2009 - La République des Météors


Mk2 en conférence de presse, Couvent des Cordeliers, 2009

Entre un album saugrenu vendu comme un concept mais qui n'en avait pas grand chose, et deux autres albums aux morceaux et aux thèmes interchangeables, se cache un disque bien plus pertinent. L'anomalie d'Indochine Mk2, qui prouve ici qu'il est capable de réaliser un album cohérent.
"Est-ce qu'il y a une thématique, un concept, comme il y avait sur le précédent ?
- Aucune. (rires)
Y'a aucune thématique, ni un concept, c'est vrai qu'Alice & June est un album conceptuel, y'a une série de morceaux mais ce qui en ressort un petit peu c'est le côté euh... Enfin je sais pas, il faut peut-être se poser la question... Enfin je sais pas, vous avez juste entendu des extraits et caetera donc c'est difficile, euh... C'est euh... Comment dire, en fait c'est quand même parti sur, je vais un peu me la péter intellectuellement, mais c'est parti de la lettre de rupture qu'a reçu Sophie Calle, euh, et donc elle a fait une exposition, que j'ai lue, relue, et analysée, et effectivement après, cette thématique s'est euh... s'est comment dire, j'ai travaillé un petit peu dessus, et puis ça a dérivé sur la séparation, les déchirures, les choses comme ça... La vie... Voilà."  

Nicolas Sirchis, conférence de presse au collège des Bernardins, 2009

Si Nicolas avait été plus malin, il aurait dit que oui, bien sûr qu'il y a un thème : la séparation, les déchirures dans la vie personnelle, avec la guerre, la grande Histoire en fil rouge, mais non. Curieusement il semble avoir préféré couper net avec le prétendu concept de l'album précédent, alors qu'il avait construit, sans le faire exprès, un album plus conceptuel qu'Alice & June. Peut-être est-ce au fil des interviews qu'il se rend compte qu'il y a quelque chose à dire, puisqu'il se corrige quelques jours plus tard :
"La République des Météors» est-il le plus «curieux» de vos albums? 
Curieux, je ne pense pas. Invraisemblable peut-être, car c’est devenu un de nos concept-albums les plus réussis par accident. Rien n’était prévu. On a tenté toutes les expériences possibles. La République des Météors  regroupe toutes nos influences. [...]

Quels thèmes abordez-vous ?
La thématique centrale est l’absence. L’idée m’est venue en allant voir l’exposition de Sophie Calle à la Biennale de Venise. J’avais été très touché par sa démarche artistique. Elle a réussi à magnifier quelque chose de totalement privé autour d’une lettre de rupture."
Nicolas Sirchis, CNews, mars 2009
Start Up lui demande en mars 2009 si "l'élément déclencheur de La République des Météors c'est la lettre de Sophie Calle ?" :
"Non, ce sont plusieurs choses. D'abord la musique. Je ne savais pas du tout de quoi j'allais parler après deux albums-concepts assez forts. J'étais dans le schwartz, comme on dit... Alors je me suis pris en main. Ça a commencé par une découverte de la Biennale de Venise, puis il y a eu les lectures, les voyages en Finlande ou à Berlin, la vie..."

Deux albums-concepts ? Avons-nous raté quelque chose ? 


Voir : Art contemporain


Restons sérieux et entendons-nous bien, La République des Météors n'est toujours pas un vrai album-concept comme le furent The Wall ou Tommy, puisque ce type d'album demande des personnages, une chronologie, une histoire racontée par les chansons, et qui ne tolère aucun remplissage. De plus, comment voulez-vous réussir un concept-album par accident ? En revanche s'il avait dû n'y en avoir qu'un à être défini ainsi, ça aurait dû être celui-là et non le foutraque Alice & June, dont Nicolas n'a jamais su expliquer la prétendue histoire. C'est bien ce qu'il semble confirmer à travers cette contradiction drolatique :
"Ce disque est un peu comme un météore. Il y a plein de morceaux qui partent dans tous les sens, sans liaison les uns avec les autres. Finalement, c’est devenu, par accident, l’enregistrement le plus conceptuel du groupe."

