Épilogue

Si vous ne découvrez ce blog qu'après la publication du présent post, nous écrivons cet épilogue pour vous dire que nous nous arrêtons ici. Une lecture de notre avant-propos vous est à ce stade chaleureusement conseillée. 
 
Ceci fait, soyez les bienvenus sur Soleywhy.

 
Nous retrouvant autour d'un esprit documentaire, d'une mentalité analytique et d'une sévère aversion pour le bullshit, nous avions commencé il y a déjà plusieurs années à prendre des notes. Allions-nous en faire quelque chose, écrire des chroniques, un bouquin, lancer un podcast...? Nous avons commencé tel un blog un peu humoristique, listant les calques grossiers du chanteur d'Indochine face à leur référence originale. Nous aurions d'ailleurs pu continuer de le faire longtemps, voire nous en contenter tellement c'est délirant.

Voir : Influences et références
 
U2, "I'll go crazy if I don't go crazy tonight", 2011 (Voir)
 
U2, "Where the streets have no name", 2017 (Voir)

Puis en quatre ans d'existence et de travail commun, c'est devenu l'espèce de livre augmenté que vous avez sous les yeux. Au fil de la pensée, l'humour a disparu pour laisser place à la gravité.

 
Que ce soit au sein des parutions en librairie, officielles ou non, ou même de blogs parfois travaillés, nous avons toujours constaté un manque de rationalité et de recul critique.
Nous-mêmes, il nous a fallu des années pour comprendre le fonctionnement du projet Indochine Mk2, que nous avons pourtant suivi de près pendant très longtemps. Jusqu'à ce que le besoin d'écrire devienne trop envahissant. 
 
Mais cela n'aurait pas dû être à nous de faire ça, surtout vu le nombre absurde de livres sortis sur le sujet, souvent écrits par des gens d'un certain âge, qui auraient pu se sortir un peu plus les doigts. Que cela soit d'ailleurs l'occasion ultime de le dire : l'argument typique de fan "J'étais là à l'époque" ne tient pas. Avoir vécu un phénomène culturel au plus près n'en implique nullement une compréhension juste et une meilleure légitimité à en parler, il est possible et même courant de se tromper toute sa vie.

 
Nous nous estimons chanceux d'être passés à travers les mailles du filet, mais tous n'ont pas eu le même parcours. Bien sûr, et nous n'en avons pas fait secret, notre point de vue est influencé par nos opinions, goûts et lecture politique du monde. Mais du mieux que nous avons pu, nous avons privilégié l'analyse la plus documentée possible à une collection d'avis personnels. Nos goûts nous sont familiers, et nous aurions été bien imbéciles de vouloir les étaler sur un blog, puisque clairement, tout le monde s'en fout. 

Mais lorsqu'on est fan, par définition, on manque d'esprit critique. Et si les fans d'Indochine Mk2 peuvent trouver le blog à charge et ne pas en saisir immédiatement la démarche et finalité de son contenu, c'est pourtant pour eux que nous avons travaillé et partagé nos résultats en ligne.

Par contre, nous n'incluons pas les quelques-uns qui ont fait le choix d'aller toujours dans le sens des versions officielles pour protéger leur place acquise au fil des ans dans les petits papiers de Nicolas. Les hiérarchies de fans et les grades de forums ne nous intéressent pas.


Les fandoms sont des niches culturelles aussi singulières que nombreuses, mais il est plus rare d'en trouver qui s'apparentent tant à une religion. Bien que certains fans puissent se montrer sectaires, ils s'y trouvent aussi en général les plus gros nerds avides de précisions, de recherche et d'analyse, capables de se montrer très exigeants avec leurs idoles, parfois dans des proportions démesurées. Ces fameux jamais contents qui provoquent tant d'incompréhension.

"Personnellement moi je m'occupe de mon, de mon Twitter, Instagram, c'est ça... Sur les forums euhhh... J'y vais un peu de moins en moins, parce que y'a beaucoup trop de critiques. Ça me saoule. Ouais, ça me... ça me saoule, héhé, donc... Mais nan mais c'est parce que c'est des, ils sont assez euh... - Exigeants ? - Non, jamais contents. Tséhahahaha ! Oui nan mais après les modérations... Nan mais après tout le monde peut dire ce qu'il veut. Mais bon euh... Par contre, sur mon Twitter tout le monde me félicite et tout, c'est cool."

Nicolas Sirchis, Virgin Radio, novembre 2013


Chez Indochine ceux-là existent, mais ne représentent qu'un pourcentage infinitésimal du fandom. Certains ont essayé d'amener de la réflexion sur divers forums, sans succès, ne rencontrant la plupart du temps que l'aversion des fidèles, avec le mot "critique" systématiquement réduit à une connotation négative. L'analyse reste la plupart du temps impensable, interdite voire carrément hors-sujet : il faudrait avoir compris Indochine, savoir que c'est bien, et c'est tout.

Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine, Indochine par Nicola Sirkis et Rafaëlle Hirsch-Doran

"Que pensez-vous des blogs et sites sur Indo ?
[...] Euh, je consulte beaucoup plus en ce moment moi, les tweets qui me sont adressés, parce que c'est mon Twitter personnel, mais euh, je vais parfois, ou j'allais parfois effectivement sur le forum... Et euhhh... Comme je lis des choses un peu tristes, qui me... chagrinent un peu, c'est un peu plus difficile pour moi. Alors après l'expression est libre pour tout le monde et cætera, mais des fois je me demande sur certains forums, pourquoi ces gens sont là, et qu'ils ont qu'à aimer d'autres groupes, parce que c'est un peu dur. Voilà."

(Applaudissements du public)

Nicolas Sirchis, conférence, novembre 2014

Voir : 2013 - Black City Parade


Au bout d'un moment, s'il est si difficile pour Nicolas d'obtenir un plébiscite en dehors de ses fidèles, c'est peut-être qu'il y a des raisons, bien spécifiques à son propre cas. Ici comme au cours de dizaines d'autres citations présentes sur ce blog, nous ne pouvons pas imaginer de telles phrases dans la bouche d'un autre artiste. Une partie de l'explication, développée sur ce blog, réside dans le fait qu'Indochine Mk2 est une projection spectaculaire du psychisme complexe de Nicolas, et sa construction psychologique turbulente s'observe dans absolument tous les aspects de son projet, notamment les plus malsains.

"Indochine ça ne s'explique pas, ça se vit", parce que c'est comme ça. On ne sait pas vraiment expliquer, mais il faut y croire, et tout devrait se situer dans la foi et le ressenti. Un rejet primaire de l'analyse, typique des prédicateurs, gourous, et de nos dirigeants les plus autoritaires. Nicolas nous avait pourtant dit de nombreuses fois de ne pas faire confiance aux grandes personnes, et qu'il ne fallait pas être dupe - sans jamais nous dire de quoi. 
"Il n’y a que vous, la presse, pour lui dire qu’il a tort. Qu’il ment. Les gens gobent la plupart des trucs, c’est le dernier à parler qui a toujours raison. Eh bien non, il faut analyser."

