2020 - "Nos Célébrations" & Singles Collection 2001 - 2021

Voici enfin la célébration des quarante ans d'Indochine.


Un montage épileptique de plus de vingt minutes retrace la carrière musicale de Nicolas Sirchis au sein de formations nommées "Indochine", mise en parallèle avec des faits politiques et sociétaux marquants. Marquants pour la population, mais sans aucun rapport avec le(s) groupe(s) d'une façon ou d'une autre.

Cette communication se trouve être une nouvelle occasion pour Nicolas d'y placer un panthéon de références, dont il relit l'influence à la première personne, pour mettre à jour l'image qu'il veut maintenant donner à son projet musical : une maturité chargée d'histoire.
"Le groupe a connu trois périodes : celle avec le guitariste et compositeur Dominique Nicolas, jusqu'en 1995 ; celle où j'ai dirigé le groupe avec mon frère Stéphane, jusqu'à sa mort en 1999 ; puis celle avec Oli."
Nicolas Sirchis, Le Monde, Octobre 2009

Si on peut très sérieusement douter du fait que Nicolas ait un jour dirigé Indochine en binôme avec Stéphane, l'auditeur averti peut constater qu'il s'agit bien de groupes homonymes avec un chanteur en commun.

Notons aussi que l'entretien officiel pour le lancement de l’événement est mené par un journaliste - choisi par le maître de cérémonie - ignorant de l'histoire musicale de Nicolas et des différentes configurations d'Indochine. Ainsi, comme souvent, tout peut être conté sans possibilité de contradiction. On a même, comme souvent dans les cadres officiels, des interventions élogieuses sur les qualités du chanteur :
"Il est un grand connaisseur du monde de la musique et sur comment communiquer dans ce domaine"
Erwin Olaf, Livestream #INDO40 au Stade de France, 26 mai 2020

Et c'est vrai, pour preuve nous célébrons officiellement les quarante ans d'une hydre nommée Indochine, et non les vingt ans du groupe formé par Nicolas et Olivier dont le premier album fut Paradize. Pourtant c'est bien de cela dont il s'agit, et ce sans aucune ambiguïté.

Le logo des quarante ans, comme chacun l'aura remarqué, était évidemment basé sur la croix de Paradize, glorieux logo d'Indochine Mk2, et par réécriture nicolienne, d'Indochine tout court.


"On fêtait nos quarante ans. C'était bien de... de montrer ce que pouvait être le groupe euhhh... quand on avait vingt ans et qu'on a commencé. Enfin quand on avait seize-dix-sept ans donc c'est pour ça qu'on a mis ces cinq jeunes garçons... Voilà, c'est ce qu'aurait pu être le groupe à cette époque là."
Nicolas Sirchis, Quotidien, 26 mai 2020

Ici, Nicolas explique qu'il montre ce qu'aurait pu être le groupe, et non ce qu'il a vraiment été. La réalité de ce que furent vraiment ces jeunes garçons ne correspondant pas à l'histoire dont il aurait rêvé, il poursuit ici son travail de relecture du passé sans aucune forme de retenue.

Les cinq adolescents ne sont pas un hommage à l'Indochine de 1981 constitué de trois, puis quatre new waveux au look post-rockab' mais un fantasme lunaire, imaginant de jeunes rebelles qui auraient été à l'origine du groupe actuel. Peut être peut-on s'amuser à retrouver quel avatar correspond à quel indoboy, mais il est certain que le charismatique et assuré frontman, avec sa guitare sur le dos, est un jeune Nicolas qui n'a jamais existé.

Indochine en 1981

À découvrir bientôt donc, deux disques :

- Singles Collection 2001-2021; le tout premier regroupement des tubes remixés d'Indochine Mk2.
- Singles Collection 1981-2001, un remaster du patrimoine passé pour la caution et également remixé.

Après le Birthday Album et Unita, il était presque étonnant que Nicolas n'ait plus sorti aucune compilation. Il serait trop facile de critiquer ici le choix d'un best-of, qui constitue dans tous les cas une sortie facile. Mais au delà des deux sorties pour le prix d'une, cela confirme bien tout ce que nous évoquons sur ce blog, sur l'indéniable succession d'un groupe et d'une entreprise solo. 

En 2011, Nicolas n'était même pas enthousiasmé par les trente ans, et le Stade de France, parfois présenté du bout des lèvres comme un anniversaire, n'avait pas d'autre particularité que de constituer un premier essai stadier. L'anniversaire du chanteur approchant avait bien plus attiré l'attention du public.
"Mais je pense que musicalement le fait que ce soit un jeune groupe encore Indochine, malgré que tout le monde nous bassine sur les trente ans etc, c'est un jeune groupe. Et euhhh... Un jeune groupe par rapport aux membres qui le concluent (sic).
Nicolas Sirchis, Pure, janvier 2011
 
"Pour nos trente ans, beaucoup de gens me demandaient une intégrale, mais l’idée me déplaisait. Unique rescapé de la formation initiale, je la trouvais même déplacée. Mon frère a disparu à la fin des premières décennies d’Indochine, qu’y a-t-il dès lors à fêter ? Notre notoriété ? Cette indicible chance de pouvoir continuer à vivre de notre passion ?"
Nicolas Sirchis, Madame Figaro, janvier 2012

Lors de l'interview dans Quotidien, présenté par un Yann Barthès qui découvre "Dizzidence Politik", la caméra immortalise les réactions de Nicolas à l'écoute d'une poignée de singles célèbres : il trahit un certain malaise avec ceux d'Indochine, et une immense fierté pour ceux de Mk2.