Nicolas Sirchis, L'Humanité, mars 2009

Que cela puisse tempérer les irréductibles qui continuent de croire qu'Alice & June constitue l'album-concept définitif d'Indochine Mk2, et par ailleurs que Nicolas élabore ses œuvres de façon lucide, avec des messages profonds et des niveaux d'interprétation savamment construits.

Voir : 2005 - Alice & June


Si nous laissons de côté les bricolages et improvisations du chanteur,
La République des Météors tient debout. C'est un album étrangement mature, aux thèmes adultes, et au concept audacieux car relativement peu vendeur. Contrairement aux albums précédents, celui-là ne correspondait pas aux thématiques rock à la française, à savoir la posture rebelle, le look, le visuel et le jeunisme à tous les étages. On était alors à la fin des années 2000 et les postures rock étaient encore très populaires chez le public cible d'Indochine Mk2. En cela, préférer des instruments acoustiques, originaux, et une posture plus pop (entendre ici un son plus soft et moins agressif) était un choix risqué pour un groupe qui avait ciblé un public emo et gothique pendant près de dix ans. Le Grand Soir, La Lettre de Métal, L World, Bye Bye Valentine, Le Dernier Jour et même Union War ne constituaient pas, pour ainsi dire, des appâts pour adolescents lookés. Quant à lui, le premier single Little Dolls rattrapait le revival post-punk en mimant les guitares d'Editors, un peu tard pour capter la mode mais suffisamment intelligemment pour ne pas en proposer un copié-collé. (Tom Smith, leader d'Editors, écrira The Lovers en 2013 avant d'en proposer sa propre version.)

Malgré ses qualités, l'album désorienta beaucoup de fans qui avaient aimé Paradize et Alice & June. La tournée fut pourtant impressionnante, d'une élégance inattendue de la part de l'auteur de "Vibrator", festive mais bien plus sage que les scènes d'hystérie qui avaient fait l'Alice & June Tour. Des vidéos documentaires sur le début du XXe siècle, souvent en noir et blanc, étaient projetées sur plusieurs écrans entourant une scène à l'aspect industriel. Entre les morceaux, on pouvait entendre des marches militaires et des sirènes menaçantes. Parallèlement, les clips de Little Dolls, Le Lac et Le Dernier Jour restèrent dans la thématique de l'album et de la tournée.


Les bonnes idées étant rares chez Indochine Mk2, le Meteor Tour fut immortalisé sur le très moyen Putain de Stade, concert en plein air avec un Nicolas autotuné, noyé dans ses onomatopées, et des choix de réalisation centrés sur les fans qui rendent le film difficilement supportable, malgré de très beaux plans de caméra. 


Histoire de rappeler à tout le monde que malgré les Meteors, Indo reste un groupe de jeunes.
  
Comme un seul gâchis ne suffisait pas, Nicolas a cru bon de ne publier Le Meteor sur Bruxelles qu'incomplet et dématérialisé, ce qui a participé à le faire tomber dans l'oubli alors que le concert est supérieur à Putain de Stade : le son est bien meilleur et Nicolas chante mieux tout en étant largement moins retouché.


Quant à elle, la pochette de La République des Météors est une réussite esthétique, bien qu'elle nous inspire plusieurs commentaires. Premièrement, elle ne compte que les références personnelles de Nicolas dont il s'entoure encore une fois pour embellir son image. Cette pochette résume sa manière de penser sa culture : il se place au centre d'un patchwork de références comme autant de lumières tournées vers lui. Elle montre encore une fois qu'Indochine Mk2 est un projet solo, puisqu'elle ne montre que des références choisies par Nicolas. Si Mk2 était un groupe, les musiciens auraient des influences communes et digérées collectivement, mais à l'image de la pochette, ils sont juste là pour servir l'univers de Nicolas.
"Il y a une référence notoire à Sgt Pepper. Je voulais présenter un patchwork de toutes nos influences. Sur la pochette, on voit Patti Smith, David Bowie, un zeppelin en hommage à Led Zeppelin. On aurait aussi pu mettre aussi Brian Ferry, les Sparks, Sid Vicious, Joe Strummer Et puis, il y a toutes nos références littéraires: Salinger, Simone de Beauvoir, Apollinaire, Rimbaud et Marguerite Duras, qui nous a inspiré le nom d'Indochine. Des personnalités scientifiques aussi, comme Freud, Pierre et Marie Curie. Toutes ces figures, c'est un peu la république d'Indochine. Pour le meilleur et le pire, avec des dictateurs comme Staline. D'où le titre La République des Meteors. Toutes ces personnalités ont, chacune à leur niveau, marqué notre époque."