Nicolas Sirchis à propos de Donald Trump, Le Bien Public, septembre 2017

Du temps où c'était à la mode de le faire, nous l'entendions également critiquer les religions et les nouveaux sauveurs, alors qu'aujourd'hui ses concerts s'apparentent plus que jamais à des célébrations évangéliques transformant les Zéniths en méga-églises.


Ce que semble apprécier un Olivier Gérard pas si antireligieux que ça :
"Être fan ça ne s'explique pas. L'art possède cette puissance inexpliquée de titiller violemment les sens de chacun. Une musique, un son, une parole, et nous voilà étincelants, transportés, rassurés, accompagnés. Être fan ça ne s'explique pas car l'Art (sic) ça ne s'explique pas. Juste un constat. Une voix "public" (? ndlr) qui scande des paroles comme des hymnes de pays imaginaires. Une grande messe, un recueillement, dévotion, euphorie. Fidèles respectueux, fidèles admiratifs, voire fidèles hardcore."

Olivier Gérard, préface de Indofans, Jean-Eric Perrin, Pop Culture, 2014

Pourtant, chacun parmi le public d'Indochine vaut mieux qu'un simple consommateur dévot. Nous connaissons aussi bien que vous le pouvoir irrationnel que peut exercer la musique sur l'esprit humain, et l'importance que ses créateurs peuvent revêtir dans la vie des auditeurs. Il nous tient à cœur en ce sens - quitte à passer pour des vieux cons qui ne comprennent pas - de rappeler que cette importance peut s'avérer moins inoffensive qu'il n'y paraît, et qu'on a trop vite tendance à arguer que ce n'est que de la musique. Ce n'est pas parce que "c'est bon, c'est que de la musique" que ça ne dit rien de vous et de votre rapport au monde. Et dans le cas d'Indochine Mk2, le constat fait très mal.


Ces problématiques ayant déjà été étudiées par des critiques, sociologues et journalistes, nous avons conscience d'enfoncer, d'une certaine façon, une porte ouverte depuis longtemps.
Il ne serait évidemment pas sérieux de dénoncer une dérive sectaire proprement dite, à l'heure où il est à la mode d'employer l'argument de la secte et où de nombreuses sphères osent se réclamer, elles aussi, de l'esprit critique... Un terme qui lui aussi devient malheureusement galvaudé. Mais il nous semble utile de souligner à quel point de trop nombreuses cases sont cochées : le rapport entretenu entre Indochine Mk2 et son public présente les mêmes problématiques d'isolement et de retranchement en communauté, à l'abri d'un monde extérieur perçu comme froid et intolérant. Avec des hiérarchies, des subalternes et des discours officiels bourrés de mensonges. Avec des hérétiques aussi, qui ne comprennent pas ce qu'il faut comprendre, soupçonnées d'être de mauvaises personnes, avec de mauvaises vibrations et parfois diaboliques.

Et ce, parce qu'ils n'ont pas adhéré, parce qu'ils ont osé critiquer.


Alors oui, les phénomènes d’idolâtrie sont courants dans la pop et ce depuis des décennies. Mais les contours d'Indochine Mk2 nous semblent dessinés d'une façon tout particulièrement pernicieuse. La carrière de Nicolas, valorisée selon des arguments essentiellement droitiers, est entièrement fondée sur la revanche, et un rapport extrêmement conflictuel à la réalité, couplé à un narcissisme délirant. Qu'il ait tant été décrit comme un gourou et parfois pire encore, n'est pas anodin. Les fans les plus hardcore quant à eux, se satisfont d'une telle influence sur leurs vies qu'en toute apparence, ils ne peuvent et ne veulent pas expliquer ni remettre en question. Et cela est extrêmement inquiétant, même si en apparence ce n'est que de la musique.


Il est pourtant possible de ne pas être
dupe. De ne pas croire aveuglément ceux qui se drapent des beaux habits de la supériorité humaine, culturelle et morale. De vérifier ce qui nous est dit, ce qui nous est promis et ce qui nous est servi derrière. On peut chercher à mieux savoir où l'on va, qui l'on suit et pourquoi, avant de laisser tout son temps et son argent dans un domaine culturel qui paraît séduisant et adapté à ses problèmes.

Alors certes, il y a des choses plus graves dans la vie sur lesquelles se focaliser. Oui, énormément de gens vivent au quotidien la manipulation, le mensonge, le chantage, la violence physique. Oui, Nicolas participe à rendre la vie de milliers de personnes moins terne, mais ce n'est pas un argument [1]: c'est le cas de prêtres, de gourous, manipulateurs et autres types de personnes influentes et peu recommandables. Ces derniers ont d'ailleurs systématiquement tendance à expliquer le comportement des sceptiques par la jalousie, et cela devrait être un red flag absolu. Loin de vraiment aider leurs adorateurs, ils leur font au contraire croire au Père Noël, en passant le chapeau derrière. Cela peut participer à expliquer pourquoi tant de fans d'Indochine Mk2 sortent un jour de cette période de leur vie avec le besoin ardent de ne plus y être ramenés. Comme de très nombreux déconvertis, quoi qu'ils aient cru. 

Il semble aussi que quelques uns, sachant trop de choses gênantes, préfèrent se taire pour protéger Nicolas, dont le contrôle drastique de l'image ne suffit pas toujours.


Oui les gens, vous aimez ce que vous voulez. Nous avons conscience que l'exposition des faits et les démonstrations, si sérieuses soient-elles, ne peuvent suffire à combattre des croyances si ancrées, surtout lorsqu'elles sont à la source d'un bien-être éprouvé. Nous ne remettons pas en question le besoin pour chacun de ressentir du plaisir dans la vie. À condition de se documenter un minimum pour savoir identifier un charlot. [2]

À votre tour, ne remettez pas en question notre droit de ne pas croire à l'aura mystique d'Indochine Mk2, à la personnalité supérieure et bienfaitrice de Nicolas Sirchis, et de vouloir expliquer et démystifier ce phénomène qui n'a rien de magique. "Il se passe vraiment quelque chose", "l'art ne s'explique pas", "lui remplit des stades" ou même la sempiternelle "carrière" ne sont pas pour nous des arguments suffisants pour obtempérer au catéchisme indochinois, et annihiler tout point de vue discordant.

Si cela se vit, alors cela s'explique.



