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Étienne Daho

Une dissonance taboue semble exister entre deux éternels adolescents de la pop française, deux têtes d'affiche d'une hydre 'french pop' pourtant très racontée.

"C'est vraiment très spécial, définir ce que représente l'importance de vos dizaines et dizaines d'années maintenant, de chansons. Vous êtes l'incarnation en fait, de la pop française. Y'a eu la pop américaine, qui était vraiment le mainstream, la musique populaire.  Y'avait les chanteurs contestataires, les rockers, le rythm'n'blues, etc. Mais la pop américaine c'était vraiment du hit-parade. Puis y'a eu la pop britannique, qui a été extrêmement porteuse de nouvelles vagues musicales, qui vous ont énormément enthousiasmé lorsque vous étiez enfant [Daho - bien sûr.], adolescent, qui ont toujours ajouté dans leurs paroles quels que soient les rythmes de danse, quelque chose de social, quelque chose de poétique, quelque chose de révolté, espace de liberté. Et y'avait peu de traductions en France. Même si on avait des chanteurs extraordinaires dans nos années d'adolescence, y compris dans les vôtres. Et puis, y'a eu cette french touch de la pop, avant la french touch techno, qui a été inventée par Étienne Daho, et dont il maintient la cuisson à bonne température, depuis 40 ans."

Pierre Lescure face à Étienne Daho ("L'empereur de la french pop"),
C à Vous, décembre 2017


"Nicolas, on a rappelé ces chiffres dingues, les prochains concerts que vous avez annoncés pour Lille, le premier, les 28000 places se sont arrachées je crois en 5h30, fallait vraiment être le plus rapide sur la balle, euh... Depuis le départ de votre histoire, et de l'histoire d'Indochine, elle est belle, elle peut être quelquefois grave, mais elle est belle et romanesque. Y'a comme les trois mousquetaires, y'a un '20 ans après', y'aura même maintenant deux fois 20 ans puisqu'on approche des 40 ans... Indochine, dont personne ne voulait tout à fait être convaincu du nom, en 82. [...] N'empêche que dès 82, un an après la formation d'Indochine, la France entière chante et danse sur ce morceau ! ["L'Aventurier" ♫]
Et Nicolas, tout à l'heure vous avez évoqué effectivement cet effort de créativité, de production, que vous voulez imprimer à chacun des concerts, à chacune des nouvelles tournées ou presque, parce que vous voulez qu'à chaque fois, y'ait du spectacle, que les fans qui viennent, quelle que soit leur ancienneté, aient quelque chose de nouveau.
Nicolas - Bah, c'est à dire que vu la longueur de la carrière il vaut mieux proposer... (rires)"

Pierre Lescure face à Nicolas Sirchis ("Indochine, l'événement !"),
C à Vous, janvier 2019


Les deux C à Vous et les éditos respectifs de Pierre Lescure face à Étienne Daho puis face à Nicolas Sirchis exposent cette dissonance. Un vocabulaire extrêmement mélioratif et un champ lexical de la qualité et de l'influence pour l'un, celui de la quantité et des dimensions pour l'autre. Même le ton de la voix de Lescure est différent.

Nous pouvons aussi rapprocher les deux chanteurs pour s'être farci une image de chanteurs dits à minettes ou à posters dans les années 80 ainsi que des critiques sur leurs voix, comme Jean-Jacques Goldman. Une génération précédente plus ancrée dans un certain rockisme, plus masculine aussi, semblait voir cette nouvelle vague d'un très mauvais œil et la considérer comme une régression musicale ciblant leurs petites sœurs. Ce point de vue rencontre aujourd'hui encore un certain succès.

D'un côté, l'Indomania, de l'autre la Dahomania, entre rock et variété, qui couvraient encore à cette époque un public commun d'indolescents et de daholescents.
Les deux chanteurs étaient souvent questionnés sur des sujets analogues.

Bus d'Acier pour Indochine en 1983

Bus d'Acier pour Étienne Daho en 1985

Mais Étienne se fout d'être rock : il est, et ne cherche jamais à paraître. Il n'a pas non plus besoin d'appuyer sur sa "sincérité", il est sincère et ça suffit. Nicolas lui, passe son temps à se justifier de situations et malentendus jamais vraiment réglés, et modifie ses analyses selon le besoin du moment. Il veut absolument être rock, affiliable à des groupes anglais, et le martèle depuis au moins vingt-cinq ans. Si vous êtes lecteur du blog, vous savez que nous appuyons beaucoup sur le fait qu'il n'existe pas de lien strict entre une attitude rock et la sincérité.

Voir : le reste du blog

"J'avais envie de trouver mes racines françaises et d'essayer d'inventer quelque chose. Et comme on me disait 'mais qu'est-ce que tu fais, du rock, de la variété', les gens essayaient de me définir, de me mettre dans une petite case, à l'époque la notion de 'pop' existait... [M. Achour : En Angleterre.] Oui voilà, le côté anglo-saxon, la pop anglo-saxonne, pas trop en France. C'était un concept un peu... donc je me suis dit voilà je fais de la pop. Et je me suis auto-défini, bêtement, comme chanteur pop, je savais même pas ce que ça voulait dire. Mais c'était un peu prétentieux de ma part, j'avais envie de me mettre un peu dans une zone où je suis tout seul, voilà."

Étienne Daho, Clique, février 2018

Les émissions Clique avec les deux chanteurs sont également intéressantes à visionner, on voit à quel point l'inspiration est différente chez un Mouloud Achour fasciné par Daho, alors qu'il bute sur un Nicolas creux
qui s'engouffre dans des tunnels de plusieurs minutes. Étienne parle peu, très calmement et très bien, Nicolas beaucoup, très fort et très mal.
"Les médias en ont eu ras-le-bol de nous. Les radios et les télés qui nous avaient soutenus au début ont dû être saturées et se sont dit 'c'est un groupe qui ne marche plus !' Mais le renouveau pop va peut-être renverser la vapeur ! Car la pop en France, c'est tout de même venu avec Indochine."