Nicolas Sirchis, La Presse, mars 2009

D'une référence voulue à la pochette de Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band, on est plus proche d'une peinture religieuse à la gloire d'une seule idole. 

Les Noces de Cana, Véronèse, 1571

Mais le Dig out your soul d'Oasis sorti en 2008 a également dû jouer. Le groupe mancunien y référençait déjà l'esthétique psychédélique de la fin des années 60, ainsi que sa musique.


Deuxièmement, cette pochette pensée comme un résumé des influences du groupe occulte totalement celles d'Indochine dans les années 80. Pas de trace de Gilbert Bécaud, William Sheller, ni Henri Salvador que Nicolas citait à l'époque. The Clash dont Stéphane et Dominique étaient fans, Joe Jackson, Hank Marvin sont absents. Serge Gainsbourg, Jacques Higelin et Renaud également.

Nicolas n'a pas eu le droit de mettre la photo de Bowie de 1975 qu'il voulait (voir annexes), c'est donc celui de Heathen qui apparaît en tout petit, un album de 2002 qui ne l'a pas intéressé du tout. Aucun auteur de bande dessinée non plus, pas même Henri Vernes, l'auteur des romans Bob Morane, à qui seront préférées des figures plus littéraires. Simone de Beauvoir quant à elle, n'apparaît qu'en rapport au jeu de mots de "Troisième Sexe"...

Voir : Marguerite Duras et la bande dessinée


On voit à l'inverse des personnalités dont Nicolas n'a jamais parlé (voir annexes). Nous nous demandons par exemple en quoi Pierre et Marie Curie constituent une influence. La présence de Sigmund Freud, fondateur de la très controversée (scientifiquement et moralement) psychanalyse, nous pose davantage question sans pour autant nous étonner. Ladite pseudoscience et ses bienfaits refont d'ailleurs surface dans le parpaing de Rafaëlle Hirsch-Doran, et il nous semble souhaitable de ne pas prendre cela à la légère.

Voir : Indochine par Nicola Sirkis & Rafaëlle Hirsch-Doran


Il semble que Nicolas n'ait pas su aller plus loin que ça pour trouver des références "scientifiques" à ajouter au patchwork. Est-ce une revanche sur son échec scolaire ? N'a t-il trouvé personne d'autre que  Sigmund Freud en cinquante ans ? Et comment faut-il entendre sa mention d'un dictateur comme faisant partie de la république d'Indochine, pour le meilleur et pour le pire ? Avait-il quelqu'un en tête ?


Cette compilation sortie à la même époque présente 11 titres choisis par Indochine, entendre "choisis par Nicolas", comme une énième occasion de faire un peu de namedropping. On y retrouve d'ailleurs Suede et David Bowie. Quant à la présence des copains d'Asyl, nous imaginons qu'ils devaient avoir besoin de ronds.


Dès 2013, le jeunisme fut définitivement de retour avec Black City Parade, Nicolas décidant même au cours de la tournée de relancer la mascarade de Tallula, réactivant la compétition entre fans pour attirer l'attention du leader. Pourtant, le premier single abordait la douleur pérenne de la séparation et l'envie de revenir auprès de l'être aimé. En ce sens, il n'aurait pas détonné en clôture des Météors, et en tant que premier titre audible de Black City Parade, il constitue un maillon entre les deux disques, ce qui ne semble pas avoir été fait exprès non plus. Malheureusement, la majeure partie des titres de l'album de 2013 ne suivirent pas la direction de cette pop solennelle qui montre que parfois, cette entreprise musicale arrive à avoir une personnalité. Par accident ?


"Ce serait oublier pourquoi les aficionados d’Indochine restent fidèles: aux initiés, aux patients auditeurs qui attendent avec ferveur chacune de ses apparitions scéniques (la prochaine ce samedi à l’Arena est déjà sold out!), Indochine livre un univers complexe, musical certes, mais avant tout littéraire. Enfin, littéraire, s’entend : dans la mesure où la prose labyrinthique de Nicola Sirkis tient lieu de révélation poétique. Ce qui reste discutable.