Quant au nouveau single, il succède au superbe "La guerre est finie" et à "Kissing my song" dans la lignée des morceaux bonus sur respectivement Le Birthday album (1991) et Unita (1995).


Un effort produit par Nicolas et Olivier, avec Ludwig Dahlberg convoqué à la batterie. Pas d'invité des décennies passées, pas d’hommage sonore ou textuel aux absents, mais encore plus inattendu, pas les habituels musiciens de studio et de scène. Boris Jardel joue pourtant pour Nicolas depuis 1998, et Marc Eliard depuis 1992. Ce dernier est donc le membre qui est resté le plus longtemps à ses côtés, toutes périodes confondues. Mais Nicolas a estimé que c'était à lui d'enregistrer la basse. 
 
Nicolas pendant l'enregistrement de "Nos Célébrations"
 
La qualité du morceau correspond aux attentes des fans, ainsi qu'à celles des détracteurs : "Nos célébrations" contient l'essence du duo, et transpire la fainéantise et le fan service. Ce nouveau titre écrit par nécessité et en vitesse est in fine la musique de publicité pour la promotion des deux compilations. 
"C'est la première fois qu'on écrit vraiment... D'habitude on écrit toujours pour faire un album... Donc on rentre dans une créativité de euhhh... Une sphère de création, dix, quinze, vingt, trente chansons et là on s'était... Et là on a besoin d'un morceau. Et euh, voilà. Consciemment ou inconsciemment on a réussi à regrouper ça... Donc c'est assez inédit pour nous de faire ce genre d'exercice."

Nicolas Sirchis, Livestream #INDO40 au Stade de France, 26 mai 2020

Si on est très loin ici de la musique d'Indochine Mk1, le gimmick trompette peut en revanche correspondre au cliché pouet pouet qui colle à la peau de nombreux groupes synthétiques. Un choix étrange de la part de quelqu'un qui avait tout fait pour se défaire d'une image synthpop, à laquelle le groupe de Dominique et Stéphane ne correspondait nullement. "Nos Célébrations" est un morceau paresseux et prévisible, construit autour d'une suite d'accords magiques typique du duo Nicolas/Olivier, et d'un manque d'exigence qui flirte avec l'impudence. N'y avait-il pas mieux à faire pour un morceau censé célébrer les quarante ans ?


C'est justement cette légèreté qui renforce clichés et railleries à l'encontre des musiques populaires. Comme lors de cette fameuse pique de Serge Gainsbourg sur les compositions dites "à la guitare".

Quant au clip, il confirme bien qu'il s'agit des quarante ans de la carrière de Nicolas, entouré de ses références, de grandes figures politiques (Mitterrand, Reagan, Thatcher, Simone Veil, Chirac, Mandela), d’événements marquants (catastrophe de Tchernobyl, chute du mur de Berlin, manifestations de la place Tian'anmen, guerre du Golfe, 11 septembre) mais également des méchants et des dangers (Trump, la pollution et le soviétisme). Il y est un survivant sans âge des années 80, contrairement au vieux gros téléphones cellulaires et aux premières rames de TGV. On y voit également quelques œuvres emblématiques et polémiques de l'art contemporain, ainsi que Salinger, Jacques Higelin et l'inévitable Marguerite Duras.

Nicolas Sirchis s'y érige comme une sorte de chaînon manquant entre David Bowie et, plus étonnant, ce même Serge Gainsbourg avec qui il n'a eu qu'un lien professionnel.
Au final, l’histoire d’Indochine est très française : on adore brûler ce qu’on a adoré ?
"Eh bien, je ne crois pas. J’ai profité du confinement pour lire des biographies de chanteurs. Bowie, par exemple, a pas mal été crucifié. Gainsbourg, aussi, doutait de lui."

Nicolas Sirchis interviewé par Benjamin Locoge, Paris Match, juillet 2020

Il est également plus qu'instructif de comparer ce nouveau panthéon et celui, présenté il y a plus de onze ans, sur la pochette de La République des Météors.


Une fois à quai, notre héros porte sur son dos une housse de guitare, accessoire de mode indispensable au personnage pour une image de songwriter émancipé et souverain.
"J'ai eu cette idée de voir passer tous les personnages de ces dernières années. C'est là où l'idée des 40 ans est née. Et puis aussi cette idée de prendre une phrase de 'Un jour dans notre vie', de 'Ladyboy' pour faire une sorte de cadavre exquis de nos chansons (...) C'est une belle façon de fêter nos 40 ans. Elle est incroyable cette chanson puisqu'elle suscite des larmes d'émotion et de joie. Elle parle à tout le monde, c'est assez fort."
Nicolas Sirchis, Pure Charts, 2020

Vie étant probablement le mot qu'il utilise le plus avec nuit, nous aurions tendance à croire que Nicolas n'évoque pas ici une vraie idée de départ, mais une réalisation tardive de sa tendance à utiliser les mêmes mots.