Nicolas Sirchis, Platine, 1996

 
Stop.

Chacun sait que si Indochine a effectivement fait partie de cette mouvance de groupes à l'anglaise au début des années 80, avec un public en commun avec Daho, cette hybridation entre rock et variété existait déjà depuis longtemps et la pop n'est pas venue avec Indochine que ce soit dans la sémantique ou le contenu musical strict. L'hagiographie nicolienne qui explique qu'Indochine serait venu mettre un coup de pied dans la fourmilière entre la variété et un rock trop sérieux ne tient pas. C'est une réécriture à la première personne uniquement destinée à un public jeune et/ou qui ne s'intéresse pas à la musique de cette époque et à son effervescence de nouveaux groupes et chanteurs. Il suffit de lire par exemple le livre officiel de 1988, Le Septennat, pour avoir un portrait un peu plus adéquat de cette époque :
"Les nombreux groupes qui ont éclaté ces dernières années n'en sont alors qu'à leurs premiers pas : Fred, des Rita Mitsouko, a joué dans un groupe avec Dominik. Tokow Boys (Luna Parker) ainsi que les Avions sortent leur premier album (eh oui, déjà !). Plus marginal et hermétique est le groupe rennais Marquis de Sade, de Philippe Pascal (Octobre puis Marc Seberg). Les Civils créent le tube surprise avec 'La Crise'. Bijou et Starshooter ('Betsy Party') éclatent mais c'est surtout la vague Taxi Girl (sorti de la période précédente du Rose) qui continue à déferler à la suite de 'Cherchez le garçon'. Tous ces groupes choisissent le plus souvent d'évoluer en marge des grands médias, comptant avant tout sur un noyau d'inconditionnels acquis à leur cause. La culture rock n'a pas encore pénétré dans les chaumières mais cela ne devrait plus tarder. Quelques groupes commencent d'ailleurs à s'infiltrer dans les hit-parades des stations dites périphériques : Bandoléro et son 'Paris Latino' ou Regrets avec Agathe qui ne veut pas rentrer chez elle seule le soir. [...] Avec Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman et, plus tard, Jeanne Mas, Lio, Daho, le fossé entre variétés et rock s'amenuise."

Marc Thirion, Le Septennat, 1988, Carrère/Kian
Écouter : Pop Française (playlist Youtube)


Jérôme Soligny, musicien et critique très connu et influent, signe en 1986 le tube "Duel au soleil" et d'autres chansons pour Daho. Il compose "Like a monster" pour Indochine Mk2 en 2002.
"On se croisait chez Daho depuis quinze ans et je savais qu'on avait des goûts en commun. Il nous a vus au Zénith durant la tournée 'Dancetaria' et a encensé le concert à une époque où dire du bien de nous était plutôt malvenu. Il a proposé ce titre très glam qu'on a un peu métamorphosé en Nine Inch Nails. 'Like A Monster' est en français mais on a conservé son titre qui colle vraiment bien à la chanson."

Nicolas Sirchis, Rock & Folk, 2002


Non, Soligny a chroniqué le concert du Havre, dont il est originaire, en 2000. 


Nicolas, avec Étienne Daho et Françoise Hardy, Victoires de la musique 1986

Étienne Daho n'a pas voulu travailler avec Serge Gainsbourg mais a été ami avec lui, soit l'exact contraire de Nicolas qui n'a eu qu'une relation professionnelle, au moment du clip de "Tes Yeux Noirs".
"Quelques jours plus tard, [Gainsbourg] se rend à Val d'Isère pour le Valrock, un festival de films rock parrainé par Philippe Manoeuvre de Rock&Folk. Serge y croise Nicolas Sirkis, du groupe Indochine, qui tente en vain de le faire sortir un petit peu : après l'avoir obligé à s'acheter des Moon Boots et une doudoune, il essuie un refus quand il lui conseille de faire de la luge... Lors de la soirée de clôture animée par les anciens du groupe Bijou, Serge monte sur scène ivre mort alors que Sirkis et la comédienne Charlotte Valandrey se lancent dans une version improvisée de 'Harley Davidson'..."

"Gainsbourg", Gilles Verlant, Albin Michel, 2000

Serge Gainsbourg et Étienne Daho, 1987


Daho chante d'ailleurs "Comme un boomerang" avec Dani en 2004, et avec Charlotte Gainsbourg sur "If" en 2003. En 2020, il réalise l'album Oh, pardon tu dormais... de Jane Birkin, et chante sur le titre éponyme.
 
En 1988, Sébastien Chantrel réalise "Des heures hindoues" pour Daho, et "La Chevauchée des Champs de Blé" pour Indochine.

 
En 1992, Nicolas Sirchis choisit de travailler avec les Valentins, après la collaboration réussie d’Édith Fambuena avec Étienne Daho en 1990.
"Ta partenaire dans cette aventure est Édith Fambuena. En faisant équipe avec elle, tu n'as pas eu peur d'arriver avec un album trop clairement inscrit dans la lignée Daho?
- Bien sûr, j'y ai pensé. J'adore travailler avec des filles. J'ai toujours aimé les filles avec une dégaine rock'n'roll, la guitare, la mèche de cheveux qui tombe... Bon, Edith, elle a sa tête, sa façon de jouer, ses tics, ses manies... sa personnalité, quoi. Et ça, je ne pouvais pas le changer. On a coproduit l'album ensemble et le résultat est en accord complet avec ce que j'avais dans la tête. Finalement, on est assez loin de l'univers de Daho. Et puis, elle sort un nouvel album des Valentins en janvier qui sera encore différent de tout ça.

