Le dernier tabou

"Punker" sur le Meteor Tour

Nous sommes un blog culturel dédié à la critique, mais culture et art ne sont pas synonymes. En ce sens, nous incluons pleinement sexualité et féminisme dans le champ dit culturel. Nous évoquerons ici un sujet difficile et dont beaucoup de personnes ayant côtoyé Nicolas, en commençant par Stéphane, se sont plaintes. Nous resterons donc factuels et non spéculatifs : le présent article n'est pas une accusation déguisée, mais dans la lignée de nos écrits précédents, une invitation à ôter nos œillères. Essayons de comprendre nous nous situons en compagnie des productions signées Nicolas.


Notre héros s'est beaucoup livré sur son type de fille.
"La fille idéale, pour toi, elle est comment ?
Elle est à la fois féminine, genre femme-enfant, et masculine, plutôt autoritaire."

Nicolas Sirchis, Podium, 1986

"Décrivez, en trois adjectifs, votre type de fille préférée.
- Forte, de caractère, belle mais en restant simple, plus mignonne que belle quoi, sans apparat, sans make-up, etc. Belle naturelle, et enfin un peu petite fille."

Nicolas Sirchis in Indochine, Jean-Eric Perrin, Calmann-Lévy, 1986.

 


Nicolas évoque dans le livre officiel Kissing My Songs certaines stars, à l'endroit desquelles il éprouva une certaine attirance.

"Mais le film qui m'a vraiment marqué c'est La Petit fille au bout du chemin, histoire d'une fille de treize ans qui vit toute seule dans une grande maison depuis la mort soudaine et mystérieuse de son père (...) C'est Jodie Foster qui jouait le rôle. Elle est devenue mon fantasme."

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012


The Little Girl Who Lives Down the Lane (1976) de Nicolas Gessner : Jodie Foster 14 ans, Nicolas spectateur au moins 17.

"Derrière [Okinawa], il y a l'histoire d'une chanteuse anglo-birmane que je trouvais incroyablement sexy, Annabella Lwin, la chanteuse de Bow Wow Wow."

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

Bow Wow Wow fut connu pour son parfum sulfureux lié au jeune âge d'Annabella Lwin. Nicolas cite ici le remake photographique du Déjeuner sur l'herbe de Manet avec la demoiselle nue sur la pochette du premier LP. Cela provoqua un scandale, avec une plainte de la mère de l'intéressée pour exploitation de mineure, et une enquête de Scotland Yard résultant sur une interdiction à l'encontre de Malcolm McLaren de promouvoir Lwin dans un contexte sexualisé.

Nicolas désapprouve d'ailleurs dans Kissing my Songs :
"[Okinawa], d'une certaine façon, racontait son histoire de fille manipulée. [...] McLaren avait trouvé son nouveau joujou."

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

Bow Wow Wow, See Jungle!, 1981

Cependant, See Jungle! (1981) de Bow Bow Wow : Annabella Lwin 14 ans, Nicolas auditeur au moins 22.

Voir : Bow Wow Wow (Wikipédia)
 
 
Nicolas a beaucoup appuyé sur le fait que "les filles mûrissent plus vite que les garçons". Un argument souvent employé par toutes sortes de gens, notamment pour justifier des différences d'âge massives entre des hommes qui se voient plus jeunes et des femmes qui se voient plus âgées.

Nicolas n'a jamais cessé de se sentir adolescent et cela n'est un secret pour personne. Ni un problème en soi, dans certaines limites. Il a écrit le texte de "La Machine à rattraper le temps" (7000 danses, 1987) suite à la lecture du courrier d'une fan de 14 ans (voire moins, selon les sources), qui regrettait d'être trop jeune pour entretenir une relation avec son idole, alors âgée de 28 ans. Les paroles y évoquent des pratiques sexuelles dans des termes à peine ambigus, mais que Nicolas n'a pas toujours assumés, préférant évoquer des images.

"D’une certaine manière, je testais mon pouvoir, je m’assurais que j’en avais suffisamment pour ne pas être censuré. (...) La réalité, ma volonté véritable sur ce texte, c’était autre chose : raconter une histoire de vie et de rapprochement de générations, qui m’avait été inspirée par le courrier d’une fan de quatorze ans."

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

 

Dans Insolence Rock, la fille avait dix ans. Nicolas n'assumait pas encore sa provoc' et l'auteur préfère évoquer une ambigüité... :

"Je reçois une lettre d'une fille de dix ans qui me dit : 'Tu as vingt-huit ans. J'aimerais me fabriquer une machine à rattraper le temps pour être tout de suite plus vieille et te rencontrer.' J'ai donc fait une chanson sur cette idée de machine, mais en rajoutant quand même des expressions du style 'par derrière, par devant'. Des connotations sexuelles, mais qui signifiaient à la base "par derrière le temps", "par devant le temps"... Et les gens ont plus retenu, effectivement le côté sexuel, sodomie, etc."

Nicolas Sirchis, Insolence Rock, Sébastien Michaud, Camion Blanc, 2004


Dans la chanson, onze.

Et Vendredi, qui à onze ans elle s'est construit
Son crime et son rêve, c'est une machine à rattraper le temps

Mais tous les autres qui trouvent ça là dégoûtant

À qui la faute ? Elle est en avance pour son temps

"La machine à rattraper le temps", 7000 Danses, 1987


Nous allons vite comprendre qu'il est question de façon très récurrente de ce "rapprochement de générations" dans l’œuvre de Nicolas, et ce bien au-delà de sa vingtaine.


"Savoure le rouge" (Un jour dans notre vie, 1993) est inspiré du prolifique peintre Egon Schiele, dont les mœurs ont été discutées de son temps comme du nôtre, notamment pour le très jeune âge de ses modèles nus :
"Ce que je voulais rendre, c'était ce monde de pulsions fantasmées entre le peintre et son modèle, où le pinceau remplace le sexe. (...) J'aime cette dose incertaine de perversité, je trouve ça intéressant. C'est sans doute parce que je suis toujours dans la découverte de la sexualité comme pourrait l'être un adolescent. Je sens ce territoire qui est là sous un couvercle difficile à soulever parce que la sexualité est un territoire secret..."  
Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

 

"Ce qui m'intéresse, c'est les fantasmes des gens. L'album m'a donc été inspiré du peintre Egon Schiele, qui est mort à vingt-sept ans [ndlr : 28] et qui est allé en prison parce qu'il peignait des petites filles de douze-treize ans nues. J'ai lu sa biographie, figure-toi que quand il avait seize ans, en 1930 [ndlr : Schiele est mort en 1918], il a fugué avec sa petite sœur qui en avait douze et ils sont allés dans le même hôtel, dans la chambre même où leurs parents avaient passé leur lune de miel. On ne sait pas s'ils ont couché ensemble mais je trouve que c'est un très beau fantasme."

Nicolas Sirchis, Rock&Folk n°321, mai 1994 

Fille nue aux cheveux noirs, Egon Schiele, 1910


 
Est-il franchement pertinent ou acceptable de trouver que c'est un "beau fantasme" ? Fantasme assez prégnant, par ailleurs, pour donner naissance à l'explicite "La chambre 12" dans le recueil publié en 1998 par Nicolas, Les Mauvaises Nouvelles.


Sur "Anne et moi" (Un jour dans notre vie, 1993), également influencée par Schiele :
"Et moi, j'imaginais cette petite fille dont le corps grandissait, se sexualisait..."  
Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

 

 "Y'a un autre texte dans l'album qui friserait, peut-être un petit peu, l'inceste, mais pas sur le euh... Ça fait pas l'apologie de l'inceste mais c'est une chanson qui s'appelle Anne et moi, c'est plutôt sur les rapports un petit peu bizarres qui pourraient s'instaurer entre un père et une fille, euh...
- [Stéphane tousse bruyamment] 
- Héhéhé !"

Interview CKOI FM Québec, 1994

"Puis en 88, ras-le-bol : on s'arrête deux ans. On revient avec Le Baiser, un album radicalement différent qui ne se vend pas trop mais nous amène un public nouveau, qui reste souvent entre 14 et 18 ans. Auparavant, je recevais beaucoup de peluches que j'envoyais aux enfants du Pérou. Maintenant, je reçois des livre d'Albert Cohen ou des poésies. Je préfère [ça], même si imaginer que plein de petites filles s'endorment en regardant ma photo épinglée sur le mur est un fantasme intéressant. Je suis resté très attaché à ce public jeune avec lequel il se passe toujours quelque chose."

Nicolas Sirchis, propos recueillis par Jean-Luc Cambier, Télémoustique, 1994


Et c'est vrai, du frère au grand frère, père voire grand-père, Nicolas n'a jamais cessé de se positionner par rapport au fan d'Indochine type : une jeune fille qui n'a pas vingt ans. "L'Amoureuse" (Wax, 1996) écrit donc par un Nicolas de 37 ans, sur la découverte érotique de soi et de l'autre :

"Tu peux même parler d'obsession dans ce cas. Un sujet brûlant pour moi, puissant, fascinant, le mystère de se retrouver pour la première fois ensemble au fond d'un lit. Et d'oser ! [...] C'est un peu mon Like a Virgin, en fait. 'Touched for the very first time'. "

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

Voir : 1996 - Wax


En live en 2000, l'assez récurrent : "Ce soir je me sens comme une vierge touchée pour la première fois !" vient confirmer cette obsession, avec sa dose de provoc' indispensable à l'époque. Oui, Nicolas ne s'est jamais montré capable de citer autre chose que "Like a Virgin" de Madonna (un excellent tube pop, qui servit parfois d'introduction ou d'interlude pour des concerts d'Indochine).


"Justine" (Dancetaria, 1999), une histoire de prostitution infantile, a également fait l'objet d'une nouvelle dans Les Mauvaises Nouvelles, évoquant alors une situation incestueuse père-fille :
"Aujourd'hui ce qui m'intéresse dans la chanson 'Justine', c'est de parler des petites gamines d'à peine quinze ans qui se prostituent devant chez moi."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, janvier 2001

 

 "C'est un texte que j'aime bien. La Roxanne d'Indochine (...) A l'époque j'avais revu le film Moi, Christine F... et je réécoutais sans cesse Station to Station de Bowie. Mais est-ce lié ?"