Les paroles appellent à la compassion. A l'instar de "Kill Nico", le narrateur est un cavalier seul et persécuté, se battant pour son rêve dans un monde violent. Cette thématique avait déjà été rencontrée par le passé mais en moins littérale et autocentrée, lors d'une aventure exotique avec "A l'assaut" ou une complainte collective avec "Il y a un risque". Dans "Nos Célébrations", les autres ne sont une nouvelle fois que des méchants, des gens qui ne comprennent pas, qui ne sont là que pour dégrader et de qui il faudrait sauver sa peau, son nom. C'est très ironique de la part de quelqu'un qui s'est toujours servi du talent des autres, sans se montrer conscient de ce qu'il leur devait. Seul au sommet de sa montagne, Nicolas Sirchis se dessine ici valeureux et méritant :

Je suis comme une histoire et qui n'en finira pas
J'archive le paradis perdu est-ce que ça continuera ?
Mais qui nous a fait croire que l'on n'y arriverait pas
Je ne donnerai pas cher de ma peau je ne donnais pas cher de moi
[...]

À la vie, à y croire
À nos célébrations
Sauver sa peau, sauver son nom
À ne garder que le beau
[...]

J'étais parti avant, tout seul mais perdant
Le monde entier contre moi à ne rêver que de toi
Alors j'ai décidé de ne voir que le bien
Il y aura certainement quelqu'un pour m'écouter quelque part

Mais ils n'y arriveront pas
À nous dégrader
[...]

Si vous avez lu le blog, nous ne devrions pas avoir besoin d'épiloguer sur ce complexe de persécution et cette stratégie victimaire.

Nicola Sirkis pourrait être décrit comme un héros randien ; d'Ayn Rand, romancière et philosophe russo-américaine, prônant l'individualisme, la poursuite du bonheur personnel, et que l'on retrouve omniprésente chez de nombreux auteurs, artistes, intellectuels et même politiques.
"Non, le bonheur absolu n'existe pas, sinon ça se saurait ! Il faut juste se fabriquer son paradis à soi... Envers et contre tout."

Nicolas Sirchis, Rocksound, avril 2002

Mais :
"L'individualisme extrême de ce cow-boy/entrepreneur/super-héros, auteur de sa propre morale nous renvoie aussi à une figure tragique : un héros, certes rationnel et objectif, mais aussi délibérément solitaire."
Sur le tournage de "Un été français", 2017

Malgré tout, nous souhaitons à Indochine Mk2 une très bonne célébration de leurs vingt ans d'existence !

 


 

Annexes :
Unita en 1995
"Sinon, ce qui est prévu pour les vingt ans du groupe, c'est un album de versions acoustiques symphoniques et un album de remixes. Parce que vingt ans, ça ne se fête pas avec une énième compilation !"

Nicolas Sichis, Tribu Move n°18, avril 2000

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Quand vous dites qu'il n'y a aucune mention textuelles aux membres passés du groupe, je crois que c'est passer un peu vite sur le deuxième couplet... Un couplet qui, à mon avis, s'adresse directement à Stéphane tout en, comme vous le dites, prenant une position victimaire.
    "J'étais parti avant, tout seul mais perdant" : référence au fait que Stéphane n'a intégré le groupe qu'après plusieurs mois d'existence ?
    "Le monde entier est contre moi, à ne rêver que de toi" : référence à l'éternel complexe d'infériorité vis à vis de son jumeau, dont il fait d'ailleurs état dans plusieurs sources ?
    "Mais il n'y arriveront pas à nous dégrader, moi je t'aimerai encore, encore et jusqu'à la mort" : référence aux polémiques qui ont surgi suite aux interventions de Christophe Sirchis sur la manière dont Nicolas aurait traité Stéphane ?

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    Merci pour votre réponse. Effectivement ça l'énerve, on a vu dans plusieurs interviews et livres que certains de ses textes soient systématiquement ramenés à l'histoire tragique de son frère. Et vous, vous ne trouvez pas ça parlant que ça l'énerve, justement ? ;) Nous resterons en désaccord là-dessus, comme je trouve un tantinet dommage de l'assassiner sur son niveau de français alors qu'il présente très probablement des troubles du langage.
    Par ailleurs, merci pour votre travail sur ce blog, complet, minutieux, et nécessaire pour contrebalancer le traitement médiatique écoeurant de ce monsieur et son révisionnisme constant de sa propre histoire et de celle d'Indochine.

    RépondreSupprimer

Bien que la modération soit activée, nous vous faisons confiance pour rester civils et courtois dans vos commentaires et éventuels échanges.