Anciens fans comme il y en a tant, nous avons nous-mêmes dit par le passé un bon nombre de bêtises sur Indochine, et avons participé à des comportements que nous combattons aujourd'hui. Peu à peu, nous avons tâché de faire preuve d'humilité et d'exigence, et ne nous sommes jamais interdit une compréhension plus rationnelle du phénomène. C'est ce qui nous a permis de remettre en question ce qui avant, nous poussait à défendre becs et ongles cette entreprise de communication en ne faisant confiance qu'à notre seul ressenti. Depuis cette époque, nous avons réfléchi, et nous voulons croire que chacun d'entre vous partage la même préférence pour l'honnêteté et la justesse.   

La musique est un domaine suffisamment important pour lui accorder du temps de cerveau.

Nous savons qu'il est vain, et parfois dangereux, de s'attaquer à des croyances à succès, même avec des preuves et des faits. Quoi que nous disions, pour beaucoup, nous serons toujours de sales cons aigris et jaloux, osant s'attaquer à un grand bienfaiteur. Pour certains, nous sommes même un monde extérieur malfaisant, diabolique. Comme dans d'autres situations très proches, à aller chercher... du côté des sectes. Nous voyons Nicolas profondément habité, remplaçant la réalité par un narratif malléable, mais nous ne savons pas dans quelle mesure il croit vraiment à ce qu'il dit. Notre héros semble s'être emberlificoté dans un tissu de complexes, de revanche, de romance et de fantasy. Ce n'est pas là le travail d'un critique culturel.

"Non, le bonheur absolu n'existe pas, sinon ça se saurait ! Il faut juste se fabriquer son paradis à soi... Envers et contre tout."

Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002


Envers et contre tout, mais jusqu'où et à quel prix ?


Autocritique :

Oui, il est possible que le blog ait un côté indigeste, voire comme nous avons pu le lire : imbitable. Vue la complexité de chaque épisode de cette longue histoire, il n'a pas été possible de proposer une réflexion déjà ordonnée. Nous comprenons que l'absence de chronologie, l'aspect fouillis ainsi que les répétitions qui peuvent en résulter, puissent décourager. Nous avons plusieurs fois reçu des messages où il nous était conseillé de faire un livre. Nous pourrions, mais ce n'est pas dans nos projets. Nous entendons aussi pouvoir donner l'impression de gens qui se branlent, n'ont que ça à faire ou parlent du travail des autres alors qu'ils font pas mieux. Pire encore, donner l'impression d'étaler une grande morgue, un comportement de hater, et vouloir délibérément s'en prendre à quelqu'un.


Pourtant, une lecture patiente de notre travail devrait dissiper en partie ces impressions.
Nous avons souhaité réaliser une critique sur le fond : nous déplorions que de très nombreuses choses n'aient jamais été dites, cependant ce boulot a été réalisé avec enthousiasme. Nous avons tâché de montrer que l'analyse était non seulement possible mais bienvenue, passionnante et même marrante. Comme dit dans l'avant-propos, nous souhaitons que ce blog vous fournisse de nouvelles clefs de compréhension, que vous soyez d'accord ou non avec ce que vous lisez. Une nouvelle fois, nous n'avons pas fait ce travail pour élaborer une nouvelle autorité et vous la servir toute prête, bonne à recopier ou à flanquer dans la figure d'un(e) jeune fan.

Du mieux que nous avons pu - et surtout sur la fin - nous avons tâché de ne pas nous mettre à faire du Soleywhy. Nous ne sommes évidemment pas parfaits et avons nos propres biais : des contradictions, vous en aurez peut-être trouvé chez nous à votre tour. Les commentaires restent ouverts, vous pourrez donc toujours nous indiquer où nous nous serions possiblement trompés ou contredits, et comment nous pourrions améliorer le contenu du blog si tant est que nous trouvions l'énergie de remettre les mains dans le cambouis. Nous tâcherons de vous lire avec attention et éventuellement de vous répondre. Et si vous vous sentez l'énergie, poursuivez le travail en faisant mieux !


Vous verrez à la suite de nombreux posts se succéder, sur un grand nombre de sujets distincts mais tous liés entre eux.
Quant à nous, en ce qui nous concerne, nous avons vraiment, mais alors vraiment autre chose à faire.

Un immense merci de nous avoir lus et encouragés, bonne lecture aux nouveaux arrivants. Bisous.

L'équipe de Soleywhy.
 

2. "L'anti-intellectualisme a été un fil conducteur qui serpente à travers notre vie politique et culturelle, nourrie par la fausse idée que la démocratie signifie que 'mon ignorance vaut autant que vos connaissances'". (Isaac Asimov)

Licence dyslexique

"Ma drogue à moi, mon psychédélisme, c'est le surréalisme, le côté non formel de la littérature. On a une chance énorme avec la langue française de pouvoir faire des choses, je me permets de casser les codes, pour en faire quelque chose de nouveau. Mais, en revanche, je parle bien dans la vie ! Pas comme les gens de la télé-réalité, qui disent 'faut que je te voye' ou 'qu'on croive'... Je suis adepte du bon parler français, le langage mdr, ça me déprime."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011


Il existe une asymétrie entre cette sortie et les faits. Le phénomène est connu et reconnu, y compris par les fans : il est peu dire que le héros de ce blog entretient un rapport compliqué avec la langue française.

"Il m'avait confié plusieurs fois sa difficulté à écrire les paroles de ses chansons, mais aussi que c'était un exercice qu'il aimait, en dépit de la dyslexie dont il souffrait depuis tout gosse. Il faisait toujours appel à un correcteur orthographique, et un ami à lui revoyait la copie."

Jean-Claude Perrier, Le Roman-Vrai D'Indochine, Bartillat, 2005

 

"Je pense que Nicola a souffert d'une sorte de dyslexie : quand je lui ai donné des paroles, il a parfois inversé des syllabes. Ce n'est pas grave, pour "Ladyboy" il a mélangé deux de mes textes, et ça a marché. J'avais fait deux chansons différentes, sur deux "yaourts", et il n'arrivait à chanter aucune des deux telle quelle. Il a fait sa version hybride, sa cuisine, et m'a demandé ce que j'en pensais. J'étais circonspecte au début, mais en fait ça fonctionnait bien et ça a touché les gens."

Valérie Rouzeau in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2010


Nicolas serait donc possiblement atteint de troubles développementaux relatifs au langage, que l'on retrouve avec le préfixe "dys". Ces troubles des apprentissages n'avaient aucune existence officielle à l'époque où Nicolas était scolarisé, et n'ont été reconnus comme handicap que quelque trente années après sa naissance. La dyslexie est, parmi eux, le trouble le plus connu du grand public, qui abuse souvent du terme pour englober plusieurs de ces troubles en rapport avec l'utilisation du langage oral ou écrit.