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012
 
 
Wir Kinder vom Bahnhof Zoo (Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, tirée de la biographie de Christiane Felscherinow écrite par Kai Hermann et Horst Rieck.) est un film allemand de 1981, qui suit une jeune adolescente et sa bande à Berlin dans les années 70. La BO contient du David Bowie période berlinoise. 


Voir aussi sur le blog : David Bowie
"Je me suis justement demandé comment les fans avaient reçu le livre. Je n'étais pas certain qu'ils le digèrent tous sans problème.
- C'est vrai, la nouvelle 'Justine' a beaucoup marqué certaines personnes. C'est la plus hard, en même temps c'est une belle histoire d'amour."

Nicolas Sirchis, Tribu Move, 1999
 
Hard est-il l'adjectif adéquat ? La nouvelle "Justine" est-elle vraiment une belle histoire d'amour ?
"Dans 'Justine', vous faites le portrait d'une jeune fille malheureuse. Que savez-vous des jeunes filles malheureuses ?
- J'en sais ce qui se dégage du millier de lettres que je reçois régulièrement. Elles se posent beaucoup de questions. Elles mûrissent plus vite que les garçons. Maintenant, je ne me prends pas pour Alexandre Jardin ! Je ne suis pas un sociologue des jeunes filles.
"

Nicolas Sirchis interviewé par Joëlle Lehrer, Soir Illustré, 1999
 
Et puisqu'on parle de Dancetaria, rappelons-nous que la pochette expose une jeune fille la bouche sous un robinet, évoquant une éjaculation buccale de façon assez claire et assumée.
"En couverture, comme le veut la « tradition », il n’y a personne du groupe juste une photo plein cadre d’un visage de fille qui boit au robinet, l’eau transparente coule sur son visage, sur sa bouche et alors tout est possible comme interprétation - là aussi c’est la tradition - je suis sûr qu’elles te plairont : la pochette comme la fille."
Nicolas Sirchis, lettre à Stef, indo.fr


"En plus, c'est la pochette la plus sexuelle qu'on ait faite, avec cette fille qui boit au robinet, c'est l'image la plus charnelle, la plus forte."

Nicolas Sirchis, "Indochine, la pleine lune", Platine, juin 2002


"C'est euh, une fille qui a fait la pochette. En fait ça a commencé sur le Birthday Album en 92. Y'avait deux jeunes filles qui nous attendaient à l'aéroport, et j'trouvais leur visage... Elles exprimaient quelque chose de beau. En plus comme elles m'attendaient, c'était encore plus beau pour moi, donc j'les ai mis sur la pochette. Et après c'était récurrent un p'tit peu, parce que je trouve que y'a une sorte d'esthétisme à provoquer ça et euh, j'trouve que c'est beau voilà."

Nicolas Sirchis, France Inter, "JB et les super nanas", 22 mars 2000

Dancetaria, 1999

Voir : 1999 - Dancetaria


Dans toute évocation de la sexualité, Nicolas semble revenir, comme à une idée fixe, à la dichotomie qu'il formule avec limpidité dans "Savoure le rouge" : sale et beau à la fois. Mais une fois pour toutes,
qui trouve ça beau, à part lui ?

"Il y avait aussi les textes des chansons, que je trouvais trop 'ado' et qui, après la naissance de ma fille, me gênaient."

Jean-Pierre Pilot in Le Roman-Vrai d'Indochine, Jean-Claude Perrier, Bartillat, 2005

 

"Je n'ai pas beaucoup suivi, mais cette esthétique adolescente fait pour beaucoup partie du succès. Je ne pense pas que ce soit pervers, c'est juste que Nicola est resté mentalement dans cette espèce de période asexuée, une période où l'on n'a pas à prendre de décisions, où on n'a pas encore besoin de s'affirmer sexuellement. Ses textes de chansons restent à cette période de préadolescence où les ambiguïtés entre filles et garçons sont une constante. C'est sa ligne directrice, et quels que soient les gens à qui il fait appel pour réaliser les pochettes, ils restent des interprètes de son désir."

Marion Bataille in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011


Marion Bataille qui - ici en tant qu'ex lointaine - semble devoir justifier les thèmes étranges de Nicolas, n'a effectivement pas beaucoup suivi, ce qui est normal après une rupture ancienne. Pensez-vous vraiment que l'adolescence évoquée par Nicolas dans ses textes est asexuée ? Plutôt une adolescence envahie par les hormones, vous ne pensez-pas ?


Sur "Un homme dans la bouche" (Alice & June, 2005) :
"Je voulais parler - encore une fois ! - de l'initiation d'une fille. Traduire la violence de l'acte sexuel pour elle parce que je pense que c'est physiquement beaucoup plus violent que pour un garçon." 
Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012

 

"Ça fait longtemps que j'essaie de me mettre à la place d'une fille qui va avoir son premier rapport sexuel. C'est super violent pour une gamine d'avoir un gamin. C'est une décision importante."

Nicolas Sirchis, Rock One, 2005

Il paraît utile de préciser qu'un premier rapport sexuel n'est pas nécessairement violent et n'est surtout pas censé l'être, ni pour une fille, ni pour un garçon. Les analyses personnelles de Nicolas sur ce sujet sont inappropriées. Et en plus de cette obsession pour la première fois féminine, on observe une réduction quasi-systématique du rapport sexuel à la pénétration et à la violence à la fois physique et symbolique que devrait constituer ce geste. 

"Ce n'est pas une image dégradante et je pense que c'est du second degré, ce n'est pas pris au sérieux, c'est pour rigoler quoi ! En fait la chanson raconte l'histoire d'un mec qui veut absolument persuader sa copine de passer à l'acte pour la première fois au niveau sexuel, c'est pas évident pour une fille la première fois. Alors il dit 'ça va bien se passer, je serai aussi douce qu'une fille'. Et nous, on s'est habillé en fille pour contrecarrer le message et aussi pour s'amuser car on fait quand même du rock... Et l'on se rend compte à la fin du clip que l'une des deux filles, c'était moi !"

Nicolas Sirchis sur "Stef 2", MCM, 2001

 
En plus de cette image proposée, d'un garçon binaire et franchement dalleux qui doit persuader (!) une fille de consentir à un rapport, s'ajoute cette impression problématique de devoir recourir à la tromperie en enfilant le costume d'une autre fille, pour atténuer la violence du geste pénétrant. Nous vous renvoyons aussi à la page 239 du fantasque livre officiel de 2021.


Nicolas plaisante sur le sujet de manière assez répétitive :
"Ma fiancée est un peu trop jeune.
- Ta fiancée est trop jeune ?
- Oui, 14 ans c'est un peu... Héhéhé !"
Interview CKOI FM Québec, 1994

 

"Votre idéal féminin ?
- Les filles à la sortie de l'école ! (rires) Non je déconne. J'aime bien les petites qui jouent de la guitare, un peu androgynes avec les cheveux courts."
Rock&Folk, mai 1994

 

"Il n'y a pas eu d'autres projets de collaboration avec Gainsbourg?
Si, il voulait que je tourne dans son film
Charlotte For Ever (1986, ndlr) mais j'étais alors en tournée. Je regrette ça car ça m'aurait permis d'embrasser Charlotte. (Rires)"

Nicolas Sirchis, Platine n°34, 1996


"Rires", si on veut. Charlotte Gainsbourg avait quinze ans.

"Les groupies ?
- On n'a jamais voulu donner là-dedans, mais quand tu vois deux mille gonzesses genre Cindy Crawford de quatorze ans, comme c'était le cas en Scandinavie, il faut avoir des nerfs d'acier pour résister ! J'ai couché avec trois dans le même lit, mais je ne les ai pas touchées. Et c'était très bien quand-même."

Nicolas Sirchis, Rock&Folk, 1994



Dans le documentaire Indochine, un flirt sans fin (Jean-Louis Gérard & Peggy M, 2006), nous découvrons que la toute nouvelle protégée de Mylène Farmer, alors âgée de 17 ans, était initialement pressentie pour participer à un duo sur Paradize (et comme plan B, Zia McCabe des Dandy Warhols). Le seul duo connu sur Paradize, jusqu'à nouvel ordre, c'est "Le Grand Secret".
"Y'aura certainement un duo, dans le nouvel album... Euh... Qui sera je pense surprenant. [rire]
- Pour celui qui est en train d'être écrit, qui va sortir ?
- Bah déjà pour la personne qui sait même pas que je vais lui demander donc... [rire] il faut que je lui garde un peu le moment de lui annoncer... La personne hein, donc féminin ou masculin. Et puis oui enfin j'espère, enfin je voudrais aller vers quelque chose de surprenant alors maintenant ça risque peut-être de tomber à l'eau hein.
- Vous direz pas ?
- Nan. Nan parce qu'il est pas au courant. Il ou elle. [rire] Nan nan il ou elle. La personne. [...] Enfin j'espère que ça va être bien compris de tout le monde. On verra."

Nicolas Sirchis, RFM TV, 2001

Nicolas écrit donc ce texte, à quarante-deux ans, Alizée en tête, alors que Gwen est enceinte :
 
Je rougirai quand je te verrai
Et quand je te parlerai
Mais quand les lumières seront éteintes
Je te dirigerai sans crainte
 
Je te montrerai
Comment on fait
Et puis je te remplacerai
Je ferai comme une fille qui se défend
Une fille qui perd son sang
 
Mais si un jour
Tu devais t'en aller
Est-ce que tu pourrais bien m'emporter
Mais si un jour tu pouvais
Tout quitter

Est-ce que tu pourrais garder notre secret ?
 

Alizée en 2001 (17 ans)

Il n'y a vraiment rien qui vous choque ?


Alizée
évoque une collaboration avortée une bonne décennie plus tard, dans Monte le son sur France 4, le 30 mars 2013. Elle avoue que Nicolas a essayé "un petit peu" de la draguer, malgré leurs statuts maritaux : "Ouais mais bon, apparemment ça ne dérange pas."
"Si humainement ça ne passe pas c'est no way ! Il disait que s'il travaillait avec moi c'était pour autre chose. Je l'ai appris, je trouvais ça malsain - j'étais de plus enceinte de mon mari à cette époque - et j'ai donc stoppé cette collaboration."  
Alizée dans M comme Montiel, MFM Radio, 18 mai 2013

Et pour qui voudrait arguer que Nicolas dialogue avec Melissa Auf Der Maur, vous savez très bien qu'il s'agit d'une idée tardive, suite à plusieurs refus. Le texte était déjà écrit depuis longtemps lorsque Melissa a été greffée sur le projet - elle vient bien de l'univers rock et ce devint même un objet de crédibilisation (un missile selon Yves Bongarçon).