Si tu avais enregistré un single solo avec une reprise, laquelle aurais-tu gardé en priorité?
- Sans aucun doute Brand new life de Young Marble Giants. C'est une reprise que j'avais envie de faire depuis longtemps. Avec Édith, on avait commencé à y travailler il y a trois ans. Et puis, on avait un peu laisser tomber l'idée.
Pendant l'enregistrement de 'Paris Ailleurs', elle était à New York avec Daho et elle me téléphonait tout le temps... 'Alors on le fait cet album de reprises ?' Pour finir, c'est elle qui m'a un peu poussé à le concrétiser.
"

Nicolas Sirchis, Télémoustique, 1992

En 1991, Édith Fambuena apparaît dans le clip de "Des attractions désastre" (avec une Mustang rouge !) alors que Nicolas se montre seul dans celui de "Alice dans la lune", en faisant semblant de jouer de sa nouvelle guitare.

Voir : 1992 - Dans la luneNicolas et la guitare



En 1992, Daho est à l'origine une compilation pour la recherche contre le SIDA. Indochine est dessus, avec une version acoustique de "Tes Yeux Noirs". 
 
En 1995, Étienne chante "Tous les goûts sont dans ma nature" en duo avec Jacques Dutronc. Nous connaissons le goût de Nicolas pour les morceaux "Et moi et moi et moi" et bien sûr "L'Opportuniste".


En 1996, l'immense Eden lorgnait brillamment du côté du trip-hop, de la jungle et de la french touch naissante, notamment à travers le sampling. Deux semaines plus tôt, Indochine sortait le foutraque Wax, sorte de démonstration d'incompréhension de la musique britannique de cette époque. Alexandre Azaria, qui co-réalise l'album, avait pourtant essayé de proposer quelque chose qui pouvait s'apparenter aux paysages d'Eden, avec des titres comme "L'Amoureuse" où Nicolas essayait sans grand succès de se montrer sensuel. Un domaine dans lequel Daho fait plus qu'exceller.
"On est clairement plus proche de l'Iggy Pop de American Caesar que d’Étienne Daho !
Très très loin d’Étienne Daho, ça c'est sûr ! On se sent plus proche de groupes anglo-saxons comme Placebo. Beaucoup de nos fans sont d'ailleurs aussi des fans de Placebo. On est musicalement un peu isolés dans le paysage francophone."

Nicolas Sirchis à propos de Wax, Tribu Move n°7, avril 1999

Comme nous l'avons développé dans l'article sur cette époque, Nicolas était en plein matraquage pour se faire affilier à des groupes anglais plus hype et s'éloigner d'une certaine variété française. Mais le chanteur semblait avoir un problème avec Étienne Daho, et le considérer avec une dose généreuse de mépris comme un représentant de cette variété.

"Vous avez présenté Blitz comme le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers seraient Pop Satori et Eden
On y trouve la même liberté, la même envie de faire une expérience. Le même coup de foudre pour un disque aussi : Pop Satori c’était le groupe de William Orbit, Torch Song, et Eden, l’installation d’une certaine forme de musique électronique - la drum’n’bass, la musique la plus 'sex' depuis le punk ! - mêlée au retour de Burt Bacharach. Le lien, c’est que ce sont des disques qui sont obsédés par leur objet. Ce sont des disques qui provoquent un rejet souvent à la première écoute aussi."

Étienne Daho à propos de Pop Satori, Eden et Blitz, Libération, novembre 2017

Parce que oui, Étienne Daho a aussi sa trilogie !

Voir : 1996 - Wax, 1999 - Dancetaria, 2002 - Paradize


"Nos fans aiment autant les Smashing Pumpkins que Björk."

Nicolas Sirchis, Platine n°34, octobre 1996

 
Quelques uns, c'est possible. Mais Eden montre des points communs musicaux avec le phénoménal Post (1995) de la chanteuse islandaise. Wax, non.

Soulignons-le : Eden et Wax sont tous deux sortis en novembre 1996.



En 2000, Corps et Armes est de nouveau produit par Les Valentins, avec Édith Fambuena à la guitare.



Comateens, un groupe dont les fans d'Indochine connaissent l'existence - à défaut de la musique - et avec qui Étienne est ami depuis très longtemps.
"J'avais adoré leur premier album. (1980, ndlr) 'Le Grand Sommeil' était sorti sur une compile aux États-Unis et je devais faire un showcase à la Danceteria à New York. Nous sommes devenus amis très vite. Une évidence."

Étienne Daho à propos de Comateens, Slate, 2019
 
"Très pudiquement, Etienne évoque la dernière chanson d'Oliver Dumbling : "elle est écrite par Oliver, le frère de Nicholas Dembling des Comateens. Son décès a été traumatisant pour nous tous. Nicholas et Lyn m'ont offert cette chanson sublime et chantent les choeurs avec moi. Cette chanson a une grande signification pour nous trois". Sortie en single uniquement pour le marché anglais, la chanson ne bénéficiera pas d'une version longue mais d'un clip (tourné juste après son concert Bruxellois), à la différence du troisième extrait de l'album en France "Caribbean Sea".

à propos de "Stay with me" in Dahodisco, Benoît Cachin, Gründ, 2013

On voit d'ailleurs Xavier "Tox" Géronimi dans le clip de la chanson en question :


Les Comateens jouent en première partie du Tour Martien en 1989, à la demande de Daho. Mais l'influence du groupe s'exerce différemment sur Nicolas :
"C'est eux, en fait qui nous ont donné envie de nous maquiller. A cette époque, ils étaient déjà super maquillés et habillés ultra new wave. Nous, à côté, on faisait vraiment pauvres mecs de banlieue. Je me souviens qu'on les a vu passer dans les coulisses et on s'est dit 'Putain, ils sont maquillés, c'est classe !' Et on s'y est mis aussi !"