Voir : Dys- (pathologie) (Wikipédia)


A la lumière des informations connues à ce jour et malgré quelques hypothèses, rien ne semble lui avoir été formellement diagnostiqué. Il est néanmoins possible d'observer des signes récurrents, durables et spécifiques de difficultés de maîtrise du langage chez Nicolas. Il est en effet fameux pour ses erreurs d'orthographe, de syntaxe et de grammaire à l'écrit, mais pas uniquement. Sa manière souvent laborieuse de s'exprimer oralement ne peut être ignorée. Ses interventions hésitantes sont ponctuées d'expressions toutes faites, noyées par des circonlocutions, des pantonymies, des manques du mot (quand on l'a sur le bout de la langue mais qu'il ne vient pas), des paraphasies et des erreurs morphosyntaxiques, parfois jusqu'à finir à côté de la plaque. Elles trahissent une difficulté à être informatif, organiser et encoder son discours, accéder à son lexique mental.

 

Nicolas se distingue par sa propension à inventer des expressions en remplaçant un mot par un autre.

"Vous prenez soin de vous.
- Non je tiens, je... je tiens soin du public."

Nicolas Sirchis, 2010

 

Cela devient d'autant plus gênant quand cette tendance le pousse à des contresens dont il ne prend pas conscience, ou qu'il ne parvient pas à corriger.

[...] Nous on est une anecdote par rapport au 10 mai. C'est vrai que c'était notre première (sic) jour de répétition - Premier jour de répétition. - Après on est sorti et le monde a changé. 'Fin la France a changé. Les médias sont libérés, la peine de mort a été abolie, l'homosexualité a été abolie.

Nicolas Sirchis, 20h30 le Dimanche avec Robert Badinter, 9 mai 2021.


Bien évidemment, le mot que Nicolas cherchait était "dépénalisée" (en 1982, ndlr).

"La chasse aux sorcières elle a, elle dure encore aujourd'hui, quand on voit une moitié du parlement français crier à l'homophobie au niveau du Pacs."

 Nicolas Sirchis, interview de 1999.

"Indochine a toujours été pour l'antiracisme, l'antisionisme..."


Nicolas Sirchis, interview pour l'ambassade du Pérou, 2020

Nous savons que notre héros est un grand chançard, mais ne mesure peut-être pas à quel point ses difficultés à s'exprimer pourraient lui poser un jour d'autres sortes de problèmes.


Il est même connu pour inventer des mots, comme le fameux "connotaissance", présent depuis les années 80.
En 1987, Nicolas répondait à un téléspectateur sur l'origine du nom "Indochine" :

"C'est un hasard. Y'a aucune connotaissance chavirée (sic) de... C'est euh... C'étaient les syllabes qui étaient jolies."

Connotation ? Chavirée ? L'occasion de rappeler que la vraie explication du nom Indochine, c'est bien que les syllabes étaient jolies, plutôt qu'une quelconque inspiration littéraire. La production d'un esprit très visuel et symbolique, estimant une certaine musicalité des syllabes supérieure au sens des mots. Et Nicolas a raison, "Indochine" ça claque.

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée


En 1991, lors d'une interview avec Laurent Boyer, Nicolas évoqua Joe Glasman, qui avait produit 7000 Danses et mixé 3.
"On avait décidé de se produire nous-mêmes aussi, avec Joe Glasman, qui avait mixé le troisième album, on avait trouvé des bonnes connotaissances (sic) avec lui."

Ce qu'il faut entendre ici, c'est connivences. Et notre héros de le ressortir vingt-six ans plus tard :
"Moi j'aime beaucoup l'electro berlinoise, Helena Hauff, Paul Kalkbrenner, etc. Y'a des connotaissances (sic) depechemodiennes..."

Nicolas Sirchis, 2017
 
Et lorsque nous lisons "accointances" dans une interview retranscrite sur papier, notre petit doigt nous dit qu'il ne faut pas nous prendre pour des bacs à douches.
"Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls notre génération n'est plus une génération mais juste celle qui reste... Le rebut et le coupon d'une génération qui promettait hélas plus qu'aucune autre... Voilà pourquoi sans doute tous nos amis sont morts notre seule faute c'est d'y avoir survi. (sic) Poaaaah ! j'adore ! c'est vachement bien !" 
Nicolas Sirchis in Black City Parade, le film.
Nicolas avait le texte sous les yeux.

Loin du répertoriage intégral (et impossible) d'un éventail d'erreurs qui, sans analyse, ne servirait qu'à s'acharner sur un clou déjà enfoncé, notre démarche ici est de mettre en perspective ces difficultés et de jeter un éclairage supplémentaire sur cet étrange phénomène qu'est le quasi-officiel charme Sirkis. Vous savez de quoi nous parlons : de cette propension des fans de Nicolas à lui passer les pires énormités, que ce soit en interview ou sur scène... voire à trouver ça mignon. Une indulgence qui, vue de l'extérieur, laisse franchement perplexe. Pour ne pas dire agacé.

Voir :
Ceux qui n'aiment pas Indochine


Ainsi, à notre connaissance, il n'y a guère que le public indochinois pour attendre avec une sorte de complicité et presque une certaine impatience, le moment du concert où sa star va... se planter.

C'est pourtant rare et inquiétant, un chanteur-parolier qui parvient à oublier ou mélanger les textes de morceaux qu'il chante en concert depuis 10, 20, 30 voire 40 ans. Sans compter les classiques erreurs de placement, tout cela en dépit voire à cause de la présence de prompteurs en grand nombre, un dispositif que Nicolas a toujours justifié par le "respect du public" !


Des prompteurs servant donc visiblement à pallier une mémoire verbale peu performante, loin de résoudre tous les problèmes puisque Nicolas, handicapé par sa lecture, en oublie régulièrement de chanter. Mais surtout, il a très souvent galéré à citer ses propres textes. En vrac : "une fille les bras en croix" sur "Hors-la-loi" ; "La chasse aux sorcières va bientôt commencer" ; "J'embrasse pas" ; "Que reste t-il de nos baisers noirs sous la mer" sur "Morphine", etc.


 
Il existe aussi une confusion étonnante sur "Françoise" :
"Ca avait commencé avec Françoise, c'est l'histoire d'une faille... d'une fille qui saute d'un immeuble, donc c'était pas très drôle."

Nicolas aux Déferlantes d'Argelès, 2014

"Françoise (qu'est-ce qui t'a(s) pris ?)", c'est l'histoire d'une fille qui l'invite chez elle, il prend ça pour une proposition mais c'en était pas une : gros râteau. Il semble que la fille qui "saute d'un immeuble" soit plutôt celle de "Satellite" : "Quand je vous ai vue la première fois / une ingénue du haut de son toit / Ailleurs, ailleurs / Et vous m'avez montré du doigt / Un peu perdue dans vos émois / En pleurs, en pleurs".
"Encore une fois, Eluard m'inspire, à moins que ce ne soit Baudelaire... Attends... Enfin bref, il y a du Baudelaire ou du Eluard là-dedans, ah ah ! Ca m'apprendra à piller les poètes !"