Voir : 2002 - Paradize


Au-delà de sa poésie, Nicolas a donc concrètement été attiré par Alizée. Cela met un sacré coup aux défenseurs de la théorie comme quoi il faudrait séparer l'homme de l'artiste. Il semble effectivement, selon certains discours, qu'une conception artistique des choses permette de toucher à des sujets tendancieux :
"Il y a beaucoup de connotations sexuelles dans tous les mangas. Mais en même temps ça reste un dessin pour les enfants et enfantin. Indochine se situe là je pense."
Peggy M. dans le making-of de Paradize, 2001

Cut. Pourtant, comme souvent, il aurait été intéressant de développer. Nicolas n'a jamais été plus loin qu'un vague intérêt pour les aventures d'Astroboy à la fin des années 90, et pour l'aspect transgressif d'une certaine frange des mangas. Cela ne nous mena qu'à des projections d'images coquines pour illustrer "Astroboy" (le morceau) et plus tard "Punker". L'univers du manga est pourtant beaucoup plus riche que cela ! Peggy M. a-t-elle conscience de l'aspect franchement problématique de sa déclaration ? Quel est vraiment ce fil sur lequel se situerait Indochine ?

Urusei Yatsura, Rumiko Takahashi, 1978

Petit rappel : les mangas (et leur adaptations animées) contenant des éléments sexy ou sexuels ne sont pas destinés aux enfants, mais à un public adolescent ou adulte, selon la classification nipponne.
 
 
Dans la même lignée, les spectateurs d'une "webcam" lors de l'enregistrement de "La République des Météors" auront pu observer la présence d'étranges photos avec lesquelles Nicolas a alors décoré le studio. Comme Nicolas l'explique plus tard, il s'agit de la série "Little Dolls" réalisée en 2006 par le photographe Alain Delorme.

La collection présente des petites filles à leur fête d'anniversaire, mais leurs traits ont été retouchés et vieillis pour ressembler à des femmes se situant dans le canon "poupée Barbie" ou "modèle de magazine". Le but de l'artiste, comme il l'explique sur son site, est notamment de questionner les normes de beauté imposées aux femmes par la société de consommation, et ce dès le plus âge, évoquant ainsi le "phénomène des Lolitas".

"The “Little Dolls” series is ambiguous. Neither family photography nor advertising imagery, the representation oscillates between womanhood and childhood, fantasy and reality. The digital technology subtly infiltrates the image, as the aesthetic codes of adults have impregnated the world of childhood."
Alain Delorme sur "Little Dolls", novembre 2006.

 


"En fait ce sont des montages, ce sont des filles, des petites filles de sept, huit ans, mais qui ont des yeux... Il a fait un montage avec des yeux de femme. Donc euh, c'est ça qui est très très intéressant."

Nicolas Sirchis sur IndoTV, Indo.fr, 2008.


Sans plus de commentaire, donc. Ici, nous ne sommes pas certains qu'Alain Delorme ait produit une telle œuvre pour qu'elle orne l'espace de travail de quelqu'un qui, de façon dite et assumée, est attiré par les "femmes-enfants".

Nous avons beaucoup appuyé sur ce blog, sur les objets culturels victimes d'une lecture superficielle de la part de Nicolas. Les mangas ou les créations photographiques ne font pas exception, pas plus d'ailleurs que le cinéma. C'est l'occasion de revenir sur Kids (Larry Clark, 1995, que nous ne conseillons qu'aux cœurs les mieux accrochés), un film que notre lectorat connaîtra bien souvent parce que Nicolas le cite parmi ses "références" et ses inspirations pour l'album Wax.

Voir : Influences et références


Voici ce qu'il a à en dire :
"C’est l’effet Larry Clark ! Quand je vois son film Kids, je suis sous le choc et je sens qu’un nouveau cycle va s’ouvrir. J’adhère totalement à cette vision sans moralisme de la jeunesse. La pochette de Wax avec ses deux ados dans une salle de bains en train de s’épiler, c’était très Kids."

[à propos de Drugstar] "Oui, avec des enfants qui sont de faux petits anges qui foutent le bordel dès que les adultes ont le dos tourné, qui se transforment en petits démons. Une pure chanson pop. Totalement Kids."

Nicolas Sirchis in Kissing my Songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2012.


Par "une vision sans moralisme", Nicolas entend plausiblement que le film laisse ses protagonistes adolescents faire et dire ce qu'ils veulent... Obsession pour le sexe et l'idée de dépuceler les filles, petits larcins, relations non protégées, consommation non supervisée d'alcool et de drogues dures... Jusqu'aux pires horreurs : harcèlement homophobe, lynchage raciste, viols de jeunes filles. Le tout avec une louche de provocation parfois indigeste (qui aura sans aucun doute parlé à notre héros).

Comme on peut le constater, on est loin d'adolescents qui s'épilent mutuellement, fument des cigares et s'embrassent dans la chambre des parents... L'absence de moralisme que Nicolas attribue à la caméra froide et observatrice de Larry Clark laisse toute place à la morale que l'audience est en mesure d'y injecter. Il n'est pas difficile de distinguer un fil rouge, souligné par l'absence flagrante d'adultes : une bande de gamins que le manque de repères amène à découvrir "la vie" dans une profonde solitude. Des carences menant à leur lot de désastres et de traumas : foutre le bordel et commettre un viol, ce n'est pas la même chose.

Kids, Larry Clark, 1995

Dans ce portrait non pas "dénué de moralisme" mais plutôt réactionnaire de la jeunesse new-yorkaise, Nicolas choisit d'ailleurs d'ignorer un personnage plus que palpable, bien qu'invisible : le virus du VIH qui se transmet en secret de protagoniste en protagoniste, comme une façon de punir leurs pulsions débridées. Pour quelqu'un qui expliquait dans les années 90 vouloir dénouer le lien que le Sida avait créé entre sexe et mort, c'est ironique. Une fois encore, il semblerait que Nicolas, attiré uniquement par l'aspect "trash" de l’œuvre, n'y ait pioché que ce qu'il avait envie d'y voir. Quel est vraiment ce "nouveau cycle" dont il semblait se réjouir ? Faut-il faire un lien avec des morceaux plus tardifs comme "Adora", et sa philosophie oscillant entre bien et mal ?

Voir : 2005 - Alice et June


Nicolas a aussi beaucoup tablé, et cela a été très relayé et romantisé, sur un certain aspect Peter Pan, jusqu'à écrire une chanson et même se pointer sur scène avec un t-shirt marqué de ladite appellation. Soit un homme conscient d'un physique avantageux et surtout juvénile, effectivement rare chez un homme de cet âge.
"Indochine, c'est de l'agit-prop mêlée au complexe de Peter Pan", analyse Nicola Sirkis, 40 ans. Il se définit en "ado éternel, ou attardé, c'est comme vous voulez".

Ancien de l'Indo, L'Express, 1999

"Il a le syndrome de Peter Pan, confirme Dimitri. Ses compagnes sont toutes plus jeunes que lui. Il a eu des enfants tard."

Dimitri Bodiansky, Le Parisien, 2018

 

"'De 10, 15 et 20 ans de moins que moi', lâche le papa."

Le Parisien, 2018

En réalité et dans l'ordre chronologique des relations que nous lui avons connues : 4, 11, 13, 18, 14 et 21 ans de moins que lui.


Que ceci soit dit et souligné : Le "syndrome de Peter Pan" n'est qu'une ébauche théorique, proposée entre autres par le psychanalyste Dan Kiley en 1983. Il n'a pas d'existence prouvée scientifiquement et n'est pas reconnu par la psychologie clinique. Mais selon les théoriciens de ce syndrome, entre autres :
  • Il ne toucherait que des hommes.
  • Il serait corrélé à un narcissisme d'envergure.
  • Il mènerait à recourir à une forme de pensée magique pour ne pas admettre ses torts, et rejeter systématiquement la responsabilité de ses échecs sur les autres.
  • Il empêcherait les amitiés durables, avec une notion variable du bien et du mal. L'envie de se montrer ouvertement amical et charmant en société primerait sur le bien-fondé et la sincérité des relations.

Voir : Syndrome de Peter Pan (Wikipédia)

Syndrome de Peter Pan (Psychologue.net)

Si l'existence de ce syndrome n'est que théorique, la correspondance frappante des traits de personnalité proposés avec ceux de Nicolas ne fait pas plus de doute que sa préférence nette pour un environnement jeune voire adolescent. En allant plus loin, il est possible que cela explique le retour au jeunisme de Black City Parade et surtout 13 (la soixantaine arrivant), qui serait alors bien plus confortable après la maturité des Meteors, album de la cinquantaine pour Nicolas.


D'ailleurs, faisons un bref point sur le personnage de Peter tel qu'il fut inventé par l'auteur James M. Barrie au début du XXème siècle dans la pièce Peter, or the boy who wouldn't grow up. Peter Pan est un garçon arrogant et égocentrique qui règne d'une main de fer sur un Pays Imaginaire terrifiant (Neverland, littéralement "le pays de Jamais") et exécute sans aucune pitié les Enfants Perdus dès lors qu'ils commencent à grandir. Sans aucune notion du temps, doté d'une morale fluctuante et ne faisant pas de différence entre jeu et réalité, il vit dans l'oubli permanent de son passé et ne développe jamais de sentiments tels que l'amour. On est bien loin de l'enfant joyeux et aventureux présenté par les studios Disney en 1953, et il serait bienvenu de réfléchir à deux fois au moment de romantiser ce syndrome.
"Nicolas : Quoi d'autre...des Peter Pan partout euh...
Laurent Boyer : Pourquoi tous ces Peter Pan d'ailleurs ?
NS - Ben c'est depuis que j'ai écrit cette chanson, 'Peter Pan' sur Wax, on m'en envoie tout le temps.
LB - Donc c'est des gens qui te les envoient ?
NS - Ouais, absolument, et je trouve ça très mignon."