Nicolas Sirchis in Kissing my songs, Agnès Michaux, Flammarion, 2011

En 2007, L'invitation propose des compositions de Xavier "Tox" Géronimi, Édith Fambuena et Jérôme Soligny. Malheureusement, notre radar n'a repéré aucun intérêt de la part de quiconque parmi les fans d'Indochine.

  
Vous connaissez sûrement l'interview croisée en 1999 de Nicolas Sirchis et Brian Molko, le très courtisé chanteur de Placebo. Mais connaissiez-vous celle de Brian Molko et Étienne Daho en 2003 dans Rolling Stone ? Lire les deux interviews l'une après l'autre est très éloquent : Daho et Molko semblent avoir énormément à échanger... Ce qui est moins évident de l'autre côté.

Brian Molko et Étienne Daho, 2003
Voir : Placebo


En 2007, Nicolas précisait son point de vue sur le chanteur rennais :
"Je déteste les égocentriques. Étienne Daho ne parle que de lui, il est devenu inintéressant."

Nicolas Sirchis, Phosphore, 2007

Est-ce l'hôpital qui se fout de la charité, ou avez-vous une meilleure expression pour désigner cette sortie de notre héros ?

En 2013, Daho chante sur l'époustouflant "Mortelle" de Rone (2013). La même année, Nicolas essaye le logiciel Ableton sur un remix personnel de "Belfast" qu'il crut intelligent d'appeler "The Berlin Mix" et même de sortir.


Une vingtaine d'années après les tentatives de Wax et Dancetaria, Nicolas se mit avec 13 à parler plus ouvertement d'electro (souvent à travers l'évocation de l'achat de certaines machines). Mais la même année qu'Eden, Étienne Daho avait aussi enregistré un EP avec Comateens.
Les auditeurs avertis de musiques électroniques se retrouveront davantage dans cette collaboration qu'en écoutant 13.


Comateens sur Instagram : "we are so proud of this record... love to all"


Les liens de Nicolas avec des artistes électroniques ? Des chœurs chez les consternants Dead Sexy Inc., une amitié avec le très visuel Sindrome, la reprise de Troisième Sexe par Miss Kittin ou des remix, parfois prestigieux (Curve, Tricky).

Étienne Daho est à ce jour considéré et respecté par une grande partie des auditeurs francophones comme le parrain de la french pop. Il organise d'ailleurs fin 2017 une exposition de photographies, "Daho l'aime pop !", et immortalise entre de nombreux autres jeunes gens modernes Requin Chagrin, signé sur... KMS Records, le label de Nicolas.

Mais Indochine en est très ouvertement absent.

"De toute façon on a toujours été un petit peu à part, parmi... Même toute cette vague là, on reparle de la vague néo-pop, les parrains de la pop française, pff... C'est comme si on n'existait pas. Et en fait on est encore plus présent que... C'est assez, assez marrant ce côté euh... élitiste français, mais euh... Effectivement au stade où on en est c'est pas très important..."

Nicolas Sirchis, France Bleu, septembre 2017

Nicolas est dans le vrai.

Indochine continue à ce jour d'occuper un créneau bien à lui, c'est en partie ce qui le rend si singulier et fascinant. La dénonciation par Nicolas d'un "élitisme français" est audible, lui qui a souvent pointé un certain public non-français qui aurait su récompenser le succès plutôt que le punir, et c'est une de ses formules les plus connues :
"En France on ne pardonne pas l'insuccès mais on pardonne encore moins le succès."

Nicolas Sirchis, Un flirt sans fin, 2006

Nicolas évoque ici un mécanisme de distinction bourgeois et centre-parisien, milieu social dont il n'est issu qu'en partie et qu'il semble envier. C'est pourtant ce même logiciel snob qui le mène par exemple à rejeter la bande dessinée au profit d'une attitude de littéraire, plus proche de son groupe social de référence.

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée


Mais en tant qu'artiste c'est différent : les mondanités ne pouvant pas suffire, Nicolas a rarement su aller plus loin que la collection de citations, pensée comme un contenu suffisant. C'est bien le problème avec ce public plus chic dont il calque les habitudes culturelles, mais dont il pourfend le refus de reconnaître Indochine : Nicolas se situe totalement dans cet élitisme français pourtant dénoncé. Citerait-il Indochine, s'il n'en faisait pas partie ? La question lui fut posée en 2007, et la réponse est éloquente :
Si tu étais ado en 2007 serais-tu fan d’Indochine ?
Aucune idée en tout cas les références de ce groupe me plairaient beaucoup.

Nicolas Sirchis, interview pour indo-paradize, 2007

Comme si des références bien placées devaient former le gros du contenu et se suffire à elles-mêmes. C'est justement un piège dans lequel n'est pas tombé Étienne Daho, qui a toujours su proposer quelque chose de personnel et ne rencontra jamais aucune confusion à décrire ce qu'il avait voulu faire.

Voir : Influences et références, Art contemporain


Nicolas, devenu nouveau riche esthète mais ayant gardé son côté banlieusard, trouve plutôt de la reconnaissance auprès d'un public dit populaire, moins animé par les modes et la culture pyramidale. Malgré de nombreuses perches tendues à coups de références institutionnelles, ce public plus traditionnellement cultivé et/ou branché continue de ne pas accrocher à Indochine. Dans le meilleur des cas, il arrive d'entendre du bien des deux premiers albums, plus alternatifs et branchés, dont le recul permis par le temps et la redécouverte de la new wave par une nouvelle génération leur permet aujourd'hui de bénéficier d'une certaine légitimité émergente.


Étienne Daho est issu d'un milieu plus aristocrate, et fut très tôt entouré de nombreuses influences culturelles. Le facteur rennais, déterminant, l'éloigna pourtant du parisianisme qui allait former Nicolas. Présent à Londres en 1976, passionné, musicien dans l'âme et mélomane - ce que Nicolas ne deviendra jamais - il fit ses armes auprès des groupes Marquis de Sade, Elli & Jacno, Comateens.