Nicolas Sirchis in Kissing My Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011
 
Il serait intéressant de retrouver le poème en question. Peut-être "Une fille volante", de Paul Eluard ? Et pour ceux qui argumenteraient qu'il est difficile d'avoir une mémoire impeccable sur un tel répertoire de chansons (et nous sommes absolument d'accord), souvenons-nous d'un tout jeune Nicolas feuilletant son cahier de paroles sur scène en 1984, ou encore en 2000, au Stef Concert.


En 2017, Nicolas galère à retrouver dans quelle chanson il a mis telle phrase, et la séquence est hallucinante.
"Je sais plus de quelle chanson vous faites allusion là (sic), c'était laquelle... Ah c'est 2033 ! Nan c'est pas 2033...  Si c'est 2033, sisi c'est 2033... Nan attends c'est, où est-ce que... Je commence avec [...] que j'arrive pas à faire, y'a un la qui dure... Suffragettes BB. Ouais. Euhhh... Nan c'est pas Suffragettes BB... Le la... - C'est pas Station 13 ? - C'est pas dans Cartagène ? - ....... Attends. Mais oui parce qu'on l'a répété là et puis y'a un la qui fait deux mesures sur le premier couplet, et une mesure sur le deux... UN ETE FRANÇAIS. Et tout le monde a encore besoin de moi ! Lalalalalala... Voilà."

Nicolas Sirchis, Interview fleuve, Hotmixradio, 2017

D'ailleurs, les prompteurs lui affichent également les accords à jouer sur sa guitare, sans empêcher confusions et arythmies en pagaille. Un manque incurable de sens musical, que quarante ans de pratique (notamment avec Jean-Pierre Pilot) n'ont hélas jamais pu guérir.


Pourtant, les "éléments de langage" (Incroyable, irrationnel, ce public nous donne la force, etc.) récurrents chez Nicolas, comme chez un grand nombre de politicards et que nous avons beaucoup critiqués sur ces pages, ne sont pas forcément qu'une astuce de communicant.

Non, c'est aussi souvent une astuce de personne
atteinte de troubles du langage, pour qui toute sortie des sentiers battus entraînerait une aggravation des difficultés à s'exprimer. Nicolas a donc ses phrases toutes faites, il arrive même qu'elles sortent sans réel lien avec la conversation, comme un réflexe : ("J'suis assez optimiste..." ; "pas dupe..." ; "consciemment ou inconsciemment..."). A l'inverse, il s'engouffre aussi souvent dans un tunnel verbal empêtré, franchement déconcertant pour l'interlocuteur. Les exemples sont trop nombreux pour s'embarrasser à en choisir un, encore que celui de 2021 chez Yann Barthès soit parmi les plus parlants à ce jour.

Voir :
2020 - "3SEX" & Singles 1981 - 2001

Bien que la présence de solécismes et néologismes dans les textes d'Indochine précède de loin la sortie du Baiser, c'est en 1990 qu'Yves Bigot provoque la colère de Nicolas en lui reprochant, dans un article assassin, un "Corrige-moi mes fautes" un tantinet maladroit.

"La vache ! Je n'avais pas droit à la licence poétique."

Nicolas Sirchis in Kissing My Songs, Agnès Michaux, 2011



Ainsi, c'est depuis cette époque que la "licence poétique" est devenue un élément de langage récurrent chez Nicolas. Il appuie souvent sur cette "liberté de casser les codes" dont nous jouirions dans la langue française. Alors oui, bien sûr, Nicolas a droit à la licence poétique (quoi qu'il veuille y mettre) et même à la faute volontaire. Souvenons-nous de "Wonderwall" (un mot qui n'existe pas), d'un Liam Gallagher à qui l'on reprocha un "the sun has rose" ("Morning Son",
Beady Eye, 2011) ou encore du "because there ain't no one for to give you no pain" d'America dans "Horse with no name".
 
Un "corrige-moi mes fautes" ne nous choque pas davantage que les "brutals" de "Comateen". En revanche, "comme si la vie nous l'empêchera" ("Memoria") ou "tombera les croix" ("Song for a dream"), c'est impardonnable et franchement laid. Passées ces observations qui comportent leur dose de subjectivité, nous aurions beaucoup de raisons de nous demander si ces licences poétiques ne procèdent pas d'un arrangement avec des troubles du langage beaucoup plus ancrés. Quitte à revenir, encore et encore, sur sa scolarité.
"Je lis beaucoup, et encore pas assez à mon goût. En troisième, j'étais tombé sur une prof de français qui me le faisait déjà remarquer : je bidouillais les mots et la syntaxe. Je pense que la langue permet de rentrer dans une sorte d'art contemporain, pour faire résonner la langue autrement, comme un tableau moderne."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011

Nous sommes ici à deux doigts d'un Nicolas nous expliquant que son babil de nourrisson était en fait l'invention d'une nouvelle langue. Nicolas écrivait avec de trop nombreuses fautes d'orthographe et de syntaxe, et sa professeure le lui reprochait, point. Et en parlant de fautes, nous sommes certains que l'orthographe de Dancetaria vient d'une faute lorsqu'il voulut noter Danceteria dans un de ses carnets.


Rembobinons. Comme nous le savons, en 1973, Nicolas a été placé en classe de transition au collège Paul Eluard suite à ses difficultés scolaires et langagières (un collège-lycée qui aujourd'hui propose un cursus dédié aux enfants dys). Aujourd'hui encore, il existe de nombreuses raisons de penser que le monsieur n'a jamais fait la paix, ni avec sa langue maternelle, ni avec l'école, ni avec ses semblables.

Voir : Ramassage scolaire

Cette intégration d'office dans ce qui était considéré comme une "voie de garage", ne menant qu'à des filières techniques ou à la sortie rapide du système public a représenté, selon ses propres dires, une profonde blessure pour l'enfant qu'il était. Starmustang le confirme avec une certaine précision. D'autant plus alors que Stéphane, son frère jumeau, continuait lui en filière générale !

"Un jour, je serai quelqu'un de connu et je reviendrai cracher sur la gueule de tous ces profs !"

Nicolas Sirchis à propos de son adolescence dans Indochine,
Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986


Sans compter que nous savons tous la cruauté à laquelle peuvent se livrer les autres élèves dans une cour de récréation, notamment envers les classes d'enfants en difficulté : voir aujourd'hui du côté des classes SEGPA et leur image en société. 

Christophe Sirchis, que ce soit sur papier ou devant un micro, a beaucoup mis en relief un certain complexe d'infériorité que Nicolas aurait entretenu vis-à-vis de Stéphane. Il semble pertinent d'imaginer que ce complexe ait en partie pour origine le sentiment d'injustice d'un enfant au fonctionnement cognitif particulier, et qu'il se soit propagé bien au-delà de ses relations avec Stéphane.