24 heures chez : Nicola Sirkis, Europe 1, mars 2000

La définition du syndrome de Peter Pan correspond à des individus foncièrement malsains. Pourtant, les représentations médiatiques et culturelles sont souvent très indulgentes envers les hommes-enfants (irresponsables, immatures mais touchants, avec un bon fond qui appellerait à la dite fibre maternelle de toutes les femmes), alors que les traits appuyés chez les femmes-enfants sont leurs côtés capricieux et aguicheurs (celles qu'on appelle les lolitas, depuis l'interprétation biaisée du roman éponyme de Vladimir Nabokov). 

Nous connaissons notamment les débats réguliers dans le cinéma international, sur des acteurs quadragénaires et souvent plus, évoluant avec des femmes rarement plus que trentenaires.

"Ambiguïté physique donc, mais pas de genre, sinon d’âge : Nicola Sirkis a 51 ans cette année. Sur scène, l’homme figure encore un adolescent blafard, peau lisse, cheveux en pétard. Nostalgique de la période 'corbeau'. Les minettes l’adulent, elles aussi. Sirkis les interpelle, comme il interpelle les adolescents éternels. Et pourtant… Sirkis, derrière la scène, en interview, faisait un jour état d’une morgue sans pareil, d’une ironie à couper toute velléité de l’adorer.

A quelques mètres, deux très jeunes femmes sont venues l’attendre. Des fois que. 'Mais vous rigolez! Je pourrais être leur père…' Sourire en coin, cabriole, les mèches qui volent au vent. Et en guise d’excuse: 'Ça peut paraître ridicule d’être un groupe de rock à notre âge.'"

Fabrice Gottraux, La Tribune de Genève, avril 2010


Pour en revenir à Alizée, l'attirance de Nicolas pour elle était plus que prévisible, et les nombreux fans qui réclamèrent une collaboration le savaient parfaitement sans pour autant y percevoir un quelconque problème. En effet, la plaisanterie est courante chez les fans d'Indochine depuis de nombreuses années : il y a une jeune fille, donc Nicolas va kiffer... Passée la vanne, ce n'est pas si drôle.

Doit-on faire un lien avec cette vision nicolienne du rock, précédemment discutée sur ce blog, entre provoc', féminité et jeunesse ? La féminité pimpante n'apporte-t-elle à la musique que la dose de provocation et d'ambigüité dont Nicolas a besoin ? Et le sexe, doit-il être adolescent pour être excitant ?


D'ailleurs, Nicolas voulait faire un clin d’œil à "Moi Lolita" : je m'appelle Nicola, N.I.C.O.L.A...


Catherine Claude, plausiblement en partie du fait de sa génération et d'une éducation à l'ancienne avec sa dose de sexisme, trouve toujours ça mignon, et écrit à propos d'une Gwen de 22 ans (Nicolas 40) :
"Heureusement Gwen est là. La jeune adolescente est devenue femme et compagne."

Catherine Claude, Moderato Cantabile, 2021

Nous vivons ici dans un monde d'une grande instabilité où les femmes cesseraient magiquement d'être des gamines une fois atteint l'âge légal, celui des hommes n'ayant plus aucune importance surtout lorsque ce sont des artistes... Un statut souvent perçu comme mystique, alors qu'il ne s'agit que d'une activité humaine.

Voir : Nicola Sirkis : les femmes, il les aime plus jeunes que lui (Gala)


Ne sommes-nous que des vieux cons qui ne comprennent pas si oui, nous trouvons la pochette de Paradize scabreuse ? Nous en avions déjà parlé dans l'article dédié à l'album de 2002, et y évoquions ses inspirations.

Voir : 2002 - Paradize

"On m'a reproché certaines pochettes de disques, comme celle de Paradize, qui mélangeait sexualité, maternité et religion. C'est vrai qu'elle n'était pas 'politiquement correcte', mais quand on pense à ce fameux dessin de Guy Pellaert qui date des 70's et qui représentait les Stones habillés en nazis aux côtés de petites filles, on se dit qu'il serait impossible de refaire ça aujourd'hui..."

Nicolas Sirchis, hors-série Rolling Stone spécial Indochine, juin 2010

 
Nicolas a sûrement raison, mais n'est-ce pas une bonne chose ? À moins que nous n'ayons mal compris, il semble regretter ce temps.

Guy Pellaert, Rock Dreams, 1974  

Ne soyons pas amnésiques, et rappelons-nous qu'avant de s'insérer très officiellement au sein, voire à la source (!) du monde post #metoo, Nicolas avait passé une vingtaine d'années à appuyer sur l'aspect sex et provoc' de son projet.

"Sur la pochette on voit une jeune fille androgyne enceinte, très jeune, mais à laquelle il est difficile d'attribuer un âge."

Nicolas Sirchis in Indochine de A à Z, Sébastien Bataille, Les guides MusicBook, 2003

 

"[...] J’ai essayé de bâtir une histoire autour de deux jeunes filles sans âge qui se racontent des choses. Là c’est June qui parle à Alice [le titre éponyme, ndlr], et plus tard on retrouve June parlant de ses problèmes à elle."

Nicolas Sirchis sur Alice et June, Rockmag, décembre 2005

Ne tournons pas autour du pot : fille sans âge, ça veut dire trop jeune.
L’imagerie d’Indochine est liée à l’enfance, mais souvent dans un contexte sexuel. Cela ne vous a jamais causé de souci ?
Je ne suis pas non plus le David Hamilton du rock ! Aujourd’hui, c’est difficile de montrer des images de ce type. On a eu par exemple des autocollants “halte à la pornographie” sur des affiches de Paradize ! On m’a aussi demandé, sur June, si je ne faisais pas l’apologie du suicide. Il y a eu l’affaire Michael Jackson, il y a une sensibilité là-dessus. C’est le retour à un ordre moral rigoriste. Des photographes ou des écrivains ont été censurés parce qu’ils abordaient ces territoires, dans une démarche totalement artistique. Ça peut me tomber dessus du jour au lendemain, mais je ne me mets pas d’autocensure. On voit bien, avec ces histoires de caricatures, que si la religion essaye de gérer le monde, ça ne va pas. Or le rock peut encore être précurseur d’une agit-prop salutaire. Il est vrai que tout ce qui touche à l’enfance est banni, et maintenant que je suis père, je comprends mieux que l’on puisse s’affoler avec tout ce qu’on voit dans les médias. Je suis en train d’écrire un livre, sur un sujet un peu… chaud, et l’éditeur me met en garde sur le “dernier tabou”. On est parti dans une sorte d’hystérie collective. Or tout ça, c’est un peu mon univers. Pas la pédophilie bien sûr, mais notre monde déglingué, sous le regard des enfants. Heureusement, l’art offrira toujours des moyens de détourner ces situations. Balthus n’a jamais été inquiété, pourtant sa peinture était explicite. Et Lewis Carroll est en vente libre. 
Nicolas Sirchis interviewé par Jean-Eric Perrin, RFI Musique, 2006

 
Nicolas n'est visiblement pas très au fait de la définition du mot censure. À la différence de la censure, la critique, l'information et le débat permettent de comprendre. Le retour à un ordre moral rigoriste (faut-il comprendre une opposition avec l'époque de Kids ?) a effectivement été évoqué dans de récents débats impliquant certaines personnalités du monde artistique. Nous savons que le statut d'artiste n'éloigne nullement des formes de déviance et idées malsaines bien réelles, et il est hors-sujet de parler de censure dans de tels cas de figure.

Le longtemps célébré David Hamilton, que Nicolas cite spontanément, s'est suicidé en 2016 suite à la mise au jour de ses agissements. Dix ans plus tôt, Nicolas estimait donc qu'il devenait difficile de montrer des images de ce type, suite au retour d'un ordre moral rigoriste. Le peintre Balthus n'a effectivement jamais été inquiété de son vivant, et de nombreux éléments nous mènent à penser que le monde post #metoo serait également difficile pour Serge Gainsbourg. Celui-là même qui louait le joli petit cul d'une Helena Noguerra de 17 ans, et eut une maîtresse de 16 ans lorsqu'il en avait 57. De la même manière, l'épisode des Sucettes ne nous fait pas spécialement marrer, et il est possible de considérer Histoire de Melody Nelson comme une cristallisation - extrêmement influente - du malentendu entourant le mythe de la lolita. (Une Jane Birkin de 25 ans y joue une Melody de 15 ans.)


Au fait, de quoi parle un des livres les plus cités par Nicolas ?
"Au sens propre, Duras est ici remontée à ses sources, à sa 'scène fondamentale' : ce moment où, vers 1930, sur un bac traversant un bras du Mékong, un Chinois richissime s'approche d'une petite Blanche de quinze ans qu'il va aimer."

François Nourrissier, quatrième de couverture de L'Amant, Marguerite Duras, 1984

Pour quoi l'autre auteur fétiche de Nicolas est-il connu, en dehors de The Catcher in the Rye (L'attrape-cœurs) et ses fameuses nouvelles ? Son goût pour la correspondance avec de très jeunes femmes, à un âge indécent pour ce genre de comportement. L'exemple le plus retentissant est celui de Joyce Manard, qui raconte cet épisode destructeur dans At home in the world (Et devant moi, le monde) en 1998. Cela n'est pourtant pas un secret, n'importe quel fan d'Indochine ayant ouvert la page Wikipédia de l'auteur américain devrait le savoir.
Jerome David Salinger

Voir : J.D. Salinger, Joyce Manard (Wikipédia)


Nous ne croyons pas à la pertinence d'un débat sur la séparation de l'homme et de l'artiste. Artiste n'est pas un statut mystique. L'art n'est pas une parole divine émanant d'un messie touché par la grâce, mais une production concrète issue d'un travail humain. Les productions artistiques parlent pour la personne dont elles procèdent, cela est pour nous non-négociable et il est hors de question de prétendre sur ces pages que c'est de l'art donc il ne faut pas le prendre au premier degré. Nous pensons même qu'il n'y a rien de plus politique qu'un acte défini comme non-politique.

Chez Nicolas, l'homme, les goûts et l’œuvre montrent une grande cohésion, et il est exclu de chercher à séparer l'homme de l'artiste. D'autant que notre petit doigt nous dit que tous ne seraient pas d'accord : faudrait-il garder en priorité l'homme ou l'artiste ?