Son public est tout aussi disparate que celui de Nicolas, mais Daho est tellement soutenu par la petite bourgeoisie culturelle branchée (Télérama, Inrockuptibles) et affiliés, que ne pouvons que remarquer en priorité ce public-là. Celui-là même dont Nicolas est exclu par manque de légitimité, et que nous ne croisons jamais aux concerts d'Indochine Mk2 !

Nicolas au Stade Pierre Mauroy, juin 2019

"Il y a toujours des gens qui ont la haine. Moins qu'avant, mais quand même. Maintenant, les plus intelligents de nos détracteurs avouent au moins un respect pour ce groupe. Mais il y a une haine, une telle haine, que je n'arrive pas à élucider. Des crachats, des commentaires qui disent juste 'c'est de la merde'. Étienne Daho est un peu passé par là, par le côté 'non chanteur', mais ça n'a pas duré longtemps pour lui. Il y a une haine pour les gens qui ont du succès en France. On ne pardonne pas l'insuccès, mais encore moins le succès."

Nicolas Sirchis in Indochine, le livre, Jean-Eric Perrin, 2011


Voir : Ceux qui n'aiment pas Indochine


Il existe une énorme cassure entre Indo et Daho, et visiblement entre leurs publics respectifs. Comme un mur aussi infranchissable qu'invisible. Nous pourrions évoquer en parallèle l'opposition dans la presse musicale des années 2000, entre Rock Mag & co (adolescent, banlieusard, périurbain, apolitique) et Les Inrockuptibles (jeune adulte, petit bourgeois intello, citadin intramuros, centre-gauche).

Un livre serait nécessaire pour développer ce sujet que, de notre aveu, nous ne prétendons pas maîtriser au point de proposer une vraie étude. Il se peut que nous y revenions par la suite.


Quoi qu'il en soit, Étienne Daho est ouvertement cité par de très nombreux jeunes popeux, et assumer Indochine est bien plus compliqué passées les épouvantables Divisions de la Pop. Lorsque ça arrive, Nicolas le souligne systématiquement, voire relaie un bruit de couloir à base de on m'a dit que, une vieille habitude :
"En revanche, beaucoup de groupes anglais nous aiment bien, comme Placebo, mais aussi des groupes de la nouvelle scène comme Antony & the Johnsons, Gossip, ou récemment on m'a dit que les Two Door Cinema Club nous trouvaient cool."

Nicolas Sirchis, Hors-Série Rolling Stone spécial Indochine, juin 2010

Et ?


En 2013, alors qu'il avait coécrit "Les Portes du Soir" et "Traffic Girl", et fut première partie récurrente avec son groupe Asyl, Matthieu Peudupin dit "Lescop" se garda bien d'évoquer Indochine dans sa communication autour de son premier album solo. Parce que ce dernier ciblait un public plus porté vers Étienne Daho ou Daniel Darc - autrement dit un public Inrocks/Télérama - et non celui d'Indochine : il ne s'agissait pas de se griller en provoquant une affiliation visible avec Nicolas Sirchis ! Le plus que dispensable mais pourtant très hypé Lescop (2013) lorgnait bel et bien davantage vers le chanteur rennais et autres jeunes gens mödernes, ce qui n'échappa ni à la critique ni au public.

Lescop, Lescop, 2013

Matthieu Peudupin apparaît même avec Étienne Daho en 2014 pour chanter "Le Grand Sommeil" dans l'émission Alcaline. Nous l'avions vu précédemment avec Indochine Mk2 aux Francofolies de la Rochelle en 2006, pour une reprise débile de "Teenage Kicks", en pleine mode des guitares distordues et des attitudes rock. L'assumerait-il encore ?


Sa pose de fan pâmé pour les murs de briques l'éloigne pourtant d'un Daho bien plus discrètement érudit, et trahit sa génération malgré des références anciennes et ancrées : une génération rétromaniaque pour qui des références dénuées de sens constituent un contenu identifiable, comme une collection de hashtags. Et cela le rapproche bien plus de Nicolas Sirchis.

Voir : 2002 - Paradize


Mais Daho garde l'enthousiasme inchangé d'un adolescent dans sa curiosité et son érudition, contrairement à un Nicolas qui n'a jamais été plus loin qu'une rhétorique de fan qui aurait cessé d'évoluer passée la vingtaine. Il ne semble s'être attardé que sur l'image, et ne trouve du confort que dans une certaine superficialité : l'apparente ignorance musicale (ou consensualité) d'une grande partie de son public et de ses défenseurs médiatiques lui rend superbement service.

En d'autres termes, Nicolas semble tirer son public vers le bas, Daho vers le haut.

Voir : le reste du blog


Vous avez sûrement entendu parler de David Bowie via les interviews de Nicolas. Mais si vous connaissez bien David Bowie, vous connaissez forcément son fidèle producteur Tony Visconti. Ce dernier a récemment produit... Étienne Daho ! pour une nouvelle version de "Paris Sens Interdits", originellement sorti en 1989.




Étienne est bisexuel, discret mais pas secret. Lui n'a jamais eu besoin de marteler sur les plateaux de télévision qu'il aurait écrit tel ou tel "hymne", et que soit-disant des personnes homosexuelles lui écriraient "tous les jours" pour le remercier (information uniquement rapportée par Nicolas...). Il n'a pas besoin non plus de lever le poing sur scène, haranguer ses fans avec des slogans, et se draper dans les couleurs de l'arc-en-ciel pour se faire affilier à une lutte sociétale - comme le fait régulièrement le très hétérosexuel chanteur d'Indochine.