"Au début il voulait pas trop, parce que il voulait montrer que c'était, lui, il arrivait à faire quelque chose... Mais après ça allait mieux, ça va, il est cool mon frère."

Stéphane Sirchis, Fréquenstar, 1992


Après avoir tant souffert de reproches et observations manquant sans doute de bienveillance,
Nicolas a pris le contre-pied de ses détracteurs, et s'est servi de sa maîtrise fluctuante du français pour se forger l'aura d'artiste incompris que nous lui connaissons aujourd'hui. Une image, à n'en pas douter, que le nouveau roman et l'art contemporain auront aidé à consolider en lui fournissant une nouvelle lecture (même si servie toute prête) sur ce qui le complexait tant.

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée, Art contemporain


Ces imperfections langagières, voire ces non-sens qui truffent (volontairement... ou non) ses textes, il les considère désormais comme une poésie toute per
sonnelle. Il semble même éprouver un certain plaisir à placer des solécismes dans les morceaux destinés à sortir en single : "Little Dolls", "Memoria", "Belfast", "La vie est belle". Par défi, peut-être.

Il s'agit de sa part d'une souscription à l'idée que la liberté formelle prévaut sur tout, quitte à sacraliser des écritures désagréables ou incorrectes. Soit. Plus problématique, néanmoins, est une certaine tendance à confondre "avoir un style" et "faire du style", à savoir invoquer cette liberté formelle pour transcender toute possibilité de critique et, pire encore, pour dissimuler de la paresse ou une absence de sens et de contenu. S'il faut l'expliciter : faire des fautes de français ne constitue pas un style en soi. Pas plus que les trop nombreuses occurrences de formules décoratives : nous osons supputer que les "c'est moi", "", "aussi", "ici", "tu vois", "c'est la vie", "voilà" et autres "poissons volants" servent surtout à combler des pieds manquants.

Nicolas manipule avec largesse cet argument fallacieux d'une poésie que seuls quelques élus (qui ont compris...) seraient aptes à apprécier. Il fait donc des émules, de façon prévisible. L'exemple le plus retentissant en est l'insupportable parpaing où Rafaëlle copie la façon de faire de Nicolas, qui s'y exprime aussi et s'y justifie encore et encore. Des pages entières d'empilements verbaux indigestes, de jolis mots et de tournures pseudo-intellectualisantes pour raconter du vide. 
 
 

Si la langue française n'est pas l'amie de Nicolas, il met régulièrement en cause une autre matière lorsqu'il mentionne son échec scolaire et notamment ses quatre tentatives ratées au bac. On se rappelle son passage en 2014 chez Stéphane Bern, où il s'était livré en quelques mots très parlants sur son rapport aux mathématiques :

"Enfin à cause des maths hein. [...] 2. J'avais 2."

Et nous voulons bien le croire, puisqu'encore aujourd'hui, les comptes n'ont pas l'air d'être tout à fait réglés avec le calcul mental.

- Alors, ces années 2010 seront-elles aussi successful que les années 2000 ?
Nicolas : C'est vrai qu'on fonctionne... Ouais, c'est les, les trois décades. Eh ben, comme je ne peux pas écrire le futur, rendez-vous en deux-mille... vingt.
- Mais jusqu'ici tout va bien, quand même.

- Ah jusqu'ici, tout va bien. Déjà on est en 2013, plus que 8 ans.

Boris : 7.
[Nicolas fait mine de se flinguer]"

Monte le son, 16 février 2013.

Y.B. : "Vous aurez quel âge en 2033 ?
N.S. : - Euuuh... Je sais plus, là j'ai cinquante-huit, cinquante-huit plus douze, ça fait ?...
- Cinquante-huit plus douze, ça fait, euh, [Un chroniqueur : "Soixante-dix."] ça fait jeune, ça fait jeune."

Quotidien, 13 septembre 2017. 

Cadeau : en 2033, Nicolas fêtera ses 74 ans.

Peut-on parler des quarante ans d’Indochine sans évoquer la disparition de votre frère ?
N. S.: On peut poser la question. Je n’ai jamais dit grand-chose là-dessus car c’est extrêmement personnel. Sa disparition remonte à vingt-et-un ans… C’est dingue.

Nice Matin, 29 mars 2022.


S'il fallait éclaircir : Stéphane est décédé en février 1999, il y a donc 23 ans.


Ces difficultés sont rapportées dans plusieurs livres, dont le dernier officiel, en date de septembre 2021, qui précise une nouvelle fois (!) que ses échecs au bac sont "à cause des maths". Dans un article de 1991, Nicolas affirmait avoir obtenu un 15 en français, puis un 16 en philosophie dans une interview de 1996, plausiblement alors qu'il passait un bac littéraire. Si ces bonnes notes dans des matières à si fort coefficient sont réelles et n'ont pu rattraper un 2 dans une matière secondaire, il est facile d'imaginer le désastre quant au reste du bulletin.

Voir : Ramassage scolaire

Une fois encore, il ne s'agit pas ici de procéder à la louche à des diagnostics illégitimes qui ne sont pas de notre ressort et qui, à l'âge actuel de Nicolas, n'auraient que peu de sens. En revanche, cet éclairage nous permet de proposer d'autres analyses de certaines tendances. Ainsi, nous avons beaucoup appuyé sur les inexactitudes de Nicolas à propos de repères temporels, et il est très probable que cela ne relève pas que du mensonge ou d'une méconnaissance de la frise chronologique.

S'il peut par exemple exagérer sa jeunesse lorsqu'il est question d'un épisode un peu gênant, il est aussi possible que cela vienne d'une difficulté à se situer dans le temps et à réaliser
rapidement de simples opérations, comme par exemple déterminer rapidement quel âge il avait en telle année.

Les révélations accidentelles dont Nicolas nous gratifie régulièrement devant un micro complaisant ne sont pas toujours très assumées par la suite. C'est le cas de la Mondaine de Quotidien, où il semble très gêné de s'être étendu, sans y faire attention, sur une habitude étonnante :
"Mais moi j'ai sucé mon pouce jusqu'à... 45 ans, donc euuuuh....
- Mais nan ?
- Mais oui, mais oui, mais oui.
- Comment ?
- Comme ça. [il effectue le geste]
- Mais... Pour dormir ?
- Je, je m'rappelle plus... Mais parce que là tout d'un coup, t'sais, merde ! J'avais du gel dessus."

Une révélation qui n'est toutefois pas exactement une surprise, notamment pour les personnes qui se seront penchées sur Starmustang. Les archives ne manquent d'ailleurs pas concernant ce comportement parfois repéré face à la caméra. Sans se restreindre au pouce, Nicolas porte souvent les doigts à la bouche par réflexe, quitte à les retirer immédiatement. Le flou articulatoire, les tics de rétention salivaire et la mobilité labiale atypique de Nicolas sont sans doute causées par la succion répétée du pouce, et ce plausiblement au-delà de 45 ans.