Sur le 13 Tour, 2018

Et puisqu'il est question de politique, notre héros ne trouva à dire sur l'élection d'Emmanuel Macron que la chose suivante :
"En tout cas, je suis très content de voir un président qui est tombé amoureux de sa prof. Ça me touche."

Nicolas Sirchis, Gala, septembre 2017

Soit. Mais peut-on savoir pourquoi ça le touche ?


L'occasion de rappeler que cette relation a débuté dans l'illégalité, à la différence - au moins ça - de celle que Nicolas débuta officiellement à 37 ans avec une Gwen de 19 ans (et rencontrée encore auparavant). Revoyez le clip de "Drugstar" : Nicolas y met en scène sa nouvelle compagne dans le rôle d'une collégienne, en se servant de son physique très juvénile.
 
La même jeune femme est montrée quelques années plus tard dans le clip de "Marilyn", crachant du faux sperme au sein d'une imagerie porno extrêmement phallocrate, vision à laquelle la présence de personnages androgynes ne change rien. Le clip fut très finement décrit plus tard comme un "gang bang avant l'heure" par l'autrice du parpaing.

Voir : Indochine, par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran


Mais nous le savons, Nicolas aime la provoc'... Quitte à perdre tout intérêt lorsque cette provoc' est absente.

"Ce que [Nicolas] avait vu de mon travail, c'était un livre appelé Extra Action, une compilation de choses que j'avais shootées pendant mon travail dans le porno. J'en ai tiré une vidéo aussi, avec des filles qui se touchaient, se promenaient nues... et il m'a dit qu'il avait ce livre et ce film chez lui, et il pensait que c'était tout ce que j'avais fait, mais j'ai réalisé plein de vidéos soft aussi !"

Richard Kern in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

 

"Est-ce que tu sentiras... Est-ce que tu sentiras... Le sexe, dans toi ! Le sexe, dans toi !"

Nicolas pendant "Punker", Bercy, Europe 2 live, 2004

 

"Aujourd'hui, où en es-tu sexuellement?
- Pas mal, merci.
Je veux dire, tu es marié, tu as des enfants?
- Comme toutes mes fiancées sont trop jeunes - enfin, elles sont réglées, hein - je n'en ai jamais eu. Je me suis marié jeune avec une actrice, et divorcé jeune aussi. Il ne faut jamais se marier avec une actrice, des petites princesses qui s'évanouissent si elles n'ont pas leur thé à 5h !"

Nicolas Sirchis, 20 ans, septembre 1999

Nous vous faisons grâce de tout autre commentaire, et reposons la question déjà posée lorsque nous vous livrions notre analyse sur le parpaing : êtes-vous absolument sûr.e.s d'être dans un domaine safe
 

En 2021, la fascination de Nicolas pour les jeunes femmes fut très officiellement transformée en un féminisme de longue date... L'on ôta même au chanteur sa construction et sa psychologie fondamentalement masculines, allant jusqu'à l'estimer préservé du pourtant omniprésent male gaze. Le mouvement #metoo avait rendu urgent un changement de paradigme : la jeune autrice déjà mentionnée, "fan de troisième génération", s'en chargea sous la houlette de Nicolas, avec une intensité mystique et la même outrecuidance que celle à laquelle il nous avait habitués.



Quelques voix s'étaient pourtant précédemment élevées sur la dangerosité de certains thèmes chers à Nicolas, et elles n'y allaient pas par quatre chemins :
"Un chanteur français populaire m'avait dit il y a cinq ans qu'Indochine flirtait de plus en plus avec la pédophilie à ses yeux (...) On sait la dangerosité de jouer avec les sentiments de solitude extrême de l'adolescence et de son éveil à une sexualité encore fantasmée plus que vécue. Mais quand tout cela est entretenu comme une recette marketing par une figure médiatique comme Nicola Sirkis, cela fait froid dans le dos." 
Sébastien Bataille, Noir(s) désir(s), et maintenant ?, 2008

 

"Quand je dis que le cas de Nicolas relève de la psychiatrie, c'est parce qu'il n'a sûrement pas pu échapper aux surveillants pédophiles du dortoir où il dormait avec Stéphane au Collège Saint Jean-Baptiste de la Salle à Estaimpuis, l'année scolaire 71-72. Il a développé par la suite une méchanceté hors norme et des tendances pédophiles qui apparaissent comme une manie obsessionnelle dans beaucoup de ses textes. Chose qui exaspérait Stéphane."
Christophe Sirchis, déclaration, 27 mai 2020

 

Dans Kissing my Songs, Nicolas se livre comme rarement et sans doute trop. Il est plausible d'y voir le résultat de longues années passées sans plus personne pour le contredire, le (re)cadrer ou lui faire prendre conscience qu'il déconnait à plein tubes. Pourtant :

"Je considère que je suis un rescapé, un survivant, par rapport aux perturbations, aux turbulences dont je suis atteint."  
Nicolas Sirchis, Kissing My Songs, Agnès Michaux, 2011

Cette citation de Nicolas peut, et ce n'est qu'une spéculation, être lue au regard du passé des jumeaux à Estaimpuis, elle en devient alors puissante et d'une sincérité rare. Dans le très très officiel Un flirt sans fin, l'accent est aussi mis sur l'aspect Peter Pan, une certaine candeur (rires, ndlr), et surtout une blessure.
"C'est un animal blessé. Et c'est aussi pour ça qu'il écrit ces textes-là."

Hervé Lauzanne, Un flirt sans fin, 2006

"C'est une blessure qui est plus ancienne, plus profonde, qui est presque constitutionnelle..."

Chloé Delaume, Un flirt sans fin, 2006

Nous ne savons pas quelle est la nature des liens qu'il serait pertinent de faire entre aveux, révélations accidentelles, bruits de couloir et productions artistiques. Peut-être reste-t-il beaucoup de choses à apprendre.

Sur l'Alice & June Tour, 2006

Mais peut-on se permettre de se poser des questions ? Et surtout de chercher quelles sont les bonnes questions à poser sur cet aspect de la personnalité de Nicolas, et ce qu'il en transmet à ses fans ? Ou faut-il continuer d'y apposer une lecture romantique, qu'il semble de plus en plus difficile d'accepter sans broncher ? Ne sommes-nous vraiment que des bien-pensants ? Il est pourtant exclu de croire qu'il n'y ait rien à voir, et que Nicolas ne soit qu'un être enfantin, asexué et asexuel, vivant dans sa version personnelle du Pays Imaginaire. Surtout que de son propre aveu, il s'est passé des choses avec des fans.

"Tu avais dis (sic) 'Jamais nous ne sortons avec les fans' !!!!!, et Gwen ?
Nicola : Mmmmmmm, Gwen est une fan de Cure, pas d'Indochine :))) "

Chat Zicline - Wanadoo avec des fans, 2000


Nicolas est plus que gonflé : quiconque a déjà ouvert un livre sur Indochine sait que la Gwenaëlle adolescente déjà présente sur la pochette d'Unita (1995) est une jeune fan du groupe qui symbolise le renouveau du public d'Indochine. Oui, il est possible d'aimer en même temps ces deux groupes de post-ados.

Voir : The Cure

"Apparemment je compte beaucoup pour certaines personnes, beaucoup de jeunes filles etc, donc il faut rester... Pas se servir et pas faire de l'abus de pouvoir. Être digne et pas traiter ces gens-là comme des pures groupies... C'est pour ça que je suis assez optimiste. N'importe quel groupe de rock dans les années 60, ou programmateur télé, aurait abusé de la situation... - De la BBC par exemple ! - Voilà... Je, je, euh... Je ne dis pas qu'il y a pas eu des écarts, parce que la chair est faible, mais euh, on reste quand-même... On essaye quand-même d'avoir une certaine dignité par rapport à ça, parce que les jeux sont floués là-dessus, totalement."

Nicolas Sirchis interviewé par Sébastien Ministru, 2013

Nous voulons bien croire à la "sincérité" de Nicolas sur ce point, et certes nous entendons bien qu'on ne se sente pas d'être droit comme un i toute sa vie.

Mais il n'est pas un saint, malgré les belles hagiographies qui font croire le contraire à un public jeune et en très grande majorité féminin, donnant l'impression d'être finement ciblé. Le phénomène qui l'entoure est extrêmement dangereux et hypocrite, est basé sur des malentendus, confusions et les œillères (volontaires ou non) d'un public dévot, et nous ne pouvons pas rester de glace face à ça.


Surtout lorsque de nouvelles personnes aussi crédules qu'assurées viennent le réalimenter à chaque nouvelle décennie.

 "Je me suis trop divulgué, j'aimerais retrouver cette part de secret..."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


 
Voir aussi sur le blog : 

 
Voir : Adulescence (Wikipédia)  
 
À lire également : "Sex Gang Children : Malcolm McLaren, le joueur de flûte de la comédie pop", in Rip it up and start again, Simon Reynolds, Allia, 2007
 

Annexes :
"Je vois les adolescentes comme un symbole. Je ne pourrai jamais peindre une femme. La beauté de l’adolescente est plus intéressante. L’adolescente incarne l’avenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. Une femme a déjà trouvé sa place dans le monde, une adolescente, non. Le corps d’une femme est déjà complet. Le mystère a disparu."

Balthus, Entretiens avec Richard Gèze, in : Collectif (2008). Balthus. Portraits privés
 
"Je suis un esthète quelque part. Une fleur qui s'ouvre, c'est plus intéressant qu'une fleur qui perd ses pétales…"

Serge Gainsbourg, Aujourd'hui la vie, 1985

 

"Je pense qu'il y a une espèce d'attirance quelle qu'elle soit. Et puis, il y a une obsession et pas d'obsession. Moi je suis obsédé, carrément. Et puis je suis obsédé par la catégorie de filles qui vient me voir. Même si ça peut paraître physique parce qu'on me dit : "bon, t'aimes bien les fruits verts. T'aimes les petits filles dès qu'elles ont de 15 à 18 ans, après 18 ans c'est des vieillardes, on n'en parle plus". Alors, je dis, c'est un petit peu ça, et en même temps c'est le contraire. J'aime, ou jusqu'à 17-18 ans, après je commence à me méfier. Dieu seul sait si j'ai des aventures au-delà de 18 ans, bien sûr, heureusement. Mais après 18 ans, je me méfie, parce que les filles commencent à réfléchir, elles ne sont plus naturelles. Ça commence même quelques fois avant. Et puis on retrouve cette forme humaine et équilibrée après une bonne trentaine d'années. Y a cette espèce d'horrible moyenne entre 18 et 30 ans. J'aime pas les filles entre cet âge-là, elles se sentent obligées de prendre position, de etc. Elles ne deviennent plus cette espèce de rêve que représente pour moi la fille. C'est-à-dire cette espèce de chose instinctive type. Moi artiste, c'est exactement comme ça que je le conçois. Quand les filles piquent des crises, je les trouve non civilisées mais exactement comme je les aime : nature."
Claude François, interview RTBF, 1972

 

L'occasion de souligner le grand nombre de points communs entre le phénomène Claude François et celui qui entoure Nicolas. Peut-être reviendrons-nous sur le rapport conflictuel de Nicolas avec la chanson française, et son affiliation très naturelle avec cette dernière.