Nicolas Sirchis, Clermont-Ferrand, 2020
"La maison de disques ne voulait pas la sortir, parce que c'était une chanson dite de "pédés". Marc Lavoine ou Étienne Daho sont venus me voir pour me féliciter d'assumer quelque chose."

Nicolas Sirchis, Platine, 1996

Soit, mais assumer quoi exactement, sachant que cette chanson ne parlait que de vêtements et de cheveux, en pleine mode de l'androgynie ? (Note : Tony Visconti a aussi produit Marc Lavoine)

En 2015, Dominique Nicolas devant un micro sur ses propres compositions, lorgnait nettement vers Étienne Daho, ce qui n'échappa à quasiment personne. Cela constitue un aperçu hallucinatoire d'une collaboration formidablement cohérente que nous n'avons jamais eue. Imaginez seulement...


...avec ici (1989) à la guitare un Xavier "Tox" Géronimi plus dominikien que jamais.

Sommes-nous passés si près que ça d'avoir de vrais Smiths français ?
Peut-être n'est-il pas trop tard ?

Et en ce qui concerne Tox, il a sans aucun doute fait le pire truc de sa carrière avec Indo Live (1997), alors qu'il a toujours été impeccable avec Daho, d'où l'importance de savoir diriger ses musiciens.

Étienne Daho peut être vu comme le contraire de Nicolas Sirchis. Ce dernier est un homme très creux et superficiel qui a voulu faire de grandes choses. À l'inverse, Daho est quelqu'un de très conséquent, qui a souhaité faire quelque chose de plus léger : de la pop. Éternel adolescent dans ses bons côtés pour l'un (fascination, enthousiasme), ses mauvais pour l'autre (inculture, arrogance).

Pour schématiser à l'extrême : Étienne Daho serait un provincial cultivé, salué par un public parisien en mal d'authenticité ; Nicolas un parisien superficiel et cultureux, salué par un public éloigné des centre-villes et des problématiques de capital culturel.


Nous avons beaucoup évoqué sur ce blog les emprunts faits par Nicolas à des artistes qu'il semblait envier : Brian Molko, Dave Gahan, Brett Anderson... Mais au fond, n'aurait-il pas rêvé d'être Étienne Daho ?


Certes, si le paysage éminemment branchouille qui entoure le chanteur rennais et son côté trop parfait peut le rendre plus facile et avantageux à citer dans l'espace social plutôt qu'un Nicolas indéfendable, il apparaît tout de même qu’Étienne Daho est un homme plus enrichissant à entendre en interview et sur disque. Nicolas a stagné, sa musique n'a jamais évolué - voire n'a jamais vraiment existé - et semble avoir maintenu ses fans dans une longue et stérile immaturité, nécessaire pour continuer de l'admirer sans remise en question possible.

Pour finir, Étienne Daho a toujours extrêmement bien chanté, là où Nicolas nous fait franchement honte d'année en année.

 
Dahophile arrivé par accident sur ce blog, et qui se demande quel disque d'Indochine écouter pour la curiosité ? Le Baiser, à la rigueur. Il n'est pas non plus exclu que Dancetaria vous plaise.

"À mon avis, on pourrait plus comparer, s'il y a à comparer, au Velvet Underground. On a d'ailleurs fait écouter le titre à Etienne avant sa sortie, il n'a pas trouvé que ça lui ressemblait."

Dominique Nicolas à propos du titre "Le Baiser" in Indochine Story, Anouk Vincent, 2012



1992 - Dans la lune

Nicolas Sirchis avec Indochine, Foire aux Vins de Colmar, 1992

En 1992, Nicolas Sirchis a sorti un album sous son nom : Dans la lune. Nous ne ferons pas d'analyse sur le contenu musical du disque, et laissons cela à Valérie Coroller :
"Au début, Dans la lune se met doucement sur orbite : voix doucereuse à dégoûter les accros à l'aspartame, accent british faisant honneur à la méthode Assimil. Puis, au quatrième titre, c'est la catastrophe, le crash sans rémission : voix gnangnante, la version d'"Anne cherchait l'amour" sombre dans le ridicule suprême, fait naître la haine. Conclusion vulgaire mais sincère : mieux vaut se mettre cette rondelle dans le cul que dans les oreilles."

Valérie Coroller, Rock & Folk, 1992

Comme pour une très grande partie de la critique, le problème continue de se trouver chez Nicolas, et non dans la musique. Insolence Rock souligne "l'objectivité" d'Arnaud Viviant dans le même Rock & Folk :
"Si ces reprises ne sont jamais révolutionnaires, elles ne sont jamais saccagées."

Peu importe ce que l'on pense du résultat, l'absence de virulence n'est pas synonyme d'objectivité. L'intéressé l'a toujours souligné en marquant une rare cohérence dans le temps : il s'agit d'un album "perso" et non un album solo ! Une collection de reprises pour le plaisir. Et pourquoi pas.

Les albums de reprises ne sont pas si courants que ça dans la musique pop, mais on peut citer de façon non-exhaustive Pin Up's de David Bowie sorti en 1973, que Nicolas s'évertue encore aujourd'hui à prononcer Peanuts, Music of quality and distinction de B.E.F., le Counterfeit E.P. de Martin Gore, sorti en 1989 ou plus récemment California Son de Morrissey en 2019, tous des succès critiques.


L'idée semble avoir plu à Nicolas, qui nous gratifie en 1992 d'un album de reprises entièrement arrangé par le groupe Les Valentins.
"Ta partenaire dans cette aventure est Édith Fambuena. En faisant équipe avec elle, tu n'as pas eu peur d'arriver avec un album trop clairement inscrit dans la lignée Daho?
- Bien sûr, j'y ai pensé. J'adore travailler avec des filles. J'ai toujours aimé les filles avec une dégaine rock'n'roll, la guitare, la mèche de cheveu qui tombe... Bon, Edith, elle a sa tête, sa façon de jouer, ses tics, ses manies... sa personnalité, quoi.
Et ça, je ne pouvais pas le changer. On a coproduit l'album ensemble et le résultat est en accord complet avec ce que j'avais dans la tête. Finalement, on est assez loin de l'univers de Daho. Et puis, elle sort un nouvel album des Valentins en janvier qui sera encore différent de tout ça.