Voir : Le dernier tabou, avec le syndrome de Peter Pan.

 
Si vous êtes vous-même fan d'Indochine, vous connaissez cette situation où Nicolas apparaît à la télévision, en présence de membres de votre entourage qui eux ne sont pas fans, et vous avez honte. Vous vous dites qu'ils ne comprennent pas ce personnage et son expression si particulière. Qu'ils ne seraient pas sensibles au charme Sirkis. Vous n'acceptez pas que l'on puisse oser dire que Nicolas s'exprime mal, ne mérite pas tout cet intérêt, voire serait idiot et/ou immature. Quoi que vous puissiez entendre, vous préférez vous boucher les oreilles et vous réfugier dans une croyance, partagée par vos amis fans, souvent sur Internet.

Comment conjuguer ce conflit interne aux fans, entre honte et admiration ? Que révèlent les fans de façon remarquable en refusant la critique avec une telle véhémence, à la manière de Nicolas ?
 
 
Rassurez-vous, Nicolas n'est ni plus idiot ni plus intelligent que la moyenne. Une personne déficiente ne saurait exercer un tel contrôle sur une carrière à tant de facettes. Nicolas n'a peut-être pas son bac - comme beaucoup de gens et ce n'est pas une honte - mais il a tout de même réussi à construire tout une entreprise qu'il gère d'un bout à l'autre, au-delà des critiques que nous pouvons opposer à un tel fonctionnement. Il a aussi écrit un recueil de nouvelles qui présente beaucoup de qualités rédactionnelles et imaginatives. Notre héros a même obtenu sa licence de pilote d'hélicoptère, après que Stéphane s'y est longtemps adonné - malheureusement elle est périmée depuis bien longtemps.

Il est impensable que Nicolas ne soit bon à rien. Savoir cuisiner, jardiner et courir sur de longues distances (qui plus est à 63 ans) ne sont pas des activités moins respectables que jouer à plein volume devant des salles combles. Sans compter le fait de savoir gérer une telle entreprise impliquant tant de gens, que ce soient les salariés ou le public lui-même.
 
 
Néanmoins, l'échec scolaire semble avoir pesé lourd dans ce qui semble être une crainte constante de passer pour un imbécile. Ce complexe l'aura amené à se construire sa propre logique culturelle - inévitablement en décalage avec les bases de l'instruction scolaire, et ce n'est pas un mal sauf lorsque cela ne supporte plus la contradiction - mais aussi et surtout à prendre des poses cultureuses aussi vaines que vides, et dont nous avons déjà longuement parlé sur ce blog. Mais répétons-le, l'échec scolaire n'est en aucun cas synonyme de manque d'intelligence.
 

C'est ainsi qu'une peur aux allures post-traumatiques d'être perçu comme stupide ou incompétent a des conséquences contraires à l'effet recherché. En voulant à tout prix être perçu comme très cultivé, esthète, Nicolas attire sur ses lacunes l'attention de tous ceux qui ne le prennent ni pour un prophète, ni pour un génie. Et c'est cela qui fait que les non-fans raillent tant "notre Nicolas".
 
 
 
Vous connaissez l'expression avec la confiture : plus notre héros étale une culture en réalité restreinte, plus il bavasse, alors que son niveau de langage le place en difficulté. Plus il brasse du vent, se contredit sans vergogne, s'auto-congratule, plus il considère avec un certain dédain les personnes qui l'entourent ou ses "collègues" de la scène musicale... Et plus il met en lumière ce qu'il voudrait cacher : la - terrible - banalité d’un homme qui, s’il n’est pas particulièrement limité, n’en est pas moins d’une grande vanité fanant les pousses de talent qu’il aurait pu arroser.

 
Comme largement développé sur ce blog, il dépense beaucoup plus d'énergie à paraître qu'à être. Il semble systématiquement guidé par des références qu'il essaie d'imiter, ce qui n'est pas forcément un mal : fonctionner par mimétisme n'a rien de répréhensible et c'est d'ailleurs comme ça que fonctionnent les humains, commencent et progressent tous les pratiquants, dans quelque domaine qu'il soit.

Les problèmes arrivent quand Nicolas force grossièrement des affiliations tout sauf naturelles à tel ou tel sujet d'admiration pour lui,  allant parfois jusqu'au plagiat visuel comme avec Suede, Placebo, etc. Nous en avons beaucoup parlé. La comparaison avec ses modèles devient alors inévitable et ne lui rend jamais service, bien au contraire. C'est très probablement cela qui explique tant de critiques, dont souffrent Nicolas et ses fans, et nous ne pouvons pas nous en réjouir.

 
Plus grave encore, ses calculs provoquent un questionnement inéluctable : qu'aime-t-il vraiment, sincèrement ? Que ferait-il, seul dans son manoir de retraité ? Ici, nous sommes convaincus que Nicolas aime passionnément l'écriture, plus encore la scène, mais qu'il est porté depuis tout jeune par des intérêts essentiellement visuels, notamment le cinéma puis la réalisation d'installations spectaculaires.
 Tu avais bien une envie, un désir, en dehors de cette capacité en droit ?
 - Oui, je voulais être photographe, journaliste, écrivain... Chanteur, non.

Kissing My Songs, Agnès Michaud, Flammarion, 2012

"C'est Nicolas qui s'occupe de tout ce qui est visuel, bon, il nous impose strictement rien hein... Et ça peut arriver, c'est arrivé hein, on lui dit ça va pas... Tu dégages avec ton idée c'est hors de question."

Stéphane Sirchis, Comme deux frères, 1996

 

Alors pourquoi avoir voulu un groupe de rock, Nicolas ? N'est-ce pas parce qu'au sommet médiatique et culturel de ce mode d'expression, cela représentait un moyen plus rapide et gratifiant d'être reconnu comme une personne de valeur ? Surtout lorsque ce sont les autres qui font la musique ?

En effet, si notre héros - quelle chance ! - arrive à être perçu de la façon dont il le souhaite, ce n'est pas grâce à ses qualités. L'illusion fonctionne grâce à une communication rondement menée auprès d'un public candide et souvent ignorant, donnant l'impression d'être bien ciblé. Il a trouvé auprès de qui, et de quelle façon, passer pour tout ce qu'il n'est pas : un musicien, un littéraire, un poète, un bienfaiteur.

Les troubles de Nicolas peuvent-ils avoir encouragé le control freak qu'il est devenu et dont traite le blog ? C'est plus que possible. La menace que Nicolas percevait enfant chez "les professeurs" s'est élargie à tout un monde extérieur, froid et intolérant, et il continue de l'écrire dans ses paroles à grands coups de première personne. Tout dans Indochine Mk2 n'est qu'une projection spectaculaire du psychisme d'un seul homme, fonctionnant sur la prise de revanche et la compensation.