A 3:55, qu'a écrit cette fille sur ses seins ? Sperme ?

2013 - Black City Parade

Olivier Gérard, Nicolas Sirchis, François Matuszenski, 2013

Avant toute chose : la genèse du présent album a été traitée précédemment sur le blog. Nous vous renvoyons au post en question, dont la lecture pourrait précéder pertinemment celle du présent article qui sera forcément plus court.

Voir : Black City Parade, le film

"Kill Nico" nous avait fait extrêmement peur, au concert jubilé de Paradize en 2012 ! Mais l'album finit par sortir, et montra que son entièreté n'était fort heureusement pas à l'image de cet hymne ridicule. Retour sur cette galette, neuf ans après sa sortie.

En 2013, le pop/rock indochinois se situe entre indie-landfill, velléités de pop stadière et synthpop postmoderne, et tout semble avoir été fait. Nicolas révélait, parfois involontairement, depuis l'époque de Paradize, ne plus avoir beaucoup d'inspiration. En effet, l'évolution de ses textes depuis les années 90 donnent cette impression, et cela est compréhensible après tant d'albums, voire normal. Pour autant, le début des années 2010 est une époque où la cohérence des tendances musicales avec leur temps semble s'étioler. Cela peut participer à expliquer une myriade de revivals, et il est difficile, au delà de ces micro-hypes, de savoir où se placer. Là où par exemple, la triade Dancetaria/Paradize/Alice&June se situait sur une mode très identifiable chez les adolescents, entre grosses guitares, carton du goth et skyblogs.

Les livres sur Indochine s'accordent d'ailleurs comme un seul homme, sur une époque difficile à expliquer sur le plan musical. Et les premières explications de Nicolas ressemblent à celles de l'album précédent, même s'il ne se souvient plus exactement que pour les Meteors non plus, il n'avait pas d'idée.

"Cet album a pris beaucoup de temps parce qu’on ne savait pas où on allait. Sur les trois disques précédents, j’avais dans la tête la vision globale. Là, j’ai ressenti le besoin de casser la routine, de partir un peu en vadrouille."

Nicolas Sirchis, Métro, mai 2013


Cette fois, "on ne sait pas où on va mais on y va" ("on ira" dans le livret). Soit. 

Ébauche pour la pochette de Black City Parade (source : isuro.net)

Il s'agit ici, dans un esprit tout à fait artistique (dans son versant bourgeois), de voyager pour trouver l'inspiration. S'imprégner d'on ne sait quoi, en espérant tomber sur des éléments exotiques qui pourraient inspirer des débuts de textes. Et à la fin, les villes. Soit.

"Alors tu sais qu'au départ le nom de code de l'album c'était Black Pussy (rires)... Et que, euhhh, et que, parce que, tout d'un coup le morceau Black City Parade s'appelait Black Pussy, ça collait bien avec le côté un peu disco night du morceau, [...] et puis le côté euh, et puis arrivent les Pussy Riot, et je me suis dit non merde, pff... Et donc après je me balade, et puis je dis mais oui, les villes, city, voilà... Et puis pussy, city, on était dedans et boum."
Nicolas Sirchis, interviewé par Sébastien Ministru, RTBF, 2013


"Toute mon inspiration est venue de ces voyages. L'architecture d'une ville, les événements, les émotions qu'il y a dans les villes sont assez incroyables. Ça s'est bâti autour de ça."

Nicolas Sirchis, AFP, décembre 2013


En effet, nous êtres humains habitons quelque part et ressentons des émotions.


Les musiques dites "urbaines" concernent, dans leur usage le plus répandu les musiques noires-américaines, le hip-hop en tête, et ici l'emploi du terme semble revenir aux guitares comme aux dernières grandes années de l'indie pop. C'est bien.

Il faut aussi entendre "urbain" comme pour dire "moderne", "dans son époque" voire hype, connecté. Les hipsters dans les non-lieux, aéroports et taxis, en plein jetlag : un truc de petits bourgeois mondialisés. Au contraire d'un altermondialiste qui voyage pour échanger, ici l'on voyage pour consommer. Sans attache, mais toujours avec une prise USB pour charger son téléphone, le voyageur ne laisse rien derrière lui sinon un reçu CB.

Mais les interviews de Nicolas ne montrent qu'une chose : il cherchait à construire un univers VISUEL. Beaucoup des artworks de Black City Parade étaient d'ailleurs directement issus du compte Instagram de Nicolas. Les passages de Lost in Translation (parfois considéré comme les débuts du cinéma hipster) avec My Bloody Valentine ou Chemical Brothers, c'est bon vous avez ?

Maxi "Black City Parade", 2013

Rappelez-vous aussi que ce sont rarement ceux d'en bas qui sont touchés par un aspect "multisocial" ou "au delà des classes" d'un environnement ou événement donné. Il s'agit donc ici de vols longs courrier, d'aéroports de nuit avec taxi à l'arrivée, de cafés design d'hôtels internationaux et de la lumière des bougies qui se reflète dans les glaçons d'un virgin mojito.
Nicolas souhaite être perçu comme une sorte d'artiste ténébreux et trop sensible, vagabondant d'hôtel de luxe en hôtel de luxe pour fuir la violence du monde.

Voir : Le bourgeois-gaze (Frustration Magazine)


L'album est très produit et le son est étonnant pour Mk2, qui plus est après un La République des Meteors plus marqué home studio. Nicolas semble avoir désiré se rendre dans des lieux mythiques (Hansa Studios) et travailler avec des figures d'autorité (Shane Stoneback). Ne faut-il pas y voir ici une volonté de s'aligner sur les propositions internationales, comme si la musique française devait cesser d'être "en dessous" ? Nous avions déjà souligné sa préférence à s'adapter à une situation dominante plutôt que la combattre, et l'envie d'Mk2 d'aller toujours plus haut est ici très saillante. Rappeler au demeurant que cela n'est pas synonyme de  faire mieux

Un gros son mondialisé donc, ressemblant à sa pochette. Un peu à la manière de l'actuel Paris Saint-Germain, Indochine Mk2 ne veut plus n'être qu'un simple groupe français et souhaite être reconnu à l'international comme une marque implantée, influente et surtout bankable. Avec un gros merchandising, cela va sans dire.

"On signe avec Live Nation, il était temps de passer au dessus des producteurs français."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Point final, sans plus de précisions... À part une confusion délétère déjà traitée sur ce blog, entre une augmentation des moyens économiques et une progression artistique.


Mais, de l'importance de l'avis des deux parties : Salomon Hazot, président de Nous Production, évoque cette rupture, documentée en partie dans Black City Parade, le film avec un Nicolas furibard au téléphone.
"Quand je suis chez Nous Prod, je dois organiser la tournée d'Indochine (le futur Black City Tour, ndlr). Pour des raisons qui vont faire rire tout le métier, puisque tout le monde y est presque passé, je décide de ne pas organiser la tournée d'Indochine, pour un désaccord avec Nicolas. [...] Je dirais tout simplement : comment dire poliment que c'est un voyou ? Je ne sais pas."

Salomon Hazot, président de Nous Productions, Sold Out (16:35), mai 2023

 

Black City Parade

Comme à l'habitude du monsieur, en plus d'être visuelles, ses inspirations sont sémantiques : un champ lexical en vrac doublé d'un certain univers inspiré par ses voyages au loin : nuit, noir, city... Nous pourrions nous amuser à en ajouter plein d'autres : Duty-free, luggage, service not included, customs, Burger King, Black Friday ("vendredi noir", vous suivez ?)... D'ailleurs, sachez que même les artistes ténébreux ont besoin d'un petit-déjeuner. Nicolas tomba par exemple sur une boulangerie (plausiblement aux États-Unis), dont le nom donnera plus tard "Europane", un nom de code gardé au final cut.

Des mots qui pètent, mais sans fond. Comme Alice et June et La République des Meteors, il devient question d'un concept - et ça commence vraiment à nous fatiguer. Nicolas se montre tout particulièrement évasif en interview.

"Je suis ennuyé à l'idée de dire qu'il y a un concept autour du disque. Mais s'il doit y en avoir un, le voilà : j'ai toujours été étonné par ce qui se passe aujourd'hui dans les mégalopoles. Il suffit de traverser un trottoir pour passer du riche au pauvre, du bonheur au malheur."

Nicolas Sirchis, Muse & Out, 2013


"Contrairement aux précédents albums du groupe, 'conceptualisés', rien n'était 'calculé', dit-il."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


"Black City Parade semble être un album concept autour des grandes villes, la nuit. Qu'en est-il réellement ?
Si cet album est concept, c'est un peu par hasard, par sa conception, son écriture. On l'a écrit pendant 14 mois durant lesquels j'ai beaucoup bougé. Les textes sont donc inspirés par les sensations ressenties dans différentes villes. Il a été élaboré entre Paris, Berlin, Bruxelles, Tokyo et New York. Les albums précédents étaient conçus et réfléchis avant, mais celui-ci est venu au fur et à mesure. Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes. J'aime beaucoup la nuit, les villes de nuit, mais je n'aime pas la vie de nuit. Je vais rarement en club, mais l'esthétique d'une ville de nuit, avec toutes ses lumières, me projette dans le futur. Il se passe beaucoup plus de choses la nuit, en plus de l'esthétique plus forte. On peut avoir d'une maison à l'autre un drame humain, une naissance, une violence, un bonheur. Le paradoxe multisocial, multisensationnel, multiculturel se joue à quelques encablures de porte. Ça me passionne. D'où la pochette qu'on a faite avec des tours qui scintillent basée sur l'assemblage de trois villes différentes dont Berlin et Tokyo.

