop mal sur un "Alice et June" carré, sur lequel il semble jouer sa vie.

Tideul' de son côté, semble avoir signé Indochine suite à une volonté de spécialiser leur proposition selon un auditorat par pays. Chacun y voit donc un possible nouveau marché : Tideul' veut se localiser, Indochine s'internationaliser.

Nicolas et Jay-Z à New York, 2015

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Réponse : Indochine ne vend quasiment que dans la francophonie, et c'est normal. Mais y a t-il vraiment des fans d'Indochine qui écoutent leur musique sur Tideul' ?

Nicolas y retente pourtant le coup de l'attitude indé, déjà tenté à l'époque de Dancetaria et dont nous avons déjà discuté. Un comble ici pourtant, en rejoignant l'entreprise de Jay-Z, et en prétendant apporter un "contre-pouvoir" et une "résistance" face aux majors... Grâce à qui il reçoit pourtant des sommes d'argent conséquentes.

C'est drôle, parce qu'Yves Botallico nous apprend dans le parpaing que la Chevrolet Caprice Landau du clip de "Memoria" a posé problème :

"Le problème, c'est que Nicolas déteste l'Amérique et les Américains, donc une voiture américaine... Mais finalement, on l'a prise car c'était la plus belle !"

Yves Botallico in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Okay.

Voir : 1999 - Dancetaria

C'est sur Black City Parade que nous trouvons le morceau dont Nicolas est visiblement le plus fier. Un "morceau fort", selon ses propres mots. Avec la sensation qu'il est devenu officiellement fort car Nicolas l'a décrété, plutôt que grâce aux qualités dudit morceau. Qualités qui n'étaient pas gagnées d'avance pour un énième morceau en -boy.

"Je suis plutôt très très fier de ce morceau qui fait que tous les jours, encore aujourd'hui comme '3ème sexe', des gamins vont à l'école en se disant 'Ça m'a aidé à y aller la tête haute et ne pas être moqué'. La jeunesse peut être très cruelle entre elle (sic)".

Nicolas Sirchis

Nous ne connaissons pas la source de cette information, comme quoi les choses iraient mieux depuis "College Boy". Ce que l'on sait en revanche, c'est que Nicolas a souvent tendance à faire des corrélations abusives, en d'autres termes, dire que s'il y a des grenouilles après la pluie c'est parce qu'il a plu des grenouilles. On sait également que les paroles du morceau ne parlent absolument pas de harcèlement scolaire, et que c'est Xavier Dolan qui a décidé de réaliser un clip sur ce sujet, alors qu'il avait été sensibilisé par les problématiques sur les armes à feu aux États-Unis. Si "College Boy" a eu un tel retentissement (et que Nicolas intervient dans des tables rondes sur le harcèlement scolaire ...pour parler de lui), c'est grâce au clip, pas à la chanson. "College Boy", c'est une chanson nicolienne classique sur la découverte de la sexualité et l'initiation, potentiellement au sein d'une relation problématique (avec insistance sur le droit de faire ça...).

Nicolas avait, comme à son habitude, laissé carte blanche pour qu'un réalisateur talentueux fasse un beau clip pour Indochine. Quoi qu'il en soit, le morceau fut évidemment joué à chaque date d'une tournée impressionnante sur le plan technique, et ce jusqu'à l'apothéose du Stade de France :

Un moment surréaliste qui devrait rappeler à quiconque ayant lu Orwell la fameuse minute de la haine

L'intéressée, certes connue pour ses positions traditionalistes et ses sorties homophobes, n'avait pourtant plus une très grande influence en tant que personnalité politique. Mais comme chacun ne le sait pas : les mots entendus ne sont pas ceux de la femme politique chrétienne. Ils furent enregistrés au cours d'une manifestation, et prononcés par une participante anonyme. Mk2 trouva donc intelligent de créer un malentendu sur la personne, un comportement d'une grande malhonnêteté que ne se serait même pas permis un youtubeur d'extrême-droite.

Cette humiliation franchement gratuite n'alla pas au delà d'un certain symbole : se positionner contre les méchants, les vieux cons, etc. Dégommer une ambulance au bazooka, en ayant l'impression d'abattre un chasseur en plein vol. Comme avec Donald Trump plus tard (pourtant accusé par Nicolas de mensonge et de manipulation...), s'en prendre à des ennemis faciles et peu clivants, sans analyse, ni positions plus franches contre le libéralisme, le capitalisme et le patronat. Ce moment incroyable et irrationnel nous fait froid dans le dos, et n'évoque pas autre chose qu'une foule fasciste au comportement profondément électrisé par un leader. Nous voulons bien croire ici à un effet de foule. Mais nous savons aussi qu'Indochine n'est pas un groupe de gauche.

Christine Boutin eut d'ailleurs une réaction bienveillante, et franchement plus mature :

"Et moi qui suis une fan d'Indochine !!! Dommage, je reste fan ! C'est mon côté catho."

Christine Boutin, Twitter, juin 2014

Voir : Troisième Sexe


En sortie d'usine, un disque qui ne ressemble certes pas à grand chose d'autre : Mk2 reste dans un créneau à lui et c'est tout à fait louable, d'autant que le disque renferme quelques morceaux réussis et de belles trouvailles dans les arrangements.

Mais cette sensation d'interchangeabilité fait aussi suite à l'essoufflement de l'urgence et de toute volonté moderniste qui dépasse de très loin Indochine. Cet album est le résultat d'un cahier des charges, et pensé avant tout comme support à un spectacle qui aurait tout aussi bien pu être présenté comme coloré et champêtre que sombre et urbain.

"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"

Paul Marie Pernet, interview de Nicolas Sirchis, Pompidou Metz, 2013


Eh oui, puisqu'on parle de Nicolas, un mec totalement visuel que la vie a parachuté dans la musique. Ce futurisme est donc assez superficiel, et le documentaire Black City Parade, le film le montre avec sa dose de révélations accidentelles : cette musique est produite essentiellement sur un écran en assemblant des blocs, et le collectif de musiciens sert à interpréter l'assemblage fini.

Voir : Black City Parade, le film


Après tout pourquoi pas. Mais quitte à déplacer des cubes, ne serait-il pas souhaitable d'assumer la musique électronique et l'aspect industriel à fond plutôt que jouer aux rockers ? Peut-être 13 règlera t-il cette contradiction ?

Spoilernon.

Annexes :

Nicolas en mode "Badwan"

Un clip encore plus Black City Parade que Black City Parade qui fait facilement bugger même les fans les plus hardcore lorsque vous leur demandez sur lequel des deux albums se trouve le morceau. Une nouvelle indication de la profonde interchangeabilité des textes, musiques et thèmes chez Mk2.

1 commentaire:

  1. Peut-être aucun rapport, mais je me permets :
    Vu les références faites par Sirkis durant quelques années à la musique emo and co., il se trouve qu'entre 2006 et 2008, un album (concept, pour le coup) intitulé The Black Parade a eu pas mal de succès... Jamais il n'y fait mention : soit il ne connaît vraiment pas, soit en 2013 la hype est passée, ça n'aurait plus d'intérêt. Mais ça reste un titre d'album quasi identique, si on omet les sonorités transcendantes du mot "city".
    Frère Tock

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