Ce qui lie Sirkis à l’imaginaire d’Indochine, c’est bien sa plume. Une écriture qui tient lieu de confidence, si ce n’est de thérapie. Le beau Nicola (quoique, renseignement pris auprès des fans, certain(e)s pensent le contraire) a fait de la chanson pop un parfait dévidoir de ce qu’il nommera à maintes reprises son 'mal indéfinissable'."

Fabrice Gottraux, La Tribune de Genève, avril 2010


Voir aussi sur le blog : 
 


À lire également :

Psychanalyse : sale temps pour les charlatans (Sophie Robert pour L'Express)


Annexes :
Version avec Marc Bolan (pochette de The Slider) et le Bowie de 1975.

 
photo non-inversée
 
Réalisation de l'affiche du Meteor Tour (source : isuro.net)

Une liste non exhaustive des personnalités présentes sur la pochette, relevée par Christian Eudeline dans L'Aventure Indochine (Prisma, 2018) :

André Breton
Arthur Rimbaud
Betty Page
Brigitte Lahaye
Chloé Delaume
David Bowie
Guillaume Apollinaire
Hirohito
Jacques Dutronc
Jean-Paul Sartre
Joséphine Baker
Mao Zedong
Marguerite Duras
Mohandas Karamchand Gandhi
Patti Smith
Paul McCartney
Pierre & Marie Curie
Sid Vicious
Sigmund Freud
Simone de Beauvoir
Sue Combo

2020 - "Ultra S" à la Coopérative de Mai

C'était une bonne idée, voire une très bonne idée. Lecteur de l'Indoforum, Nicolas avait pu mesurer la grande sympathie des fans pour ce chouette morceau de Dominique Nicolas.

 

Mais chez Indochine Mk2, les très bonnes idées ne donnent que des moments sympas, tout au plus. C'est sympa de sortir d'une machine bien huilée et de se souvenir que Nicolas, fut un temps, chantait autre chose que des textes aléatoires sur des instrumentations bourrines. C'est sympa aussi de voir Indochine Mk2 préférer la générosité à la facilité.

Mais c'est une reprise, par le chanteur d'Indochine lui-même, accompagné de son tribute band. Tandis que le groupe fait correctement son boulot, le chanteur d'Indochine est aux fraises. Il n'a plus le morceau en tête, a oublié la métrique des paroles, et comme souvent son chant est pollué par sa lecture linéaire du prompteur. Se toucher les yeux trempés devient même Se toucher les yeux fermés, à croire que le vers d'origine manquait des stéréotypes qui font le confort d'Indochine Mk2. Mais combien de fois a t-il réécouté le disque avant d'entamer le morceau sur scène devant son public ?

 

De plus, un pont pourtant intéressant a été viré de l'arrangement. Trop compliqué pour Nicolas ? Ou bien cette pause risquait-elle de dissiper l'attention du public de 2020 ?

Sur l'album, le gimmick de "Ultra S" consiste en un dialogue harmonieux entre tous les instruments, qui installe une ambiance originale, quasi électronique, rappelant des motifs orientaux. Chez Indochine Mk2, ça ne devient qu'un bête plan de guitare électrique à trois notes, dont même le bassiste Marc Eliard est exclu alors qu'il joue sur l'album. C'est probablement parce que Nicolas n'entend dans ce morceau que ces trois notes de guitare, qu'il se permet de se l'accaparer en jouant lui-même ces trois notes, à la façon d'un collégien qui apprend la guitare dans sa chambre. Il était toutefois plus confortable de le jouer à l'unisson avec Boris Jardel, surtout qu'il arrive à se planter (0:23) !

Voyez au cours du morceau comme il est à l'ouest sur les accords et le rythme, et totalement absent de l'intention du morceau d'origine, qu'il semble découvrir. 

À trop vouloir exclure Dominique Nicolas de l'histoire d'Indochine et ramener toute la lumière sur lui, Nicolas Sirchis ne fait que creuser le fossé déjà immense entre lui et son ancien groupe.

En somme, une reprise loin du niveau de l'originale. Allons, au travail !


Voir aussi sur le blog :

1993 - "C'était le début du grunge..."

Nicolas et la guitare

Pourquoi Indochine Mk2 ?