Voir : Moi je

"Le leader d'Indochine s'est aussi déniché un surnom qui vous assoit une réputation: 'le pitbull', car «il mord dès qu'on le contredit». Dans le milieu de la musique, certains énumèrent volontiers comment il a usé chefs de produit, guitaristes, batteurs et tourneurs."

Lena Lutaud, Le Figaro, 2018


Comme dit auparavant, il est possible que les méchants du monde indochinois soient en fait les vilains des blockbusters que Nicolas se raconte dans sa tête. La bulle qu'il s'est construite pour se protéger a pris des proportions gigantesques, de la taille de stades de football. Et ses fans, plus que jamais, constituent une muraille et une véritable armée. Cela peut expliquer pourquoi sorti du fandom d'Indochine, Nicolas donne une impression inverse à celle dont il jouit chez les convertis. D'où des conflits saillants entre fans et non-fans, et un comportement bravache et souvent lobbyiste de la part des défenseurs de Nicolas.

Voir :
Ceux qui n'aiment pas Indochine

Un projet musical basé sur de telles fondations doit inévitablement fédérer autour de lui certaines formes de personnalité plutôt que d'autres, qu'il serait intéressant d'étudier. Un travail sociologique poussé, méthodique et sérieux, auprès du fandom d'Indochine, serait immensément parlant et donnerait sans nul doute de nombreuses clefs de compréhension sur ce qu'est véritablement ce projet.

 

C'est dans les années 90, au plus fort de la traversée du désert d'Indochine, que Nicolas semblait avoir montré de réelles velléités de progrès, et ce dans tous les domaines. Il avait produit des efforts payants devant un micro - on remercie au passage Jean-Pierre Pilot, pas assez crédité pour son gros coup de pouce - et commençait à apprendre la basse puis la guitare. Ses textes prenaient une nouvelle dimension. Et même dans les médias, il s'exprimait notablement mieux, sur la forme comme sur le fond. Réentendre le Nicolas de l'époque, avec l'habitude de celui du vingt-et-unième siècle, est très étonnant.

Et depuis ? À mesure que le succès est revenu, nous n'avons pu que constater que Nicolas se reposait sur ses acquis, jusqu'à les perdre. Le tsunami d'approbation populaire et médiatique semble l'avoir "revalidé", au point que toute idée de progression est devenue accessoire. Si ce n'est celle des chiffres de vente et de la taille des infrastructures, qui constitue aujourd'hui le sujet central, alors que la musique a été reléguée au second plan depuis bien longtemps.

Comme le prouve cette étrange parenthèse des années 90, des troubles des apprentissages, tout en représentant un désavantage certain, n'auraient pas dû empêcher Nicolas d'être ce qu'il voulait être. On peut rencontrer de telles difficultés et être esthète, cultivé, littéraire. Mais Nicolas a préféré dépenser son énergie dans autre chose que de potentiels progrès, et cela nous amène à la personne d'aujourd'hui, vénérée comme un demi-dieu mais gauche et creuse dans les faits. Malgré une communication rodée appuyant plus que de raison sur ce point, non, Nicolas n'est pas particulièrement cultivé, en tout cas pas tel qu'il voudrait le montrer. Et ce n'est pas grave, car beaucoup de gens s'en sortent très bien sans que leur mode de vie soit validé par Télérama.


Cette fameuse qualité souvent valorisée chez Nicolas : aller de l'avant, a aussi ses failles, et cela semble aller de pair avec sa volonté systématique d'oublier le passé, et de le réécrire au moment de l'évoquer. Une nouvelle fois, il se peut que cela soit en partie inconscient, mais en partie seulement.

"Indochine c'est que des malentendus... Mais justement c'est ça qui nous intéresse."

Nicolas Sirchis, Konbini, 2020

 

Nous savons que Nicolas a beaucoup cherché à provoquer des malentendus pour insérer son groupe au chausse-pied dans des hypes données : mais sur une telle citation il révèle aussi s'être accommodé de malentendus dont il a souffert. Modifier soigneusement le passé sans être contredit : ce serait donc l'un des objectifs principaux de plus de vingt-cinq ans d'efforts de communication. Il y a fort à parier que sans la réussite d'Indochine Mk2, Nicolas souffrirait bien davantage de tout ce qu'il a traversé, et n'aurait pas eu à sa disposition autant d'outils pour se construire son propre monde.
"Non, le bonheur absolu n'existe pas, sinon ça se saurait ! Il faut juste se fabriquer son paradis à soi... Envers et contre tout."

Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002


La clémence et l'aveuglement dont font souvent preuve les Indofans, qui disent régulièrement être fiers de Nicolas, ressemblent beaucoup à ce que certains parents pourraient éprouver pour un enfant-roi. Au vu de l'histoire familiale de Nicolas, de son comportement, de l'ensemble des analyses proposées sur ce blog mais aussi dans Starmustang, c'est extrêmement logique.
 
College Boy, Xavier Dolan, 2013
 
Qu'Mk2 puise aujourd'hui son carburant dans les erreurs, ignorances et amnésies d'un public qui donne souvent l'impression - à tort ou à raison - de manquer de culture et de curiosité, avec un rejet marqué des snobs et autres donneurs de leçons rarement identifiés, prendrait donc racine dans un problème ancien. Il est même possible que ce phénomène culturel et sa réception soient des symptômes d'un certain échec des politiques scolaires en France. Au delà de l'aspect réac d'une telle hypothèse, il apparaît de plus en plus difficile d'ignorer des aspects qui dépassent de loin nos compétences.

Plus qu'un rapport conflictuel avec la seule langue, c'est un rapport au monde d'une infinie complexité dont il est question. Nicolas se rend-il encore compte de ses difficultés, tant le succès l'a en quelque sorte "réparé" et "revalidé" ?

Que ce soit le cas où non, il nous encourageait dans le parpaing, et c'est très compréhensible au vu de la situation, à ne pas analyser (surtout pas, malheureux !). Pourtant, son cas peut être traité point par point. Ce qui prétendument ne s'explique pas peut au contraire et doit s'expliquer. Mais en ce qui nous concerne il est temps d'arrêter, car nous n'avons pas le goût de l'ultracrépidarianisme.

Voir : Épilogue

Il y a peu de doutes sur la grande souffrance éprouvée par Nicolas au cours de sa vie, et nous ne pouvons que le regretter. Il y a également peu de doutes sur son confort largement amélioré dans une époque de la post-vérité où enfin, rien n'est interdit et tout est permis.

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Annexes :
 

Extrait "Les Champions", Claire Bretécher, Les Frustrés 2, 1978.