Dans le titre Black City Parade, de quelle parade s'agit-il ?
De la parade humaine, c'est à dire que dans une ville il y a autant de paradoxes et de contradictions d'un trottoir à l'autre. C'est lumineux et sombre à la fois."
Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

 

On peut ajouter "paradoxe" à la liste des mots mal compris par notre héros. Une fois de plus, Black City Parade serait un album-concept par accident. Nous ne nous attarderons pas ici sur cette drôlerie précédemment développée dans les articles dédiés. Nous avions déjà compris que dans la bouche de Nicolas, le mot "concept" signifiait plutôt un vague thème, une idée amusante pour une pochette, ou un décorum. Ici c'est un peu tout ça à la fois, et nous avons une fois de plus l'impression que Nicolas bricole un concept au fur et à mesure des questions qu'on lui pose.

Voir : 2005 - Alice et June, 2009 - La République des Météors


Nicolas dans le film évoque avec l'ex-ami Rudy Léonet son désir de "revenir à la new wave". Quid ? Nous pensons avoir saisi que pour Nicolas, la new wave serait une pop intelligente et esthétique. Une tendance musicale mélodieuse, avec des clips et des vêtements. 

"On a toujours essayé de faire des ritournelles mais qui font réfléchir les gens, dans lesquelles les paroles ne sont pas si simples. Comme 'Dizzidence Politik' ou '3e Sexe', par exemple. Cet album est un retour aux sources, au plus profond de la new wave."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013


Est-ce là un nouveau symptôme du malentendu sur la new wave, vue comme une musique essentiellement visuelle et commerciale, et qui durera jusqu'à 13 ? Est-ce lié à cette volonté d'être sombre voire néon, comme dans les années 80, décennie du fric et de l'apparence ? Les fans d'Indochine sont-ils nombreux à bien connaître l'époque de la new wave ? Sur quoi Nicolas souhaite t-il nous faire réfléchir avec sa musique ?

"Il n'y a pas plus injuste qu'une ville, les riches sont confrontés aux pauvres. Ça peut susciter de l'égoïsme, mais c'est aussi peut-être de là que viendra la solution."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013


Vous avez quatre heures.

Le parpaing parle d'ailleurs de "sonorités new wave", on ne comprend pas d'où. Nous pouvons spéculer que son autrice a découvert le mot avec la fameuse sortie de Nicolas expliquant le morceau à ses jeunes acolytes féminines, d'anciennes fans ayant passé les portes des afters. Ou bien avec la communication de l'album du chanteur d'Asyl.

"C'est très new wave... pim pin pin pi pin pi pi pin pin."

Nicolas Sirchis dans Black City Parade, le film, 2013


Donc plausiblement, il faut comprendre ici : "on a mis du synthé". Quoi qu'il en soit, Nicolas y va effectivement de ses signifiants littéraires, avec le fameux texte de Mireille Havet (parfois prononcé Miriel Havet) en introduction. Il semble d'ailleurs assez fier de son instrumental à une note, qu'il dit avoir composé. En 2013, Nicolas évoquait sa découverte de l'autrice française :
"J'ai de la chance d'être en contact avec des étudiants et étudiantes de khâgne et hypokhâgne qui me parlent beaucoup de livres et d'écrivains méconnus, et me conseillent des choses. Une fille m'a conseillé de lire Mireille Havet."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, février 2013

Et dans le parpaing :
"Valérie Rouzeau m'a fait découvrir Mireille Havet, j'ai voulu qu'elle la cite dans l'introduction à l'album, à la Diamond Dogs de Bowie, quand il introduit l'oeuvre dans sa galaxie."

Nicolas Sirchis in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021

Allez-y doucement donc, avec la fameuse mémoire impressionnante du chanteur d'Indochine.

Voir : David Bowie


En 2012, Mathieu Peudupin (dit Lescop, ex-Asyl, habitué des premières parties d'Mk2) cartonne médiatiquement avec un revival 80's lorgnant vers les Jeunes Gens Mödernes (avec qui le jeune Nicolas traînait) et la cold wave.
 

"Lescop déboule donc de son nulle part pour rappeler à notre bon souvenir la new wave classieuse du tout début des années 80"

Libération, septembre 2012


La précision "du tout début" est amusante : Est-ce le phénoménal 3 qu'il ne faut pas inclure ?

"Révélation française de la rentrée, Lescop pose un pied dans la pop hexagonale – option Daniel Darc – et l’autre dans le rock raide de Manchester – modèle Joy Division"

JD Beauvallet, Les Inrocks, octobre 2012


L'occasion de rappeler à nos amis mélomanes que ce n'est pas parce qu'on entend la basse qu'il faut se sentir obligé de citer des références institutionnelles comme Joy Division ou The Cure. D'ailleurs, la précision "option Daniel Darc" ressemble à une volonté d'éviter tout malentendu ! On ne parle pas de l'option Indochine ! Comme Télérama, qui se garde bien de les citer.

"Petit frère jumeau de Daho et de Taxi Girl, Lescop sort son premier album solo, synthétique et organique."

Télérama, octobre 2012

Matthieu Lescop de son coté, prit également soin de rendre discrète son affiliation - pourtant très connue - avec Indochine Mk2. Il préféra souligner une proximité avec le bien plus célébré Étienne Daho. Son premier album solo peut pourtant aussi être vu comme l'aboutissement de ce qu'avait tenté à l'époque la catastrophique et consternante armée des Divisions de la pop.

Voir : Étienne Daho


Bien qu'en étant exclu, Mk2 dut trouver sa place dans cette nouvelle hype.
"C'est drôle de voir des maisons de disques qui crachaient sur nous, être fébriles sur La Femme, qui ont des synthés, dansent comme nous quand on était jeunes. Les années 80, qui étaient décriées, sont un peu réhabilitées, parce qu'il y avait quand même de sacrés bons groupes dans les années 80. Et je ne me situe pas dans l'histoire."

Nicolas Sirchis, AFP, 2013
"Personne ne s'attendait à ce que des groupes français reprennent ce qu'il y avait de pire pour la presse rock des années 80 - les synthés, les boîtes à rythmes. C'est cette presse, qui a mis à la poubelle cette décennie (Indochine avec) en disant que c'était terrible pour le rock, qui encense ces jeunes groupes."

Nicolas Sirchis, Carrefour Savoirs, 2013

Et Nicolas a raison. Les bifurcations dans la mode ainsi que son renouvellement dans les revivals, et les retournements de veste et calculs que cela peut impliquer ont largement de quoi agacer. 

Il faut juste lui rappeler qu'il a passé l'ensemble de sa carrière à courir derrière la mode, quitte à user de stratagèmes grossiers pour se faire affilier à telle ou telle hype. Cela rend son aigreur assez discutable : elle n'est pas tant celle de quelqu'un qui a subi l'injustice que quelqu'un qui a foiré ses plans :


Quoi qu'il en soit en 2013, les interviews sont plus rares, et il est assez plausible de penser qu'au début des années 2010, le projet n'a plus d'autre référence que lui-même. Cependant, le très visuel Nicolas Sirchis semblait toujours souhaiter que son groupe ressemble un peu à Suede.

Suede par Kate Garner, 2013

Voir : 1999 - Dancetaria


...ainsi qu'à The Horrors, alors au sommet de la hype en France avec Skying.


Nicolas allait même un peu loin dans la proximité physique avec Faris Badwan, chanteur de The Horrors... (voir annexes) Ce n'est pas un mal d'avoir des références picturales, bien au contraire. Mais quand ça se voit trop, cela devient gênant. Un hommage assumé ne poserait aucun problème (dans une certaine limite) comme par exemple la série pour le Stade de France de 2010 qui référençait de façon amusante la photo Andy Warhol and the members of Factory de Richard Avedon.

Visuellement et sonorement, cette parade de la ville noire - admettons - expose une volonté un peu plus prononcée que chez Alice & June - avec son décorum - de créer une ambiance : des propositions jamais usées précédemment sont ici invoquées :

"Les conditions idéales pour écouter ce disque, c'est au casque, la nuit, dans une voiture. Comme dans le clip de Memoria, tourné à Berlin de nuit et influencé par le film Drive. À partir de vingt heures, on voit des grandes rues désertes."

Nicolas Sirchis, Le Bonbon Nuit, 2013

Certes, cela peut fonctionner pour pour quelques morceaux, mais l'album dans son entièreté ne correspond pas à l'ambiance froide et solennelle des "Memoria" et autres "Europane", ni à la lourdeur électrique d'un "Black City Parade" ou encore "Wuppertal".

En revanche, nous osons espérer que Nicolas n'avait pas l'impression d'inventer ici l'eau chaude. Les thématiques de ville de nuit ont été vues et revues, de tous les côtés, par le jazz, le post-punk, le dubstep, le hip-hop, les bandes originales de films et évidemment la musique classique. Le Nicolas infiniment plus cinéphile que lecteur ou musicien s'exprime ici pleinement, et les lumières de la ville se reflètent sur le sol mouillé.

Ce que nous savons aussi, c'est que "nuit" est un des mots les plus utilisés par Nicolas avec "vie" ou encore "moi".


Black City Parade
serait donc un vrai album de studio, très arrangé. Et c'est vrai : "Memoria" en témoigne et fut impressionnant à sa sortie... et ne fonctionna jamais en live, ce qui est normal puisque le morceau n'était pas fait pour ça.

Voir : 2009 - La République des Meteors


Dans une certaine frange du rock alternatif, le terme ambiance a longtemps rencontré une forte popularité. Comme une caution arty, quelque chose qui devrait être plus qu'une collection de chansons, et davantage sonner comme une expérience sonore que comme une simple musique énergique. Dans tous les cas, l'attitude artistique est bien présente. Mais une telle pose saurait-elle suffire ?


Les anciennes influences indie et shoegaze de Dominique Nicolas et même d'Olivier Gérard paraissent bien loin même si un "Traffic Girl" peut encore en témoigner.