Si tu avais enregistré un single solo avec une reprise, laquelle aurais-tu gardé en priorité?
- Sans aucun doute Brand new life de Young Marble Giant. C'est une reprise que j'avais envie de faire depuis longtemps. Avec Édith, on avait commencé à y travailler il y a trois ans. Et puis, on avait un peu laisser tomber l'idée.
Pendant l'enregistrement de "Paris Ailleurs", elle était à New York avec Daho et elle me téléphonait tout le temps... "Alors on le fait cet album de reprise?" Pour finir, c'est elle qui m'a un peu poussé à le concrétiser.
"

Nicolas Sirchis, Télémoustique, 1992

Nicolas ne tient aucun instrument de musique dans l'album, sauf dans le clip de "Alice dans la lune", adaptation du "Brand new life" de Young Marble Giants. Chose amusante, les accords qu'il mime avec ses doigts ne correspondent à aucun accord existant. Nous savons que c'est à cette époque-là que Nicolas a commencé à vouloir jouer de la guitare, mais ne pouvait-il pas se dispenser de faire semblant d'en jouer face caméra ?
 
Pour autant, Nicolas estime que "ses" versions - celles des Valentins en réalité - sont très personnelles. Soit.
 


Il semble également que le chanteur d'Indochine, débarrassé des pressions de Dominique et Stéphane sur le sujet, se soit donné tout le loisir de s'entourer de très très jeunes filles. Nous aurions pu imaginer que les Valentins apparaissent avec lui mais Nicolas a préféré l'aspect solo. Faut-il aussi comprendre, au regard de la citation ci-dessus, que le physique d’Édith Fambuena ne lui convenait pas tout à fait ?


Un mot sur le choix d'une reprise de "Entrez dans le rêve" de Gérard Manset, source d'un long malentendu.



"En fait il avait écrit une chanson qui s'appelait 'Entrez dans le rêve' en 1983 (84, ndlr), en parlant... Enfin, pour lui c'était l'histoire d'Indochine. Je crois qu'il avait vu Indochine à la télévision, il avait vu 'L'Aventurier', il avait écrit après cette chanson qui s'appelait 'Entrez dans le rêve'. Euhhh... Le sachant quelques années après, euhhh, j'ai repris moi sur un album solo que j'ai fait en 90 (sic), un album uniquement de reprises, euh, j'ai repris cette chanson. Parce que... il écrit une chanson pour nous, je voulais lui rendre hommage parce que j'aime bien ce qu'il fait. Et donc j'ai repris 'Entrez dans le rêve' mais d'une façon plus jazz. Après on s'est croisé dans une émission de radio, et euh... Au moment de la sortie de Dancetaria, un ami commun nous a dit 'Mais putain il aurait vraiment aimé vous écrire une chanson'. Bon sur Dancetaria ça avait pas été possible donc c'était vraiment le moment."

Nicolas Sirchis, Pop rock station avec Zégut, RTL2, 2002

Ce que Nicolas se garde bien de préciser, c'est que Manset avait fortement relativisé cette histoire dans l'émission de radio en question :
"Gérard Manset : Quand j'ai... les premières phrases me sont venues, j'ai dû vouloir canaliser le titre dans une dynamique précise, alors je pensais à la caisse claire, comment je pourrais dire, succincte et basique, et donc j'ai dû citer comme référence Indochine à l'époque... voilà, c'est ça que je veux dire.
Nicolas Sirchis - C'est ça ouais, cette ligne claire de caisse claire...
GM - Voilà voilà, exactement. En même temps, cette ligne comme il dit, de la caisse claire, je l'ai toujours eue bien sûr... à l'origine c'était 'Twist', bon.
NS - Binaire... Mais c'est vrai parce que nous on a commencé dans notre chambre, chez nous, avec une boîte à rythmes, et bon y'avait trois positions, la position Rock/Twist, la position Bossa Nova et machin...
GM - Exactement oui...
NS - Et donc boum sur la position rock donc c'était 'tchatcha tin, tchatcha tin'...
GM - Mais que plus aucun batteur n'était capable de jouer, c'est paradoxal !
NS - Et on a eu du mal à retrouver effectivement des batteurs, parce qu'ils étaient partis dans une lignée des années 70 où ça tapait sur tous les fûts !
GM - Et puis, et puis un batteur se trouvait tout à fait dévalorisé qu'on l'appelle pour venir faire une séance, pour faire le pied la caisse point final... Donc c'était no future, sauf avec l'émergence de la caisse claire.
NS - Exactement ouais."

Nicolas Sirchis et Gérard Manset, Europe 1, 1992

Que peut-il bien s'être passé dans la tête de Nicolas pour que cette erreur survive à sa correction par Gérard Manset lui-même ? Quel étrange dysfonctionnement cognitif l'amène à préférer un malentendu à la réalité, au point de relayer cette méprise auprès de son public en tant que version officielle des faits ?


La réaction de Martin Gore dans le Rock&Folk d'avril 1993, une interview menée par Jérôme Soligny, ne manquait pas de sel non plus.

"Hé, c'est quoi ce groupe français là, In... Indo, j'sais pas trop quoi, tu les connais ? [...] C'est quoi ce délire ? L'autre, il a fait un album solo, comme moi ! Attends, c'est pas tout, il paraît qu'il a fait la même reprise des Sparks que moi ! C'est dingue, les Sparks ont écrit des dizaines de super chansons, faut qu'il reprenne la même... Merde ! Indo-quoi tu dis ?"

Interview de Martin Gore par Jérôme Soligny, Rock & Folk, 1993

En effet, Martin Gore soulève en 1993 un point crucial : la culture musicale de Nicolas ne suit pas.




"J'étais super déçu quand j'ai appris, deux ans auparavant, que Martin Gore avait ce projet. À l'époque, il sortait avec Odile Arias, une Française que je connaissais, et c'est elle qui m'en a parlé pour la première fois. Cette idée d'album solo était dans ma tête depuis quatre ou cinq ans. Gore a repris 'Never turn your back on mother earth" des Sparks, qui figurait sur ma liste, mais j'ai décidé de la sortir malgré tout."
Nicolas Sirchis in Insolence Rock, Sébastien Michaud, 2004

 
Nous ne savons pas si l'idée a été piquée ou s'il y a eu coïncidence. En tout cas Nicolas a, comme souvent, eu besoin de se justifier de la situation, dans un cadre officiel.

Voir : 2002 - Paradize

Nous vous laissons juges entre une version où Martin Gore fait tout tout seul, et une autre où Nicolas délègue tout au point de n'avoir aucun autre crédit musical que celui de la voix. Curieux pour un album solo - même pour un album perso ! - et encore assez différent d'aujourd'hui où il impose d'enregistrer le plus d'instruments possible pour être celui qui a le plus de crédits. Et ce quand bien même il n'est toujours pas musicien, après quarante ans dans la musique professionnelle.

Cependant, Dans La Lune constitue un modèle troublant de ce qui constituera le reste de la carrière de Nicolas, même caché derrière le nom d'un groupe :
  • Des musiciens salariés qui tiennent la baraque, mais c'est un Nicolas gauche et novice en tout qui fait office de directeur artistique.

    Voir : Black City Parade, Le Film

  • Un name dropping de références pour souligner une cooptation UK & US : ici la liste de groupes repris. Indochine Mk2 a aussi produit beaucoup de reprises, principalement des essentiels de Discothèque idéale du rock : "Smalltown Boy", "Just Like Heaven", "Teenage Kicks", "Rebel Rebel", "You Spin Me Round", "Personal Jesus", "Lips Like Sugar", "I Wanna Be Adored", "Heroes".

    Voir : Influences et références


Peut-être avions nous tort dans Révisionnisme et malentendus : Indochine Mk2 serait une carrière perso, et non une carrière solo.


Voir aussi sur le blog : Depeche Mode

Annexes :



Avant de repartir en tournée avec son groupe, il voulait le faire... et il l'a fait :
Quelques jours avant Noël, Nicola est entré en studio et a réalisé son album "perso". Le 31 décembre, une vingtaine d'amis, qui ne faisaient rien cette nuit-là, se retrouvèrent tous pour former une chorale improvisée sur deux des titres. Pour cet enregistrement "entre amis", Nicola a également fait appel au batteur de Lloyd Cole et au bassiste de Madness qui ont eu la gentillesse de se libérer pour les quelques jours de prise "live". Et 3 des textes ont été écrits par Nicola, venant se substituer aux textes anglais originaux...

Nicola s'explique...
Pourquoi un album de reprises ?
La musique que j'écoute depuis des années me touche personnellement et j'avais envie de la faire partager.

Le choix des titres ?
Le choix était cornélien. Il manque Dylan, Bowie, Neil Young, les Beatles... Par contre, volontairement, j'ai décidé d'interpréter des titres peu connus en France. Bien évidemment, mes versions sont très personnelles. Nous y avons mis tout notre coeur et je ne crois pas les avoir "salies".
 
Deux mots sur chaque titre :

Waterfront / David Sylvian
Etant fan de Japan et de Sakamoto, il est pour moi un des musiciens les plus créatifs de ces dernières années.

Mad World / Tears For Fears
Un de mes titres de chevet.

Two Faces / Bruce Springsteen
Un de ses titres les moins connus mais qui m'avait le plus touché.

Anne cherchait l'amour / Elli & Jacno
Les premiers français "nouvelle vague". Mixité réussie. J'aime les filles qui font du rock, d'où mon attirance vers Edith, la guitariste qui a fait toutes les guitares de l'album.

Jusqu'au trou du monde / Patti Smith "Jackson Song"
Fan inconditionnel, j'ai vu tous ses concerts, lu tout ce qu'elle a écrit, et pensé tout ce qu'elle a pensé. J'ai volontairement choisi un de ses derniers titres écrits sur lequel j'ai extrapolé une version française.

Never Turn Your Back On Mother Earth / Sparks
Grand amateur des groupes "glam", ça a été mon premier concert rock à l'Olympia en 1974, j'avais 13 ans. (Quinze ans ! ndlr, de plus c'est faux puisque son premier concert c'est Chicago)
 
What Is Life / George Harrison
Exemple typique, ce titre méconnu en France a été le plus fort de Radio Caroline au début des années 70.

Alice dans la lune / Young Marble Giants
Mon groupe culte : cela a commencé en 1979 où les rares personnes qui possédaient l'album s'empressaient de le faire écouter à d'autres. (Album sorti en 1980 ! ndlr)

Play With Fire / Les Stones
Une des meilleures faces B des Stones. (Présente également sur plusieurs compilations, ndlr)
Entrez dans Le Rêve / Gérard Manset
On m'a dit un jour que Gérard Manset avait écrit cette chanson en pensant à Indochine. (Non. ndlr)

Le Seigneur Des Toits / Tom Tom Club
Disque de chevet au début des années 80 et je me suis amusé à coller une autre histoire dessus. On l'a enregistrée la nuit du 31 décembre avec les "Choeurs" et j'ai fait chanter ma fiancée.

Pourquoi l'album s'appelle-t-il "Dans la lune" ?
C'est ce qu'on me reproche le plus souvent...

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