"Une chanson qui ne pouvait être écrite que pour Indochine, avec un thème qui leur va comme un gant."

Matthieu Peudupin sur "Traffic Girl"


Parce qu'il y a de l'Asie et de la fille ?


Le morceau est écrit par Lescop et co-crédité avec Nicolas... Il semble assez évident que ce dernier n'a fait que rajouter un "J'aurais voulu te voir encore une fois... Mais comme dans ce pays-là, tu n'te relèvera pas... Ne reste pas." au texte de Matthieu.

Une chanson pleine de qualités sur le plan musical, qui fit d'ailleurs l'objet d'une dissension entre Nicolas et Olivier, montrée (!) dans Black City Parade, le film. Malheureusement, sa version single (avec un clip consternant) consista en un remix de Nicolas, qui en annihila toute l'originalité rythmique au profit d'un gros poum tchak, et en aseptisa la mélodie à l'extrême. La version concédée par Olivier - cela semblait déjà lui coûter - était encore trop compliquée. D'ailleurs, dans la lignée des Meteors, le Nicolas compositeur et directeur artistique s'envole. Quitte à imposer des instrumentations d'une rare vacuité comme "Théa Sonata", quasi-une reprise de la musique d'attente de la CAF.

Cependant, sur sa pré-intro, Nicolas essaie de reproduire les guitares de The XX dont le premier album lui avait beaucoup plu. Quitte à se perdre dans le rythme. Si, chantez 1, 2, 3, 4... vous entendrez que Nicolas se mélange les pinceaux.

Malgré le malentendu sur la new wave, Black City Parade n'est pas un album à synthés. Les grosses couilles du titre éponyme le montrent de façon assez explicite. Ici, Mk2 se positionne sur la fin de l'indie landfill, et les premiers regards vers Editors et Coldplay avec "Little Dolls" et "Le Dernier Jour" se synthétisent ici sur une pop stadière à rapprocher des singles anglais les plus évidents de cette tendance, avec leurs guitares les plus droites et tendues, voir "Nous Demain". Notez que "stadier" ne doit pas être entendu comme un jugement négatif.

Coldplay, X&Y, 2005

Nous pouvons même spéculer sur le fait que les visuels du Black City Tour sont assez inspirés par Coldplay, et cela sera poussé à son paroxysme sur le 13 Tour.
"Les derniers espaces de liberté restent les concerts. Pour moi, les deux meilleurs groupes de stades sont Coldplay et U2. Le reste, c’est un peu du foutage de gueule"

Nicolas Sirchis, L'Echo, septembre 2017

Pourquoi pas. Mais c'est curieux de la part de quelqu'un qui veut se faire passer pour un assoiffé d'underground ...selon face à qui il se trouve. Une sorte d'en même temps qui, comme beaucoup l'auront compris depuis 2017, révèle une absence partielle sinon totale de clarté.

Les influences de Black City Parade seraient donc plausiblement à chercher vers un mélange de X&Y (Coldplay, 2005) et In this light and on this evening (Editors, 2009) pour son versant anglophile, et l'album de Lescop pour son versant frenchy. Pour le reste, il est bien entendu vain de chercher à tout identifier.


C'est d'ailleurs l'année suivante qu'Indochine Mk2 débarque sur Tidal (à prononcer Tideul'), et qu'Mk2 propose deux titres à New York, dont une reprise plan-plan de "Psycho Killer" devant une salle en cours de remplissage. Nicolas, très concentré, ne s'en tira pas trop mal sur un "Alice et June" carré, sur lequel il semble jouer sa vie.

Tideul' de son côté, semble avoir signé Indochine suite à une volonté de spécialiser leur proposition selon un auditorat par pays. Chacun y voit donc un possible nouveau marché : Tideul' veut se localiser, Indochine s'internationaliser.

Nicolas et Jay-Z à New York, 2015

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Réponse : Indochine ne vend quasiment que dans la francophonie, et c'est normal. Mais y a t-il vraiment des fans d'Indochine qui écoutent leur musique sur Tideul' ?

Nicolas y retente pourtant le coup de l'attitude indé, déjà tenté à l'époque de Dancetaria et dont nous avons déjà discuté. Un comble ici pourtant, en rejoignant l'entreprise de Jay-Z, et en prétendant apporter un "contre-pouvoir" et une "résistance" face aux majors... Grâce à qui il reçoit pourtant des sommes d'argent conséquentes.

C'est drôle, parce qu'Yves Botallico nous apprend dans le parpaing que la Chevrolet Caprice Landau du clip de "Memoria" a posé problème :

"Le problème, c'est que Nicolas déteste l'Amérique et les Américains, donc une voiture américaine... Mais finalement, on l'a prise car c'était la plus belle !"

Yves Botallico in Indochine, Rafaëlle Hirsch-Doran, Seuil, 2021


Okay.

Voir : 1999 - Dancetaria

C'est sur Black City Parade que nous trouvons le morceau dont Nicolas est visiblement le plus fier. Un "morceau fort", selon ses propres mots. Avec la sensation qu'il est devenu officiellement fort car Nicolas l'a décrété, plutôt que grâce aux qualités dudit morceau. Qualités qui n'étaient pas gagnées d'avance pour un énième morceau en -boy.

"Je suis plutôt très très fier de ce morceau qui fait que tous les jours, encore aujourd'hui comme '3ème sexe', des gamins vont à l'école en se disant 'Ça m'a aidé à y aller la tête haute et ne pas être moqué'. La jeunesse peut être très cruelle entre elle (sic)".

Nicolas Sirchis

Nous ne connaissons pas la source de cette information, comme quoi les choses iraient mieux depuis "College Boy". Ce que l'on sait en revanche, c'est que Nicolas a souvent tendance à faire des corrélations abusives, en d'autres termes, dire que s'il y a des grenouilles après la pluie c'est parce qu'il a plu des grenouilles. On sait également que les paroles du morceau ne parlent absolument pas de harcèlement scolaire, et que c'est Xavier Dolan qui a décidé de réaliser un clip sur ce sujet, alors qu'il avait été sensibilisé par les problématiques sur les armes à feu aux États-Unis. Si "College Boy" a eu un tel retentissement (et que Nicolas intervient dans des tables rondes sur le harcèlement scolaire ...pour parler de lui), c'est grâce au clip, pas à la chanson. "College Boy", c'est une chanson nicolienne classique sur la découverte de la sexualité et l'initiation, potentiellement au sein d'une relation problématique (avec insistance sur le droit de faire ça...).

Nicolas avait, comme à son habitude, laissé carte blanche pour qu'un réalisateur talentueux fasse un beau clip pour Indochine. Quoi qu'il en soit, le morceau fut évidemment joué à chaque date d'une tournée impressionnante sur le plan technique, et ce jusqu'à l'apothéose du Stade de France :

Un moment surréaliste qui devrait rappeler à quiconque ayant lu Orwell la fameuse minute de la haine

L'intéressée, certes connue pour ses positions traditionalistes et ses sorties homophobes, n'avait pourtant plus une très grande influence en tant que personnalité politique. Mais comme chacun ne le sait pas : les mots entendus ne sont pas ceux de la femme politique chrétienne. Ils furent enregistrés au cours d'une manifestation, et prononcés par une participante anonyme. Mk2 trouva donc intelligent de créer un malentendu sur la personne, un comportement d'une grande malhonnêteté que ne se serait même pas permis un youtubeur d'extrême-droite.

Cette humiliation franchement gratuite n'alla pas au delà d'un certain symbole : se positionner contre les méchants, les vieux cons, etc. Dégommer une ambulance au bazooka, en ayant l'impression d'abattre un chasseur en plein vol. Comme avec Donald Trump plus tard (pourtant accusé par Nicolas de mensonge et de manipulation...), s'en prendre à des ennemis faciles et peu clivants, sans analyse, ni positions plus franches contre le libéralisme, le capitalisme et le patronat. Ce moment incroyable et irrationnel nous fait froid dans le dos, et n'évoque pas autre chose qu'une foule fasciste au comportement profondément électrisé par un leader. Nous voulons bien croire ici à un effet de foule. Mais nous savons aussi qu'Indochine n'est pas un groupe de gauche.

Christine Boutin eut d'ailleurs une réaction bienveillante, et franchement plus mature :

"Et moi qui suis une fan d'Indochine !!! Dommage, je reste fan ! C'est mon côté catho."

Christine Boutin, Twitter, juin 2014

Voir : Troisième Sexe


En sortie d'usine, un disque qui ne ressemble certes pas à grand chose d'autre : Mk2 reste dans un créneau à lui et c'est tout à fait louable, d'autant que le disque renferme quelques morceaux réussis et de belles trouvailles dans les arrangements.

Mais cette sensation d'interchangeabilité fait aussi suite à l'essoufflement de l'urgence et de toute volonté moderniste qui dépasse de très loin Indochine. Cet album est le résultat d'un cahier des charges, et pensé avant tout comme support à un spectacle qui aurait tout aussi bien pu être présenté comme coloré et champêtre que sombre et urbain.

"Est-ce finalement moins douloureux de créer un spectacle et d'exprimer, je reprends votre expression, 'les délires dans votre tête' sans les mots, juste avec la photographie et la vidéo sur votre musique ?"

Paul Marie Pernet, interview de Nicolas Sirchis, Pompidou Metz, 2013


Eh oui, puisqu'on parle de Nicolas, un mec totalement visuel que la vie a parachuté dans la musique. Ce futurisme est donc assez superficiel, et le documentaire Black City Parade, le film le montre avec sa dose de révélations accidentelles : cette musique est produite essentiellement sur un écran en assemblant des blocs, et le collectif de musiciens sert à interpréter l'assemblage fini.

Voir : Black City Parade, le film


Après tout pourquoi pas. Mais quitte à déplacer des cubes, ne serait-il pas souhaitable d'assumer la musique électronique et l'aspect industriel à fond plutôt que jouer aux rockers ? Peut-être 13 règlera t-il cette contradiction ?

Spoilernon.

Annexes :

Nicolas en mode "Badwan"

Un clip encore plus Black City Parade que Black City Parade qui fait facilement bugger même les fans les plus hardcore lorsque vous leur demandez sur lequel des deux albums se trouve le morceau. Une nouvelle indication de la profonde interchangeabilité des textes, musiques et thèmes chez Mk2.